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mercredi 8 juillet 2015

La chair de poule.

Penny dreadful.
À l'origine, l'expression désigne des récits d'horreur pas chers ( un penny ) à l'écriture facile.
Mais ces récits pleins de monstres et de meurtres vont peu à peu façonner l'imaginaire victorien. Sans cette forme de littérature, nous n'aurions sans doute jamais eu Dracula par exemple ( tout comme sans les pulp fictions, les comics n'auraient sans doute pas eu le même essor : pour le rapport entre les pulp fictions et les comics, je vous conseille «  Super-Héros » de Jean-Marc Lainé, aux éditions Les Moutons électriques).

En 2012, Skyfall de Sam Mendes explose le box-office et l'image de James Bond. Le co-scénariste, John Logan ( également auteur ou co-auteur de : Gladiator, The Last Samurai, The Aviator) arrive avec une idée auprès de Mendes : une série télévisée articulée en saison très courte ( entre 8 et 10 épisode), reprenant le concept du «  World Newton » ( popularisé par la création de Alan Moore La ligue des gentlemen extraordinaires) : faire se télescoper différents personnages de fictions au sein d'une même histoire ( attention , ce n'est pas la même chose que faire se croiser les héros Marvel ou DC dans le même comic book ou le même film car Thor et Iron-Man vivent dans le même monde à l'inverse de Dracula ou Frankenstein).
Mendes est conquis et deviens producteur exécutif du show qui sera co-produit par Sky et Showtime (la grande concurrente de HBO : True Blood, Game of Thrones, True Detective) qui avait déjà proposé Dexter, Les Tudors.

Vanessa Ives, jeune femme de la bourgeoisie britannique engage le tireur d'élite américain Ethan Chandler pour l'aider elle et Sir Malcolm Murray à retrouver la fille de ce dernier,Mina (Mina Murray étant la fiancée de Jonathan Harker dans Dracula de Bram Stoker). Confrontant et terrassant une créature aux longues dents après 8 minutes d'épisode, notre petit groupe confie l'autopsie à un docteur désargenté mais brillant : Viktor Frankenstein. Les découvertes qu'ils vont faire sur le cadavre les mèneront vers la découverte d'un monde bien plus complexe inconnu de la plupart du commun des mortels, un demi-monde contenu entre ce que nous connaissons et ce que nous craignons.





Parallèlement à l'intrigue de «  groupe », chaque personnage est confronté à une « malédiction » qui lui est propre, la série fouillant ses personnages, leurs secrets et leurs âmes.

La première saison souffre de quelques défauts mineurs mais dérangeants : le grotesque côtoie souvent le trop plein. Et il est bien difficile de savoir s'il s'agit là de faiblesses d'écriture ou d'une réelle envie de coller au style outrancier des penny dreadful de l'époque victorienne. Cependant, cet aspect disparaîtra dans la saison 2 : à vous de tirer les conclusions que vous voudrez.







Hasard ou pas, Sam Mendes a bossé sur James Bond et on retrouve pas moins de 4 acteurs de la saga au générique ( dont deux seconds rôles sortis de Skyfall !! ).
Eva Green ( à prononcer non pas à l'anglaise mais bien à la suédoise, ce qui donne quelque chose comme «  graine » ) , qui incarna Vesper Lynd dans Casino Royale, incarne la forte mais fragile Vanessa Ives : sa prestance, sa voix particulière confèrent déjà une aura impressionnante à son personnage mais son interprétation tout en classe et en finesse ( contre-balancée par des moments de sauvageries animales et sexuelles assez impressionnants) finit de convaincre que son interprétation est impeccable.
Timothy Dalton ( 007 himself dans Tuer n'est pas jouer et Permis de tuer ) est Sir Malcolm Murray : un aventurier déterminé à retrouver sa fille. Direct, brutal et parfois élégant : l'homme joue un Bond mature en somme et cela lui va bien.
Rory Kinnear ( l'assistant de M dans Quantum of Solace et Skyfall ) incarne la créature de Frankenstein, un être tourmenteur envers son créateur et timide et effacé dans le monde des hommes : un contraste intéressant qui en fait un des personnages les plus attachants de la série.
Mais le personnage le plus difficile à appréhender et donc à jouer est sans doute la version du docteur Frankenstein que le show se propose de nous présenter. Incarner par Harry Treadaway, le docteur est tour à tour exalté par la science, terrifié par le monde occulte (et courageux face à celui-ci).
Quand à Josh Hartnett, son rôle de porte-flingue américain à l'accent improbable évolue tout au long de la série pour révéler sa vraie nature en toute fin de la première saison.






Si un étrange vampire et ses mignons formaient le danger principal de cette saison, la seconde verra l'arrivée des Nightcomers ,des sorcières particulièrement revêches.
Quant à Dorian Gray, son importance dans l'histoire semble très secondaire...à moins que…



L'overdose aurait pu guetter ( multiples intrigues parallèles et parfois imbriquées , nombreux concepts fantastiques : vampires, sorcières, médium, Dieu&Lucifer, immortalité,,etc…) mais tout est dosé. De plus, le style narratif donnant à chaque personnage une aptitude spécifique est un schéma auquel le spectateur est habitué depuis des siècles ! Et Penny dreadful se glisse très bien dans ce genre.


La réalisation est correcte et très télévisuelle de luxe ( c'est classique mais travaillé ) donc rien de révolutionnaire mais le travail sur la lumière, les décors et les costumes est de toute beauté : on est très loin de l'image des reconstituions à la française ( alors que, si le cinéma français avait recours à des techniques simples comme l'étalonnage ou un vrai travail sur la photo, le côté artificiel des costumes pourraient disparaître : c'est incroyable ce qu'on peut obtenir en travaillant la lumière!). L'ambiance est toujours palpable, souvent étrange, parfois malsaine et choquante.
Bref, malgré des défauts dans sa jeunesse, la série mérite que l'on se penche sur son cas.

dimanche 5 juillet 2015

Déjima, mon amour !

David Mitchell est un auteur britannique relativement inconnu de par chez nous. Et ce même si son roman Cartographie des nuages a été adapté au cinéma, avec brio, il y a quelques années sous le titre Cloud Atlas (le titre original du roman d'ailleurs). Il gagnerait pourtant à être connu !

Été 1799, Jacob De Zoet, jeune clerc, débarque à Déjima, au Japon.
Cette île artificielle située dans la baie de Nagasaki est le seul point d'accès au Pays du soleil levant, l'archipel étant encore fermé aux étrangers (et aux autochtones a qui il était interdit de quitter le territoire ! ).
Jacob travaille pour la compagnie des indes néerlandaise et est amené à se plonger dans les comptes de l'entreprise. Il fait la rencontre de divers personnages dont Mlle Aibagawa, sage-femme au visage brûlé dont il tombe amoureux.

Un papillon de nuit fonce dans la flamme d'une bougie. Il tombe sur la table, agitant les ailes. 
"Pauvre Icare." Ouwehand l'écrase d'un coup de chope. "N'apprendras-tu donc jamais?".

Certains romans sont conçus comme des poupées gigognes. Celui-ci est conçu comme un éventail : l'éventail se déplie comme l'auteur déplie son intrigue. Ensuite, chaque partie de l'éventail se déplie également pour venir approfondir les relations entre les personnages et leur background, pour multiplier les points de vue et les rebondissements et ce faisant, part dans énormément de directions sans jamais perdre de sa cohérence.  Des histoires dans l'histoire qui viennent nourrir l'histoire. Un ensemble qui aurait pu être totalement foutraque et qui ne l'est pas, jamais.

"Imprimés, les mots sont nourriciers, déclare Marrinus, et vous me semblez affamés, Dombourgeois."

Car au-delà de la rigueur chirurgicale de l'intrigue, il faut y ajouter celle des mots. Tout , absolument tout, est choisi avec soin, faisant couler la lecture comme une douce liqueur dans la gorge.  Rigueur de la recherche historique et culturelle également : Mitchell a vécu 8 ans au Japon et a épousé une fille du pays. Impensable qu'il puisse se planter, il mettra  4 ans à écrire le livre, souhaitant l'achever avant que le livre ne l'achève lui !



Jouant avec les genres (sommes nous face à un roman historique, une romance contrariée, un livre au fantastique diffus ou un récit exotique, etc…?) , Mitchell nous entraîne dans un aventure où les temps morts n'en sont pas tant l'envie de tourner les pages se saisit du lecteur une fois le roman ouvert. Un vrai piège dans lequel il fait bon tomber !

Pour finir, un petit mot pour mes lecteurs français : les belges sont habitués à lire le néerlandais (et ce même si les francophones ne le comprennent pas toujours ) mais pour le lecteur situé en dehors des frontières du plat pays, les patronymes des héros Néerlandais pourraient être sujets à certaines difficultés ( non, Kim Clijsters ne se prononce pas comme vous le faisiez à Rolland Garros, désolé). Mais il est vrai que, comme Mitchell le fait dire plusieurs fois dans son roman, cette langue est une vacherie rude à l'oreille. C'est pourquoi je ne résiste pas à livrer ces doux écrits qui résument parfaitement cette langue :

"Quelle drôle de langue que le néerlandais, songe Penhaligon. On croirait entendre quelqu'un s'étrangler en lapant de la boue."
"Les sonorités de la langue néerlandaise font penser à un porc montant une truie."

Cruel, mais terriblement vrai !