Pages

vendredi 27 janvier 2017

Bleue d'elle-même

Bleue Van Meer est une adolescente au parcours scolaire atypique. Orpheline de mère , elle a vu son
père , brillant universitaire, décider de devenir professeur itinérant.
Elle n’a jamais terminé une année scolaire dans une même école et sa vie ainsi qu’une partie de son éducation culturelle et intellectuelle s’est déroulée dans la voiture familiale, où la figure paternelle a mis en place une structure d’école péripatéticienne sur roues.
Mais alors qu’il ne reste qu’un an avant l’entrée de Bleue à Harvard ( chez les Van Meer, on ne vise pas l’excellence, on la définit ) , « Papa » décide de poser ses valises pour la durée de la fin de scolarité de sa fille.
Un peu de stabilité avant le grand saut.
C’est donc dans sa nouvelle école – encore une , que Bleue va devenir la protégée de Hannah Schneider, professeur de cinéma et qu’elle intégrera la bande des «  Sang bleu », groupe d’ados triés sur le volet par Hannah et qui gravite autour d’elle comme des papillons de nuit autour d’une bougie.
Une bougie qui va s’éteindre en cours de route, le début du roman nous annonçant la couleur de suite : Hannah va mourir au cours de l’histoire que vous allez lire.




La physique des catastrophes est le premier roman de l’auteure américaine Marisha Pessl.
En mélangeant récit initiatique et thriller policier, tous les éléments étaient réunis pour accoucher d’une resucée d’un épisode à thème de «  Dawson’s creek » ( si vous frissonnez d’effroi à la lecture de ces mots , je compatis : pensez à mes doigts quand il a fallu les taper, mes mains en tremblent encore ).
Mais par la grâce du talent et de la rigueur d’écriture, il n’en est rien. C’est même l’exact opposé.
Et pourtant, Pessl ne fait pas dans la facilité pour nous faire entrer dans son roman !
Bleue Van Meer est une petite madame « je-sais-tout » qui peut être crispante et antipathique.
Écrit à la première personne et présenté comme l'autobiographie de Bleue, nous voila assaillis par des tonnes de références culturelles différentes ( les chapitres portent tous un titre d’œuvre : cinématographique, littéraire, etc… ) , à tel point que l’on peut craindre de la part de l’auteur la rédaction d’un catalogue plus que d’un roman. Cela serait une grave erreur de penser une telle chose. Pour renforcer l'idée d'un journal intime poussé dans les retranchements de l'écriture littéraire, Pessl inclut dans son roman des dessins ( supposément de la main de Bleue ) illustrant certains souvenirs et situations vécues par l'adolescente (la petite sait écrire ET dessiner...quand je vous dis qu'elle peut sembler crispante par son talent et sa perfection de façade).


Marisha Pessl. Elle aurait pu être mannequin, elle a préféré écrire des romans. On a tellement gagné au change, si si !

Car la collision entre cet enfant particulière et les figures clichées de la bande des Sang-bleus ( ados rebelles sans autre cause que d’être des rebelles ) , qui lorgne vers la structure connue du vilain canard qui devient cygne est ici tordue, pervertie. Les passages obligés ne sont là que pour signaler, de plus en plus, que quelque chose cloche. Un détail, au bon moment, au bon endroit finit par s’accumuler avec d’autres, créant une tapisserie délicate et subtile qui n’apparaît vraiment qu’à partir des ¾ du roman, pour vraiment s’exposer dans son immensité sur la fin. Car au fil des pages, les masques craquent, les digues cèdent, les apparences et les mensonges s'évaporent ...tout en laissant suffisamment le lecteur dans un certain brouillard. Ce que certains percevront sans aucun doute comme une arnaque...comment considérer comme une arnaque le fait de laisser au lecteur le soin de faire fonctionner ses petites cellules grises ? Pour les lectures fast-food, repassez plus tard !
Un travail d’orfèvrerie littéraire qui se dévore comme un page turner ( 900 pages en un week-end, pas loin d’être un de mes records ) et abordant, par la bande ou en prise direct les mythologies américaines modernes ( les petites villes tranquilles où tout le monde se connaît - et se surveille , les "crises adolescentes " tellllllement importantes jusqu'au spectre des groupes intellectuels de lutte anti-gouvernement : une pâte feuilletée faite d'encre et de papier ).

Marisha Pessl signe un roman agréable, exigeant sans être pontifiant et terriblement addictif. Que demander de plus ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire