dimanche 23 octobre 2011

Mille millions de mille milliards de mille sabords !

C'est le grand écart dans les films critiqués ce week-end sur ce blog. D'une part nous avions un film tourné en noir & blanc et muet. Et maintenant nous attaquons un film tourné sans caméra ! Putain ce que le cinéma peut être jouissif !

30 ans ! 30 ans que les cinéphiles et les tintinophiles en entendaient parler ( bon moi évidemment du haut de mes 27 ans je n'en ai pas entendu parler depuis aussi longtemps, mais on ne parle pas de moi ici, enfin pas trop !). Un film de Tintin adapté du travail d'Hergé par Steven Spielberg. Cette arlésienne du cinéma est enfin arrivée sur nos écrans, et c'est une telle aventure que ce n'est pas une simple critique qui vous sera donnée à lire mais également la genèse du projet qui vous sera contée (avouez que vous êtes chanceux !). Vous croiserez des mythes vivants tels que George Lucas, Steven Spielberg bien entendu mais aussi James Cameron et Peter Jackson, rien que ça !

Notre voyage ne commencera pas avec les cases d'une bande-dessinée j'en ai bien peur. L'humble auteur de ce blog étant bien plus cinéphile qu'amateur de Tintin (mon rêve aurait plutôt été de voir " Spirou et Fantasio " réalisé par le grand Steven) ou même de bande-dessinées (j'ai beau possédé une collection gargantuesque , il n'en reste pas moins que mes premiers pas dans l'univers des arts séquentiels se sont faits avec le cinéma et ma lecture et mon analyse de l'image seront toujours influencée par ce simple fait. D'aucun diront que je suis obtus, je répondrai que j'ai un schéma neuronal ancré par le trauma de la découverte de la salle de cinéma à 3 ans ).

Un mot pour signaler néanmoins que depuis la création du personnage, de multiples projets pour l'adapter ont été montés. (voila c'est fait, n'y revenons pas).

Pour comprendre le film et la démarche de Steven Spielberg il faut remonter jusqu'Indiana Jones, et d'Indiana Jones, remonter jusque…James Bond !

Nous sommes en 1977, à Hawaï. Deux amis réalisateurs ont pris des vacances loin d'Hollywood. L'un parce que son nouveau film, "Star Wars", est sur le point de sortir et que sa peur de la débâcle lui a fait fuir Los Angeles. L'autre parce que le tournage de "Rencontres du 3me type" l'a épuisé. George Lucas et Steven Spielberg discutent donc ensemble de tout, de rien et surtout de cinéma ! Spielberg a un rêve : réaliser un film de James Bond. Mais la politique des studios à l'époque était de confier la réalisation des aventures de l'agent 007 à un réalisateur si pas britannique, au moins citoyen du commonwealth. Malgré son talent déjà certain (il y a " Duel" et "Les dents de la mer " qui parlent pour lui, rajoutons en plus que " Les dents de la mer" a été le premier film de l'histoire à atteindre le million de dollars de recettes. Spielberg venait d'inventer ce que l'on nomme le blockbuster !), la boîte de prod' des Bond refuse mordicus de lui confier un projet. Spielberg se vengera presque 30 ans plus tard en offrant à Daniel Craig son premier rôle d'espion dans " Munich " !

Mais revenons à nos requins ! Alors qu'il se lamente, son ami George lui parle d'un projet plus excitant qu'un simple James Bond : il a en tête l'idée de faire revivre au cinéma la grande époque des pulps et des sérials. Et il a inventé un héros, un archéologue des années 30 qui parcourt le monde à la recherche d'artefacts magiques pour les trouver avant les Nazis ! Le poisson Spielberg est ferré : lui réalisateur et son ami George comme producteur ne savent pas encore, alors qu'ils sont en vacances, qu'ils vont créer (encore !) un monument de la culture populaire actuelle : Indiana Jones !

En été 1982 sort sur les écrans Les aventuriers de l'arche perdue. Un immense succès, une icône était née. En septembre, le film sort en Europe et Hergé, grand amateur de cinéma est conquis. Il croit reconnaître une influence tintinesque dans le film de Spielberg et exprime le souhait de rencontrer Spielberg ! Des albums sont envoyés à Steven Spielberg avant la rencontre car Spielberg ne connaissait pas le personnage : il n'y avait pas d'influence dans le film de Steven ,juste une imagination de rêveur qu'il partage avec Hergé. Les albums sont en français mais Spielberg avouera avoir tout compris, tant pour lui le travail d'Hergé est cinématographique : les deux racontent des histoires en images, usant d'un art séquentiel différent mais dont le but est le même ! Les deux hommes se rencontrent mais peu de temps après, Hergé meure. Les problèmes de droits et les divers projets de Spielberg font que Tintin au cinéma semble être une idée morte née…Spielberg fera donc de multiples allusions dans ses autres volets d'Indiana Jones, comme pour régler la question et passer à autre chose ( Demi-Lune, le compagnon d'Indy dans " Le temple maudit " est un clone évident de Tchang, et la relation entre Indy et son père dans " La dernière croisade " est une tentative de créer un " couple " semblable à celui formé par Tintin et le Capitaine Haddock. Tiens et au fait, le papa d'Indy, il ressemblerait pas un peu beaucoup à l'agent 007 par hasard ? ).


Et la suite de l'histoire ? Comment Tintin est-il finalement arrivé jusque dans nos salles de ciné ? Et bien on peut dire " Merci James Cameron ! "

Chaque fois que James Cameron tente une percée technique dans ses films, Spielberg passe derrière et lui explose la tronche (pardon à James Cameron dont j'admire le talent mais c'est comme ça). Dans Abyss et Terminator 2, Cameron emploie (un peu) l'image de synthèse pour réaliser un trucage complexe mais dont le rendu est rudimentaire ( un pseudopode d'eau et donc transparent dans Abyss et un robot en métal liquide dans Terminator 2 qui ressemble juste à du plomb). Spielberg mise alors 50% des effets de son prochain film sur cette technique balbutiante. Jurassic Park débarquera ! Non seulement il a compris comment l'utiliser mais aussi à ne pas en abuser en sachant quand utiliser un robot à la place. Et ne nous y trompons pas, si le film s'était cassé la gueule, jamais l'image de synthèse ne serait devenue l'outil que l'on connait aujourd'hui : pas de nouveaux Star Wars, pas de Matrix, de Spider-man etc…

En 2009, rebelote ,Cameron sort un film : Avatar ! Et utilise une technique connue, la motion capture, mais à un niveau jamais atteint auparavant. Il a réussi ce pari en travaillant avec la compagnie d'effets spéciaux Wetta, qui appartient à Peter Jackson , et qui avait travaillé sur la technique pour créer Gollum dans la trilogie du Seigneur des anneaux. Cameron travaille main dans la main avec Wetta pour revoir le système de A à Z. Invité sur le tournage du film, Spielberg a une vision : Tintin est à portée avec de vrais acteurs et sans trahir l'aspect visuel de la bande dessinée, une hybridation de la chose. Et Peter Jackson étant fan de la BD, l'histoire se met en marche : 2 ans après Avatar, Spielberg débarque avec un film entièrement tourné avec la technologie mise au point par Cameron et cette fois pour représenter des êtres humains dans un environnement terrien et pas des elfes bleus de 3 mètres de haut se baladant dans une forêt inconnue.

Peter Jackson et Steven Spielberg : le nouveau " dynamic duo ".

And now ladies and gentlemen, la critique du film.

Tintin, jeune reporter habitant Bruxelles, en Belgique, achète un bateau du 17me siècle en modèle réduit. Très vite le voila approché par deux personnes qui désirent chacune lui acheter cet objet. Mais " La licorne " n'est pas à vendre.

Dès le début du film, le tintinophile va se prendre plein de références au boulot d'Hergé dans la vue. L'amoureux du cinéma de Spielberg aussi. Dans un joyeux bordel de mélange entre hommage à Hergé et autocitation spielbergiennes, l'amateur de BD ou de ciné (ou les deux) va jubiler. Le générique de début place parfaitement Tintin dans l'univers de Steven Spielberg en rappelant follement celui de " Catch me if you can " ("Arrête-moi si tu peux" avec DiCaprio et Tom Hanks) tant dans son déroulent que dans la musique de John Williams. Le jeu continuera avec des références aux '' Dents de la mer " ou encore à " La dernière croisade " (bouclant ainsi la boucle entamée avec les aventures d'Indy). Et ne parlons même pas de la musique de John Williams qui lui aussi est allé rechercher certaines notes et sonorités dans ce qu'il avait déja composé pour Spielberg, les clins d'œil sont partout !

Démonstration sonore de mon affirmation; Allez-y, dites moi qu'il n'y a aucune ressemblance...

Mais le film n'est bien entendu pas qu'une succession de références, c'est aussi un tour de force scénaristique qui combine habillement des éléments de trois albums : " le secret de la licorne", "le trésor de Rackham le rouge " et " le crabe aux pinces d'or ". Et une fois Haddock mis en présence de Tintin,tout va aller à 300 à l'heure. De l'action, de l'humour, du suspens, les insultes du capitaine ( élément indispensable au personnage, et il use et abuse de ses célèbres injures, faisant apparaitre un rictus qui finit par être douloureux sur les visages) …tout ça condensé en 1h47 de film. Un film qui passe en un rien de temps, qui va crescendo dans les séquences d'action.Le seul vrai regret est le peu de présence à l'écran de Dupont et Dupond! Le réalisateur, libéré de toutes contraintes techniques s'en donne à cœur joie ! Passant du réalisme, aux péripéties " Tex Avery " ( la scène de l'avion) à la démesure Hollywoodienne ( le récit du naufrage de La Licorne ou le duel final complètement fêlé rappellent furieusement la folie de 1941, film ô combien méconnu de tonton Steven ). Spielberg s'est fait un énorme plaisir de gosse et nous emmène avec lui pour nous faire revivre l'émerveillement enfantin que l'on a à découvrir un nouveau jouet. Spielberg nous ramène à l'état de découvreur, comme si nous n'avions jamais été au cinéma avant aujourd'hui !

Certains s'offusqueront que les scènes d'actions passent d'un réalisme crû à un délire visuel peu présent chez Hergé. Du moins peu présent après quelques albums. Hors Spielberg n' ayant pas découvert Tintin dans l'ordre de parution, cette notion de réalisme des séquences ne s'impose pas à lui. Il a découvert les aventures de Tintin en bloc, et retranscrit donc les diverses impressions que lui a fait le personnage !

Un tour de force, encore un, comme chaque fois qu'il est associé à un producteur qui est également un réalisateur (ici Peter Jakson. Et George Lucas pour la tétralogie Indiana Jones). Avec Tintin, Spielberg signe une œuvre jubilatoire, humoristique, à l'action trépidante ( il y a de l'ADN d'Indy dans certaines séquences) et au propos tant cohérent avec l'univers d'Hergé qu'avec son propre univers filmographique ! Maintenant c'est au tour de Peter Jackson de réaliser le suivant et à Spielberg de produire : on prendra sans aucun doute son pied mais moins qu'avec celui-ci à mon avis : Jackson ne saura pas jouer au jeu de l'autocitation et de l'ancrage thématique car il a une filmo plus petite et plus éclectique dans ses thèmes.

Hergé avait dit que pour adapter Tintin, il faudrait le budget d'un James Bond ( tiens tiens, encore lui!) ,et de Spielberg qu'il était le seul homme capable d'adapter sa création tout en sachant qu'elle serait trahie…mais avec talent ! Et bien Hergé avait 1000 fois raison!


2 commentaires:

Zaïtchick a dit…

Autres points communs entre l’œuvre de Spielberg et celle d'Hergé : dans le temple maudit, les décorateurs se sont inspiré du palais d'Au pays de l'or noir, le site de Petra en Jordanie abrite le Saint-Graal dans la Dernière Croisade et l'émir Ben Kalish Ezab dans Coke en Stock.
Hergé avait d'abord songé à John Shlesinger pour adapter Tintin puis à Spielberg à condition que ce soit lui et personne d'autre qui réalise - d'où l'échec des négociations.

Geoffrey a dit…

Merci des précisions ;-). Je savais pour Petra mais j'ai oublié vu l'heure à laquelle j'ai écrit tout ça. Pour le reste tu m'en apprends !