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mardi 7 février 2017

La La Land : métaphysique des c(h)œurs.

« La La Land : Avoir la tête ailleurs, dans sa propre petit bulle. »

Damien Chazelle est un jeune réalisateur , 31 ans , qui avait déjà un peu secoué son monde avec Whiplash où il résolvait la question «  comment filmer la musique ? » (entre autres choses). Le revoici avec une comédie musicale , continuant d’explorer des thèmes abordés précédemment. Ah , ça en fait un auteur si l’on croit la définition de François Truffaut ( hé hé, y en pas mal en fait des auteurs chez les ricains, faut pas croire. Le cinéma d’auteur, c’est pas juste une caméra fixe pendant un quart d’heure qui filme le vide d’une petite cuisine dans un appartement miteux ou parisien).

Mia Dolan est serveuse dans un café intra muros à des studios hollywoodiens. Elle rêve de devenir actrice et vogue de casting en casting comme de désillusion en désillusion.
Sebastian est pianiste fan de jazz. Lui aussi a un rêve : ouvrir son propre club de musique. En attendant, le bougre vit comme pianiste d’ambiance où son talent d’improvisation en free jazz n’est ni reconnu ni accepté.
Comme dans toute romance filmique qui se respecte, ces deux-là vont se rencontrer et entamer une histoire d’amour.

Un détail parmi d’autres tant les propos du film sont multiples et s’insèrent dans une trame rappelant que  " la vie n'est pas une comédie musicale où on se sent libéré, délivré, et où les rêves comme par magie se réalisent d'un seul coup ... ". Les rêves requièrent travail et sacrifices.

Vendu par Chazelle himself comme l’autre versant de la même pièce, La La Land peut-il pleinement s’analyser sans prendre Whiplash en compte dans l’équation ? Non.
Ce qui n’empêche pas le film de parfaitement fonctionner par lui-même, entendons-nous bien ! Mais difficile de ne pas voire les caractéristiques flagrantes qui se répondent entre les deux films.

Si l’analyse filmique partage quelque chose avec l’archéologie, c’est bien cette certitude que les cinéphiles , face à un objet filmique, établissent et étudient les différentes strates d’un film.
Considérons le dernier film d’un réalisateur comme la strate visible d’une ville en ruine ou même vivante. Les films précédents formes les strates plus anciennes qui se sont succédées une à une jusque à être cachées par la ville que l’on connaît (oui, un peu comme le site de Troie, j’en vois qui suivent, ça fait plaisir).  La ville actuelle est autant la résultante des « villes ensevelies sous elle » et dont le style rappelle un art défini que la résultante des évolutions et des influences extérieures.

La La Land est cette ville visible. Il est construit à la fois sur la filmo de Chazelle et sur les influences d’icelui ( tout réalisateur moderne est influencé par les travaux de ces prédécesseurs. Ce qui rend l’analyse filmique riche comme l’histoire de l’art car nous sommes face, depuis les années 60, à l’émergence perpétuelle de nouvelles générations de cinéastes eux-mêmes cinéphiles. Passionnant n’est-il pas ? Essayez un peu de vraiment vous pencher sur Le Garçon et La Bête de Mamoru Hosada sans avoir vu Les Enfants loups, tiens. ).

Les semences qui verront germer La La Land, comme je l’ai dit plus haut, se trouvent dans Whiplash, mais l’erreur grossière serait de ne pas prendre en compte Guy and Madeline on a park bench. Sans rentrer dans les détails potentiellement porteurs de spoilers, on y baigne dans la recherche de job, la vie sentimentale ET LA MUSIQUE ! 3 films, 3 ambiances/genres différents et toujours pourtant les mêmes thématiques. Tout comme la musique se base sur 7 notes pour former une infinité de symphonies, Damien Chazelle semble prendre plaisir à ressasser les mêmes sujets pour accoucher de films différents. Il y a une cohérence avec sa formation musicale, non ?
Bref, après cet exposé un brin verbeux, entamons notre fouille voulez-vous ? Elle se penchera essentiellement sur Whiplash et La La Land. Les influences extérieures ( telles que Les parapluies de Cherbourg ou Les Demoiselles de Rochefort ) seront énormément laissées de côté, n’ émanant pas du réalisateur qui nous intéresse ici.




Considérons que les deux strates sont visibles et séparées. Whiplash à gauche, La La Land à droite. Leurs constructions se fait autant en miroir (motifs récurrents) qu’en opposés ( situations inversées ).

Que raconte Whiplash ? Andrew est un jeune batteur qui a intégré une prestigieuse école New-Yorkaise. Repéré par le tyrannique Fletcher, Andrew va tout sacrifier pour s’élever dans le milieu ( sa sa petite amie à sa santé mentale).

Whiplash est un film où le héros poursuit un rêve artistique. La La Land est un film où les héros poursuivent un rêve artistique ( la comédie pour l’une, la musique pour l’autre). Miroir.
Mais l'un voit un musicien seul suivre un rêve, l'autre voit un couple poursuivre des rêves. Opposé.

Whiplash est un film situé à New-Tork City, filmé dans des lieux sombres . La La Land est un film prenant place à Los Angeles où les couleurs viennent éclater vos rétines comme jamais. Opposé.

Whiplash se divise en en plusieurs actes temporels signifiés par inserts écrits sur l’écran. La La Land aussi. Miroir.
Et là, on reste dans la lecture superficielle ( enfer et damnation, j’ai promis de ne rien spoiler après tout ).
La métaphore sur les faces d’une même pièce de monnaie n’est donc pas innocente et s’applique donc bel et bien ici.

S’ouvrant et se finissant à l’ancienne dans le choix des écrans présentant et clôturant le film, La La Land n’en reste pas moins un long-métrage moderne à la mise en scène et à la réalisation tout sauf plan-plan et classique. Entre un faux-plan séquence d’ouverture ( il est en fait constitué de 3 plans séquences différents pensés et montés pour sembler n’en former qu’un seul…oui, comme celui qui ouvrait Spectre. C’est bien, vous suivez encore )  totalement jouissif et énergique qui donne le La ♫ du peps qui se dégagera dès que ça s’anime un peu ( vérifiez vos pieds, ils tapent le sol tous seuls ) et un travail remarquable sur les couleurs et la direction photo, le film de Chazelle est une mécanique suisse.
Le film suit le schéma d’une histoire d’amour en allant au-delà du schéma classique des films romantiques. Et pour incarner LE couple, Chazelle a la bonne idée de reprendre deux comédiens dont la complicité n’est plus à prouver : Emma Stone et Ryan Gosling, qui se retrouvent donc pour la 3éme fois en 5 ans ( le film date de 2016 aux USA), ce qui les placent en bonne position pour un jour arracher le trophée à Tom Hanks et Meg Ryan ( 4 collaborations en 25 ans ).

Crazy Stupid Love ( 2011)


Gangster Squad ( 2013) 

Si Gosling se la joue minimum syndical ( ce qui, dans son cas, revient à être très bon sans se forcer : il donnait plus de sa personne dans Fracture/La Faille en 2006…mais il avait Hopkins en face à qui tenir tête, obligé d’élever le niveau de jeu là ) quelques mois après sa performance allumée et loufoque dans The Nice Guys (est-ce, parce que là aussi un grand acteur, Russel Crowe, se tenait face à lui ? ) , il en va du contraire pour Emma Stone qui se donne à fond. Émouvante, forte et fragile, Stone est réellement l’ancrage émotionnel du film. Difficile de ne pas coller au personnage de Mia.




En général, le film romantique consiste à voir un couple tenter de se former. Et une fois le baiser scellant cette formation passé, le générique de fin déboule. Chazelle va plus loin. D’un début tout feu tout flamme ( aaaah, l’Amour) , Chazelle embraye sur les compromis et les actes routiniers.
Tout feu, tout flamme ? Les couleurs sont éclatantes et les personnages en portent surtout une qui définit leur état d’esprit et leurs mentalités.
Plus routiniers ? Les couleurs portées flashent moins, le directeur photo contraste moins les prises de vues ( c’est réaliste donc un peu délavé par rapport au début où tout est rose et violette ! ). Mieux, ce choix visuel se répercute dans l’écriture des dialogues et la présences des passages chantés et dansés ( nombreux au début, de plus en plus disséminés au fur et à mesure de l’avancement du film. Encore une fois, quand ça pleut des endorphines dans votre cerveau, vous n’avez pas envie de sourire et de chanter uniquement sous la douche. Avec le temps va…tout s’en va ? ) : l’écriture se fait plus facile mais à dessein «  Je suis content d’être à la maison » , «  Je suis contente que tu sois rentré ». Facile…mais commun, le réel reprend ses droits (et ce même si le Los Angeles du film reste fantasmé, propre et pas inquiétant de l’arpenter à deux heures du mat’ en talons hauts).
Les conversations par danse interposée font place aux mots. Le chant et les rimes aux discussions directes mais peu artistiques. Une évolution qui se sent tout le film, petit à petit. Un équilibre rarement bancal ( le film souffre d’un tout petit ventre mou après sa première moitié mais rien d’insurmontable).






À la musique, Justin Hurwitz est le complice attitré de Chazelle depuis le premier film de ce dernier. L’homme est capable de faire taper du pied ou de tirer les larmes en quelques notes : sa nomination aux Oscars n’est pas volée. Les arrangements musicaux des chansons sont assurées par Marcus De Vries, un habitué de l’exercice, lui qui a officié sur Moulin Rouge ou Sucker Punch (et oui, le film de Zack Snyder, délire-dans le bon sens du mot- geek est aussi en partie une comédie musicale). Chazelle sait s’entourer, la marque des grands et il se peut que , tout jeunot qu’il soit, il puisse entrer dans le club assez vite.



Alors, malgré la somme de talent qui compose le film, la hype autour de lui est immensément exagérée. C’est ce que j’appelle l’effet Amélie Poulain : le film est très bon, il est coloré et mignon sans être cul-cul ou naïf mais le bouche à oreille , sans doute amplifié par le fait que des films positifs et gais, ça ne courent plus les salles de cinéma,  s’accentue de bouche en bouche et d’oreille en oreille tant les superlatifs employés par les premiers spectateurs semblent devoir être explosés par les seconds tentant de convaincre les troisièmes, etc… De quoi peut-être faire déchanter (un comble dans une comédie musicale) les spectateurs qui tarderont à la voir et à qui l'on aura promis le film du millénaire pendant un mois. Forcément, ça coincera un peu.

La La Land, sous un vernis sucré et mignon, n’est pourtant ni cul-cul ni naïf. Il nous rappelle que , malgré le monde réel et extérieur, nos petites bulles ont leur place et peuvent se superposer à la couche « vraie » de la vie , que les rêves que l’on fait avec une certaine personne ne se réaliseront pas forcément avec elle mais surtout, surtout, que « Les cœurs des grands rêveurs dansent avec les étoiles… » si l'on en croit V. H. SCORP.

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