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lundi 2 novembre 2020

Tenet n'est pas flou.

 Trois ans après «  Dunkirk » , proposition de cinéma centrée sur le film de guerre, un genre au final peu présent dans sa filmographie ( encore que, The Dark Knight Rises répondait à plusieurs poncifs ), Christopher Nolan revient à ses amours et sa patte : la science-fiction jouant avec les neurones du
spectateur. 


Lors d’une opération d’exfiltration à Kiev qui tourne mal, un agent choisi la pilule de cyanure plutôt que de parler. Au lieu de le tuer, cela le plonge dans un coma dont il se réveille pour apprendre que le reste de son équipe n’a pas eu sa chance. Et que son choix de mourir pour protéger d’autres personnes le rend apte à rejoindre une organisation qui tente d’empêcher une catastrophe planétaire.   

Le protagoniste ( jamais son nom ne sera révélé ) va alors se lancer dans une enquête et une course contre la montre contre une menace venue…du futur. Et devoir apprendre à gérer une invention qui donne sa saveur SF au film : la possibilité d’inverser l’entropie d’un objet ou d’une personne, cet objet ou cette personne évoluant dès lors à rebrousse-temps. Invention qui pourrait précipiter la fin du monde tel que nous le connaissons.





TENET se place directement dans la passion que Christopher Nolan porte à deux choses : le film d’espionnage ( INCEPTION n’est-il pas une sorte de Mission : Impossible ? ) et les concepts temporels ( INCEPTION , INTERSTELLAR , même DUNKIRK ) déclinés sous diverses formes et montages alternés. 



Austère. Voila sans doute le premier mot qui vient à l’esprit dès l’introduction pourtant musclée du film. Plongé in media res dans l’action, le spectateur doit suivre un héros courant dans tous les sens pour récupérer quelqu’un, quelque chose et sauver sa peau en 5 minutes chrono. Aucun dialogue trop explicatif ne viendra faire retomber le rythme.
La photo désaturée de  Hoyte van Hoytema crée une atmosphère lourde et peu agréable à l’œil ( là où l’ancien directeur photo de Chris Nolan, Wally Pfister , gardait toujours à cœur de capter de la couleur même quand l’ambiance voulue par le réalisateur se voulait plus sombre ).
Bien que directeur photo compétent ( Spectre de Sam Mendes est souvent d’une beauté fatale ), l’association entre Nolan et van Hoytema est une mauvaise combinaison visible depuis DUNKIRK, INTERSTELLAR sauvait les meubles par une grâce jamais retrouvée. 

Autres points qui viendront parasiter le film : Nolan n’a pas travaillé avec Hans Zimmer (officiellement, ce dernier donnait tout ce qu’il avait pour le DUNE de Denis Villeneuve – le sous-Nolan sur-côté ; officieusement, bien que toujours amis, les deux hommes se sont trop pris le choux sur DUNKIRK pour re-travailler ensemble avant un moment : Nolan a fait jeter à Zimmer une partition géante pour orchestre pour revenir à une musique très industrielle lorgnant sur le design sonore plus que sur la musique ).
C’est Ludwig Göransson qui vient remplacer le compositeur teuton pour rendre une copie qui bien souvent n’est qu’une tentative balourde et assourdissante de singer Zimmer. Reste cependant quelques fulgurances thématiques au piano et l’idée de jouer la musique à l’envers lorsque l’action voit son entropie inversée ( l’album a d’ailleurs été mis en ligne à l’endroit et à l’envers sur Youtube par Warner Bros. ) . 

Jamais deux sans trois, le montage n’est plus de l’habitué Lee Smith ( occupé sur le 1917 de Sam Mendes – lui et Denis Villeneuve ont un complexe face à Nolan à lui piquer tous ses techniciens ou quoi ? ) mais de Jennifer Lame.
Et si pas un poil de gras ne dépasse du résultat final, il manque peut-être une touche d’un je-ne-sais-quoi. 

Christopher Nolan, habitué à travailler encore et toujours avec les mêmes personnes se retrouve dans la position très désagréable de devoir apprendre à gérer deux nouvelles personnalités, cela ne peut qu’avoir un impact négatif sur le film.



Mais ces défauts sont-ils rédhibitoires ? Grand dieu,non. Nous parlons ici de scories bien excusables une fois la machine lancée. Pour la bonne raison en premier lieu que si vous vous attardez sur ces petites imperfections, vous n’allez pas vous attarder sur ce qui se déroule sur l’écran. Au risque d’avoir du mal à suivre. 

Non que le film soit d’une complexité extravagante. Mais contrairement à ces précédentes incursion dans la SF, Nolan a coupé (ou pas écrit ) de dialogues venant récapituler ce qu’il vient de se produire à l’écran. Il ne fait pas répéter à l’envie aux personnages les concepts croisés durant le film. 
En se plaçant directement dans le film d'espionnage à la James Bond, avec ses codes, Nolan s'amuse sans aucun doute et permet au spectateur d'avoir à minima un pied bien posé dans un univers où il trouvera quelques repères connus : l'agent sur-entraîné, le milliardaire fou et sa femme semi-captive mais plus apte à se défendre qu'elle ne le pensait, des trahisons et un voyage exotique autour du monde. 

Le film déroule une logique imparable et implacable sans la sur-expliquer : stimulante pour certains , balourde ou élitiste pour d’autres, cette technique narrative a pour elle de forcer le spectateur à s’immerger dans l’action tout de suite. Comme le Protagoniste lui-même, tâtonnant ( comme nous ) dans cet univers au début avant de pleinement prendre la mesure de la chose et de ses potentialités à la fin. 

Une fin apocalyptique où Nolan choisit de coller à sa vision du film de guerre : tout comme dans DUNKIRK, la caméra s’attachera avant tout aux héros et à ce qu’ils subissent, laissant les opposants hors champs. Le danger peut venir de partout, héros comme spectateur ne pouvant que supposer où se cache l’ennemi. Et le double-parcours pour arriver à cette fin ne manque pas de morceaux de bravoures, que cela soit sous la forme d'une course-poursuite mêlant écoulement logique ET à rebours du temps sur une autoroute ou encore le crash programmé d'un avion tourné avec un véritable appareil, rien que ça. Entre autres choses. 








Réputé à tort être un cinéaste intellectuellement froid, Nolan prospère pourtant à donner à ses protagonistes des motivations émotionnellement fortes. C’est une fois de plus le cas ici. Si le Protagoniste ( incarné par John David Washington, le fils de Denzel qui a presque autant la classe que lui, c’est pas rien ) débute son voyage avec une mission d’agent secret, sa quête deviendra plus personnelle à mesure qu’il tombera dans le terrier du lapin blanc.

Son antagoniste, Andrei Sator ( incarné par un Kenneth Branagh sous tension constante et capable d’exploser en beau sociopathe ) , bien que totalement tordu , reste motivé par des motifs très nolanien. Son épouse bafouée et abusée, Kat ( impériale Elizabeth Debicki ) , véritable cœur émotionnel du film poursuit  un but commun : la garde de leur enfant. Cet objectif les unit et les déchire à la fois.

Enfin, abordons Neil, l’agent de terrain mystérieux incarné par Robert Pattinson ( le futur Batman, chez Nolan, croquignolet ). Loin de Twilight, Pattinson a passé ces dernières années à acquérir du charisme et une palette de jeu plus grande. Résultat des courses ? C’est à peine si l’on ne s’accroche pas plus à lui qu’au héros principal. 








Bleu, rouge. Non, ce n'est pas une référence aux pilule de Matrix mais elles n'ont pas été choisies au hasard.



TENET est tout à la fois la réponse de Christopher Nolan à son échec de pouvoir mettre en scène un James Bond, l’envie d’explorer sans doute pour la dernière fois les folles idées sur le temps et de proposer encore un blockbuster intelligent , thématiquement riche et d’une ambition technique folle ( votre serviteur se demande encore comment certaines choses ont été tournées sans images de synthèse, procédés utilisés rarement et avec parcimonie par Nolan ). 

Tout le monde ne l’ayant pas encore vu, je me garderai bien d’entrer dans une analyse poussée des références diverses et variées que le scénariste-réalisateur a employées dans son film. Sachez seulement qu’une fois encore, Nolan fait fi des pseudo-frontières entre culture classique noble et pop-culture ignoble. Car c’est sans dénigrer aucune des deux que l’on peut les fusionner aussi bien et faire plonger le spectateur dans une œuvre dense, épique et un tantinet romantiquement désuète. 

Un Nolan au final très imparfait ( surtout si vous n’avez pas la chance de le voir en IMAX où les raccords entre les plans sont plus fluides ) et peut-être même mineur dans sa filmographie mais diaboliquement intrigant et riche de sous-textes très actuels. 




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