Nous sommes par contre toujours sans nouvelles de l’adaptation de Robopocalypse qu’il devait réaliser avec Chris Hemsworth et Anne Hathaway dans les rôles principaux (et qui aurait dû être le miroir négatif de son A.I , comme La Guerre des Mondes aura été celui de son E.T ; et dans une moindre mesure de Rencontres du 3éme type).
Spielberg est un habitué des périodes intenses où il tourne beaucoup avant de prendre des vacances ( avant Lincoln, il avait enchaîné Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, Les aventures de Tintin et Cheval de Guerre).
1957, la guerre froide est un jeu d’espions : l’information est la seule arme sur le terrain. Rudolf Abel, un espion soviétique, est arrêté par le FBI dans sa chambre d’hôtel. Pour le gouvernement américain, il s’agit de prouver que les USA sont une nation qui offre des procès équitable, c’est pourquoi elle confie sa défense à Jim Donovan, avocat spécialiste dans les assurances mais partenaires dans un prestigieux cabinet. Convaincu que la justice ne doit pas en avoir que l’apparence, Donovan va défendre son client équitablement dans un procès dont les dés sont pipés par le sentiment de patriotisme et de paranoïa nucléaire.
En parallèle, l’Oncle Sam lance son programme d’avion espion U2. Un jeune pilote, Francis Gary Powers est abattu en vol et capturé.
Commence alors une partie d’échecs pour arranger l’échange des deux hommes. Une partie jouée par Donovan pour le compte de la CIA sans que celle-ci ne le couvre. Tout se décidera à Berlin Est, où le mur vient d’être érigé.
Ce film, en dehors d’être le premier de la nouvelle fournée spielbergienne, a plus d’une particularité.
Premièrement, il est scénarisé par les frères Coen (et ce n’est pas la première fois que les frères croisent Steven Spielberg : leur envoûtant western, True Grit ,voyait notre barbu préféré en être le producteur exécutif).
Deuxièmement, contrairement à la majorité des cas, John Williams ne signe pas la musique du film : malade et n’ayant que la Force de s’occuper de Star Wars 7, Williams a du passé la main à Thomas Newman. Nous retrouverons John Williams sur Le Bon Gros Géant.
Troisièmement, alors que l’histoire contemporaine dans la filmo de Spielby est souvent centrée sur la seconde guerre mondiale ( et un peu avant, comme les premiers Indiana Jones), il s’attaque ici pour la seconde fois à la guerre froide ( la première fois c’était pour le dernier Indiana Jones justement, qui prenait place en … 1957. Tiens tiens, comme le début du Pont des Espions donc).
Enfin, pour ce 29éme film, il s’agit de la quatrième collaboration entre Tom Hanks et Steven Spielberg, plus de 10 ans après Le Terminal.
Dans une interview pour le magazine Première, Spielberg avouait avoir tenté de s’éloigner au maximum d’un style spielbergien (adjectif qu’il apprécie par ailleurs) : loupé Stevy,ton style et ta maîtrise technique vont de paire. Déjà, tu situes dans ton introduction écrite la période : 1957, comme la dernière aventure en date du docteur Jones. L’un des premiers plans ? Un reflet ! Allons Steven, on ne lutte pas contre sa nature profonde.
Si, comme pour Lincoln, Spielberg fait preuve d’un classicisme de rigueur, le niveau de jeu de la mise en scène et des mouvements de caméra est plus élevé. On retrouve même très souvent cette envie de se glisser dans la technique qui veut qu’un plan vaille une idée, comme le disait John Ford ( hors, John Ford est une des idoles de Spielberg, un grand moment de sa fin d’adolescence aura été de pouvoir s’entretenir avec lui ). Il y a cette impression lancinante que lorsque Spielberg s’attaque à l’histoire, il est plus impliqué s’il peut narrer les aventures de personnages importants mais n’ayant pas marqué l’histoire avec un grand H ! Vous connaissiez Schindler avant le film vous ? Et Mr Donovan ? Plus libre, moins esclave d’une image d’Epinal peut-être, Spielberg semble plus s’attacher à ces personnages méconnus mais au destin de sauveur ( Jim Donnovan et Oscar Schnindler , même combat ! Ils ne viennent pas du même milieu, n’ont pas la même morale ou le même mode de vie, mais ultimement, ils vont tous les deux faire en sorte de sauver le plus de personnes possibles , parce qu’en temps de guerre, c’est cela qui compte : sauver les gens ! ) : Bridge of Spies finit de classer Lincoln dans la catégorie de Spielberg mineur.
Comme je le disais plus haut, la mie en scène est pensée comme c’est pas possible et est fluide à mort! Hors, au cinéma , pour qu’une scène soit fluide, il faut avoir pensé bien en amont son découpage, son futur montage et les plans dont on aura besoin. Plus c’est fluide, plus ça a été compliqué logistiquement à mettre en place. Et ce film est d’une fluidité exemplaire.
Tellement même que Spielberg se permet de ne pas utiliser une seule note de musique pendant les 35 premières minutes du film. Et ça passe tout seul. La musique ne vient s’inviter à la fête que lorsque la partie vraiment « espionnage « du film commence doucement à pointer le bout de son nez. Thomas Newman ne cherche pas à singer John Williams ( ils sont trop différents dans leurs approches musicales pour ça de toute façon ) mais fournit in fine un travail plus soigné et plus impliqué que sur sa B.O de Spectre. Le montage abuse un peu trop des fondus dans le dernier tiers du film, comme s’il avait fallu un peu raccourcir ce dernier ( et ça, ça sent la 20th century fox a plein nez, ils apprécient modérément de perdre une séance par jour à cause de la durée : même les poules aux œufs d’or comme la saga X-men sont tenus de ne pas trop dépasser) mais il s’agit ici d’une pure considération technique qui ne vient en rien gâcher le spectacle.
Si tout le tournant procès et espionnage est filmé de façon sobre (rappelant Amistad et Munich ), il y a une séquence ou Spielberg s’amuse : le crash du U2. Anxiogène et d’une efficacité rare. Spielberg est un passionné d’aviation (son papa a été pilote durant la seconde guerre mondiale ) et ça se sent dès qu’il s’agit de filmer les coucous volants. Enfin, deux scènes dans le métro viennent rappeler Minority Report ( pour la poursuite ) et The Lost World pour la façon dont le héros est regardé par les passagers.
Tout ça c’est bien beau pour la technique et les références mais qu’en est-il du fond ?
Comme souvent avec Spielberg, le réalisateur se sert du passé (ou parfois du futur ) pour nous parler de notre présent : parce que la connaissance de l’histoire permet d’éclairer notre regard du présent. Alors, quand des expressions comme « Chocs des civilisations » sont employées ou que les avions espions décollent d’une base aérienne qui sert encore de nos jours à combattre les talibans, ce n’est pas innocent du tout. Mais c’est subtil et fin. Tout comme les deux séquences où Donovan, dans un train aérien, observe un groupe passer une barrière : une fois c’est le mur de Berlin, l’autre fois une grille de jardin américain. Sa réaction a la seconde est conditionnée parce qu’il a vu dans la première.
La plongée dans l’Amérique paranoïaque des années 50 et 60 n’est pas sans rappeler cette peur qui se distille dans notre époque et jusque en Europe. Cette peur mène à des exactions (ici, un procès limite truqué ) que personne ou presque ne dénonce. Le mal qui se justifie au nom du bien !
Et face à cela, il faut rester debout, refuser laisser la peur tout dicter. Tout justifier.
Vous n’avez pas l’air inquiet, demande Tom Hans à Mark Rylance (impeccable cet acteur dans le rôle de l’espion russe). Et celui-ci de répondre : Ça aiderait ?
Non, ça n’aiderait pas de perdre la tête. Il faut la garder froide et s’en tenir à ses valeurs.
L’une des marottes du cinéma de Spielberg, c’est la lutte contre la machine : machine de mort, machine mécanique, machine administrative, etc…Et voila qu’un membre de la machine judiciaire, Donovan, va s’extirper de son simple statut de bon père de famille et d’avocat. Le voila qui devient Humain dans le plus beau sens du mot. Parce qu’il va rester debout, il ne va pas plier l’échine, il va faire ce qui lui semble juste quitte à se mettre son cabinet, la CIA et son pays à dos !
Lorsque le Mur est édifié, c’est un monde, le monde communiste, qui se replie sur lui pour éviter la contamination capitaliste et la fuite de son peuple. La RDA et l’URSS étaient des tyrannies. Que pensez alors d’Israël et de son mur anti-palestiniens ? Que pensez de l’Europe qui veut fermer ses frontières ? Que pensez d’un Donald Trump qui veut interdire l’accès des USA aux musulmans ? Tout ça au nom de la préservation d’un mode de vie mais pas de la préservation de l’humain ? Pendant que des dirigeants et des complices muets ont construit et veulent de nouveau construire des murs, Steven Spielberg vient nous crier une chose : il faut tendre la main et pour cela, il faut que nous construisions des ponts.
Et restons debout dessus !
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