mardi 16 mai 2017

“Le cinéma, comme la peinture, montre l'invisible.”

Mon ange. Voila bien un drôle de prénom pour un enfant. Et ce n’est pas le plus étrange chez ce jeune
garçon. Il est invisible ! Nul ne le connait à part sa Louise, sa maman. Aussi, lorsque Mon Ange se lie d’amitié avec Madeleine, une jeune aveugle de son âge et aussi seule que lui, c’est le coup de foudre. Mais bientôt c’est la panique : Madeleine va partir, pour subir une opération et retrouver la vue.

Le thème de l'homme invisible n'est pas nouveau, loin s'en faut.
Fantasme vieux comme l'humanité, il a divisé les philosophes ( relisez pour vous en convaincre la joute verbale de Socrate contre Glaucon dans La République de Platon ) avant, des siècles plus tard, de servir de terrain de jeu aux écrivains, aux cinéastes, etc...
H.G Wells en a fait le héros d'un de ses romans, Batman en a affronté un dans la série animée des années 90, Paul Verhoeven en a fait un pervers meurtriers dans Hollow Man/L'homme sans ombre.
Et ne parlons même pas de la célèbre cape d'invisibilité chère à Harry Potter , le sorcier le plus célèbre des 20 dernières années ( merci à cette grand recycleuse de concepts qu'est J.K Rowling ). C'est donc à une nouvelle variation que nous invite Harry Cleven.





Harry Cleven est un réalisateur belge d’une soixantaine d’années (pour l’avoir rencontré, je vous confirme qu’il ne les fait pas).
D’abord acteur, entre autres pour Jaco Van Dormael ( Toto le héros, Mr Nobody, etc…qui est aussi le producteur du film qui nous occupe ), il passe à la réalisation.
Mon ange est son quatrième long-métrage. Non content de retrouver Van Dormael, il renoue avec l’actrice roumaine Elina Löwenshon qu’il avait dirigée dans Pourquoi se marier le jour de la fin du monde (elle incarne ici Louise, la maman du héros éponyme).
C’est toujours bien de tourner en famille…en parlant de famille, ce n’est personne d’autre que la propre fille du producteur, Juliette Van Dormael, qui officie en tant que directrice de la photo.  Naturaliste au possible, la photo marque de par son apparente absence de parti pris fort, l’image proposée étant la plus réaliste possible. Pour mieux sous-ligner l’apparition du fantastique quand il doit se montrer fugacement à l’écran.

Tourné à 80% ( si pas plus ) en caméra subjective , Mon Ange est un film qui effleure les choses, les objets et les corps. Malheureusement , il effleure aussi parfois  un peu trop son sujet.

Divers questions philosophiques sur l’existence sont à peine esquissées.Pour laisser le spectateur se faire sa propre opinion ? Peut-être. Loin de moi l’idée de taper sur un film qui se fait se poser des questions mais il aurait peut-être fallu que le personnage qui se les pose émette un peu plus son opinion sur le sujet. Au risque de sortir de l’ambiance conte de fée ?



Beaucoup de questions pour un paragraphe pas vrai ? (oups, encore une ). C’est que le film balance toujours entre fantastique et réalisme, entre la situation magique de base et la réalité qui frappe le personnage de Madeleine. Et quelques trous dans le scénarios pourraient sembler inexcusables si l’on n’était pas dans un esprit de conte fantastique.Le seul vrai gros défaut du film, c'est que l'on ne sait jamais sur quelle chaise on est assis tant le part-pris semble changer au fil des scènes.

La seule constante est que chacune de ses facettes est traitées avec une sorte de poésie un peu naïve mais au final si douce qu’elle emporte l’adhésion du spectateur le plus cynique{1}, c'est-à-dire votre humble serviteur.
Les effets spéciaux ( les objets qui « volent », les enveloppes qui s’ouvrent toutes seules)  , si ils sont numériques, copient l’aspect suranné des effets d’antan,épousant une réalisation aérienne elle aussi misant sur des effets réussis grâce à un peu d'astuce qui marche du feu de dieu, certains jeux d’ombres ou de matières laissent apparaître la transparence oppressante du personnage principal qui n’apparaît jamais, si ce n’est sous forme de contour artificiel : malédiction d’un être plein mais si vide au regard extérieur. D‘où sa détresse que son amie/grand amour retrouve la vue.

Pas d'effets gratuits ici, pas besoin de lunettes 3D pour voir l'invisible en relief. Mais un travail visuel simple et direct, renforcé par une direction sonore intéressante lorsqu'il s'agit de tenter de placer le spectateur dans les oreilles d'une personne aveugle. Mais sans esbroufe, l'on n'est pas là pour sortir avec la tête comme un seau ! ( ce qui n'est pas une problème en soi,ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Il y a des films bourrés d'explosions qui sont très agréable aussi...c'est juste une autre veine).

Quand elle revient, adulte (elle était auparavant jouée par deux actrices plus jeunes) et voyante, Madeleine est interprétée par la révélation absolue de mon année cinéma, Fleur Geffrier. La caméra l’aime , elle fait partie de ces actrices faites pour être filmée/prise en photo tant plus qu’un corps, c’est une aura qui s’imprime. Ce n’est plus de la simple poésie enlevée qui est distillée sur la toile quand elle se montre à l’écran, c’est du Baudelaire , du Rimbaud ! C’est une âme qui nous est donnée à voir, dans ses passions et ses atermoiements.  Si la vie de Mon Ange est définitivement le cœur du récit, c’est le jeu  et le charisme de Fleur Geffrier qui sont le cœur battant du film.




En dire plus serait criminel, le film ayant le bon goût de ne pas s’étaler outre mesure ( 80 minutes ) , il convient donc de ne pas trop en dire et de préserver des surprises pour le spectateur.

N'en déplaise aux Dardenne, le cinéma belge vaut mieux que de filmer à l'arrache et sans réflexion sur la création d'une image. Et ce n'est pas sale de montrer la beauté , même métaphorique, en lieu et place de l'éternelle misère sociale qui semble n'être le seul décor possible d'un cinéma sans souffle. Merci Messieurs Cleven et Van Dormael !


nb : le titre de l'article est une citation de Jean-Luc Godard.

1la note cynique : alors, oui, techniquement on pourrait se demander comment le personnage ne meure jamais de froid car pour rester invisible, il est supposément toujours à poil dans le film. Et super barbu et chevelu aussi sans doute parce que sans miroir, ça doit être la misère pour se raser ou couper les cheveux tout seul. Et je vous raconte même pas si on se penche sur de la physique pure : un être invisible c'est quelqu'un qui laisse passer la lumière à travers lui. Hors, si la lumière passe à travers ses yeux, donc sans les toucher, elle ne peut les exciter. Donc, il devrait être aveugle lui-aussi. Et bien même en ayant ça en tête, j'en ai rien à cirer durant la projection. Il y a des choses que le pouvoir du cinéma vous fait laisser sur le perron de la porte d'entrée de la salle.

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