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lundi 25 mars 2013

Dans les nuages !


4 ans et demi (presque 5 pour nous, pauvres européens pour qui le film a mis 5 mois à traverser l’océan) après l’échec critique ET public de Speed Racer ( qui reste, selon moi, une grande réussite technique loin d’être vaine ), la fratrie Wachowski* revient avec une œuvre qui sort des sentiers battus, comme d’habitude ai-je envie de dire : Cloud Atlas, adapté du roman de David Mitchell et co-réalisé avec Tom Tykwer (les imbuvables Cours Lola, cours et Le Parfum et le ¾ réussi The International.).

Dés le début du film, un personnage affirme ne pas aimer les artifices que sont les flashbacks (ironique pour un film construit plus ou moins selon le procédé du flashback et du flashforward).  Cependant, j’ai le sentiment pénétrant que si ce film est tout à fait appréhendable en tant que tel pour chaque spectateur, le cinéphile enragé ne saura pas faire autrement que de replacer Cloud Atlas dans la filmographie de ses réalisateurs principaux (je reviendrai sur cette notion, ne me crucifiez pas). Loin de moi l’idée de repasser tous leurs films ou scénarios (adieu le mésestimé Assassin et Bound, malgré mon amour pour le polar et les lesbiennes**) mais j’estime qu’une sacrée remise en contexte est, si pas nécessaire, très intéressante ! La critique en elle-même viendra plus loin, ne vous inquiétez pas.

Très tôt, les frangins écrivent un scénario basé sur le comic book V for Vendetta d’Alan Moore et David Lloyd.***. Celui-ci est rejeté mais Joel Silver, grand producteur à la Warner repère les Wacho. Il est emballé par leur idée de The Matrix : l’histoire est en marche.

The Matrix has you ! Knock Knock Neo !

En 1999, Matrix débarque de nul part et surprend son monde. Entre fable philosophique d’initiation, film d’action hollywoodienne, de kung-fu, de SF et de théorie du complot, le film se pose comme un mélange des genres explosif ! Le mélange des genres, au cœur même de Cloud Atlas ! Puisque le discours philosophique change à chaque film de la trilogie (ce que le spectateur ne pardonnera jamais à Matrix Reloaded et Revolutions : avoir osé s’éloigner du premier épisode et ne pas proposer deux faux remakes du premier film comme Hollywood le fait habituellement. The Lost World : Jurassic Park, de Steven Spielberg, s’était lui aussi pris une volée de bois vert à sa sortie pour les mêmes raisons. ) , il faudra se concentrer, selon moi, sur le thème de la liberté et de l’amour. Deux concepts que les cyniques de tous bords traiteront sans doute de cul-cul ( je n’irai pas jusqu’à leur souhaiter de vivre en prison privé de compagnie, mais vous avez saisi l’idée). Et pourtant !





Neo et V sont des libérateurs. Les épreuves que le système leur a fait subir les a menés vers un destin de sauveur christique, vers un destin de sacrifice. Une lutte effrénée, non pas vers l’anéantissement complet du système, mais vers la libération de ceux qui l’habitent. Neo offre la liberté à Zion en les déchargeant de la guerre contre les machines, il offre aux humains prisonniers de la Matrice le choix de choisir entre le monde réel et le monde virtuel. Il aurait été incapable de le faire sans amour pour Trinity. C’est cet amour passionné qui le ramène à la vie, c’est cet amour déraisonné qui le pousse à envoyer se faire mettre l’Architecte, brisant pour la première fois le cycle bien rôdé de l’élu.





V , par ses actes de déstabilisation d’un modèle tyrannique , expose les failles puantes d’un système fasciste et liberticide. Il fait comprendre que le sort des anglais n’est pas une fatalité. Comme Néo à la fin du premier Matrix, ses actions font voir aux gens que ce qu’ils considèrent comme l’impossible est possible ! Ce qu’il a entamé comme une simple Vendetta à grandes échelle, va se transformer en autre chose quand il va rencontrer Evey. Et bien que jamais aucune envolée lyrique ne vienne le dire clairement, de l’amour va naître entre eux. Et , parce qu’il est un grand personnage romantique d’antan, V va changer et considérer son combat d’un point de vue moins égoïste. D’un point de vue plus subversif, il est grandiose et ironique que l’agent Smith, symbole même de l’oppression de la Matrice, et V, symbole que la liberté n’est pas morte, soient incarnés par le même acteur !




L’envie d’échapper au système est également au centre de Speed Racer : un pilote décidant de ne pas laisser un univers corrompu lui dicter sa façon de courir en course. Vous voyez, tout se tient !






V for Vendetta, aboutissement de la liberté absolue.

Matrix et V ne se limitent pas à leurs thématiques. Il y a aussi une forme derrière tout ça. Une forme révolutionnaire pour l’époque. Car , en plus , de chercher à mettre en place des héros révolutionnaires , les Wacho vont tenter de révolutionner la grammaire cinématographique. De libérer les réalisateurs de toutes les contraintes techniques. Cette entreprise sera couronnée de succès : Matrix gagnera l’Oscar des meilleurs effets spéciaux. Mais une révolution si énorme que personne ne pourra plus employer les procédés qu’ils ont proposés sans passer pour un copieur ou un faiseur de parodie.

Speed Racer les verra s’affranchir de certaines conventions de montage ou de mise en image des dialogues,des combats, etc..Je le répète, d’un point de vue technique, Speed Racer est des plus intéressants et réussis ! Souvent con comme mes pieds, il n’en reste pas moins regardable pour sa virtuosité ( si on arrive à supporter l’univers coloré sous LSD, je vous l’accorde).



Cette liberté formelle ira encore plus loin avec V for Vendetta, pourtant avare en morceaux de bravoure visuelle : le film des Wacho est ici réalisé par un autre, James McTeigue, assistant réalisateur sur les deux derniers opus matrixiens. Pourtant, aucun doute possible, le film est sous leur contrôle (un peu comme un George Lucas laissant Irvin Kershner dirigé L’Empire Contre-attaque mais gardant la main sur tout). Ils iront même jusqu’à être la seconde équipe de tournage, s’assurant que les scènes emblématiques et hautement visuelles soient réalisées comme ils le souhaitent. Rien d’étonnant donc à constater que McTeigue, bon technicien, n’ai jamais plus offert autre chose que des produits bien emballés mais inférieurs ( Ninja Assassin et The Raven ). En laissant un autre réaliser leur film, les Wacho mettent à mal cette idée qu’un film est dû à la seule vision de son réalisateur : le cinéma est collectif****. Et Cloud Atlas va le prouver en enfonçant le clou.

Et quand je vous dis que tout est lié : c’est sur le tournage de V for Vendetta que les Wacho entendent parler du livre Cloud Atlas. Natalie Portman le lisait et leur a conseillé : effet papillon garanti !

La mise en chantier, une odyssée cachée.

Je vais être franc : la mise en chantier du projet m’était totalement inconnue avant 2011. C’est en surfant sur le forum d’un cinéphile bien plus borderline que votre serviteur que j’ai eu vent du projet. Intrigant et fou pensais-je. Intrigant, fou et foutrement bandant ai-je réalisé en voyant la première bande-annonce de près de 6 minutes qui passaient aussi vite qu’une bande-annonce classique. Si le projet avait échappé à mon radar c’est pour une bonne raison : aucun gros studio ne le produisait, personne n’était sur leur dos et personne n’a fait en sorte que le tournage soit suivi par des nuées de fans.
Tom Tykwer se montre intéressé  vers 2006 par l’adaptation de Cloud Atlas et rencontre donc  les personnes ayant acquis les droits du livre. Ce sont bien entendu les Wacho.
Très vite, le courant passe et l’idée d’un partenariat (le cinéma est un travail collectif) se met en place. Nos trois lascars défrichent le livre, écrivent le scénario, bossent tous ensemble avec les départements artistiques, etc…Une symphonie à six mains se met en place. C’est pourquoi, après 4 ans de travail commun, quand les réalisateurs partent chacun de leur côté mettre en boîtes divers segments du film, ils savent que la vision commune sera respectée.








Dans les nuages
Lorsque le film débute, le spectateur peut craindre la migraine.6 histoires nous sont présentées en un laps de temps très court. Le rendu de cette séquence pré-générique est maitrisé de bout en bout dans son envie de créer un beau bordel dans la tête du public. C’est un chaos total de 3 minutes. Mais il y a une chose à ne jamais oublier à propos du chaos, c’est qu’il en émerge toujours quelque chose !
6 histoires séparées dans le temps et étalées sur plusieurs siècles. 6 destins qui auront des répercussions sur ces siècles de déroulement. Une structure fort proche du très beau The Fountain.
On assiste donc à un voyage  en mer mouvementé vers San Francisco à l’époque de l’esclavage, à un drame poignant sur fond de romance épistolaire homosexuelle dans les années 30, à une comédie dramatique centrée sur une tentative d’évasion d’une maison de retraite tenue par une infirmière cintrée à notre époque, à une enquête journalistique qui dérange dans les années 70, à un film de SF dans Néo-Séoul et une aventure post-apocalyptique et sauvage à une époque mal définie.

Difficile de se lancer dans une critique de ce film sans tenter une certaine analyse poussée. Mais il faudrait beaucoup trop en raconter pour cela et déflorer beaucoup trop de surprises du film. Plutôt que d’en faire un film séparés en 6 parties distinctes, les Wacho et Tykwer ont décortiqué le fil conducteur et, par un habile jeu de montage qui aurait mérité un Oscar ( le film n’a reçu aucune nomination, même technique :une honte quand on voit le résultat ! ), ont créé un jeu de poupées russes jouissif. Millimétré au possible, ce montage permet de créer des portes entre les histoires : par un thème, un dialogue. Ainsi, un acte situé en 1850 peut ouvrir une (ou plusieurs) porte(s) sur l’intrigue située en 2144. Tout cela est d’une fluidité exemplaire.

Cette sensation de fluidité provient aussi des acteurs principaux qui endossent chacun 6 rôles dans le film. Par un jeu de maquillage poussé, ils apparaissent dans chaque segment : vieillis, rajeunis, changeant de sexe, de race etc…ce n’est jamais dit mais on le comprend d’instinct : chaque acteur est le réceptacle d’une même âme, se réincarnant au fil du temps.



Le Karma joue à fond dans le film et jamais cela n’est dit ou même sous-entendu par un personnage. Ce parti pris reste subtil mais peut mener à des situations cocasses ou désastreuses pour les personnages des intrigues. Mais jamais au grand jamais, le film ne boite. Jamais il ne se révèle opaque ou abscons. Son rythme haletant ( 6 histoires sur 2H45, cela fait moins d’une demi-heure par intrigue, cela va donc vite, très vite ) fait passer le temps en un claquement de doigt ! Si mes fesses ont senti le temps passé, mon esprit ,lui ,en redemandait ( le montage présenté au festival de Toronto en août 2012 était plus long d’une petite demi-heure selon témoin ) .



La mise en scène est virtuose et pensée dans le but d’une efficacité maximale : le spectateur est plongé dans divers univers mais il est capable d’y entrer de suite. Quand on pense son cadrage, son image et la disposition des éléments dans cette dernière (meubles, acteurs, figurants, etc..) de manière réfléchie, c’est en général ce qui se produit. Et le résultat est un sans faute. Aidé par des directeurs photos brillants et des effets spéciaux , qui sentent parfois l’artificiel certes, d’une beauté sans pareille, Cloud Atlas m’a offert certaines des plus belles images que j’ai vues au cinéma. Le film est à découvrir sur grand écran, c’est impératif !!!!
On regrettera cependant le manque d’ampleur de la bande-originale du film, ce qui est un peu fort lorsque l’on connait l’importance de l’écriture d’une symphonie par l’un des héros, symphonie qui traverse le film.



Tom Tykwer est ici un ersatz de James McTeigue, il tourne ses séquences visuelles pour les Wacho et pas pour lui, même si l’on sent sa patte sur certains choix d’acteurs comme Ben Whishaw qu’il avait dirigé dans Le Parfum (Grenouille, c’est lui ). Dans les séquences tournées par Tykwer ( toutes celles situés au XXme et XXIme siècle ), c’est l’acteur Jim Broadbent qui impressionne le plus : dégageant une aura malsaine voire carrément malfaisante en compositeur acariâtre, il passe pour un gentil bouffon quand il endosse la peau d’un éditeur fauché mais rusé qui tente de s’évader d’une maison de repos où il avait trouvé refuge face à une bande de malfrats. Cette histoire est d’ailleurs la bouffée d’oxygène du film, une pure comédie m’ayant arraché des éclats de rire (une scène avec un chat est d’ailleurs à se pisser dessus).




Et le grand paradoxe du film, c’est que les thèmes centraux gravitent en fait autour du fil conducteur du film (car oui, au milieu de toutes ses histoires, il y a un fil , diffus, pas aisément identifiable au premier abord. On le ressent plus qu'on ne peut le théoriser, du moins à la première vision : il en faut plus, c'est clair).
La liberté, encore elle, et l’amour, encore lui. La liberté face à l’esclavage, la liberté d’être, la liberté de la presse, la liberté de redécouvrir la vie, la liberté de prouver sa dignité humaine, la liberté face à ses démons et ses affres psychologiques. Quant à l’amour, il est le moteur ou la source de regrets des personnages. Jamais mièvre, il avance dans le film au gré de cette quête libertaire ! Ce qui fait qu’au final, dans la brume de notre esprit (car un tel film assomme de par son maelstrom d’idées qu’il faudra classer après les avoir digérées ) il y a un concept qui surgit : celui de faire savoir qui l’on aime ou carrément de tomber amoureux. À tel point que Jim Sturgees et Doona Bae sont tombés amoureux durant le tournage du film. Love was in the air !




Cloud Atlas est un film qui divisera car il ne peut laisser indifférent. En avance sur son temps ( tout comme l’était la trilogie Matrix, toujours incomprise dans son ensemble par le grand public, qui est allé la voir quand même, ce qui est rassurant), il s’est fait démonté par pas mal de critiques. Prétentieux est la moins pire des insultes qu’il a encaissé. Et bien moi vous voyez,  si un film qui ose bouleverser certaines conventions, qui ose rappeler et marteler sans grosses ficelles des concepts simples, évidents mais trop souvent reléguer au second plan ou encore qui étale un peu sa science pour provoquer la curiosité est un film prétentieux, alors je pleure. Oui je pleure, car si c’est ça l’idée d’un film prétentieux, je n’ose imaginer le vide abyssal que les critiques (et une bonne partie du public) attendent du cinéma !

Cloud Atlas est un film somme d'une folle ambition aussi bien sur le fond que sur la forme: un poème lyrique et violent, parfois d’une sauvagerie choquante mais jamais vaine, drôle, doux-amer et triste. Au travers du mélange total des genres, c’est un aperçu fascinant de bien des aspects importants de la vie qui nous est offert (la vie n’est pas cloisonnée par les genres littéraires, jamais !!!! ).
De la vie et de tout ce qu’elle peut offrir dans le bon ou le mauvais.
Un film comme un coup de poing dans la gueule, laissant une marque qui mettra du temps à disparaître ou qui, à jamais, laissera une cicatrice dans votre esprit, venant vous chatouillez les neurones et les sentiments de temps en temps.  Un appel vibrant à aimer et à vous rebeller contre l'injuste, à vous battre pour ce qui est juste ! Mais plus que tout, à ne jamais regretter !

-Quoi que vous fassiez, cela ne vaudra jamais plus qu'une goûte dans un océan !
-Qu'est-ce qu'un océan, si ce n'est une multitude de gouttes ?


Quand les fictions créent la réalité : les couples de l'écran deviennent le couple à la ville.






*Les frères Larry et Andy ne sont plus stricto sensu des frères : Larry a en effet changé de sexe pour devenir Lana.
** Oui, je suis un pervers, et alors ?
*** Non, je ne vais pas entrer dans une polémique sur les différences entre les deux. Parce que je m’en fous. Un livre, même adapté à la virgule près, restera un travail séparé. Et c’est le film qui m’intéresse ici.
****C’est pourtant évident : vous avez vu le nombre de personnes dans un générique de film ? Le ciné est un travail collectif et le réalisateur est le capitaine à bord du navire, la force inspiratrice des troupes (dans le meilleur des cas ).

3 commentaires:

  1. très bel éloge à un grand grand film, qui en effet continue à se faire démonter, mais rassemble également des amoureux de beaux films, exaltant des valeurs toutes bêtes et pas à la mode; liberté et amour.

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  2. Ma fainéantise et mes études fait qu'une fois de plus, tu as pondu un article phénoménal avant que je n'arrive à terminer de rédiger le mien ^^
    Tout est dit et plus ... sauf quelques petites choses : les thématiques inhérentes à chaque "acteur" (je ne dis pas personnage, mais bien acteur), car différenciation et évolution des époques, mais récurrences des thématiques portées par les acteurs.

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  3. N'hésites pas à le partager, que ça buzzz !
    non , plus sérieusement, merci, c'est toujours agréable de voir qu'on ne bosse pas ses textes pour rien !

    Pour les thématiques autour des acteurs, ce n'est pas un oubli ou de la fainéantise de ma part, c'est surtout qu'il faut laisser les spectateurs découvrir le film sans leur pré-mâcher le boulot, pour ne pas fausser leur vision. Ils auront peut-être d'autres analyses tout aussi pertinentes,et ça pourra déboucher sur des débats enrichissants.
    En attendant, il s'agissait surtout d'une critique d'un film remis dans le contexte de la filmo de ses réalisateurs ;-)

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