Leur nouveau jouet commun, The Goddamned , se place dans une catégorie totalement différente.
Catégories plutôt car Jason Aaron ne se contente jamais de rester dans la même veine au sein d’un récit, mêlant les sous-genres d’un genre (oula, ça va , vous suivez ? ) allègrement pour surprendre le lecteur et s’amuser à l’écriture.
Blasphématoire et foncièrement hérétique.
1600 ans après le départ forcé d’Adam et Eve du jardin d’Eden ( une sombre histoire de pomme et de serpent qui parle…m’est idée qu’on savait en fumer de la bonne là-bas ), un homme arpente le monde. Il vient de se réveiller dans une fosse à merde, jadis point d’eau potable d’une tribu qui n’a rien trouvé de mieux que de saloper l’endroit.
Peu jouasse, notre dormeur du val pollué va se rendre au cœur de la tribu des osseux, un clan qui pensait lui faire facilement la peau. Mais il a le cuir solide et le leur est sur le point de se retrouver troué.
Vivant de la violence, pour la violence, l’homme avance, seul. Il est marqué à jamais : dans un monde où règne le chaos et les blessures, il ne porte aucune cicatrice. Une marque invisible vue de tous, une marque qui le place en dehors de l’humanité. Il est Caïn, il a inventé le meurtre et Dieu l’a puni pour cela. Il a vu le paradis, il a vu le monde beau. Et ensuite, l’humanité a détruit le monde. Mais cela ne le regarde pas, n’est-ce pas ? Lui, tout ce qu’il veut, c’est mourir, enfin. Alors il marche, à la recherche d’une faille dans la logique de ce divin enculé qui l’a maudit à jamais. Il finira par croiser Noé, bigot dévot qui rase le bois de la planète pour construire une arche en vue de survivre à un déluge qu’il annonce. La rencontre ne se passera pas pacifiquement.
Athée depuis des années, Aaron a été élevé dans la foi baptiste. Il est resté fasciné, ce sont ces mots, par les thèmes de la religion chrétienne et la foi. Fasciné, mais pas complaisant. Fonçant tête baissée dans le monde tel qu’il aurait été selon les théories bibliques et les créationnistes , Aaron ne se prive pas de faire vivre les humains décadents que le Tout-puissant veut faire partir en tirant la chasse de ses grosses toilettes ( donc oui, si Dieu existe, la Terre est son égout, pensez un peu à ça ) avec des espèces rappelant nos bons vieux locataires de Jurassic Park.
Plaçant son récit dans un désert total, le scénariste joue autant sur le terrain de Conan que de Mad Max (l'intrigue peut autant se dérouler loin dans le passé que dans le futur, sans vrai rappel temporel ), lançant un héros solitaire qui a tout perdu dans un espace où les restes de la civilisation se disputent les maigres ressources disponibles.
La loi du plus fort prévaut et Noé nous apparaît sous des traits bien plus dégueulasses que dans le film puant de Darren Aronofsky (étrangement, la bande-dessinée tirée presque du même scénario est bien différente dans la nuance et reste agréable, comme quoi...) dont le héros interprété par Russel Crowe passerait presque pour un humaniste à côté de celui qui nous occupe ici : violent, sûr du divin consentement en ses actions, aveuglé par sa foi.
Difficile de ne pas voir les parallèles entre ce monde et le nôtre lors de la lecture. Un monde tellement perverti que même la rare beauté devient sauvage et ivre de sang, à l'image de ce paon avide de chair fraîche croisé le temps d'une page.
La nature devient aussi folle que l'humanité dès lors que même les loups se dévorent entre eux.
Odyssée barbare érudite, sanglante et désespérée, les aventures de Caïn sont un coup de poing dans la gueule, un coup de gueule contre le monde, un monde dévasté et ravagé par la bêtise et la crasse. La cruauté se cache partout, l’espoir nulle part.
À l’est d’Eden, rien de nouveau, tout est moins beau.
Les similitudes entre le récit et d’autres archétypes venus de genres différents s’entrechoquent comme les lames sur les os des victimes de raid, un héros détaché voire cynique, figure du héros solitaire qui se trouve une conscience (avant de la reperdre ? ) , des seigneurs de guerres tout-puissant mélangeant religion et voie guerrière ( Daesh, Immortan Joe…) qui imposent leurs vues par la guerre , le viol et l'esclavagisme.
Les couches du récit sont nombreuses. Comme un oignon.
Les dessins de Guera viennent encore plus accentuer l’horreur de l’endroit, son style étant taillé pour saisir les traits grossiers de la misère et de la déchéance mentale et physique des protagonistes et de leurs habitats. On peut presque sentir l’odeur de merde et de pisse en regardant trop longtemps les cases. Elle s’insinue jusque dans notre cerveau.
Nourri d'influences diverses, la série convoque tout autant La Genèse que les codes du western pré-historique et du récit post-apocalyptique. Un grand écart épatant qui donne envie de voir où l'équipe va nous emmener. Et quand, la bête étant en hiatus à durée indéterminée aux USA.