vendredi 29 avril 2016

Pas de peau !

Frank Kitchen se réveille dans une chambre miteuse. Il a le visage couvert de bandages et ne porte rien d’autre qu’une blouse d’hôpital.

Quelques mois plut tôt, après avoir exécuté un contrat,Frank se met au vert mais est vite sollicité pour un nouveau job. Trop bien payé mais toujours ravi d’empocher un beau paquet, Frank ne se méfie pas assez. Sa vie et son corps vont être bouleversés.

« Corps et âme » fait se reformer le trio de « Balles perdues », un polar hard-boiled conventionnel mais confectionné avec soi et style. Rebelote ici puisque nous retrouvons encore la figure du tueur implacable et badass ( presque le sosie de Jackie Estacado lorsqu’il apparaît dans le premier numéro de The Darkness ) et capable de se sortir de toutes les situations.  Et une histoire d’amour fort vite expédiée (ou alors c’est que je suis un lambin qui ne croit plus à la folie de l’amour , allez savoir).

Mais encore une fois, le dynamisme et le rythme font adhérer le lecteur à une histoire sommes toutes déjà vue. Sauf que…sauf que…Frank, en se réveillant dans la chambre, a une drôle de surprise : il a été opéré pour devenir une femme.

Dans cette nouvelle peau non désirée, Frank va non seulement tenter de ne pas se perdre psychologiquement et de s’adapter  mais va aussi être confronté au machisme ordinaire et si répandu. Les remarques ne manqueront pas «  ma jolie, ma mignonne… , il sera forcément vu avec condescendance par certains hommes et devra aussi échapper à une tentative de viol. Le prédateur se retrouve dans la peau de la proie.




Le thème d’un homme transformé en femme (contre son gré) n’est pas neuf mais n’est pas si répandu dans la littérature ou le cinéma : on peut bien entendu penser à La Piel que habito  de pedro Almodovar, Dans la peau d’une blonde ou le manga Ladyboy vs Yakuzas.






Si le trio derrière ce one-shot use des mêmes ficelles que la dernière fois, il faut souligner l’aspect mis sur le changement de paradigme du héros qui va devoir composer avec cette nouvelle donne dans sa nouvelle vie.

Notons que contrairement à Balles perdues, Corps et âme aura droit à sa version cinématographique avec Sigourney Weaver et Michelle Rodriguez dans le rôle de Frank. Peu de prise de risque au casting donc, peut-être aurait-il fallu aussi rappeler que des actrices transexuelles, ça existe aussi.

samedi 16 avril 2016

Balles perdues et liberté retrouvée.

Walter Hill est un scénariste et réalisateur américain. Bien que dans ce dernier registre il n'ait que peu laissé son empreinte (on se souviendra pourtant avec une certaine nostalgie de 48 heures et 48 heurs de plus, avec Nick Nolte et Eddie Murphy ), il aura surtout assuré en tant que scénariste : Guet-apens, Alien


Lors du tournage de Du plomb dans la tête, il rencontre le scénariste de la bande-dessinée éponyme dont son film est tiré. Fan de BD ( et pas uniquement de comics ), Walter Hill sympathise avec Matz, alias Alexis Nolent, et lui propose d'adapter en bande-dessinée un scénario qu'il n'a pas su monter en long-métrage. La Bande-dessinée et le cinéma partageant énormément de points communs ( ce sont des arts séquentiels l'un et l'autre après tout) , il s'agit pour Hill de voir son histoire mise en images (le cinéma est un art VISUEL , je ne le répéterai jamais assez).
Notons que Darren Aronofsky, avait déja eu recours à la bande-dessinée pour raconter The Fountain et Noé lorsque ces/ses projets risquaient de ne pas voir le jour au cinéma.

Bref, Matz adapte le scénario au format qui lui sied et les dessins sont confié à Jef ( damned, mais ce milieu ne connait-il plus les noms de famille ? ). Matz avait déjà travaillé avec David "Se7en" Fincher sur l'adaptation du Dahlia Noir en bande-dessinée ; il a rencontré FIncher alors que celui-ci tentait de financer une adaptation de la série Le Tueur de Matz. Ce mec côtoie du beau monde.

Roy Nash sort de prison. Nous sommes dans les années 30, la prohibition est installée en Amérique et Al Capone règne sur Chicago. Roy est un tueur , un des meilleurs et on l'envoie récupérer l'argent que trois braqueurs doivent au crime organisé de Chicago. Il s'agit de faire passer un message, l'argent, s'il le retrouve, est à lui. Pour le motiver à accepter, son commanditaire lui lâche une bombe : son ex, Lena, a été embarquée par l'un des braqueurs. Roy se met en chasse…




Balles perdues est un polar pur et dur. Avec ses codes et ses clichés bien ancrés. C'est donc un territoire connu qui nous est proposé ici. Point de découvertes donc mais une ballade dans des zones que l'amateur de hard boiled appréciera retrouver. Quand aux novices, voila de quoi leur donner le goût des films noirs à l'ambiance feutrée et sortie des livres d'histoire moderne mais ô combien charmante grâce à l'image d'Épinal que la culture populaire et l'imaginaire collectif nous ont laissé ( merci De Palma et ses Incorruptibles ! ).
Le rythme est soutenu, parfois un peu trop pour ne pas tiquer sur les réactions et les enchainements rapides. Cependant, le tout s'intègre dans une intrigue certes conventionnelle mais plus qu'honorable et qui donne envie jusqu'au bout de connaître le dénouement de cette histoire commencée dans le sang .
Sulfateuse, grosse cylindrée, bas-fond et femmes aussi fatales que faciles se succèdent dans un récit sans temps morts et des personnages qui sont ce qu'ils sont, point. Pas d'explorations profondes de leurs psychés, nous sommes dans l'archétype.

Les dessins de Jef sont de toutes beautés :  son trait allie les lignes dures et la souplesse des courbes.  Le rendu est fascinant pour le regard et son sens du détail est très immersif. Son découpage allie les rappels cinématographiques et la BD plus traditionnelle, jouant avec les deux approches pour créer le rythme du récit. Le revers de la médaille, c'est que si le réalisateur décide de la durée d'un plan, le temps que le lecteur concède à une case dépend du bon vouloir celui-ci. Le rythme souhaité et le rythme obtenu sont donc deux choses différentes.



Balles perdues est donc un polar navigant en terrain connu qui se déguste comme l'on savoure son repas préféré dans un resto que l'on fréquente depuis des lustres. Sans génie mais tellement agréable et satisfaisant que l'on sait d'avance que l'on reviendra prochainement !

jeudi 7 avril 2016

Imprimer la légende.

Lucky Luke, la gâchette la plus rapide de l’Ouest, l’homme qui tire plus vite que son ombre.
Créé par Morris ( l’homme qui , pour la première fois, qualifia la BD de 9éme art) en 1946 pour Dupuis, il rapatriera plus tard son héros chez les éditions Dargaud. Au fil du temps, Lucky Luke changera d’éditeur avant de terminer chez Lucky Comics, un partenariat avec les éditions Dargaud…qui est entre-temps devenue une filiale de Media Participations, qui possède également Dupuis et Le Lombard.
La Bande-dessinée est une grande famille dysfonctionnelle à la limite de la partouze incestueuse (mais tant qu'elle donne des beaux rejetons...).

Mais revenons au sujet de base.
Luke a été créé par Morris mais très vite, il confiera le scénario au célèbre René Gosciny. Ensuite, une flopée de scénaristes se chargera du scénario et un nouveau dessinateur prendra la relève après le décès de Morris. Lucky Luke est une figure phare de la bande-dessinée belge et de l’école de Marcinelle.


Il lui est rendu hommage en deux endroits à Charleroi ( ville dont Marcinelle fait partie ) : une statue de lui et de son fidèle Jolly Jumper trône en effet près du parc Reine Astrid et des fresques représentant son univers ornent les murs de la station de Métro «  Parc ».
Et voilà que débarque un nouvel hommage, sous forme de bande-dessinée cette fois-ci , scénarisée et dessinée par Mathieu Bonhomme ( aucun lien avec Laudanum et Aquarium, ne mélangez pas tout, merci ! ).




L’homme qui tua Lucky Luke. Un tel titre ne peut qu’attirer l’œil, que l’on aime ou pas les aventures du cow-boy le plus célèbre de ce côté de l’Océan Atlantique. La chose semble presque impossible, comment abattre l’homme qui tire plus vite qu’un éjaculateur précoce et capable de tirer 7 coups avec un 6 coups ? La première page de l’album scotche et la seconde revient quelques jours en arrière pour nous conter comment nous en sommes arrivés là. Le procédé est classique mais diablement efficace.



Lucky Luke arrive dans une petite ville pour y  passer la nuit. Dès son arrivée, Luke perd son tabac adoré et se frotte aux autorités locales. Le shérif est un homme-enfant dont les frères tiennent la ville. Les armes étant interdites, Luke perd vite son colt dans la foulée. Mais la légende de Luke est connue et les habitants l’engangent pour qu’il retrouvent un mystérieux indien qui aurait attaqué un convoi d’or quelques temps auparavant. Luke accepte, sous le regard mauvais de la famille du shérif.

Le scénario est autant un hommage à Lucky Luke ( les références pullulent : on y parle des Dalton, on y croise Laura Legs la danseuse de cabaret, l’addiction au tabac de Luke et pourquoi il abandonna pour mâcher un brin de paille est aussi abordée.) qu’un hommage aux westerns (le titre en lui-même ne renvoie-t-il pas à L'homme qui tua Liberty Valance ? Le titre de cet article aussi !) . Le ton est en effet plus premier degré dans cette aventure que dans les albums officiels ( du moins de ce que je me souviens : mes lectures remontent à mon adolescence et je n’étais pas un grand fan) mais garde le côté parfois naïf des albums. Un travail d’équilibriste qui aurait pu se terminer par une chute navrante sans filet de sécurité.
Il n’en est rien.
L’aventure se suit avec un plaisir certain pour ne pas dire un certain plaisir. En conviant les codes du genres , l’auteur nous plonge dans un univers familier et ne perd donc pas de temps à trop exposer le décor ( tout le monde a vu un western au moins une fois dans sa vie et Lucky Luke fait partie de l’inconscient collectif), lançant l’intrigue dès les premières pages. L’humour reste présent, bien que plus en retrait que dans une production dont l’ADN remonte au journal de Spirou ( blagues, gags, potache ) en la personne de Doc Wednesday ( pastiche de Doc Holliday, l’ami de Wyatt  Earp….oui c’est ça, Kevin Costner pour les deux au fond près du radiateur) ou encore la poisse absolue de Luke quand il s’agit de s’en rouler une petite ( un détail comique qui prendre une importance capitale pour la suite). Il ne manque que la musique d'Ennio Morricone.





Le dessin de Bonhomme ne tente jamais d’être un copier/coller de celui de Morris ( qui lui-même eu un style qui évolua avec le temps ) mais les aplats de couleurs sont pensés pour s’insérer dans la mouvance de celle de la série au 70 albums. Le trait est agréable et détaillé sans être surchargé. Si la rétine ne se décrochera pas devant les planches, il est indéniable que le style de dessin est maîtrisé et rappelle les classiques de la franco-belge.




L’homme qui tua Lucky Luke est donc un album agréable , capable d’être apprécié même par les personnes ne portant pas forcément le poor lonesome cow-boy dans leur cœur …tant que l’on n’est pas allergique à l’Ouest sauvage américain. Un hommage réussi dont on regretterait presque que Calamity Jane, les Dalton et Rantanplan ne fassent pas partie. Qui sait, nous aurons peut-être droit à un nouvel hommage dans quelques temps. S'il est de la qualité de celui-ci, je signe des deux mains !


mercredi 6 avril 2016

Night Cries.

Urban Comics est sans doute l’éditeur qui aura le plus mis en avant Batman dans son catalogue, et ce depuis leurs débuts en 2012. En 4 ans, le chevalier noir gothamite (et non pas gothamien comme on le lit trop souvent, et ce même au sein des publications Urban – à l’exception de « Des ombres dans la nuit » titre fort proche du livre dont nous parlerons aujourd'hui...originalité, bonsoir ! ) , aura été le héros le mieux loti, il suffit de voir les étagères des librairies : la chauve-souris se taille la part du lion face aux autres héros DC.

Batounet revient donc dans un récit one-shot de 96 pages, Des cris dans la nuit , un roman graphique loin des habituelles super-vilenies auxquelles le protecteur de Gotham City a souvent affaire.
James Gordon est le nouveau commissaire depuis peu. Son nouveau poste l’oblige à devoir quitter les rues et à frayer avec le gotha gothamite tout en ménageant la politique du maire. Mais Gordon est un flic dans l’âme, et son boulot se trouve sur le terrain.
Son obsession à continuer d’être utile dans les allées et les ruelles de sa ville met son mariage et sa carrière en péril. Depuis quelques temps, une nouvelle drogue a fait son apparition sur le marché et Batman enquête, remonte les pistes, cuisine les suspects. Ses recherches le mèneront sur les lieux d’un crime odieux, une famille décimée de manière sadique. Mais ce massacre n’est pas le premier du genre : un serial-killer sévit dans la rue. Et l’un des rescapés accuse formellement Batman d’être le responsable…


Archie Goddwin, le scénariste, ramène Batman vers les fondamentaux de la croisade contre le crime de Bruce Wayne : pas de Joker, d’Homme-Mystère ou de tout autre membre de la galerie de tordus bons à enfermer à Arkham ici. Non , Batman arpente des rues sombres, des ambiances glauques et des toits de taudis.
Notre chauve-souris préférée frappe les criminels qui pourrissent la ville toute l’année. Goodwin articule son récit autour des maltraitances infantiles et des répercussions psychologiques sur un individu en ayant subies (parfois de manière trop clichée : un maltraité maltraitera !  Cette vision des choses en forme de chaîne à briser ne tient pas compte d’une chose : le tout premier a avoir maltraité ne peut avoir été une victime. CQFD ).
Bruce Wayne est ici très en retrait, Batman assure le show avec des seconds rôles connus ou nouveaux. Et leurs histoires personnelles vont s’articuler autour de cette thématique, de différentes façons.




C’est réellement ce sujet fort qui porte le scénario car nous sommes dans un polar pur jus : savoureux mais pas très original. Et ne poussant pas sa logique jusqu’au bout, sans doute par manque de place.
En effet, il n’aurait pas été inintéressant de pointer du doigt que chaque fois que Batman est face à un enfant en danger, cela le touche énormément, ayant été lui-même une victime dans son enfance (le meurtre de ses parents, tout ça…) or, il est indéniable qu’en embrigadant des jeunes gens dans sa quête ( les différents Robins, les Batgirls, etc…), il exerce sur eux une forme de violence psychologique. Frank Miller, dans All-Star Batman & Robin et The Dark Knight Strikes Again dépeindra même un Batman sadique et ayant abusé de Dick Grayson (le premier Robin).




Voila, donc ça c'est le Batman de Frank Miller (avec Jim Lee aux dessins).


Ces histoires particulières ne sont pas considérées comme faisant partie de la continuité du personnage ( donc non, Batman n’est pas pédophile, n’allez pas claironner ce que je n’ai pas dit) mais force est de constater que Miller n’est pas aller sucer de son pouce de tels concepts, des bases exploitables existaient. Cela étant , le scénario de Goodwin est prenant et il est difficile de lâcher le livre avant la fin de l’histoire.



Aux dessins, c’est Scott Hampton qui s’y colle. L’artiste dessine mais surtout peint les planches du graphic novel. C’était dans les années où Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKean faisait autorité en matière de comics pour « adultes » et ce dernier ayant été réalisé grâce à des peintures et des collages…
Hampton soigne ses cases, ses compositions et joue souvent avec le lecteur : est-ce une peinture, du collage de peinture ou un effet ressemblant à du collage ? Difficile à déterminer mais chaque fois qu’un tel effet est utilisé, ce n’est jamais par envie d’esbroufe mais bien pour servir le récit. Les ombres, les rues sales, les visages marqués, les corps exposés…
Scott Hampton déverse devant nos yeux des textures pouvant mettre mal à l’aise et indéniablement marquantes. Il compense à lui seul les petites (toutes petites) faiblesses du scénario d’Archie Goodwin.
Petit bémol, l’usage de la peinture rend les cases un peu statiques, l’impression de mouvement ne vient jamais et il faudra au lecteur , pour garder le rythme, fermer les yeux sur ce petit problème ET ne pas s’attarder à détailler les planches comme on détaille des œuvres dans un musée (lisez le d’abord, contemplez ensuite !).




Des Cris dans la Nuit est un album inhabituel, une belle expérience de lecture et accessible aux novices comme aux initiés de la Batcave. Recommandé.


dimanche 3 avril 2016

Monika (gang) bang.

Dyptique entamé en Mai 2015 et terminé en Septembre de la même année, Monika signe le retour de Guillem March dans les librairies européennes. Le dessinateur espagnol avait un temps officié sur le titre "Catwoman " de DC Comics (pas la meilleure période de la belle Selina Kyle d'ailleurs). Il met ici en image un scénario de Thilde Barboni.

La série, éditée par Dupuis dans sa collection " Grand public " (d'après leur site officiel) est pourtant, sur la même page web déconseillée au moins de 16 ans. Première absurdité éditoriale qui signe en réalité une cohérence totale avec l'œuvre en elle-même. Ça en est presque métaphysique tout en étant surréaliste à la belge ( Dupuis étant encore basé en partie à Marcinelle, c'est raccord).

L'éditeur vend cette série comme, et je cite, " un suspense érotique, une histoire de femme sensuelle qui cherche dans ses propres reflets à saisir le monde qui l'entoure. Ils ont composé un splendide thriller en deux parties, évoquant "Cinquante nuances de Grey", "Eyes Wide Shut" ou "Ghost in the Shell". "
Quand ça balance des phrases pompeuses à la limite de la psychanalyse de bazar et les références à gogo, ça sent généralement l'œuvre inclassable ou la connerie de l'année. C'est dans la seconde catégorie qu'il faudra ranger Monika.

Monika est une artiste peintre, photographe, vidéaste ( biflez la mention inutile,oui j'ai osé. C'est simple, j'ose tout ce qui sied à un homme, qui n'ose pas...mais vous avez lu "Macbeth", vous connaissez la suite ) qui prépare un happening créatif prévu prochainement.
Son meilleur ami, Théo, revient en catastrophe du Japon où il a dérobé de la technologie de pointe ( que l'on devine vite être un androïde en pièce détachée – c'est le fameux côté Ghost in the Shell, série qu'ils n'ont sans doute pas lue chez Dupuis ) et a besoin de se planquer. Monika a une sœur, Erika, qui a disparu. Heureusement, Théo arrive à pirater son portable et cela met Monika sur la piste de Christian Epson, homme politique du moment ( ça c'est le côté 50 nuances d'engrais – le prénom et les goûts inusuels en matières de cul ) qui fréquente des bals masqués ho hé ho hé où les filles dévêtues tout en latex et body paintings excitants font tourner les têtes ( de nœud ) des hommes ( et ça, ça doit être le côté Eyes Wide Shut : la subtilité et l'érotisme en moins).

On va commencer par le positif : les dessins de Guillem March. Si son trait est reconnaissable pour celui qui l'a découvert sur Catwoman , il faut lui concéder qu'il a abandonné ce côté un peu putassier et opulent au-delà du raisonnable qui suintait des pages consacrées à la plus belle féline de Gotham City.
March se met lui-même en couleur sur cette série et les tons qu'il emploie , des couleurs chaudes qui rappellent autant l'aquarelle que le pastel délicatement utilisé, flattent la rétine.
Les planches sont délicatement découpées et pensées. Les détails sont aussi fort nombreux, ce qui rend la composition des dessins très immersive pour le lecteur.
Si l'espagnol n'arrive pas encore à insuffler le supplément d'âme nécessaire pour différencier ses dessins de nus d'un étalage de chairs vain et gratuit, il est indéniable qu'il s'est amélioré. S'il continue sur cette lancée, peut-être arrivera-t-il à se hisser au niveau de l'italien Milo Manara.
En l'état, donnez la même scène à dessiner aux deux artistes et March vous livrera un porno chic et Manara un tableau pornographique : l'un est agréable à l'œil, l'autre vous fascine et vous excite délicatement.



Niveau scénario…putain quel foutoir.
Entre une fille paumée qui se fait passer pour forte et sûre d'elle en n'oubliant aucun cliché, les intrigues de politique/terrorisme à deux balles dont on peine à prendre au sérieux et à comprendre l'antagonisme ( pourquoi ce groupe ne s'en prend qu'au parti politique de Epson ? À part pour lui donner une aura de victime aux yeux de Monika, je ne vois pas) et l'intrigue cybernétique bien pratique scénaristiquement ( quand on a un robot plus tétu qu'un Terminator voulant vous protéger et capable de pirater le web entier, on obtient vite les infos qu'on veut. Infos qui viennent confirmer, dans le tome 2, ce que le lecteur avait compris en 10 minutes dans le tome 1. Alors que la gourdasse d'héroïne ne capte décidément rien), c'est le bordel, le boxon innommable , la bazar co(s)mique.



C'est lourd et ça phagocyte les personnages au point qu'aucune caractérisation psychologique ne va dépasser le stade de la note vague d'une fiche de personnage. De la part d'une scénariste qui a été psychologue clinicienne, c'est assez paradoxal.
Difficile aussi de dire si Monika tombe trop vite amoureuse de Christian ou si elle est si perturbée qu'elle cherche absolument un sens à la copulation humaine ( elle se comporte comme une ado de 16 ans après l'avoir vu quoi, 4 heures ? Et lui c'est pas mieux hein !  ). Seule l'histoire d'amour entre Erika, la sœur de Monika, et son amante semble moins artificielle, sans doute parce qu'elle est moins mise en avant.
Quant aux prétextes pour faire dessiner des filles en tenues légères, si l'argument fonctionne dans le premier tome, l'angle choisi pour le second et la façon dont c'est amené est si simple et bête qu'il en est risible.

Ni bandant, ni intellectuellement stimulant pour un sou ( Marc Lévy sous tranxène écrirait un meilleur thriller ), Monika ne vaut que pour les dessins de Guillem March, la série étant peut-être ses premiers pas vers la grandeur. Mais la route n'est pas finie.

Dupuis précise sur son site que la série est "en cours". Prions qu'il n'en soit rien et que les frais s'arrêtent ici.



samedi 2 avril 2016

La classe britannique.

La BBC , chaine nationale de télévision de la perfide Albion, réputée pour ses émissions animalières aux images à faire pâlir le National Geographic et ses séries télés de qualité , nous revient avec l’adaptation du roman d’espionnage de John Lecarré : The Night Manager.
Publié en 1993, le roman a bien entendu été adapté à notre époque pour une aventure sous tension de plus ou moins 6 heures.

2011, Le Caire. Le printemps arabe est sur le point d’éclater. Jonathan Pine, ancien militaire , est le directeur de nuit d’un hôtel de luxe dont les clients veulent avant tout se sentir en sécurité en ces temps troublés. Discret et distingué, Jonathan est approché par Sophie, charmante jeune dame proche de Freddie Hamid, membre de la plus puissante famille de la ville.
Freddie entretient des liens avec un marchand d’arme, Richard Roper, et Sophie a dérobé des documents incriminants.
Désireuses de partir, elle remet une copie à Jonathan pour qu’il les rende publiques s’il devait lui arriver quelque chose. Poussé par la curiosité, Pine consulte les documents et les remets à un ami à l’ambassade. Cela déclenche une série événements qui mèneront à la mort de Sophie avec qui Pine a entamé une liaison.
4 ans plus tard, Jonathan travaille désormais en Suisse, toujours à son aise dans le monde hôtelier. Une nuit, sa route recroise celle de Roper. L’occasion de se venger  et de le faire tomber ne se représenteront peut-être plus et Jonathan prend contact avec Angela Burr, directrice d’une petite agence de renseignement avec moins de moyens que le MI-6 mais résolument moins pourrie. L’infiltration du monde de Roper est lancée, sans retour possible…


Il y a diverses façons d’aborder l’espionnage au cinéma, dans la littérature, à la télévision…Vous pouvez opter pour l’option «  agent de terrain rompu à l’action » et cela donnera James Bond, Mission : Impossible, Alias. Ou l’option plus posée, reposant non pas sur les balles de revolver bien placées mais plus sur les relations humaines et la fatale erreur qui pourrait en découler, comme l’excellent Spy Game de Tony Scott.
Erreur pouvant provenir autant du gibier que du prédateur en position de faiblesse avant d’abattre ses cartes. Tout le sel est là : le côté humain de la chose.
C’est cette option qui est prédominante ici : point de gadgets fantastiques, peu de femmes fatales destinées à être dégustées par le héros et les fusillades ne sont pas l’articulation principale du rythme du récit.



Tom Hiddleston, révélé au grand public par le rôle de Loki dans les films Marvel, incarne Jonathan Pine et lui prête une foule d’émotions et de détails faciaux. Ses mimiques, ses regards, ses gestes portent le personnage qu’il est et qu’il est supposé être. Un caméléon dont le camouflage risque à chaque instant de sauter. Aidé par une réalisation très télévisuelle mais très efficace, ses tensions deviennent nos tensions. Si monsieur prenait un peu de muscles autour des bras, il pourrait devenir sans problèmes le nouvel agent 007 au cinéma (oui, même devant Michael Fassbender pourtant parfait pour reprendre le célèbre permis de tuer et le Walter PKK qui va avec).

Richard Roper, salopard charmeur mais au cynisme exécrable est joué par Hugh Laurie. Le célèbre Docteur House trouve ici un rôle où le bon fond et l’humour de House sont complètement absents. Son regard froid et ses manières de gentleman ( souvent mais pas toujours, le personnage est un salopard après tout ) contraste avec l’image que les spectateurs ont l’habitude de recevoir de la part de l’acteur. Excellent choix de casting qui fait que chaque effet dramatique se voit multiplier grâce à la rupture entre le personnage et celui de House tapi dans l’inconscient collectif des sérievores !

On pourrait passer des heures à détailler le casting, impeccable au demeurant, de la série : du petit Tom Hollander à la géante ( 1m88 de charme) Elizabeth Debicki (ici plus à son aise que dans le rôle fade qu’ « Agents très spéciaux » lui avait réservé) ou encore Olivia Colman, tout droit sortie de Broadchurch, autre série à avoir misé sur l’atmosphère et les personnages s’y mouvant.



L’intrigue est bien menée et , malgré quelques petites ficelles inhérente au genre, captive et ne nous lâche plus avant la toute fin.Intelligente, elle oblige le spectateur à être attentif sans jamais le perdre par excès de zèle ou pour passer pour plus maligne que lui.
Qui dit espionnage dira toujours visites exotiques autour du monde et The Night Manager ne fait pas exception : des rues agitées du Caire à la campagne anglaise plus ou moins paisible en passant par le désert Syrien ou la nuit Stambouliote, ça bouge.



Prenant le temps de poser ses protagonistes et son intrigue sans jamais envisager de ronfler, The Night Manager est une série de qualité au charme certain qu’une réalisation un peu trop plan-plan et factuelle vient l’empêcher d’atteindre des sommets. Mais peu importe si l’emballage est juste correct tant que l’intérieur est en or.