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dimanche 11 septembre 2016

Une saison en enfer.

Premier sang, roman de David Morell écrit en 1972, est ressorti il y a quelques petites années dans nos vertes contrées. L’occasion de revenir sur un roman qui aura marqué les esprits de tous, même ceux qui ne l’ont pas lu.

Années 70. Un jeune homme, cheveux longs, l’air étrange, erre dans l’Amérique profonde et rurale. Le shérif du coin, Teasle , ne voulant pas d’un « hippie » dans son patelin,  lui offre un burger et un aller simple en voiture vers la sortie de la ville. Mais le gamin décide de revenir et le shérif l’embarque, le fait coffrer pour vagabondage et l’enferme dans la petite prison de la ville, espérant que le traitement le fera partir une fois remis dehors. Mais le gamin n’est pas n’importe qui. Il est revenu du Vietnam avec ce que l’on appellerait de nos jours un stress post-traumatique…Et lorsque Teasle décide de lui couper les cheveux pour éviter des soucis sanitaires, la vue des ciseaux rend le môme complètement fou. Il s’échappe en tuant un des adjoints et se lance dans une fuite vers les montagnes et la forêt. Une traque sanglante se met en place.
Mais qui est le chasseur, qui est le gibier ?

David Morell est canadien. Il fait des études de lettres américaines et décide d’écrire son premier roman en se basant sur un traumatisme qui aujourd’hui encore est peut-être la raison de la folie totale des USA : la perte de la guerre du Vietnam. Un sujet toujours sensible au pays de l’Oncle Sam, alors imaginez lors des années ayant directement suivi la débâcle.

Morell livre un récit tenant autant du duel psychologique que physique. Le gamin est un ancien béret vert, Teasle un vétéran de la Guerre de Corée. Tous les deux sont décorés de prestigieuses décorations mais chacun représente un type de soldats revenus à la vie civile de manière différente. Si les troupes qui ont servi en Corée ont vite retrouvé un emploi (économie plus douce à cette époque ), il en va du contraire pour les soldats revenus du Nam , dont beaucoup étaient mal vus en raison du caractère impopulaire qu’a pris le conflit en cours de route. Ils sont revenus non pas en héros mais souvent comme des « collabos » du gouvernement va-t-en-guerre.

Pour éviter tout manichéisme, Morell alterne les chapitres selon le point de vue du gamin et celui du Shérif. Plus le temps passe et plus le lecteur est immergé dans leurs psychologies respectives, floutant la barrière entre le tort et la raison. Difficile de ne pas comprendre les raisons de l’un et de l’autre, de sympathiser avec leurs vies cassées. En filigranes, on pourra y voir un affrontement entre les partisans de la guerre et les autres, mais plus profondément, c’est presque une dispute familiale terrible que se joue : Teasle pouvant être une figure paternelle pour le petit, lui dont la femme l’a quitté car elle ne voulait pas d’enfants.

Dans cette traque sauvage et furieuse, le lecteur devient prisonnier d’une écriture sèche, sans fioriture et terriblement prenante.Plus le duel avance, et plus la certitude que rien ne se terminera bien s’impose. Mais impossible de ne pas aller jusqu’au bout de la nuit , jusqu’au bout de l’horreur de voir ce qui se passe quand le produit d’exportation number one des USA, la guerre, revient au pays sans être capable de changer sa nature. Un roman prenant, peut-être pas aussi dur qu’il aurait pû/dû être ( c’est un premier roman après tout, mais des premiers comme ça, je veux bien en lire des dizaines) mais qui hante l’esprit après la dernière page.

Je me rends compte que je n’ai pas nommé le gamin le long de cette critique. Son nom, vous le connaissez mais vous l’associez à une image d’Epinal : Rambo.

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