Pages

mercredi 21 mai 2025

Inhumain n'est pas alien.

 Dans bien longtemps, dans une galaxie proche, toute proche…






Un petit vaisseau d’exploration constitué d’un équipage minimaliste : capitaine, pilote , docteure , ouvrier, soldat et gynoïde – se trouve en vue d’une planète inconnue. Le pilote semble crasher le vaisseau volontairement, sans que personne ne se soucie de la chose, tous étant dans un état de douce euphorie. Tous ? Non, Ellis , un petit robot à l’allure féminine résiste encore et toujours à l’absurdité totale. Mais pas assez fortement pour éviter le pire.



La petite nef spatiale s’écrase dans un océan immense et le choc fait retrouver leurs esprits à l’équipage. Plus ou moins. Alors que le vaisseau coule et que l’issue semble réglée , des créatures marines tenants du poulpe et de la méduse les poussent vers la surface.

Mais ce n’est pas la seule surprise qui attend notre petit groupe. Sur le rivage, des humains ! Nus comme aux premiers jours du monde. Mais qui parlent...leur langue ! 

Accueillants , les « sauvages » installent nos protagonistes dans des huttes. Mais quelque chose cloche. Tous sont obsédés à l’idée d’être utiles. Tous se lèvent et se couchent au même moment. Et petit à petit, leurs étranges habitudes béates , dont certaines choquaient les tabous , se transmettent à l’équipage. Le peuple de ce monde parle d’un Grand Tout à rejoindre, d’un Grand tout qui veut ton bien. Est-ce ce Grand Tout le responsable de cette société réglée comme une horloge suisse ? Et quel serait donc son but ? 


Scénarisé par Denis Bajram & Valérie Mangin et dessiné par Thibaut de Rochebrune , Inhumain est un thriller parano mâtiné de planet opera. Le couple de scénariste s’y connaît en science-fiction : Bajram est l’auteur des séries Universal War One et Universal War Two ; Mangin a écrit Le Fléau des Dieux et Le Dernier Troyen ( votre humble serviteur ne soumet ici qu’un échantillon de leurs travaux ). Rochebrune provient lui du monde de l’animation avant d’avoir bifurqué vers un autre art séquentiel, la bande-dessinée. Les présentations étant faites, notre trio s’en sort-il ? 


Oui et non. Le découpage des séquences et le trait de Rochebrune rappellera parfois celui de Bajram sur Universal War. Effet voulu par le scénario ou mimétisme de l’artiste envers le style de son co-auteur ? Impossible à dire mais la réponse n’a peut-être pas tant d’importance que cela : tout est lisible, s’enchaine, se focalise sur ce qui est essentiel sans oublier les petits détails. C’est beau à défaut d’être totalement original dans ses designs et Rochebrune étant également coloriste, il démontre une belle fusion entre dessins et mise en couleurs pour créer des atmosphères palpables tout au long des 94 planches de l’album.


Inhumain est un album de la collection Aire libre des éditions Dupuis. Cette collection s’éloigne des standards habituels ( environ 40 pages par album ) pour laisser aux auteurs l’espace nécessaire à raconter des histoires resserrées ne s’inscrivant pas dans une logique de série au long court. Et c’est pourtant là que le bât blesse. Malgré l’espace alloué aux auteurs , ceux-ci ne tirent pas en longueur leur récit. Mais ne l’étire pas assez pour le rendre pleinement passionnant. 

Dès lors que le groupe de voyageurs spatiaux se met en marche pour explorer la planète et , peut-être trouver comment la quitter, le récit devient un peu répétitif et suit un même schéma dans sa narration : le groupe découvre un nouvel élément du puzzle, en discute un peu beaucoup à la folie et passe à un nouveau niveau , comme dans un jeu vidéo.





Au milieu de tout ceci , bien entendu , des ambiances pesantes et intrigantes ( nos larrons savent écrire ) et des questionnements profonds qui hantent l’esprit humain depuis qu’il a créé la civilisation. Faut-il privilégier le collectif au risque de perdre son identité ou faut-il s’en forger une au risque de faire dérailler tout le collectif ( et donc, toute l’humanité ? ). Faut-il s'infliger la souffrance du libre arbitre , de la conscience et des conséquences ou embrasser avec joie la soumission volontaire à une autorité supérieure, un Grand Tout qui règle nos vies dans une répétition incessante sans accrocs mais aussi sans surprise ? 
Bajram et Mangin n’ont pas la prétention d’avoir les réponses. Mais leur scénario semble avant tout être un prétexte pour présenter ces dilemmes , ces nœuds gordiens intellectuels que nul Alexandre ne parviendra sans doute jamais à trancher. Avec , in fine , cette question : qu’est-ce que la nature humaine ? Et qui est vraiment inhumain dans toute cette histoire ? 


Tous les ingrédients sont bons mais notre trio de bédéastes livre un album agréable, au-dessus de la mêlée même mais trop en dessous de ce dont on les a déjà vus capables.
Un sentiment de trop peu se fait sentir : trop peu d’horreur physique, trop peu d’horreur psychologique , trop peu d’explorations des mœurs , etc…le tout est trop sage et le lecteur n’est jamais poussé dans ses retranchements et trop peu mis mal à l’aise pour que les personnages ne survivent vraiment dans sa mémoire. Pourtant, le trio joue sur les symboles visuels évidents tout en leur donnant une autre signification en cours de route, preuve d'une réflexion travaillée.
Reste l’intrigue et surtout les problématiques qui en découlent,parfait sujet pour faire surchauffer votre disque dur biologique interne et/ou ceux de vos convives lors d’une discussion qui s’annoncera animée et sans fin véritable. Trop profond pour ne pas intriguer, trop impersonnel et linéaire pour durablement marquer. Il ne manquait pas grand-chose. 

Une suite est depuis sortie : est-elle apte à apaiser les quelques frustrations ? Réponse au prochain épisode ! 




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire