dimanche 7 janvier 2018

Oh douce France.

Je suis un cynique.
Il y a un mois, je me gaussais de l’ampleur de l’hommage à Johnny Haliday.
Alors, pourquoi aujourd’hui, alors que France Gall nous quitte, je me mets à pleurer ?
Parce que je sais bien pourquoi les fans du représentant officiel d’Optic 2000 étaient touchés (et pourquoi ces chansons qui resteront sont signées Berger et Goldman, essentiellement), le cynique ne connait pas la naïveté, il existe en partie parce qu’il sait se moquer d’elle et la remettre à sa place ( dans la poubelle intellectuelle ).


Les chansons ont du pouvoir. La magie combinée de la musique et de la poésie symphonique et déclamée. Nous sommes des animaux, tous nos sens sont focalisés sur une chose essentielle, nous faire ressentir. Millénaire après millénaire, nous avons apprivoisé nos instincts, cultivés leurs différences. De nos tympans servant à nous prévenir du danger ou du chant appelant à la reproduction ( Thanatos et Eros, les moteurs de la vie ), nous avons obtenus un organe qui fait plus que nous pousser à fuir ou à baiser comme bêtes. La musique et la langue parlée reposent sur les sonorités, nous les avons développées, complexifiées au fil du temps et des instruments. Puis est arrivée la musique des années 90 et 2000 et Justin Bieber mais c’est un autre débat, je parle d’évolution, pas de l’inverse qui s’expose sans honte dans l’espace actuel.
Les notes et les syllabes ont commencé à dire quelque chose, à nous toucher au cœur avant de remuer le cerveau. C’est de la magie. Pas un tour de cartes ou de la clinquante prestidigitation. Non, des formules complexes instrumentales et fondamentales à faire passer les passages exotiques du langage d’Harry Potter pour roupie de sansonnet. C’est pourquoi lire de la poésie à haute-voix est plus stimulant.
Sous le pont Mirabeau coule la seine, ce n’est rien. Mais lisez à haute et intelligible voix. Entendez-vous maintenant la peine, la douleur, la mélancolie qui coulent et s’échappent dans les airs. Les paroles s’envolent car la magie est éthérée, les écrits restent pour nous enseigner les formules, rien de plus.
Écoutez le second mouvement de la 7éme de Beethoven. Percevez la force d’évocation dramatique émise par un romantique brisé. Pleurez d’une histoire sans mots mais non sans âme.
Lancez le presto de l’Été de Vivaldi, sentez la galvanisation de vos muscles, de vos sens. Cette envie soudaine de courir, de bondir, de s’esquinter tel un hussard sur le toit.
Et maintenant, combinez donc la langue et la musique. Il y a le désir, l’envie, la libération qui vous étreignent alors que le Nessun Dorma de Puccini pulse dans vos oreilles. Et soudain, ce n’est plus la scène , c’est de votre corps que proviennent les pulsations. La magie de l’opéra a fait de vous une étoile à neutrons, félicitations. Voila l’une des drogues les plus puissantes, cette expérience collective qui vous fait sentir, vous et vous seul, exceptionnel d’avoir compris. D’être entré en connexion avec l’œuvre. D’être à la fois extérieure et intérieur à cet étrange objet. La transcendance. Vous la sentez à cette simple évocation n’est-ce pas, cette onde qui vous inonde autant le cerveau que l’âme.

La magie aide à tenir. Elle nous porte, nous fait mal, nous fait du bien, nous fait vivre. La magie est quantifiable, explicable, infinie et incompréhensible. La magie est tout. Mais surtout, surtout,plus que tout, la magie fait du bien.
Elle sait nous trouver quand nous avons besoin d’elle et s’insinuer sous notre peau, derrière nos tendons et nos os et nous soulever, nous élever , nous remettre sur pieds le temps que nous trouvions comment remarcher sans elle.
C’est ce que France Gall ( et Michel Berger, bien entendu, mille fois bien entendu) a fait pour moi il y a plus de 6 ans maintenant.
Je suis un littéraire et un esthète. Je crois aux pouvoirs des phrases et des images. Mais les pouvoirs s’invoquent.
La magie se convoque, et elle ne répondra que si elle le veut bien. Certains avaient ses faveurs, et ils nous laissent désormais un peu plus seuls…Les chanteurs partent, leur magie reste.
On pleure la disparition des faiseurs de miracles, mais les miracles n'ont pas disparu. Et c'est à ça qu'il faudra s'accrocher...

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