Dyptique entamé en Mai 2015 et terminé en Septembre de la même année,
Monika signe le retour de Guillem March dans les librairies européennes. Le dessinateur espagnol avait un temps officié sur le titre "
Catwoman " de DC Comics (pas la meilleure période de la belle Selina Kyle d'ailleurs). Il met ici en image un scénario de Thilde Barboni.
La série, éditée par Dupuis dans sa collection " Grand public " (d'après leur site officiel) est pourtant, sur la même page web déconseillée au moins de 16 ans. Première absurdité éditoriale qui signe en réalité une cohérence totale avec l'œuvre en elle-même. Ça en est presque métaphysique tout en étant surréaliste à la belge ( Dupuis étant encore basé en partie à Marcinelle, c'est raccord).
L'éditeur vend cette série comme, et je cite, " un suspense érotique, une histoire de femme sensuelle qui cherche dans ses propres reflets à saisir le monde qui l'entoure. Ils ont composé un splendide thriller en deux parties, évoquant "Cinquante nuances de Grey", "Eyes Wide Shut" ou "Ghost in the Shell". "
Quand ça balance des phrases pompeuses à la limite de la psychanalyse de bazar et les références à gogo, ça sent généralement l'œuvre inclassable ou la connerie de l'année. C'est dans la seconde catégorie qu'il faudra ranger
Monika.
Monika est une artiste peintre, photographe, vidéaste ( biflez la mention inutile,oui j'ai osé. C'est simple, j'ose tout ce qui sied à un homme, qui n'ose pas...mais vous avez lu "Macbeth", vous connaissez la suite ) qui prépare un happening créatif prévu prochainement.
Son meilleur ami, Théo, revient en catastrophe du Japon où il a dérobé de la technologie de pointe ( que l'on devine vite être un androïde en pièce détachée – c'est le fameux côté
Ghost in the Shell, série qu'ils n'ont sans doute pas lue chez Dupuis ) et a besoin de se planquer. Monika a une sœur, Erika, qui a disparu. Heureusement, Théo arrive à pirater son portable et cela met Monika sur la piste de Christian Epson, homme politique du moment ( ça c'est le côté
50 nuances d'engrais – le prénom et les goûts inusuels en matières de cul ) qui fréquente des bals masqués ho hé ho hé où les filles dévêtues tout en latex et body paintings excitants font tourner les têtes ( de nœud ) des hommes ( et ça, ça doit être le côté
Eyes Wide Shut : la subtilité et l'érotisme en moins).
On va commencer par le positif : les dessins de Guillem March. Si son trait est reconnaissable pour celui qui l'a découvert sur Catwoman , il faut lui concéder qu'il a abandonné ce côté un peu putassier et opulent au-delà du raisonnable qui suintait des pages consacrées à la plus belle féline de Gotham City.
March se met lui-même en couleur sur cette série et les tons qu'il emploie , des couleurs chaudes qui rappellent autant l'aquarelle que le pastel délicatement utilisé, flattent la rétine.
Les planches sont délicatement découpées et pensées. Les détails sont aussi fort nombreux, ce qui rend la composition des dessins très immersive pour le lecteur.
Si l'espagnol n'arrive pas encore à insuffler le supplément d'âme nécessaire pour différencier ses dessins de nus d'un étalage de chairs vain et gratuit, il est indéniable qu'il s'est amélioré. S'il continue sur cette lancée, peut-être arrivera-t-il à se hisser au niveau de l'italien Milo Manara.
En l'état, donnez la même scène à dessiner aux deux artistes et March vous livrera un porno chic et Manara un tableau pornographique : l'un est agréable à l'œil, l'autre vous fascine et vous excite délicatement.
Niveau scénario…putain quel foutoir.
Entre une fille paumée qui se fait passer pour forte et sûre d'elle en n'oubliant aucun cliché, les intrigues de politique/terrorisme à deux balles dont on peine à prendre au sérieux et à comprendre l'antagonisme ( pourquoi ce groupe ne s'en prend qu'au parti politique de Epson ? À part pour lui donner une aura de victime aux yeux de Monika, je ne vois pas) et l'intrigue cybernétique bien pratique scénaristiquement ( quand on a un robot plus tétu qu'un Terminator voulant vous protéger et capable de pirater le web entier, on obtient vite les infos qu'on veut. Infos qui viennent confirmer, dans le tome 2, ce que le lecteur avait compris en 10 minutes dans le tome 1. Alors que la gourdasse d'héroïne ne capte décidément rien), c'est le bordel, le boxon innommable , la bazar co(s)mique.
C'est lourd et ça phagocyte les personnages au point qu'aucune caractérisation psychologique ne va dépasser le stade de la note vague d'une fiche de personnage. De la part d'une scénariste qui a été psychologue clinicienne, c'est assez paradoxal.
Difficile aussi de dire si Monika tombe trop vite amoureuse de Christian ou si elle est si perturbée qu'elle cherche absolument un sens à la copulation humaine ( elle se comporte comme une ado de 16 ans après l'avoir vu quoi, 4 heures ? Et lui c'est pas mieux hein ! ). Seule l'histoire d'amour entre Erika, la sœur de Monika, et son amante semble moins artificielle, sans doute parce qu'elle est moins mise en avant.
Quant aux prétextes pour faire dessiner des filles en tenues légères, si l'argument fonctionne dans le premier tome, l'angle choisi pour le second et la façon dont c'est amené est si simple et bête qu'il en est risible.
Ni bandant, ni intellectuellement stimulant pour un sou ( Marc Lévy sous tranxène écrirait un meilleur thriller ),
Monika ne vaut que pour les dessins de Guillem March, la série étant peut-être ses premiers pas vers la grandeur. Mais la route n'est pas finie.
Dupuis précise sur son site que la série est "en cours". Prions qu'il n'en soit rien et que les frais s'arrêtent ici.