vendredi 29 juin 2018

Pris pour le roi des Kong.


ARTICLE INITIALEMENT PARU LE 15/03/2017

Le cinéma est un langage ( je crois me répéter là, je vous ai déjà bien emmerdé avec ça avant, non ?).
Et le langage sert à raconter des choses.
Des choses anciennes et des choses nouvelles.
Si la littérature antique, classique, moderne a accouché de mythes et les a recyclés, le cinéma a également créé les siens.
King Kong est de ceux-là. Comme tout bon mythe, il est porteur de sens, il a des couches à explorer. Depuis quelques temps (et ça aussi j’en avais déjà parlé ici auparavant ), j’en viens de plus en plus à considérer l’analyse filmique comme des fouilles archéologiques. Il faut explorer les strates ! Creuser, découvrir, déduire !

Alors que Kong Skull Island vient de sortir sur nos écrans, un rapide coup d’œil sur le Roi me paraît utile avant d’évoquer son retour !
Non, je ne parle pas d’Aragorn !

King Kong apparaît pour la première fois dans le film portant son nom et sorti en 1933 réalisé par Cooper &Shoedsack ( ils tournaient en même temps le film Les Chasses du comte Zaroff, avec la même équipe : un film le jour, l’autre la nuit…dans les mêmes décors !).
Tout le monde connaît l’histoire de ce grand singe sur une île perdue de l’Océan Indien où une tribu lui sacrifie des jeunes filles.
La dernière en date se trouve être Ann, jeune femme faisant partie de l’expédition de Carl Denham. Si vous connaissez l’histoire, c’est parce qu’elle fait partie désormais de la culture populaire. Elle est d’une nature tellement mythique qu’elle hante désormais l’inconscient collectif même si vous ne l’avez jamais vu. Un peu comme l’histoire de Superman : tout le monde la connaît même sans avoir jamais lu un comic book ou regardé un film sur le sujet.
C’est la magnifique Fay Wray qui prête ses traits à Ann. Et Naomi Watts dans le fastueux remake de Peter Jackson. Jessica Lange, quant à elle, incarne Dwan dans le remake boiteux de John Guillermin (1976) qui situe l’île dans le Pacifique cette fois-ci. Toujours, la bête s’éprend de la belle…blonde. Détail important, si si. Sinon on pige pas pourquoi Kong est sympa avec le personnage de Brie Larson dans le film qui va nous occuper. Ah ça débute bien s'il faut penser aux autres films pour piger ce qui se passe dans celui-ci supposé être indépendant.







Deux blagues qui ne fonctionneraient pas si le gros singe n'était pas entré dans l'imaginaire collectif. En plus ,Cake Kong possède aussi le cri de Godzilla. Tout se tient.

Kong, chez Cooper (et également chez Jackson) est un être métaphorique, complexe. Plus que les personnages humains qui l’entourent alors qu’il n’est qu’une marionnette artificielle. Il illustre à la fois le monstre de la grande dépression qui frappe l’humanité, il est également cette part animale de l’humain qui représente son instinct de survie. Il est le héros et l’antagoniste, le bourreau et la victime. Il nous dit des choses sur notre monde (métaphore) et sur nous-mêmes (projection). Peter Jackson donnera plus de personnalités à ses personnages mais la lecture de Kong restera peu ou prou identique puisqu’il a choisi de situer son film dans les années 30.






Bond dans le temps :2014.
Gareth Edwards livre son hommage à Spielberg et à Jurassic Park en particulier avec Godzilla. À la même époque, deux choses se jouent.
Premièrement, Marvel a prouvé qu’un univers partagé par plusieurs personnages différents au cinéma, c’est viable. Et ça rapporte un max de blé. Chaque studio veut son univers partagé ! Universal planche sur un monde où Dracula, la Momie et Frankenstein pourront se croiser sans réitérer le fiasco Van Helsing. Warner possède DC comics et commence à se dire que Man of Steel pourrait servir de pierre angulaire à un monde peuplé de super-héros : ça donnera Batman v Superman mais aussi malheureusement Suicide Squad.
Deuxièmement, le projet Skull Island, dans les tuyaux depuis un moment ( il attendait que le scénario soit peaufiné et que Tom Hiddleston soit un peu plus disponible ) est soudain mis en stand-by. Car la Warner a les yeux plus gros que le ventre. Elle veut DEUX univers partagé : un pour ses héros , l’autre pour ses monstres. Si Pacific Rim se permettait de faire combattre des ersatz de Gundam et des Kaïjus (monstres à la Godzilla, pour faire simple) et fonctionnait, pourquoi Godzilla, emblématique, contre King Kong, mythique, ne prendrait pas ? Les Japonais l’ont fait en plus !



Skull Island est repensé. Le roi Kong fait au mieux 12 mètres debout. Godzilla, dans sa version la plus petite côtoie les 60 mètres. Le dernier en date fait presque 120 mètres. Il est décidé de faire de Kong un singe de 110 mètres de haut. Tout le film et sa mise en scène doivent donc être repensés. Des détails du scénario aussi (comme l’inclusion de l’agence Monarch aperçue dans Godzilla en 2014).

Et donc, que nous raconte donc Kong Skull Island , nouveau titre auquel on a ajouté Kong au cas où le public serait inculte ? Et bien grosso modo, ça garde la structure d’un King Kong sans la partie urbaine. Alors que chaque version précédente avait joué sur l’opposition jungle verte et jungle de béton jusque là…
Nous sommes en 1973. Bill Randa (le toujours excellent John Goodman ) réussit à convaincre un sénateur de le laisser partir à la découverte d’une île récemment découverte par satellite. Randa demande aussi l’appui de troupes militaires. La guerre du Vietnam vient de se terminer et l’escouade du colonel Packard est prête pour cette dernière mission avant de rentrer au pays. Randa engage le britannique James Conrad (Tom Hiddleston) , un traqueur habitué au territoire de la jungle. Mason Weaver (Brie Larson), photo-journaliste arrive quant à elle à obtenir l’autorisation de couvrir la mission. Arrivés sur l’île, les hélicos se font attaquer par un singe géant. Les survivants sont éparpillés dans la jungle et commencent leurs marches pour se retrouver avant de se rendre au point d’extraction prévu. En chemin, le groupe mené par Conrad fait la rencontre d’un aviateur américain abattu durant la seconde guerre mondiale : Hank Marlow. Un homme dont les connaissances du terrain seront fortes utiles.

Derrière tout ça, 4 scénaristes ( rarement un bon signe ) et un réalisateur, Jordan Vogt-Roberts, dont c’est le premier film Hollywoodien après un petit film indépendant ( ça, ça passe ou ça casse ).

Les intentions de l’équipe semblaient bonnes. Revenir à un Kong originel : sur deux pattes comme dans le premier et le remake de Guillermin , casser le schéma tournant autour du kidnapping de la belle par la bête et changer du tout au tout le comportement des indigènes de l’île. Bref sortir des sentiers battus autour de Kong ( quand bien même certains sentiers sont magnifiques, comme ceux dessinés par Peter Jackson dans sa version de 2005 ). Hélas, quand on joue avec les mythes et les symboles, il faut savoir les manier. Ou tout du moins savoir manier une caméra quand on fait du cinéma. Vogt-Roberts échoue sur ces tableaux. Kong n’est jamais rien d’autre que ce qu’il est c'est à dire un singe géant dont l’âme émane un peu car le travail d’écriture autour des personnages humains est réduit à moins que le minimum syndical : ils sont leurs fonctions. (et parce que ILM fait un boulot monstre-oui j’ai osé- et que la « vallée mystérieuse » est de plus en loin dans l’œil en image de synthèse).
Point barre. À peine peut-on coller une allégorie écolo sur ce grand primate. Mais elle est tellement boiteuse que son propos en devient le degré zéro de la moralisation et jamais une prise de conscience.


On ne risque pas de le confondre avec celui de Jackson, c'est déja ça.

La guerre du Vietnam, certains plans et surtout l’affiche IMAX convoquent le spectre fumant d’Apocalypse Now. Et qui convoque Apocalypse Now convoque également le roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Logique, puisqu’Apocalypse Now se veut une version moderne du roman.
En remontant le fleuve, en s’enfonçant dans la jungle humide, ce n’est pas qu’une aventure que le héros ( Willard chez Coppola, Marlow chez Conrad) va vivre, mais une plongée de plus en plus profonde dans la psyché humaine et les sombres alcôves qu’elle abrite en nos esprits. Avec une subtilité digne d’un troupeau d’éléphant dans un magasin de porcelaine, le film nous offre un héros nommé Conrad et un autre Marlow. Pire qu’un clin d’œil , un gros fuck en forme de fluo rose bonbon bien pétant. Le réalisateur , qui semble en interview connaître son sujet, se fourvoie, se vautre complètement en restant à la surface de toutes ses/ces références. Tel un enfant devant de la glaise, Vogt-Roberts n’a ni la maîtrise ni le talent pour faire de la poterie.

 Comparez avec l'affiche qui ouvre cet article.


Heureusement que certains arrivent quand même à bosser.
Larry Fong, directeur de la photo, donne de la texture à l’ensemble. Les couleurs ressortent quand il le faut et certains plans enfumés sont tout bonnement beaux.
Le montage de Richard Pearson ( The Accountant)  donne un rythme à l’ensemble qui permet de ne jamais s’ennuyer. Sans pour autant vraiment ressentir quoi que ce soit. Ni mollasson, ni spectaculaire, le film proposé mise avant tout sur le gigantisme de ses monstres plus que sur une idée ou une proposition de mise en scène. Mal écrits, on ne s’attache pas vraiment aux personnages. Le scénario les rend sacrifiables car sans personnalité. Alors que leur en fournir une aurait rendu la mort de certains personnages mémorable ou du moins frappantes ( James Cameron l’avait parfaitement compris dans son Aliens, lui aussi emplit de réminiscences du Vietnam). Ici, la mort est soit anecdotique soit franchement ridicule. Le ridicule fait rire le public alors faisons le rire avec la mort. L’humour Marvel Studio de bas-étage fait désormais école et autorité. Triste constat.




Puisque que l’on parle de Marvel, notons que Tom Hiddleston et Brie Larson sont respectivement Loki et la future Captain Marvel ( le film arrive bientôt).
Hiddleston est le prototype du mâle alpha chevalier blanc. S’il aborde ce rôle avec sérieux (et démontre lors de sa scène d’intro que Putain de merde il ferait un sacré bon James Bond ), son personnage mord sur le territoire de Larson : reporter de guerre , elle est censée en imposer. Mais elle se fait soit protéger par Conrad soit fermer sa gueule par Packard sans jamais oser la ramener. Les seules séquences où ses actes collent avec le personnage que l’on nous a vendu au début du film, c’est quand les mecs et les gros bras sont absents. Quant on veut mettre un propos féministe, on le met en entier (n’est pas Gareth Edwards qui veut). Le machisme et le sexisme de l’époque sont bien rendus, l’opposition féministe s’efface face à eux. Pas jojo comme message. Qu’est-ce que Brie Larson fait dans cette galère, ça me dépasse.
Goodman est égal à lui-même : énorme. Sa présence physique et son aura de talent sauve le rôle mais de peu.




Les deux seuls rôles avec de la texture sont attribués à John C. Reilly dans le rôle de Marlow, un pilote qui a passé presque 30 ans sur l’île. Rendu à moitié barge, le personnage bénéficie des meilleurs dialogues . Quand à Jackson, on lui colle le grade de colonel ( comme Kurtz dans Apocalypse Now : il a la même coupe de cheveux que Brando d'ailleurs), et un tempérament à la Achab , le capitaine de Moby Dick. Mais sa baleine blanche est un singe géant et brun. Frustré de ne pas avoir fumé le Viêt-Cong, Packard veut se faire Kong tout court.
Mais la nature rigide et clichée du militaire borné de son personnage amène avec des gros sabots le propos antimilitariste du film. Tout ce que le film dénonce, il le fait sans aucune subtilité, sans nuance et avec une morale bien-pensante qui confine à la connerie absolue tant son opposition manichéenne se fait au premier degré. Tout le temps. Même en 3D, le film n’a aucun relief.





Il en ressort cependant quelque chose de positif. En sortant de la salle, j’ai eu envie de revoir Jurassic Park, Le Monde Perdu et le King Kong de Peter Jackson. Des films avec un propos et un réalisateur compétent aux commandes.

Dans la jungle, terrible jungle...♫♪♫

mardi 5 juin 2018

Jason in the Sky

Frank Cho est un dessinateur apprécié dans le milieu des comics. Malheureusement, l’homme est
assez lent sur sa table à dessin et reste , si pas rare, souvent  absent des étals.
Alternant entre un passage chez Marvel (pour remplir aisément le compte en banque ) et des projets indépendants ( qui se vendront moins et ce malgré la renommée de l’homme ) , Cho nous revient en VF, chez Delcourt, avec Skybourne, délire fantasy moderne.

Le 4éme de couverture nous apprend qu’après avoir été relevé des morts par Jésus, Lazare a eu 3 enfants : l’invisible Abraham ( on ne le voit pas dans ce tome et son existence n’est évoquée que dans le résumé ), le dépressif Thomas et l’amazing Grace ( how sweet she sounds).
Dotés de dons surnaturels.
Et qu’ils vivent encore de nos jours, chassant et pourchassant les monstres démoniaques et les artefacts dangereux, sous le couvert des deux organisations les plus humanistes du monde : L’armée et le Vatican.
Sachez que tout cela n’est pas nécessairement tiré par les cheveux : des tas de Lazare peuplent les annuaires téléphoniques, et les appeler à 3h du matin pour leur dire «  Allo Lazare ? Lève-toi et marche » reste répréhensible devant la loi.




Après l’échec cuisant d’une mission de Grace, Thomas est sorti de la retraite qu’il s’est imposé presque 30 ans plus tôt. Mais tout aussi immortel et brillant soit-il, 30 ans sans entraînement, ça laisse des traces. Des traces qu’il devra vite faire disparaître s’il ne veut pas voir le monde anéanti par Merlin en personne.



Côté dessin, les connaisseurs de Cho savent à quoi s’attendre : des hommes musclés, des armes stylisées, des femmes en formes. Il colle à un schéma reconnaissable. Malheureusement, ce schéma est aussi celui des décors assez peu remplis et de textures lisses. Cela flatte la rétine mais sans jamais lui décrocher l’iris.







Niveau scénario, c’est à peu près la même chose. Les lecteurs se souvenant de son passage sur Savage Wolverine l’avaient remarqué, les concepts et les idées cool ne sont là que pour permettre à Cho de dessiner ses personnages dans des scènes d’action léchées. Tout est un peu prétexte à mettre en image de quoi flatter dans le sens du poil le lecteur sans lui demander d’allumer son cerveau.

Ainsi, tout le rapport à l’immortalité est à peine évoqué à travers une sévère dépression de Thomas (et clichée au possible ) et tous les aspects mythologiques païens et chrétiens (voire lovecraftiens ) semblent avoir été sortis de la naphtaline pour en mettre plein les mirettes. Et de ce côté-là, oui, ça foisonne. Cho convoque un bestiaire connu mais dense : il est bloqué par sa narration rythmée qui l’empêcherait de proposer et de présenter des créatures plus obscures venues de bestiaires moins utilisés devant le grand public.

Et c’est là que ça devient intéressant à analyser. Car à trop travailler l’attitude cool et fun, on en vient parfois à vendre un discours assez limite.
Car, que voit-on dans les images ?
On voit des avatars messianiques issus d’une idée de prolongement d’une aventure biblique combattre des concepts païens. Merlin, présenté comme un antagoniste dans un contexte chrétien n’est pas bête : au Moyen-Âge, la figure de ce mage pose problème à l’Église et il survit dans le folklore mais plus tellement dans les textes de la matière de Bretagne. L’homme est le fils d’un démon, alors vous pensez-bien, ils n’allaient pas le garder. En faire un radicalisé cliché accro à la fin du monde et de l’humanité aide le lecteur à ne pas trop se poser de questions et à éprouver de l’empathie pour la quête des héros mais au-delà du vilain Merlin, le QG de l’organisation regorge de « monstres » en cage, des monstres venus de mythologies concurrentes au christianisme.





Et l’apparition semi-lovecraftienne de rigueur dans ce genre d’exercice de fan service place le récit dans une mouvance de Dieu contre Dieu, une religion saine face à toutes les autres, forcément dévoyées, pourries et menant à l’anéantissement du monde. Difficile de dire si Cho se place vraiment dans un prosélytisme plein d’entrain ou s’il n’a pas vu plus loin que le bout de son nez dans son envie de trouver un concept et de tout défoncer mais un constat reste toujours sans appel : un média visuel fait passer ses messages par l’image. Et l’image est ici à questionner.

En dehors de cela, Skybourne ( dont on ignore s’il y aura une suite alors que certaines portes restent ouvertes ) est aussi bourrins qu’érudits, aussi jouissif que questionnant, aussi  léger que lourd et aussi oubliable qu’obligatoire.

Un grand numéro de What the fuck qui assurera au moins 30 minutes loin de tout.
Ou pas.
(in)dispensable.