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jeudi 2 février 2017

La dernière croisade du chevalier noir.

Non, Batman ne part pas à la recherche du Graal.

En 1986 , le dessinateur/scénariste Frank Miller , auréolé de son succès sur la résurrection qualitative de Daredevil chez Marvel, entame la publication chez le concurrent DC de « The Dark Knight Returns » (ou TDKR pour faire plus simple…oui, comme The Dark Knight Rises, de Nolan : ce n’est pas un hasard).

 Une proposition scénaristique qui place un Bruce Wayne vieillissant et démissionnaire de la cape  dans un monde fort différent de l’univers DC classique de l’époque. Tel un Beowulf {1} grisonnant, Bruce Wayne va devoir reprendre du service dans une Gotham plus infernale que jamais.
Massif comme un ours ( Beowulf signifiant littéralement le loup du miel, soit l’ursidé bien connu ), le Batman de Miller est un monstre dont l’apparence de chauve-souris n’est pas le seul atout effrayant, la masse musculaire fait aussi partie du show.
En petit malin, Miller, dans cette «  dernière » aventure du chevalier noir ( surnom désuet que l’auteur remet en avant avec cette aventure crépusculaire) place des éléments qu’il réutilisera plus tard. Ainsi, une discussion entre Bruce et Gordon trouvera un écho dans son travail suivant : Batman Year One qui revenait sur les premiers pas du croisé à la cape. Deux œuvres en miroirs.
C’est aussi, en 86, deux ans avant « Un deuil dans la famille », que Frank Miller introduit le fait que Jason Todd, le second Robin, mourra pour la cause.

Si pendant des années, TDKR a été vu comme un futur plausible pour l’homme chauve-souris, Year One a été LA référence absolue en matière de récit sur les origines de Batman. L’histoire écrite par Miller faisant pleinement partie de la continuité ( aujourd’hui, cette histoire a été effacée au profit de Batman Zero Year ). Peu importe que Year One fasse ou non partie de la continuité. Pour Miller, chacun de ses travaux gothamites fait partie d’un tout. À l’heure où DC Comics tente d’avoir le contrôle sur ses personnages, Miller se pose comme étant le seul à avoir un univers parallèle à entière disposition pour évoquer SA vision de Batman ( car son Batman est un Batman …différent). Si Jeph Loeb, avec Un Long Halloween et Dark Victory, offrait deux suites à Year One, pour Miller, la seule suite est celle qu’il aura écrite : All Star Batman & Robin, the boy wonder.






En 2001, Miller offre une suite, conspuée, à The Dark Knight Returns : The Dark Knight Strikes Again. L’affaire semblait pliée. Miller, atteint d’un cancer, se consacrait surtout à sa santé et parfois à son autre gros bébé : Sin City. Il tentera tant bien que mal de vendre un Batman contre Al-Qeda mais son projet sera refusé. Il le recyclera en Holy Terror. À Ce jour, il est difficile de savoir s’il considère ce graphic novel comme faisant partie de son corpus Batmanien ou non. Mais la vie est faite de surprises…
En pleine rémission, Miller que l’on imaginait déjà mort et enterré, se relève ! Il propose une suite à son Dark Knight Strikes Again…mais il ne serait que co-scénariste et laisserait le dessin à un autre. C’est ainsi que le scénariste Brian Azzarello ( spécialiste du polar mais ne crachant pas sur du super-slip ) et le dessinateur Andy Kubert arrive sur DK3 : The Master Race. Un comics prévu en 9 tomes mensuels. Mais Miller tient à dessiner lui-même les suppléments. Et là c’est le drame, le délais de parution devient chaotique et une série entamée en novembre 2015 n’en est qu’à son 7éme numéro à l’heure actuelle.








Pour faire patienter les fans, Miller et Azzarello écrivent The Dark Knight Returns : The Last Crusade ! Un numéro de 64 pages se situant dix ans avant TDKR . Pour encore plus chauffer les curieux, il est annoncé que le dessinateur sera John Romita Jr…Qui avait déjà fourni, avec Frank Miller au scénario, Daredevil : the man without fear. Revoir une équipe ayant fourni un travail emblématique est toujours un rêve de gosse pour les fans. Mais la magie n’opère jamais de la même façon.



Bref, entrons maintenant dans la vif du sujet.
64 pages, pour livrer une histoire complète, en comics actuels c’est peu. Mais c’est plus que jouable. Mais le titre est mensonger : la dernière croisade, on le devinera à la fin, est la conséquence de l’intrigue du livre qui vient d’être publié en VF chez Urban Comics.
Et l’intrigue est riche : entre un Joker qui rentre à Arkham (avec, comme d’habitude, la ferme intention de vite en sortir), son gang qui continue ses méfaits, et une enquête sur de mystérieux hommes riches qui sont retrouvés morts au quatre coins de Gotham, Batman aura fort à faire, lui qui sent son corps le lâcher et la peur que son nouvel apprenti, Jason, ne soit pas prêt à prendre un jour la relève. C’est un Bruce Wayne défaillant, faillible même, accro aux antidouleurs et ne rechignant plus à voir Selina Kyle régulièrement (et bien plus si affinités ) qui arpente les rues de la sombre Gotham, livrant une guerre au crime avec un seul soldat. Court, le récit se retrouve pourtant maîtrisé. Les auteurs n’ont pas le temps de partir dans toutes les directions, il faut faire avancer l’intrigue et les sous-intrigues de concert sans que l’une ne vienne phagocyter l’autre.
Sans vrai temps mort, mais sans vrai suspens ( tout lecteur de cet univers sait qui survit et qui n’a pas cette chance ), Miller et Azzarello tricotent une tapisserie efficace et n’hésitant pas à revenir sur certains points de continuité et à les déformer un tantinet ( c’est une univers alternatif, ils en ont le droit après tout. Et mieux, ils offrent une version d’un événement traumatique pour Batman qui, à mon sens, fonctionne encore mieux que la version officielle).



Aux dessins, alors qu’il était prévu que Bill Sienkiewicz encre les dessins mais il s’est désisté pour une raison inconnue. Décision est alors prise, devant le travail de Romita Jr, de coloriser directement sur les crayonnés. Des crayonnés si précis ,qu’en effet,l’encrage aurait été superflu ( ils sont en bonus dans l’édition Urban Comics ).
Romita Jr, qui sort de longues années où sa qualité avait chuté, retrouve ici le feu sacré. C’est le Romita Jr de Amazing Spider-Man et de Daredevil que l’on retrouve, pas sa pale imitation qui vivotait chez Marvel. Son art du story-telling est au diapason avec la beauté retrouvée de son style atypique.




Si cette histoire relativement courte n’a pas le temps d’aborder de grands thèmes profonds, elle ne jette pas pour autant l’opportunité, sous forme de questions posées par des journalistes, de questionner le lecteur sur certaines pratiques du chevalier noir. Si ce one-shot ne révolutionnera pas le monde des comics, il s’intègre parfaitement dans la structure de l’univers TDKR. Si les scénaristes du prochain Batman voulaient l’intégrer sous forme de flashbakcs ( faisable sans rien changer à la BD d’ailleurs ) à la Nolan dans Batman Begins, ça ne serait pas une mauvaise idée du tout.

Miller, que l’on aime son trait ou pas, que l’on apprécie ses scénarios ou pas ,et votre serviteur maudit certaines œuvres de l’auteur ( Holly Terror dans son entièreté, TDKR et Ronin dans leurs dessins), en relit d’autres avec plaisir ( Daredevil, Year One, Sin City, TDKR, Ronin…oui,mes yeux souffrent ), reste un scénariste fascinant à analyser tant à travers ses écrits que ses interviews souvent provocantes et réacs. À moins que l’homme ne soit un poseur cherchant à choquer son auditoire et le faire réagir. Et que serait un auteur qui ne fait pas réagir son lectorat si ce n’est un simple vendeur de papier ?


{1} Merci à M. pour m'avoir pointé les similitudes, ma grille d'analyse a été impactée.

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