mardi 24 avril 2018

Rapace sanglante.

Quand on pense Fantasy, on pense immanquablement anglo-saxonne. On ne compte plus les romans, à commencer par Le Seigneur des Anneaux ou Le Trône de Fer à avoir été composé dans la langue de Shakespeare, poète  absolu de la perfide Albion. Du Royaume-Uni aux États-Unis en passant par l’Australie, la Fantasy semble être un territoire conquis par la langue anglaise. Mais parfois, surgit face au vent un auteur francophone qui se dit qu’il peut tout aussi bien faire. La production en langue française est moindre mais elle n’en est pas moins de qualité équivalente ( c'est-à-dire que ça évolue entre le pire et le meilleur, comme partout ).


Vous l’aurez compris chers lecteurs et lectrices, je vais vous entretenir d’un roman français , La Crécerelle de Patrick Moran dont c’est le premier roman (oui, ça fait deux fois roman, ah trois maintenant. Pour la règle de non répétition , nous repasserons, vous en conviendrez) paru aux éditions Mnémos, spécialisées dans les littératures de l'imaginaire.


La Crécerelle est le nom professionnel d’une femme parcourant le monde, laissant dans son sillage un sillon de sang. Les morts se comptent par centaines. Maîtresse d’une magie assassine, la Crécerelle tue. Mais pourquoi et pour qui ? Prend-t-elle plaisir à ôter la vie de ses victimes ? Patrick Moran décide dès le début de ne pas présenter son anti-héroïne comme un clone de la méchante fée clichée mais de la doter d’une psychologie poussée et parfois paradoxale. Mine de rien, ce simple petit trait lui donne une épaisseur considérable.

Ensuite, même si le roman est relativement court, Moran crée un monde aux régions et aux cultures multiples, rappelant bien entendu celles de notre propre monde, comme un miroir déformé, permettant aux lecteurs de s’immerger relativement rapidement dans les spécificités relatives à chaque coin du monde que la Crécerelle parcourt. Plus amusant encore, Patrick Moran est un spécialiste de la geste Arthurienne et il est très stimulant de trouver ce qu’il a emprunté au mythe du roi à l’épée Excalibur pour le tordre ou le détourner.

Désireux de proposer quelque chose d’original, les systèmes de magie que l’auteur met en place sont fort différents de ce que l’on pourrait croiser dans de la fantasy classique où baguettes et bâtons de sorciers servent à lancer des sorts et des incantations basées sur des formules dans des langues inventées. Ici , la magie à un coût, celui du sang. Plus le sort est puissant, plus l’héroïne transpire son liquide vital, rendant la surenchère magique impossible car des plus dangereuses. Ensuite, si, telle la Sorcière Rouge de Marvel, celle-ci venait à tenter de réécrire l’histoire, le tissu même de la réalité en serait fragilisé. Les possibilités de la Crécerelle sont en théorie infinie mais le prix est si élevé que le personne doit constamment être sur ses gardes, évaluer les risques. Nous sommes très loin d’un Harry Potter dont les limites sont en fait sa mémoire lui servant à réciter ses sorts.

L’aventure est riche et prenante, elle ne manque ni de rythme ni de personnages creusés. On regrettera peut-être que le roman soit peu épais tant l’univers présenté ne semble traité qu’en surface alors que l’on sent que le terrain de jeu est bien plus grand que celui qui nous est présenté. Dès lors, que la Crécerelle fasse des va-et-vient entre divers endroits quand le monde semble si vaste peut frustrer. Mais ce sont des scories au final peu dommageables et qui seront à coup sûr effacées petit à petit au cours de la carrière de l’auteur qui est définitivement à suivre de près.

jeudi 12 avril 2018

Les belles à la prison dormante.

Stephen ( prononcez Steven, si si ) King nous revient , accompagné pour l’occasion par son fils ,non pas Joe Hill mais Owen King qui a gardé le patronyme de papa , lui. Alors, plus d’idées dans deux têtes que dans une ? Réponse tout de suite.

Dooling est une petite ville perdue dans les Appalaches, en Virginie Occidentale ( King quitte le Maine ce coup-ci). Bourgade typiquement américaine où tout le monde connait tout le monde. Ce qui la distingue un peu, c’est sa prison pour femmes où officie le Dr. Clint Norcross, psychiatre d’une cinquantaine d’années, mari de Lila,  la Shérif de la ville.

Deux évènements vont venir semer le trouble.
Internationalement, le monde voit toutes les femmes s’endormir dans des cocons de soie. Et gare à ceux qui tenteraient de réveiller une dormeuse : cette dernière se réveille avec la folie chevillée au corps et le meurtre sadique dans le sang.

Localement, l’arrivée de l’étrange Evie Black, enfermée, peu après son attaque mortelle sur deux petits chimistes dealers, à la prison. Evie semble en savoir plus qu’elle n’en dit sur l’épidémie Aurora. Sa présence va cristalliser bien des tensions dès lors qu’il apparait qu’elle est la seule femme au monde à pouvoir se réveiller sans encombre.

Difficile, à la lecture du pitch de ne pas penser à la série «  Y, The Last Man », qui partait sur un postulat inverse : tous les hommes du monde meurent au même moment, sauf Yorick, petit magicien qui n’a rien de spécial. Que faire alors que la moitié de l’humanité disparaît ? Une moitié indispensable à la reproduction ? Le monde devient-il fou ? D’après King et fils, oui, et cela semble pire si la moitié qui reste est masculine.

Si la première partie du roman prend son temps pour installer le décor et les personnages, elle le fait dans la plus pure tradition kingienne : la psychologie est fouillée, les points de vues de divers intervenants est exposée avec soin, du héros au salaud. Le sel se trouvant bien entendu dans les zones de gris : difficile de ne pas comprendre certaines réactions de l’antagoniste de l’histoire. Du moins, au début.
Car une fois l’échiquier mis en place et les pièces déplacées pour débuter le vrai cœur de la partie, les choses se gâtent. Le sujet était-il trop gros ? En 800 pages, sans doute. Le destin du monde, au final, se jouera en deux temps : un Fort Alamo certes prenant et réglé comme du papier à musique ET une histoire parallèle intéressante en surface mais qui ne plongera jamais vraiment dans le questionnement profond.
Et entre les climax et la mise en place d’une intrigue secondaire : du remplissage.
Du remplissage digne d’un soap opera. Pour créer de la tension artificiellement entre Lila et son mari, les auteurs collent une histoire de possible adultère donc la résolution se produit sans faste ou enjeu. Certes, les King nous ayant surtout attaché aux Norcross, cette zone d’ombre nous tient en haleine. Mais il apparaît bien vite que l’incidence de la chose sur la situation principale est proche du néant total.
Ensuite, la situation secondaire que je ne dévoilerai pas ici pour ne pas spoiler n’aborde jamais vraiment de sujets intéressants.  Les hommes du monde semble désemparés, à raisons, mais le point de vue reste très masculin/féminin. Jamais la question des transexuels n’est abordée : les femmes devenues hommes se mettent-elles à dormir ? Idem pour les hommes devenus femmes, et quid des en transition ? Il y avait là tout un pan sociologique à aborder que les King laissent de côté. Très étrange de la part de Stephen qui aime pourtant explorer les situations sous leurs divers angles.
Reste que les King arrivent à mettre le lecteur masculin mal à l’aise face à ses questionnements et possibles contradictions. Pas mal, mais pas assez pour tomber le cul par terre. Le lecteur habitué de King ne pourra sans doute pas s’empêcher de se demander dans quelle mesure le roman est de Stephen ou d’Owen. La symbolique très marquée Judéo-chrétienne est en effet très loin de celle employée par papa King dans sa riche œuvre.



La postface n’abordant absolument pas le processus d’écriture des romanciers, c’est au fan de se faire une idée sur le sujet.
Trop de facilités et top de remplissage finissent de faire de cette lecture un roman dispensable qui , s’il n’est pas sans qualités profondes, regorgent de trop de défauts structurels pour vraiment créer l’adhésion totale.