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vendredi 29 novembre 2019

Le singe qui donnait la banane.

1947.
Cela fait désormais 14 ans que King Kong, le singe géant présenté à Manhattan par Carl Denham après un voyage sur Skull Island , a pris possession de l’île New-Yorkaise, ridiculisant l’armée américaine venue l’abattre.

« Manhattan Jungle » est désormais une zone interdite où Kong est roi d’une nouvelle jungle urbaine.
Mais il est dans la nature de l’homme de s’aventure au-delà de ses limites , aussi il arrive que des inconscients bravent l’interdit et se rendent sur le territoire du singe.
C’est pour éviter que cela se produise qu’à été mise sur pieds la Kong Crew, une escouade de pilotes surveillant la zone.

Quand un journaliste au sale caractère et un vieux professeur de biologie arrive sur l’île, la « crew » est expédiée en mission de reconnaissance. Mais « boys will be boys » et la tentation est trop grande de ne pas slalomer entre les buildings.
C’est là que Virgil, pilote un peu tête en l’air et propriétaire de Spit,le chien mascotte de l’équipe, va s’écraser.


King Kong, un mythe, le premier créé pour et par le cinéma. J'avais largement évoqué le singe géant dans deux articles : l'un sur le film Skull Island et l'autre sur le roman Kong , cette grande fresque épique relatant la vie après la 1ere Guerre Mondiale des deux hommes derrière le monstre .
Je vous invite donc à y jeter un œil (voir les yeux) pour bien prendre conscience de toute ce que le personnage velu représente symboliquement.


Éric Hérenguel est le dessinateur et le scénariste de cette nouvelle série prenant pour point de départ une hypothèse fleurant bon les «  what-if » des comics.
Avion de chasses, pin-up des années 40, dinosaures et autres monstres, rien ne manque, si ce n’est Kong lui-même, la bestiole étant assez timide dans ce premier opus mené tambours battants et posant les bases de son univers et de ses personnages stéréotypés typiques des clichés des pulp’s d’antan. Cependant, il n’est pas impossible que ces bases ne viennent à s’enrichir plus tard : ce premier tome étant avant tout basé sur la mise en place de l’intrigue et un peu d’action.





Tout reste donc à faire après avoir happé le lecteur dans un petit plaisir pas si coupable que ça.
On regrettera que les bonus de fin de l’album dévoilent un peu trop de choses sur des mystères posés dans l’intrigue. Quand d’autres, qui pourraient sembler être une folie ( pourquoi la présence de Kong a-t-elle transformé Manhattan en Nouvelle Skull Island – faune et flore comprises ? ) sont posées par un des protagonistes, preuve sans doute que le scénariste sait où il va et qu’il a réfléchi à son sujet au-delà du simple : faisons du fun.

Niveau dessin, c’est du tout bon : le découpage est cinématographique en diable et ultra-fluide, les détails et les jeux d’ombres donnent une ambiance aussi anxiogène que merveilleuse au récit. Hérenguel flatte la rétine plus qu’il ne flatte l’intellect ( ceci-dit sans jamais prendre son lecteur pour un con non plus ) et on attend impatiemment désormais de voir quels dangers et autres exotiques aventures l’auteur nous dévoilera sans aucun doute.





Bref, un album qui se lit sans aucun doute trop vite malgré sa soixantaine de planches mais qui promet son lot d’aventures, d’actions, de jolies filles, de punchlines et de gentils toutous pris en chasse par des raptors. Le bémol étant que si chaque album est du même acabit, la frustration entre le délai d’attente et la durée de la lecture sera grande. L’histoire se savourera sans doute mieux en sachant la lire d’une traite.

lundi 17 juin 2019

The Predator Returns

Immortalisé par la magie du cinéma en 1932 dans The Most Dangerous Game, le comte Zaroff et ses chasses à l’homme sont entrés dans l’imaginaire collectif. Et ne l’ont pas quitté, que cela soit sous sa forme originelle ( la nouvelle parue en 1924 ) ou ses itérations plus modernes.

Sa pugnacité, son obsession et son, osons le dire, professionnalisme de chasseur implacable évoluant dans une jungle sombre et moite ( celle-là même, en studio bien entendu, qui servait dans le même temps à tourner King Kong qui devait sortir peu après ) participeront à créer une icône , si ce n’est un mythe ( l’honneur du premier mythe  créé par et pour le cinéma, cependant, revient à King Kong car il s’agit d’une création tout à fait originale et non d’une adaptation d’un travail littéraire existant ).

L’archétype du chasseur chassant la proie la plus particulière et la plus mortelle, l’homme, a infusé dans la pop-culture depuis lors. Citons des exemples récents tels Ramsay Bolton dans la série télévisée Game of Thrones ou encore le célèbre extra-terrestre Predator dont Arnold aura eu tant de mal à se débarrasser dans le film éponyme de John McTiernan.

C’est le prolifique scénariste Sylvain Runberg qui se colle à la tâche de donner suite au récit qui voyait la première défaite de Zaroff et sa mort apparente.
Mais plutôt que de suivre le cours du film de 1932, Runberg décide de remonter aux sources du fleuve, dans le cœur des ténèbres de la nouvelle de Richard Connell.
En petit rusé didactique, Sylvain Runberg pose les bases : une chasse ouvre l’album, une chasse qui aura pour conséquences de lancer l’intrigue principale.
Ensuite, il prend le temps de décrire la fin du récit original, permettant aux lecteurs qui n’auraient connaissance que du film, de bien distinguer les quelques différences et de s’immerger dans ce monde « parallèle » et ainsi de ne pas tiquer sur quelques détails qui ne colleraient pas avec le long-métrage qui les aura à n’en point douter marqués.

Ces éléments posés, Runberg va donc déployer sa carte de jeux et ses pions.
Zaroff a survécu et termine la préparation d’un nouveau terrain de chasse sur une nouvelle île éloignée de la civilisation. Aux USA, Sanger Rainsford, l’homme qui a défait le monstre, donne une conférence de presse pour relater ses aventures. Dans la foule, une femme au regard d’acier ne rate pas un mot. Fiona Flanagan a compris que son père, chef d’un gang de Boston , est mort des mains de Zaroff. Elle met donc au point un plan pour se venger : elle kidnappe la sœur de Zaroff et ses enfants et les lâche sur l’île. Zaroff doit les retrouver avant Fiona et son gang s’il veut espérer survivre et sauver ce qu’il lui reste de famille. Le sang va couler, mais qui en perdra le plus dans ce duel de psychopathes ?





Et grand dieu, quel duel. Que personne à Hollywood n’ait pensé à donner une suite digne de ce nom à ce classique reste un mystère mais cela permet à Runberg d’user de recettes connues : plus d’enjeux dramatiques comme la vengeance d’une famille face à la survie d’une autre, plus de personnages car l’on passe non pas d’un simple duel mais bien à un combat entre deux meutes dans des décors plus grands et plus variés.
Deux meutes dysfonctionnelles car les relations familiales entre les Zaroff sont tendues et tous au sein du gang de Boston ne voient pas d’un bon œil le fait d’être mené par une femme, surtout dans un enfer vert auquel ils ne sont aucunement habitués. Le dosage entre tension psychologique et aventure matinée de pulp est des plus équilibré et la lecture se fait d’une traite, haletante.

Runberg ne tombe pas dans le manichéisme, car, par touches délicates, ils nous rappellent que de Finoa à Zaroff, du gang à la famille, tous , à divers niveaux, agissent parfois pour des raisons sentimentales sans être pulsionnelles : Fiona aurait pu régner sur Boston sans venger son père, Zaroff pouvait laisser tomber une famille qu’il connaît à peine, mais des traces d’attachements à leur pairs subsistent encore ça et là. Sylvain Runberg ne se laisse pas non plus enfermer dans un schéma qui rappellerait le " rape and revenge " où la proie devient le chasseur et inversement. Ici, les étiquettes se confondent, ajoutant de donner du goût à une recette connue qui ne demande que le talent du chef pour se savourer.

Et outre le scénario linéaire mais bien ficelé de Runberg, l’on retrouve aux dessins François Miville-Deschênes dont chaque case respire le talent. Son trait élégant et à l’opposé du cartoonesque nous entoure bien vite d’un sentiment de réalité tangible. Et terrible.
Car sa jungle nous semble à la fois nouvelle et totalement connue, rendant hommages (voulus ou non ? ) à celles que l’on a arpenté dans King Kong ( celui de 1933 comme celui de Peter Jackson en 2005 ), de Predator, de Jurassic Park etc…
Une jungle luxuriante et belle mais qui recèle dans ses ombres la mort apportée par diverses espèces carnassières encore plus assoiffées de sang  que ne l’est le propriétaire de l’île.





Le travail sur les couleurs achève de donner un cachet à l’ensemble, mention spéciale aux séquences orageuses où chaque éclair ramène les cases vers du noir et blanc lorgnant sur celui de la grande époque de ce procédé cinématographique, créant ainsi une parenté avec le film qui rendit célèbre ce chasseur , cette créature aux traits humains mais aux goûts à l’opposé de toute humanité.
L'ensemble peut provoquer, chez les plus cinéphiles d'entre vous, l'impression d'entendre par moments quelques morceaux composés par Alan Silvestri pour le film Predator, signe d'une immersion totale dans ce récit muet car, faut-il le rappeler, le littéraire est avant tout...dans la tête !

La fin, ouverte, laisse vagabonder l’imagination du lecteur face aux potentielles nouvelles horreurs qui pourraient se produire.

Zaroff est donc incontestablement une grande réussite de bande-dessinée de cette année, publié dans la belle collection «  Signé » des éditions du Lombard, sorte d’équivalent à «  Air Libre «  chez Dupuis.

En Novembre, le scénariste revient s’attaquer à une autre icône de la culture pop : Conan le cimmérien, la création de Robert E. Howard qui bénéficie, chez Glénat d’une série d’adaptations de textes centrés sur le barbare le plus célèbre du monde où chaque album se voit confié à une équipe créative différente relevant le défi de transcrire un univers bien différent de celui imprégné sur la pellicule par John Millius dans les années 80 (mais nous reparlerons du pourquoi et du comment cet automne , si l’auteur de ces lignes ne cède pas à l’un ou l’autre album avant cela bien entendu : la saison estivale au cinéma cette année semble bien creuse et il devra chercher ailleurs de quoi nourrir son âme et son esprit ).

dimanche 28 avril 2019

Jeu automnal.

Le mois de Mars , chez certains éditeurs spécialisés dans la littérature de genre, aura été « Le mois Lovecraft », l’occasion de s’intéresser à l’œuvre, la vie, la mort ( he’s dead) et surtout l’influence que ses écrits auront eu sur l’imaginaire collectif en général et celui de certains écrivains en particuliers.

Chez ActuSF, la réédition sous le label Hélios de «  Le Songe d’une nuit d’Octobre » fut l’une des occasions de se pencher sur, non pas un pastiche, mais l’utilisation de la mythologie du citoyen de Providence, une mythologie qu’il souhaitait voir employée par d’autres que lui.


C’est Roger Zelazny, dont le Route 666 m’avait plu sans plus qui s’attaque ici aux Grands Anciens, par un double biais sympathique.

Accompagnant fidèlement son maître Jack dans ses activités consistant à récolter divers ingrédients en vue d’un événement surnaturel , Snuff , le Bon Chien, doit également tenir à l’œil les participants à ce qu’ils appellent tous «  Le Jeu ». Un jeu composé d’ouvreurs et de fermeurs.
 Jill la sorcière, Le Comte à la vie nocturne, le Bon Docteur et l’homme qu’il a créé, ainsi qu’un pasteur fou et deux illuminés.
Chaque joueur est accompagné d’un familier, un animal à l’intelligence proche de l’humaine. Seul Larry Talbot, un américain, semble se situer en dehors de toute cette histoire. Mais comment en être certain quand personne ne dévoilera ses cartes avant la fin du mois, lorsque un étrange rituel se produira qui décidera du sort de notre monde ?
Et comment avancer quand le plus Grand Détective du monde ( non, pas Batman, nous sommes à l’ère victorienne que diable ) semble en savoir long sur ce qui se trame en ce mois d’Octobre où la pleine lune coïncidera avec Halloween ?

Roger Zelazny place son roman dans le modèle du «  World Newton » : divers personnages de fictions (ou non) apparus dans des publications et sous des plumes différentes évoluent dans le même univers et interagissent ensemble. L’exemple le plus connu est sans aucun doute le cycle d’Alan Moore et de Kevin O’Neill en comic books «  La ligue des gentlemen extraordinaires » , quant au plus récent, citons l’excellente série « Penny dreadful » avec Eva Green et Josh Hartnett ( il existe d’ailleurs un lien mythologique et patronymique entre le personnage incarné par Hartnett et un protagoniste du roman qui nous occupe ). Entre les deux, citons quelques romans de Kim Newman : Anno Dracula, Le Baron Rouge Sang, Dracula Cha-cha-cha ou encore Moriarty.







S’adonner à tel exercice nécessite de bien connaître les récits d’origines mais également de savoir en jouer sans les dénaturer.
Le second point , plus original, qui place ce roman dans un cadre des plus originaux, c’est que le narrateur n’est autre que Snuff, le chien, qui narre par le détails ses activités et ses rencontres avec les autres familiers des humains joueurs. Ceux-ci sont finalement très en retrait, sauf peut-être l’un doté d’une particularité disons toute…animale.

Chaque chapitre s’attarde sur un jour du mois, jusque la date fatidique du 31 Octobre et voit les relations entre les joueurs, tous inconscients de qui est un allié ou non, se dégrader peu à peu, rester courtoises ou frôler la parano.

La grande force de ce court roman est donc de suivre la pensée d’un canidé un brin cynique ( s’il vous reste des notions de grecs, cela vous fera sourire comme remarque ) et de ses relations avec les autres animaux impliqués dans cette affaire. Zelazny joue sur une corde de trapèze : ce décalage narratif fait bien entendu sourire mais est traité avec un grand sérieux, son procédé n’étant clairement pas là pour nous faire nous fendre la poire à chaque page ou réplique. Un vrai suspens s’installe au fil des chapitres car, roublard, l’auteur ne nous installe jamais dans la tête d’un humain et mieux encore, au fil du temps, chaque informations glanées par Snuff chez les autres animaux peut tout à fait être une fausse piste, un piège attendant de se refermer.

C’est donc non sans sourire ni sans frémir que l’on se rapproche page après page de la nuit d’Halloween et de ce qui s’y jouera. Et la nature des joueurs ne sera pas forcément celle que l’on pourrait croire au premier abord, des surprises vous attendent. Au pire regrettera-t-on une fin un peu abrupte mais le deal est indiqué sur la couverture : Octobre est le lieu de l’action et lorsque Novembre s’en viendra, il ne vous sera point communiquer ce qu’il s’y passera.

Bref, « Le songe d’une nuit d’Octobre » est une excellente lecture dont l’originalité première n’est pas dans son modèle littéraire de faire s’entrecroiser des personnages célèbres (et ce même si les clins d’œil et les références restent un petit biscuit pour lettrés et curieux) mais plutôt de voir comment ceux-ci sont perçus par leurs animaux de compagnie et le lecteur lui-même qui pourrait bien être berné par ses propres images et préjugés sur ces célèbres acteurs de fictions horrifiques ayant voyagés dans nos imaginations depuis des lustres.

Vivement conseillé.


Et si vous souhaitez en savoir plus sur l'influence de Lovecraft sur l'imaginaire actuel et sa vie  :




mardi 16 avril 2019

Panspermie (?)


1939. L’Allemagne Nazie est sur le point de s’étendre en Europe.
La propagande marche à plein régime totalitaire.
Friederich Saxhäuser , agent secret du SD , est un nazi de la première heure. Ancien garde du corps d’Hitler alors que le petit autrichien n’était qu’un agitateur de taverne, Saxhäuser jouit de la confiance du Führer et de son âme damnée, Heinrich Himmler, dans l’ombre duquel navigue le Fauve Blond, Reinhard Heydrich ( HHhH), aussi enragé qu’ambitieux et qui ne porte pas un personnage tel que Saxhäuser dans son cœur de fer.
Mais Saxhäuser ne s’en inquiète pas encore trop. Nazi par opportunisme et rage envers le traité de Versailles, Friederich a vite trouvé la parade pour rester loin du nid de vipère qu’est devenu Berlin, voire toute la Germanie : être un espion à l’étranger.

Et lors d’un de ses retours dans la capitale, Himmler le charge d’une mission en Irak. Officiellement, pour recueillir des informations et instaurer de bonnes relations avec d’éminents Irakiens prêts à les aider en attisant leur haine des juifs.  Officieusement, Himmler, occultiste notoire et convaincu de pouvoir prouver que la race aryenne est bien supérieure, charge Saxhäuser d’accompagner une expédition archéologique prometteuse.
Saxhäuser va alors faire une découverte. Une découverte pouvant faire pencher la balance envers l’Allemagne dans le cours d’une guerre qui s’annonce inévitable.
Mais cet homme froid, méticuleux et méfiant envers ses maîtres permettra-t-il que les monstres qu’il sert puissent enserrer le monde entier ? Ou au contraire prendra-t-il un autre parti, une voie radicalement différente que ce qu’il avait toujours bien pu imaginer ?

Première œuvre romanesque de Stéphane Przybylski, déjà auteur d’ouvrages historiques, la tétralogie des origines se lit comme un seul et même roman. Un énorme roman mêlant l’histoire avec un grand H, théories du complot alien cher à X-files et souffle romanesque puissant.

Que ces personnages soient réels ou fictifs, Przybylski apporte un soin certain à la caractérisation des protagonistes, n’hésitant jamais à doser les zones de gris pour nous faire pénétrer jusque dans les âmes les plus noires. Que les chapitres soient longs ou courts, Przybylski navigue entre les timelines pour tour à tour offrir des éclaircissements sur le passé des personnages ou préparer des rebondissements à l’aide de flashforwards.
Bien que cela demande au lecteur une certaine attention pour remettre ce puzzle dans l’ordre, Przybylski prend soin de ne jamais faire perdre le fil de l’intrigue principale. Une mécanique qui tient de l’orfèvrerie suisse.

Et comme chaque pièce d’orfèvrerie, Przybylski nous invite à d’abord nous dévoiler la surface avant de plonger dans les rouages de son histoire. Au fil des pages, et des tomes, les personnages qu’il suit et décrit se multiplient, les points de vue abondent, rappelant dans la forme un certain G.R.R Martin, l’auteur du «  Trône de fer ».

Espionnage, suspense, action, infiltration, batailles intimes ou dantesques, sa tétralogie ne manque ni de charmes ( féminins ) ni d’atouts : une connaissance de l’histoire au top ( vous apprendrez des trucs, que cela soit en lisant le roman ou dans les annexes – une vraie mine de renseignements pour épater vos amis ), une roublardise pour utiliser les ombres de l’Histoire (et de son histoire ), des personnages charismatiques et une écriture certes parfois ampoulées ( certains dialogues sont si littéraires qu’ils sonnent faux et font très fonctionnels, libérant la bonne info aux lecteurs au bon moment) mais terriblement fluide.

La perfection n’étant pas de ce monde, des scories se glissent ça et là entre les paragraphes. Ainsi, il n’est pas rare que l’aspect surnaturel de l’intrigue, qui , s’il est le moteur de l’action, est finalement la portion congrue du récit, sente un peu trop la série B pulp des années 40 à 50 et détonne dans le réalisme über documenté qui baigne une intrigue à tiroirs eux-mêmes cachant des poupées russes en leur sein. Certaines libertés avec l’histoire officielle peuvent choquer et demander une grande suspension d’incrédulité de la part du lecteur qui, happé, pardonnera sans doute que l’on sorte parfois un coup de théâtre comme l’on sort un lapin blanc d’un chapeau noir d’un magicien.

En oscillant ainsi entre le roman « James Bond » mâtiné d’Indiana Jones (où Indy Bond serait un nazi, parti pris osé ) tendance «  Royaume du crâne de cristal » (perso, le 4éme Jones ne n’a jamais semblé honteux, se plaçant au niveau de « La dernière Croisade » ) et les aventures de Fox Mulder, Przybylski joue parfois sur le fil de la corde MAIS s’il tangue, tel un Philippe Petit, ne tombe jamais, se payant même le luxe d’offrir une cohérence entre des éléments qui devenaient contradictoires chez les agents Mulder et Scully.
Car l’on sent l’auteur qui a pensé son récit et n’avance pas à l’aveuglette. Un récit qu’il a bichonné ( la mécanique est implacable et pourtant elle ne se révèle qu’au fil des pages, sans laisser le lecteur anticiper l’action, et ce même lorsque l’on sort d’un flashforward, très fort ! ) et biberonné aux influences les plus emblématiques de la pop-culture des 80’s à nos jours.

Revers de la médaille, en maniant si bien l’art de mixer Histoire et fiction, son œuvre pourrait bien devenir la bible des conspirationnistes les plus allumés.

Une lecture addictive, solidement construite, labyrinthique comme un film de Christopher Nolan et qui est désormais intégralement disponible au format poche chez Pocket.

lundi 18 mars 2019

La forêt qu'il vaut mieux laisser là où elle est.

Une brume étrange a recouvert le monde, seuls quelques endroits, des poches, vivent en dehors des zones brumeuses où sévissent une faune et une flore étrange et souvent mortelle. Serait-on dans un nouveau Stephen King ? Non, nous voici dans le premier roman de  Colin Heine «  La forêt des araignées tristes » paru chez ActuSF.

Bastien est paléontologue. Sa grande passion est de rédiger une encyclopédie sur les bestioles nées dans la vape, cette substance ayant recouvert le globe. Pour cela, il peut compter sur son ami Ernest, explorateur qui arrondi ses fins de mois en vendant des spécimens à son ami scientifique lorsqu’il revient d’expéditions financées par «  La Compagnie » . Nos deux larrons vont être mêlés à une série d’évènements rocambolesques dans un monde en mutation tant naturelle que sociale.

Il ne faut pas juger un livre sur sa couverture. C’est un fait avéré. Cependant, l’on peut s’attendre à ce que celle-ci reflète un tant soit peu l’intérieur de ce qu’elle protège contre le passage du temps. Il en va de même pour le titre d’une œuvre, indication de ce vers quoi l’on s’apprête à plonger avec fébrilité lorsque l’on s’attaque aux premières pages.

Et là, c’est un peu le drame. Ni l’illustration de couverture, ni le titre ne reflètent la substantielle moelle de l’intrigue du roman. Situé dans un environnement steampunk plus ou moins ouvragé ( la construction politique de ce monde est assez floue, peut-être pour être développée dans une éventuelle suite ? ) , les passages d’aventures en forêts sont une partie congrues de l’intrigue. Alors que couverture et titre, au diapason, semblaient annoncer une traversée à la «  Avatar/Predator chez Lovecraft », le roman empile les phases urbaines.

Et cette ville ressemble peu ou prou à n’importe quelle cité steampunk un tant soit peu avancée que l’on a croisé par le passé en tant que lecteur féru d’imaginaire ( si c’est votre première fois par contre, vous vous amuserez bien plus ). Et dans cette ville où vit notre Bastien, héros principal, et bien de sombres choses s’annoncent. Bastien survit coup sur coup à deux attentats ( la suspension d’incrédulité à des limites : vous avez plus de chances de gagner au loto que d’être pris dans un tel évènement odieux ) , trop à l’écoute de sa gouvernante qui ne fait pas confiance aux policiers, Bastien décide de jouer les détectives amateurs…en allant directement prévenir un suspect qu’il sait des choses ( oui, le héros est un François Pignon digne d’être invité à dîner le mercredi soir ). Coïncidences et bêtises crasses de notre pied nickelés  font doublement grincer des dents : 1° car c’est à se taper le front devant tant de naïveté et 2° tellement le procédé souligne au gros fluo rose bonbon que l’auteur ne savait faire avancer son intrigue que grâce à ces facilités d’écriture.
Et pour couronner le tout, Colin Heine surcharge son intrigue avec une histoire alambiquée de confrérie secrète de tueurs, histoire d’ajouter un peu de suspense dans sa soupe.
Car l’environnement urbain est moins érotiquement dangereux qu’une jungle remplie d’animaux mutants et ne cherchant qu’à bouffer de l’humain en expulsant des tripes partout. C’est dommage, l’auteur n’avait-il pas un tel lieu à disposition ?

Mais au-delà de la bêtise du protagoniste, il y a les idées politiques sous-lignées à l’encre noire que l’auteur distille au fil des pages. Tous les clichés du petit bobo de gauche manichéen y passent. Sans jamais chercher les nuances de gris , Heine décrit les compagnies comme toute dirigées par des monstres heureux d’être des salauds, les ouvriers (même plus aisés, comme les explorateurs de talent tel ce bon Ernest, peut-être le seul personnage un peu sensé dans cette histoire, et encore ) sont tous des victimes du systèmes, les forces de l’ordre sont le mal absolus, des séides de Darth Vader en personne dont le seul but dans la vie est de répandre la violence dans les plus basses classes sociales. Et soudain, pour enfoncer le clou, on notera l’abjection littéraire. Alors que « les forces du mal » défouraillent du « gueux » à tout-va dans des descriptions à mi-chemin entre le clair et le flou, l’auteur prend un plaisir sadique à décrire bien sordidement les mises à mors ( sans doute méritées de son point de vue ) des rares forces de l’ordre qui passeraient sous le fil des prolétaires. Car oui, certains méritent de crever comme des chiens dès lors qu’ils travaillent pour un gouvernement. 
Chaque mort violente est le constat d’un échec, mais pour Heine, certaines morts violentes se doivent d’être décrites, à la limite du mode d’emploi.

Mensonger dans ses promesses, idiots et alambiqués pour se donner une fausse épaisseur thématique et politiquement puant de par son manque de nuances, voila un roman qui, s’il avait été écrit pour être subversif et dérangeant ( tant sur nos sociétés que sur comment l’environnement va se retourner sur lui-même, nous entraînant dans ses torrents de boues et de bois ) n’en est qu’un manifeste déguisé de qui est bon et qui est mauvais. Une arnaque.

mardi 5 mars 2019

Dragon Ball, introduction.

L'an dernier, deux monstres de la bande dessinée fêtaient leur anniversaire emblématique : Superman et Spirou célébraient chacun 80 années d'existence.
Cette année, rebelote, deux œuvres très connues seront mises à l'honneur : Batman fête ses 80 ans et Dragon Ball fête ses 35 ans. Rendez vous compte, Son Goku et moi avons le même âge !

Bon…bon…Tout le monde le sait, je voue un culte à Batman. C'est donc vers Dragon Ball que je vais me diriger, histoire de ne pas saouler le monde avec mon esprit de Gothamite dépressif et obscur!

Qui ne connaît pas Dragon Ball ? Les moins de 20 ans peut-être. Pour les autres, tout le monde  aura au moins vu 5 minutes d'un dessin animé portant ce titre.
Le dessin animé (et sa suite, Dragon Ball Z, sa fausse suite télévisée ,Dragon Ball GT, et l'officielle transmédia approuvée par l'auteur ,Dragon Ball Super ) est tiré d'un manga écrit et dessiné par Akira Toriyama.

Dans les années 80, Toriyama possède une belle notoriété au pays du soleil levant grâce à sa série humoristique Dr Slump.
Mais ce grand amateur d'arts martiaux et de films de Jackie Chan rêve d'une série alliant sa passion pour le sport de combat et la grande aventure.
En 1983 déjà, il avait réalisé deux histoires courtes :
-Dragon Boy, qui racontait les aventures de Tang Tong, jeune homme apprenant le kung-fu qui allait devoir escorter une princesse. Tang Tong possède également une boule de cristal de laquelle peut surgir un petit dragon. Cette aventure en deux chapitres n'aura jamais de suite malgré la fin ouverte de celle-ci.  L'univers de cette courte série lorgne vers le fantastique, voire la fantasy.
- Tongpoo raconte l'histoire du cyborg Tongpoo qui atterrit sur Terre après la panne de son vaisseau. Il y rencontre une jeune fille avec qui il vivra diverses aventures dans un environnement de science-fiction. Certains éléments, comme les fameuses capsules que Bulma affectionne dans Dragon Ball, apparaissent dans ce manga.






On pourrait penser que le début de Dragon Ball n'est qu'un mix entre deux travaux précédents de Toriyama. Et pourtant, il manque encore quelque chose.
Le liant de tous les éléments épars que recelaient Dragon Boy et Tongpoo se nomme Le Voyage en Occident. C'est à la base un récit chinois mais néanmoins connu au Japon.  Il raconte l'histoire de Sun Wukong, un singe anthropomorphe (pléonasme ? ) chargé par son maître de mener une quête. Il est accompagné par un dragon et un homme à tête de cochon. Sun Wukong possède également un bâton capable de s'allonger à l'infini et un nuage magique lui permettant de voler.

La quête de Sun Wukong est philosophique, il s'agit de rapporter des écrits de la main de Bouddha en personne. Son Goku partira en quête des Dragon Balls, 7 boules de cristal dispersées de par le monde.

Les bases sont posées. L'histoire (du monde !!!) est en marche !
Plus rien ne sera jamais comme avant (insérez ici une grande musique dramatique, une marche peut-être…) !
Son Goku est un petit garçon vivant seul dans la forêt. Il a la particularité de posséder une queue de singe. Il fait la connaissance de Bulma, une jeune fille plus âgée que lui. Cette dernière s'ennuie durant ses vacances d'été et après avoir découvert la légende des dragon balls, décide de partir à leur recherche. Génie scientifique, Bulma a mis au point un radar capable de localiser les boules avec précision. Leur rencontre n'est donc pas fortuite : Son Goku possède la boule numéro 4.

Sens de lecture japonais.



Dragon Ball n’a pas été conçu comme un « on-going ». Il devait s’agir d’une série courte racontant une histoire. C’est devant le succès « surprise » qu’Akira Toriyama s’est vu demandé de continuer la série, poussé par ses éditeurs.

C’est pourquoi certains thèmes du début seront oubliés ou relégués au second rang par la suite.
Au départ, Dragon Ball est autant une série d’action/aventure qu’une série humoristique : les gags visuels, les jeux de mots bidons, les situations loufoques et les personnages excentriques abondent.

Le ressort comique le plus flagrant (et qui était déjà présent dans des œuvres précédentes) est le rapport compliqué qu’entretiennent les personnages face au sexe opposé. Bulma n’a personne dans sa vie et souhaite demander au dragon de lui fournir un petit ami ; Yamsha, le brigand du désert, perd tous ses moyens en présence d’une femme car il est d’une timidité maladive ; Goku , de par son isolement, ignore totalement ce qu’est une fille ( et sa réaction catastrophée quand il découvre la vérité sur Bulma lui jouera des tours par la suite quand il tentera de deviner si les personnes qu’il rencontre sont mâles ou femelles). Tortue Géniale par contre est un véritable obsédé sexuel qui se met à pisser du nez quand il voit une fille nue ( cet élément a été censuré dans le dessin animé en France et en Belgique).

L’aventure, au tout début, est assez classique. C’est somme toute une quête comme on en a lu des centaines dans des récits de fantasy : le héros répond à l’appel de l’aventure et au fil de ses pérégrinations, va rencontrer des vilains et des héros qui le feront progresser jusqu’au climax de l’histoire. Tortue Géniale est la figure du vieux sage qui apprendra à Son Goku à se dépasser et lui fournira des artefacts qui l’aideront (le nuage magique : un nuage supersonique que seul un cœur pur peut monter, raison pour laquelle Tortue Géniale n’a jamais réussi à tenir dessus).
À la fin du premier arc narratif, tout ou presque est résolu : Yamsha perd sa timidité en tombant amoureux de Bulma ( et cesse d’être un vilain mineur de l’histoire), Bulma trouve un petit ami et le vilain Roi Pilaf n’arrive pas à faire de vœu en face du Dragon. La queue de singe de Son Goku est coupée après que celui-ci se soit transformé en singe géant à la pleine lune ( révélant ainsi la cause de la mort de son grand-père : Goku lui a désobéi et est sorti un soir de pleine lune pour la regarder).

Chacun repart dans une direction différente et l’histoire pouvait en rester là. Mais la série est un carton et les aventures de Goku doivent continuer.
Soucis : une fois les dragon balls utilisées, elles deviennent de simples pierres durant un an et se dispersent à travers le monde. La quête devient dès lors impossible.

Toryiama va donc se concentrer sur un aspect qu’il va développer de plus en plus au fil du temps : les arts martiaux et le dépassement de ses limites.
Goku retourne donc voir Tortue Géniale pour devenir son disciple. Au même moment, Krilin, un moine shaolin, débarque sur l’île lui aussi pour apprendre du grand maître. Si Goku et Krilin commencent comme des rivaux, une profonde et indéfectible amitié va naître entre eux deux.

Nous suivons donc leur entraînement et l’aboutissement de celui-ci : un tournoi d’arts martiaux. Krilin et Goku y découvriront chacun leurs limites actuelles. Au bout du compte, Tortue Géniale n’a plus rien à leur apprendre et Goku décide de parfaire sa formation en partant à la recherche de la boule numéro 4, un an ayant passé depuis que le dragon sacré a disparu. C’est lors de ce périple qu’il tombera face à l’Armée du Ruban Rouge, un groupe lui aussi à la recherche des dragon balls.




C’est vraiment lors de cette saga que la série affirme un trait de caractère assez peu entrevu auparavant : la défense du plus faible face à l’oppression du plus fort. Goku et ses amis devenant des sortes de super-héros .  Cette saga trouvera un écho tardif des années plus tard lorsque, devenu adulte, Goku recroisera la route d’un sympathisant du Ruban Rouge… mais c’est une autre histoire.

À suivre….

vendredi 22 février 2019

Pas de ce monde.

Quand l’hiver s’est installé, que les flocons portés par le froid et le vent envahissent les rues des villes comme des villages, arrive un phénomène éditorial fixe chez Albin Michel : l’arrivée d’un nouvel ouvrage de Stephen  ( n’oubliez pas, ça se prononce Steven , si si, trust my english ) King !

Faux maître de l’horreur mais véritable horloger du suspens surnaturel et/ou psychologique , King nous revient avec une histoire que l’éditeur n’hésite pas à faire comparer à «  Ça » , roman somme des obsessions horrifiques et héroïques de l’auteur le plus célèbre du Maine. S’il ne s’agit pas d’un travestissement de la réalité , l’on est pourtant bien en présence d’un grossissement grossier de la part de l’éditeur tentant d’attirer le lecteur  épisodique et de caresser dans le sens du poil le vieil habitué.
« L’outsider » n’a ni la grosseur ni le souffle de son cousin ayant eu les honneurs d’un film sorti fin 2017.
Il n’en reste pas moins une sacrée bonne lecture.




Terry Maitland est accusé d’un meurtre particulièrement odieux perpétré sur un enfant de 11 ans.
Ses empreintes et son ADN sont retrouvés sur le corps et sur les lieux. Les témoins sont formels, c’est lui ! Terry est connu en ville, il coach l’équipe de base-ball des gamins du coin.
Embarqué devant la foule, Terry tombe pourtant des nues. Car son alibi est en béton armé : il était loin au moment du crime.
Les preuves scientifiques sont formelles, elles ne mentent pas. Terry non plus.
Alors qui est le coupable , qui se cache dans l’ombre et profite du crime ?

Le thème du double maléfique n’est pas nouveau dans la littérature ou les arts séquentiels  ( les comics et les séries télés n’ont-elles jamais utilisés ce ressort dramatique, parfois lourdement parfois avec génie et malice ? – Fringe par exemple) . Mais que King crée ses monstres ou emprunte le concept ( vampires, loups-garous ou fantômes, King a puisé également dans les classiques ) , il servira toujours le plat à sa sauce.
Et ici, non seulement elle prend, mais elle monte inexorablement.

Des prémices de l’affaire décrites en alternance : arrestation et incarcération provisoire sont entrecoupés par  les PV d’auditions des témoins ainsi que les divers rapports d’analyse et d’autopsie, permettant de créer doutes et suspicions. Et d’étaler la férocité du prédateur qui a sévi. En 200 pages, King s’attache plus à l’aspect pragmatique de l’enquête ( preuves, témoignages, retombées politiques pour le procureur aux dents aussi longues que celles de Dracula ) qu’à la chute psychologique et kafkaïenne de Terry qui ne peut comprendre comment cela peut lui tomber dessus.
Magistrale et choquante  , cette première partie repose sur une mécanique si bien huilée qu’elle glisse toute seule sous nos yeux. Le revers de la médaille c’est que King fait du King et que, pour le lecteur assidu de ses écrits , certaines choses se devinent un peu sur l'enchaînement. Rien de bien dommageable mais la ficelle est parfois visible, Stephen Gepetto !

Vient ensuite le reste du roman. Dès lors que l’impossible ,voire l’improbable, s’est fait une place consciente ou semi-consciente chez les personnages principaux, l’enquête reprend du début. King réintroduit un personnage d’une histoire précédente pour offrir un point de vue neuf sur la chose, c’est à la fois narrativement bien foutu car cela redynamise le récit et participe à la connivence avec le lecteur pas mécontent d’avoir des nouvelles d’une personne attachante et volontaire qui avait fortement humanisé une aventure passée.
Et une fois le mystère résolut, nos héros se mettront en chasse. Dans un suspense de jeu d’échecs qui va crescendo et qui hélas se termine peut-être un peu vite ; pas un pétard mouillé mais pas le feu d’artifice promis par l’emballage.

Mais là encore, King fait du King. Il le fait bien mais il est indéniable que certains éléments sont déjà vu. Dans «  Ça » par exemple : un groupe volontaire face à une entité malfaisante qui dispose d’un pantin humain bien plus libre de ses mouvements aux yeux de tous qu’elle.  Et il ne peut s’empêcher, gratuitement ou non , seul l’avenir le dira, à poser quelques subtiles références et clins d’œil à son cycle ultime : « La Tour Sombre » ( une saga reliant TOUS les livres de King entre eux, telle une immense colonne vertébrale invisible sous-tendant un multivers exponentiel, oui rien que ça ).
Entre autres références bien entendu (à vous des les retrouver  mais en voici une troublante : l’inspecteur Ralph Anderson, un des héros du livre, se nomme comme l’un des protagoniste de « La tempête du siècle » ) , sans oublier , quand il le peut, la possibilité pour King de descendre Shining de Kubrick (on ses cibles favorites ou l’on n’en a pas après tout ).

Prenant mais mineur dans sa bibliographie, L’outsider marque surtout pour son concept et son véritable personnage principal qui n’apparaît qu’une fois un bon tiers entamé. Les connaisseurs apprécieront de retrouver une recette connue et savoureuse, comme lorsque l’on commande son plat favori au resto chinois du coin, les autres seront pris dans une machine implacable qui donnera peut-être envie de se pencher plus avant sur les récits du plus célèbre auteur habitant Bangor.
Un bel ouvrage, générique pour du King, mais tout à fait recommandable.

lundi 18 février 2019

L'elfe qui n'avait pas peur de vendre des salades.

La collection Hélios est le fruit de la collaboration entre les éditions Mnémos, Les Moutons électriques et les éditions Actu SF , et permet l’accès à un riche catalogue d’ouvrages au format poche. Si Hélios, qui existe depuis 2013 , ne rivalise pas en quantité avec des machines de guerre comme Folio SF par exemple , force est de constater qu’on y retrouve statistiquement plus de bons grains que d’ivraie.


Et l’une des dernières parutions Hélios provient de la branche Actu SF : La stratégie des As, du belge ( cocorico ) Damien Snyers.
Mêlant polar , fantaisie urbaine uchronique et une bonne dose de dérision.


James est un elfe qui vit d’expédients avec ses complices : Elise, une demi-elfe (ou demi-humaine selon le point de vue où l’on se place ) et Jorg, un troll plus intéressant que la moyenne du reste de son espèce. Nos trois larrons se retrouvent embarqués dans une tentative de vol dans une villa bourgeoise. S’ils réussissent, ils seront riches.
S’ils échouent, James a un bracelet magique et explosif attaché au poignet qui se fera une joie de terminer en feu d’artifice à la Gandalf ! Voila donc de saines et belles motivations de ne pas se louper n’est-il pas ?

Écrit à la première personne, le roman, relativement court, adopte le point de vue de James dont le langage franc et parfois taquin-acerbe crée une connivence directe avec le lecteur qui ne peut que difficilement ne pas être empathique à son égard, même quand ce dernier nous narre quelques fourberies criminelles des plus sanglantes. C’est que si vous vous attendiez à retrouver un clone de Legolas, passez votre chemin.

Comme toute histoire de braquage classique, Damien Snyers nous offre d’abord de faire connaissance avec les joueurs en place tout en avançant prudemment sur l’échiquier, avant un dernier acte où tout se résout, Ocean’s Eleven style.  Alliant donc de concert action et réflexion , le récit progresse vite et sans temps morts. Et sans fioritures ou aspérités.

Mis à part un univers original, l’histoire est d’une facture fort classique et ne doit sa réussite qu’à une plume sympathique et un exotisme étrange situé entre le familier et l’irréel d’un monde parallèle. Que tout soit narré par James nous coupe aussi d’une plongée profonde dans les pensées et les personnalités des autres personnages qui n’existent donc que par leurs paroles et leurs actes, décodés par James que l’on devra croire sur parole ( il est d’ailleurs souvent étrange de constater que les lecteurs sont prêts à croire un récit raconté par un arnaqueur et un escroc ).
Les lecteurs belges ne manqueront pas de repérer quelques allusions au plat pays de Brel qui, d’un naturel tenant du clin d’œil , ne viendra pas perdre les autres lecteurs francophones . Des clins d’œil côtoyant quelques autres références , littéraires cette fois-ci, l'auteur connaissant son Conan Doyle et son Edgar Poe.

Mais il est difficile de penser qu’un univers aussi cohérent et pensé ne soit là que pour faire tapisserie. En tant que premier roman, imparfait mais sympathique, La stratégie des As pourrait fort bien servir de socle à l’extension de son univers charmant, si proche et pourtant atypique.

Un récit court, sans prise de tête , idéal pour passer le temps agréablement. Mais l’on nage à peine au-dessus d’un roman de gare de luxe, défaut que l’on pardonnera en raison de la sympathie du style et du fait qu’il s’agit ici d’un premier essai.
Qu’il faudra désormais transformer.

lundi 11 février 2019

Les armes rêvent-elles aussi de moutons électriques ?

Au 26éme siècle, dans une cité-poubelle, surplombée par la ville flottante de Zalem, où se côtoient humains et cyborgs colorés , le Dr.Dyson Ido découvre les restes d’une entité cybernétique dont le cerveau est miraculeusement intact.

Ramenant alors  à la vie artificielle une jeune amnésique qu’il baptise Alita, Ido ne sait pas encore que derrière son visage d’ange se cache une guerrière aux capacités surprenantes qui risque d’ébranler le cours des choses.

Arlésienne des arlésienne, Alita :Battle Angel, projet chéri de James Cameron depuis presque 20 ans, débarque enfin dans les salles, sous la direction de Robert Rodriguez ( Sin City , Desperado , Il était une fois au Mexique ) car le papa de Terminator a décidé de se consacrer aux suites d’Avatar (et a donc également délaissé la réalisation du vrai Terminator 3 qui devrait sortir en fin d’année ) et de seulement produire ce film-ci.
20 ans d'attente, 20 ans que les fans imaginent le résultat. Autant dire que tout le monde impliqué est attendu au tournant par une bande d'enthousiastes zélotes prêts à faire passer pour calme un gang de punks sous ecstasy si jamais le résultat final était désastreux à leur yeux (oui, un peu comme les fans de Star Wars qui ne digèrent pas qu'une fille soit le personnage principal de la nouvelle trilogie , tout à fait ).



Adapté du manga «  Gunnm » de Yukito Kishiro qui s’est taillé une réputation culte dès sa sortie japonaise et française, l’œuvre folle et violente allait-elle résister à Hollywood et son envie de lisser les aspérités lorsque des sommes colossales sont en jeu ?

Qui dit longue gestation dit longue histoire à narrer.
Quand débute la pré-production d’un film ? Lorsque le studio dit « Oui » au projet ? Lorsque le scénariste attaque sa machine à écrire à coups de mots résonnant dans l’air tels une nuée de « ding » se répandant dans le bureau ? Ou encore avant ? Quand le projet prend forme dans l’esprit de l’artiste ? Vaste question n’est-ce pas ?

Pour des raisons de simplicité qui nous éviteront de remonter jusqu’aux peintures rupestres de Lascaux, nous situerons notre scène, non pas dans la belle Vérone, mais en Amérique dans les années 90.
Guillermo Del Toro est devenu ami avec James Cameron un peu par accident. Le père du hobbit mexicain venait d’être kidnappé au Mexique pendant que Cameron prenait des vacances.
Ne connaissant ni d’Eve ni d’Adam le bon Del Toro, Cameron apprend la mésaventure de son confrère réalisateur et décide de le contacter et de lui offrir un support logistique et financier pour résoudre la crise. Les deux hommes deviendront les meilleurs amis du monde.

Et Guillermo Del Toro, ce n’est pas un secret, est un énorme consommateur de culture-pop : comics, bd’s européennes, mangas, etc…sa soif d’histoire et d’art est presque sans limite.
Et c’est lui qui pointe à Cameron l’existence du manga « Gunnm », rebaptisé «  Battle Angel Alita » outre-Atlantique. Mais cette rencontre ne se fait pas via le papier. Del Toro lui prête la VHS de l'anime japonais, un art visuel apprécié par James Cameron qui n'a jamais tari d'éloge sur " Ghost In the Shell" de Mamoru Oshii ou encore "Vampire Hunter D".
L' adaptation animée  avait pris quelques libertés, dont un ajout personnage...personnage que l'on retrouvera dans le présent film. Les sources du long-métrage sont donc dès le départ trans-média. C'est la méthode " matière de Bretagne " qui est ici employée.

"Gunnm", c’est l’histoire de Gally ( rebaptisée Alita aux USA , parce que fuck le respect de l’auteur ), cyborg à l’allure de jeune fille recueillie par Ido, docteur en cybernétique.
Gally découvre que le monde où elle vit désormais est une décharge à ciel ouvert , celle de la cité flottante Zalem qui étend sa domination sur la surface via des hommes de main haut-placés dans la chaîne alimentaire en place dans la décharge.
Au fil de son parcours, Gally partira à la découverte de son nouvel environnement et des brides de son identité alors qu’apparaissent des réflexes fulgurants venus d’un art martial fixé dans son subconscient mais pourtant éteint depuis 300 ans.  La saga se poursuivra avec Gunnm Last Order qui explorera les étoiles avant de s’achever sur Mars dans Gunnm Mars Chronicle.







Cameron est séduit par cette histoire d’ange mécanique et guerrier dans un monde ravagé , une approche différente de thèmes proches de certains de ses propres films. Et un défi aussi car Cameron n’a jamais adapté de matériaux existants, l’homme ayant toujours fait naître ses propres mondes, nés autant de son imagination fertile que de ses références culturelles ( rien ne se crée ex nihilo en art, rien ! ).

À l’époque où Del Toro fait découvrir « Gunnm » à Cameron, ce dernier profite des débuts d’internet pour faire la promotion informatique de son prochain projet pharaonique, une fresque extra-terrestre qui devrait révolutionner la façon de créer et se faire mouvoir des êtres entièrement créés en images de synthèses mais basés sur des performances humaines. Il balance le script d’Avatar sur le web (et le retirera quelques années plus tard bien entendu ) pour donner envie au public de suivre l’aventure.
Mais plusieurs couacs se font entendre. Comprenant que cet Avatar allait coûter bonbon, Cameron temporise et se relance sur son fantasme : un film sur l'histoire de l’insubmersible Titanic !

Et en pleine production de Titanic, le père Cameron est dans la tourmente...administrative. La presse taille un costard au film, le traitant de naufrage assuré alors qu'aucune image n'a encore fuité ! Le budget et le thème du film suffisent à la presse " spécialisée " pour prédire la catastrophe. Un "Roméo & Juliette " sur l'eau ? Mais il est fou ! Où sont les aliens et les terminators ? Et qui sont ces comédiens inconnus ? Oui, la presse est souvent visionnaire !

Pour rassurer la Fox, Cameron leur vend l'idée d'une saga rentable adaptée de "Gunnm".
Mais cela ne suffit pas. La Fox a réellement les chocottes : plusieurs responsables démisionnent de manière préventive pour éviter que la mention " Titanic" n'apparaisse sur leurs C.V ; le studio envisage de couper le film en segments pour en faire une mini-série télévisée et ne jamais le sortir le salle. Plusieurs mois avant la sortie, convaincue qu'elle a trouvé comment sauver les meubles ( qui n'étaient pas encore à l'eau, rappelons-le), la Fox revend les droits d'exploitation du film à la Paramount pour le territoire américain.
Le résultat, tout le monde le connaît : Titanic est un hit, si le bateau réel a pris l'eau, le film a été l'iceberg qui a fait exploser le box-office. La Paramount a versé 65 millions de $ (le budget du premier Matrix ) et a récolté plus de 600 millions au nez et à la barge du concurrent qui leur avait vendu " un bide assuré!".
La légende raconte que des pleurs résonnent encore dans les bureaux de la Fox aujourd'hui.
Depuis lors, même quand Cameron dépasse son budget, la Fox ne lui dit plus jamais non.
" Tu veux du pognon pour mettre au point plusieurs technologies innovantes pour réaliser un film avec des alien bleus géants ? Mais tiens, prends ce chèque en blanc Jim ! " Avatar allait se lancer en 3D et en performance capture ! Mais ça, Cameron n'en était pas encore certain. Entre les cyborgs et les Na'Vi, tout allait se jouer selon la progression de la technologie et de l'ingénierie.

Aucune technique n'est encore au point, il faut tour inventer et ré-inventer. Qu’importe, Cameron le sait, les héros d’Avatar et d'Alita ne peuvent être amenés à la vie sur écran que de ces façons et il est convaincu que cette méthode est la bonne pour coller au plus près de son apparence dans le manga ( Spielberg et Jackson feront de même avec Tintin des années plus tard ).
Si les acteurs sont aux ordres du réalisateur et se maquillent parfois au point de ne pas les reconnaître, pourquoi ne pas leur coller une apparence, un maquillage, numérique sur le dos ?
Entre-temps, Cameron se fait coiffer au poteau dans son envie de proposer au public des personnages en images de synthèses photo-réalistes quand Sony/Columbia et Square Studios lancent Final Fantasy The Spirits Within. Tant pis, le résultat graphique de FF est bon mais le rendu n’est pas encore celui que ce perfectionniste de Cameron souhaite.



La technologie progresse mais pas assez vite pour qu’Alita puisse être envisagée dans l'immédiat.
Mais, en donnant un coup de sonde, Cameron et son ami-producteur Jon Landeau se rendent compte que les capacités informatiques sont bonnes pour donner naissance à Avatar.
Cameron se lance donc dans la production du film et le succès étant au rendez-vous ( après que la presse n'ait descendu le film en se demandant si ce " Roméo et Juliette chez les extra-terrestres" n'était pas la preuve que Cameron était fou et qu'il allait se planter ce maboul qui fait des films sans aliens monstrueux ou des terminators ), Cameron se lance corps et âme dans la conception du reste d’une saga qu’il conçoit désormais en 5 films. C’est un travail à plein temps qui ne lui laisse plus l’opportunité de se lancer dans une autre aventure. Mais Alita attend. Alita a été annoncée aux cinéphiles et manga lovers il y a 20 ans. Et la Fox, à qui l'on a promis cette saga au même moment qu'à nous pauvres mortels, attend aussi. Quand verra-t-elle le jour ?

Lors d’un déjeuner amical avec le réalisateur Robert Rodriguez à la fin des années 2010 ( enfin, c'est l'histoire officielle, on en reparlera plus loins) , Cameron discute de tout et de rien quand soudain, Robert oriente la conversation vers le cinéma et demande des nouvelles d’Alita, un projet qu’il attend depuis des années ( aaaah, ces belles générations de cinéastes cinéphiles ).
Cameron lui amène alors les 600 pages de scripts qu’il a sous la main et lance au réalisateur mexicain : «  Si tu sais en tirer un scénario exploitable, le film est à toi ! ». Quand Cameron vous fait ce genre de proposition, il faut être dingue pour accepter et encore plus fou pour dire non.



James Cameron étant une poule aux œufs d’or, la 20th Century Fox accepte de financer le film sans doute avant même qu’un scénario ne soit vraiment exploitable, comptant vraisemblablement dans le budget un chèque pour un travail de réécriture.
C’est la scénariste Laeta Kalogridis qui passe donc derrière la plume ciselée de James Cameron. L’auteure a à son actif les scénarios du Shutter Island ( qu’elle a adapté à la virgule près sans prendre en compte la nécessité de transformer certains détails pour coller au média cinéma ) de Martin Scorsese mais aussi de Terminator Genisys et de nombres d’épisodes de la série Birds of prey. Pas le CV de rêve, vous en conviendrez.

Mais il faut  lui reconnaître une expérience dans le traitement d’une masse de pages colossales pour la rendre filmable ( elle a bossé sur le Alexander d’Oliver Stone dont le script de base devait ressembler à un bordel sans nom constitué de pages de scénarios, de notes et de documentations historiques ). 
Difficile au final de dire à qui l’on doit l’ajout d’un personnage uniquement présent dans l’adaptation en dessin-animé du manga et les ajustements, raccourcis que prend l’histoire. Mais on y reviendra. Le tournage se lance après le bouclage d’un casting presque aussi bon que celui d’un Tarantino ( car le petit Robert Rodriguez est un ami du réalisateur de Pulp Fiction, avec qui il a d’ailleurs collaboré sur des plateaux ).

Commençons par le gros point noir : le scénario !
Non qu’il soit horrible et à jeter aux orties, loin de là, mais Kalogridis applique le parfait petit manuel de la 20th Century Fox pour attirer les foules : lissage de l’univers de base ( adieu bido-ville, bonjour ville-ghetto à côté d’une décharge ), clichés réconfortants ( oui, le chocolat est toujours l’aliment idéal à faire découvrir à une femme qui ne connait pas ce dessert pour être certain de l’impressionner ),manichéisme à foison ( les méchants sont très méchants et les gentils très gentils : même les salauds au cœur en or se sente à des Km ) et discours trop longs et souvent nunuches.

Trop de bla-bla dans un film adapté d’un manga certes peu avare en passages parlés mais surtout extrêmement travaillé au niveau de sa dynamique graphique. Le cinéma est un art graphique, la mise en scène et la composition peuvent suffire à faire passer mille message sans devoir être aidés par des acteurs n’assurant pas un dialogue nécessaire mais la narration de ce que l’on est en train de voir à l’ écran.



Et ce problème d’écriture saute aux yeux car, même s’il n’a jamais autant brillé que ses amis Tarantino ou Cameron, Robert Rodriguez possède un regard visuel supérieur au tout-venant d’un paquet de mercenaires hollywoodiens : imparfait et parfois brouillon, mais toujours sincère et désireux de se frotter à ses idoles et aux techniques de cinéma diverses et variées : il assure sur nombre de ses films le rôle de directeur de la photo et monteur. Autant dire qu’il a appris à cadrer et à penser en termes de plans. Mais pas au point d'être considéré comme un "bon".
Alors, y-aurait-il une autre raison à son accession au poste de réalisateur ? Après tout, Cameron avait sous la main le grand Guilermo Del Toro, son ami talentueux, oscarisé, cet ami qui lui a fait découvrir "Gunnm" !
Et cette raison, sans doute la même qui a fait débarquer Laeta Kalogridis sur le projet, c'est que Rodriguez , en tant que fan, sera malléable et perméable aux indications et injonctions de Cameron.



" Donc, ta caméra, tu la poses là-bas. Et tu discutes pas."


Mieux, Rodriguez, en bon régressif , a démontré qu'il aimait faire, écrire et produire des films "à la cool" pour adolescents. Il était donc un choix judicieux (mais risqué artistiquement) pour mettre en scène des métaphores sur l'adolescences : la perte de repère, la recherche de soi, les changements corporels.
Kalogridis ré-écrit le script sans aucun doute dans cette optique : le film est prévu pour être un blockbuster estival, la période où l'on rameute les teenagers au cinéma manger du pop-corn. Initialement programmé pour Juillet 2018, Alita est repoussée à Décembre avant de finalement se fixer au mois de Février. La post-production a pris du retard.

Robert Rodriguez , en cinéphile aguerri , aime toucher à tout.
Certes, cela permet de connaître les techniques, de ne pas se laisser avoir par des pros qui voudraient se la couler douce ,et acquérir un savoir supplémentaire qui peut aider lors de la réalisation. Ainsi, Rodriguez est aussi : monteur, directeur photo et même compositeur. Mais être touche à tout, c'est prendre le risque souvent de s'éparpiller. Et contrairement à quelqu'un comme Alexandre Astier, qui vise le statut d'artiste complet et curieux, Rodriguez tombe à plein pied dans le piège du "je fais tout pas mal mais rien très bien".

Cameron semble tout a fait conscient de cela. Rodriguez possède son studio, Trouble Maker, qui est associé de près à chacun de ses films ou des films qu'il produit.
Ici, c'est Lightstorm qui encadre le projet : la boîte de James Cameron. Et papa Jim, il va freiner certaines habitudes de Robert.
Le montage ? C'est pas lui ! Compromis est trouvé entre les deux hommes , c'est un monteur venu de "Predators" '(production Rodriguez ) et un autre ayant travaillé sur "Avatar " qui s'occupent d'assembler les plans.

La direction photo ? C'est carrément Bill Pope qui mettra en lumière la chose.
Et c'est pas n'importe qui, il a mis en boîte pour les Wachowskis et Sam Raimi (entre autres) des images encore inégalées de nos jours de délires manga-live et de super-héros : la trilogie Matrix et Spider-Man 2&3 ,ou encore Scott Pilgrim VS The World pour Edgar Wright.
Si la patte de Pope est reconnaissable et apporte une plus value non-négligeable, force est de constater que ce n'est pas toujours son meilleur travail : la mise en lumière d'un tournage 3D demande plus de luminosité et cela limite un peu les jeux d'ombres si l'on veut que l'image soit lisible à la projection.




La mise en scène de Rodriguez d’ailleurs est entièrement pensée pour la 3D et cherche à bien mettre en exergue certains éléments. La 2D va sans aucun doute faire perdre de la puissance esthétique à plusieurs passages du films, les nerveux comme certains plus calmes.
L’action est lisible mais un peu répétitive, se calant sur une mentalité de jeux vidéos des années 90 : Alita se bat à un contre un pendant que ses complices attendent leur tour ( brillante stratégie martiale s’il en est ) et son statut de petite génie du combat est impressionnant mais donne bien trop souvent l’impression que l’on à affaire à Superman dopé : on ne frissonne jamais pour l’héroïne, machine trop bien huilée que pour tomber en panne même quand on la casse !

Cependant, il n’en va pas de même pour ses camardes de jeu humains qui attirent plus ou moins l’empathie selon qu’ils sont interprétés par un acteur talentueux ( Christoph Waltz en Ido) ou un beau gosse lambda à la psychologie de pigeon : ça roucoule beaucoup mais c’est aussi limité que Forrest Gump (Keean Johnson, le charisme et le talent d'une huître dont on cherche en vain la perle ).
Mais comme Alita tient à lui…





Cependant, l’univers dépeint est riche et diversifié, offrant un spectacle aux allures variées et au propos politique simple mais d'actualités : les riches vivent dans des zones inaccessible au plus pauvres condamnés à patauger dans les immondices et les ruines. La première scène du film, révélant Zalem et la décharge est explicite au plus haut point et ce en quelques secondes.

Et dans le même temps, le motorball, sport ultra-violent et populaire voit son déroulé violent être fortement diminué car les spectateurs eux-mêmes risquent leurs vies dans le manga et assistent aux matches à leurs risques et périls. Ici, ils sont protégés par une gentille plaque de plexiglas ultra-résistant destiné à les protéger des explosions ou des projections de débris ( alors que les instances en place montrent bien ne rien à avoir à cirer de la vie de la populace vivant à la surface).





Dommage que certains changement opérés par le scénario par rapport au manga se révèlent créer de grosses incohérences au sein du film, incohérences qui ont le bon goût de nous apparaître qu’une fois la séance terminée, preuve que le long-métrage en a suffisamment sous le capot pour nous entraîner d’un point A à un point B sans trop de casse.

Visuellement, les équipes d’effets numériques ont fait un superbe travail sur Alita, personnage campé par l’actrice Rosa Salazar en performance capture. On oublie très vite l’aspect en image de synthèse tant le photo-réalisme est poussé. Le travail est magnifique et les infographistes ont été jusqu’à conserver quelques défauts dans la dentition de Salazar pour accentuer le rendu réaliste du personnage qui se retrouve donc à ne pas être parfait de chez parfait.






On regrettera que le même soin ne soit pas appliqué à tous les cyborgs, surtout les plus fous visuellement au niveau corporel, qui ont conservé le visage de l’acteur les interprétant, donnant cette sensation de collage enfantin d’une tête découpée et appliquée sur un autre corps.

Des cyborgs au sang bleu, histoire de pouvoir les montrer blessés ( encore une belle hypocrisie du système de «  censure » américaine qu'est la MPAA pour qui on peut saigner tant qu’on veut tant que le rouge n’apparaît pas à l’écran : ces ronds de cuir pistonés ont de la soupe à la place du cerveau ).






En l’état, Alita Battle Angel est un film sympathique, très imparfait et naïf mais doté de belles qualités qui nous transportent bien souvent en slalom entre les scories qui parsèment son bon déroulement. C’est également une démonstration technique particulièrement bluffante sur les technologies qui seront, à n’en pas douter, employées sur Avatar 2 et 3.