vendredi 28 mars 2014

Le père Noé est une ordure.

Darren Aronofsky nous avait déjà fait le coup avec The Fountain : écrire un scénario, se voir dans
l'impossibilité de le porter à l'écran, en faire une bande-dessinée…et le temps que celle-ci soit finie, avoir monté financièrement le projet et sortir le film à peu près au moment où la bande-dessinée approche de la fin de sa publication.
Voici donc venir Noé, d'après le récit de la Genèse. (insérez ici une musique dramatique ! Oui, ce blog tente le transmédia, faut vivre avec son temps ma petite dame)

En des temps antédiluviens (mais Dieu sait que ça n'allait pas durer), vivait Noé, un homme de bien, musclé comme un Gladiator de Ridley Scott et sachant se battre pour défendre sa famille. Noé vit dans un monde aride en proie à la sécheresse et la désolation. Mais Noé a des visions, il voit la pluie revenir sur Terre, il voit le monde englouti sous les eaux…
Aaaaah, les dix commandements, le sermon sur la Montagne, tout ça…est arrivé bien après le déluge, épisode qui nous intéresse aujourd'hui !

Le déluge. La première trace écrite de cet événement ( probablement très localisé  géographiquement et décrit avec moult licences poétique au fil du temps jusqu'à l'arrivé du mythe de l'arche de Noé qui a rendu mondial l’événement et ce bien avant la coupe du monde) se trouve dans l'une des premières versions de l'épopée sumérienne  de Gilgamesh ( 2700 ans avant notre ère.Le texte ne voit pas le héros en être témoin, c'est déjà, pour lui, une catastrophe vieille de plusieurs siècles).
On en retrouve des traces dans la Genèse (sans doute écrite 600 ans avant notre ère et dans le Coran 700 ans après J.C : c'est d'ailleurs la description coranique de l'arche qui a marqué l'imaginaire collectif qui en faisait clairement un bateau.





Cette histoire, connue ,archi-connue même, est d'une simplicité évidente. Aronofsky va rajouter des couches thématiques et visuelles grâces au talent de son dessinateur Niko Henrichon ( Pride of Bagdad) . Tout comme Avatar ou le plus récent Gravity, eux aussi souvent taxé de simplisme alors que seule une couche l'est : la trame. Ce sont les autres couches, qui en font le sel.

Commençons si vous le voulez bien par les apports graphiques. Henrichon (en concertation avec Aronofsky), décrit une Terre désolée et presque post-apocalyptique. Noé et Mad Max, presque même combat.
Le look de l'arche est loin du simple bateau hérité du Coran, c'est un  monstre, immense, en plusieurs niveaux et dont certaines zones sont parfois vides. Une fois sous les eaux, bien entendu la "folie" graphique s'estompe. La ville de Bab-Ilim, rappelle la Babylone qui sera construite plus tard (l'histoire est un éternel recommencement). La ville est dirigée par Akkad, roi violent et belliqueux qui refuse les leçons de morale de Noé. Akkad, excédé décide de détruire le campement de Noé. Privé de foyer, il emmène sa famille vers le mont Ararat où vit son grand-père Mathusalem.




La grotte de Mathusalem est intéressante : ses parois sont recouvertes d'inscriptions kabbalistiques et ésotériques diverses ( cela renforce l'aspect post-apocalyptique : nous ne sommes pas juste en face d'un aspect judaïque mais pluri religieux…comme dans The Fountain), les tatouages du patriarche rappellent aussi beaucoup ceux de Tom, l'astronaute du future de The Fountain qui lui aussi a eu une longue vie.
Une autre thématique visuelle commune est la forme de la graine qui donne naissance au second arbre de la vie dans The Foutain ; la graine qui fera pousser le bois nécessaire à la construction de l'arche possède le même aspect. La bande-annonce du film,  annonce un aspect visuelle fort différent et bien moins recherché ( qui a dit "Aronofosky quoi" ? ).



Et lors d'une scène, le texte " Au commencement (bla bla jusqu'au 7me jour)" s'accompagne d'images de la création de l'univers, de la terre, de l’apparition de la vie et de l'évolution selon Darwin. Vertige garanti.

Au niveau des thématiques greffées (et qu'on adhère ou pas au propos de ces thématiques, la greffe prend sans rejet) on retrouve une sorte de morale bobo-baba cool- écolo-végétarienne un peu lourde par moments (végétariens gentils, omnivores méchants). Cette évidente preuve de manichéisme reflétant sans doute les convictions morales de Darren Aronofsky ( il a interdit la viande et le fromage aux soirées post-avant-première du film d'ailleurs) est contrebalancée par le caractère jusqu'au-boutiste voire intégriste de Noé, capable de sacrifier des humains parce que "telle est la volonté de Dieu" !




On regrettera certaines ellipses ou raccourcis narratifs (alors que certaines séquences étaient un peu trop longues). Les intégristes anti-religions vomiront cette bande-dessinée. Pour ma part, je suis athée et je l'ai prise (tout comme je prends tous les aspects de la Bible contredits par l'histoire, la géologie, l'archéologie et la science ) pour un épisode d'une mythologie donnée ( si j'accepte de lire des romans ou des comics dans lesquels Zeus ou Odin interviennent, pourquoi n'accepterais-je par l'implication de ce Dieu en particulier ? ) et jamais le sentiment de lire une pub vantant la conversion ne m'a effleuré.

Noé offre un agréable moment de lecture, fourni plus de pistes de réflexions qu'on ne pourrait le croire et n'est jamais emmerdant. Alors certes, elle ne marquera pas l'histoire de la bande-dessinée (comme des milliers de pourtant bonnes lectures) mais mérite qu'on s'y attarde le temps de la lire.

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