mercredi 15 août 2018

L'alchimiste full metal.

C’est une ville immense,que se disputent deux factions rivales : les alchimistes et les mécaniciens.
C’est une ville jaillie de la terre par la seule volonté des gargouilles, êtres de pierre, peuple qui s’amoindrit peu à peu.
C’est une ville au bord du chaos où vit Mattie, automate affranchie par son maître mécanicien, Loharri.
Cette dernière est devenue alchimiste et les gargouilles l’ont choisie pour les aider : la pétrification emporte chaque nuit un peu plus l’une des leurs et leur inexorable disparition leur fait peur.

Croisement entre fantasy style renaissance et steampunk , L’Alchimie de la pierre est un roman court et précieux qui explore la psyché humaine par le biais de la compréhension et du regard d’une androïde libérée de son maître et pourtant encore totalement assujettie à ce dernier, les chaînes qui relient les êtres sont complexes et certaines portent chez elle le sceau infamant de la programmation installée par son créateur.
La quête d’émancipation totale de Mattie est une métaphore de la lutte féministe sans tomber dans la caricature.


L’auteure, Ekatarina Sedia ,  a écrit plusieurs nouvelles et romans mais celui-ci est le premier à être traduit en langue française. Espérons qu’il ne restera pas orphelin car Sedia possède un style fluide, doux et agréable à lire. Une sorte d’hermine pour les yeux qui ne l’empêche aucunement de décrire certaines horreurs et blessures que la vie et la société aiment faire subir si souvent aux opprimés et rarement aux puissants qui ne tombent que pour reprendre le pouvoir d’une façon ou d’une autre.

Au fil des aventures et des rencontres de Mattie, Sedia déplie une fable sur la lutte des classes , les manipulations des foules , les certitudes idéologiques des factions en place ( hors, comme le disait Nietzsche : Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges ) , le combat du progrès industriel contre les défenseurs du naturel.

Riche en thèmes, le roman en effleure certains et en visite d’autres plus profondément.
Il s’agit surtout ici de narrer les ressentis de Mattie l’automate plus que de dresser le portrait d’une allégorie d’un modèle politique au final très Européen ( la ville semble suivre le schéma de la monarchie constitutionnelle et non celle d’une république, cet aspect, très européen, doit sembler d’un exotisme étrange aux lecteurs américains ) qui porte néanmoins une bonne partie du décorum sur ses épaules.
Un décorum agité par la gestion des Mécaniciens sur la ville, faction rappelant une droite fourre-tout, aussi libérale , inhumaine et extrême que réaliste. Le paradoxe le plus évident est que Mattie, machine faite de rouages et de boulons soit devenue alchimiste dont l’art dépend de ce qui pousse, de ce qui vit et ce qui meurt.

Cependant, Ekaterina Sebia se garde bien de décrire les luttes de pouvoir entre factions de manière manichéenne et les alchimistes ne sont pas présentés comme des chevaliers blancs face aux dragons du progrès mécanique.
Chaque personnage possède une caractérisation psychologique si pas fine, au moins suffisamment travaillée pour que les zones d’ombres et de lumières soient mises en avant, au lecteur de trancher qui est bon, mauvais ou tout simplement…humain, avec les tares et les dons que cela entend.

Personnage aux multiples facettes et dont la volonté de pleinement vivre pour elle anime les actions, Mattie ne peut que toucher le cœur du lecteur qui se voit, grâce au style de l’auteure et la beauté de son personnage, pris par la main pour traverser une ville et un système en plein chambardement.
Une œuvre douce et dure dans des contrées que l’on souhaiterait explorer plus avant.