Charlie est scénariste pour le plus petit studio (fictif) de la ville.
Il est apprécié de certaines stars et de Dottie, la secrétaire miracle capable de falsifier le dossier d’un acteur et de mettre en scène celui-ci devant la presse.
Il vient aussi de se réveiller dans la baignoire du bungalow de Val Sommers après une soirée bien trop arrosée. Mais la gueule de bois n’a pas le temps de durer car Charlie retrouve Val étendue contre son sofa, morte étranglée.
Charlie fuit, ne sait pas ce qui c’est passé la nuit derrière. Le lendemain, la presse annonce que la star montante s’est suicidée. On a maquillé l’affaire.
Et ça, Charlie ne le supporte pas…
Ed Brubaker est un auteur connu et reconnu du monde des comics. On associe son nom à Batman, Daredevil et même les X-Men.
Il est également celui qui aura poussé la série Captain America dans la catégorie espionnage, conciliant autant une approche James Bond que celle proche de John LeCarré.
Mais depuis un moment, Brubaker a quitté les super-héros de DC et Marvel pour écrire ce qui lui plait le plus : de l’espionnage ( Velvet, chez Delcourt) et du polar. Deux choses qu’il maitrise depuis longtemps ( Captain America n’était pas un coup d’essai ) avec un copain de jeu récurrent : Sean Phillips.
De Sleeper, l’histoire d’un agent infiltré dont la vie tourne au cauchemar dans un monde de super-héros à Fatale en passant par Criminal (et bientôt Kill or be killed ) ou encore Incognito, Brubaker et Phillips sont une équipe gagnante.
Les voir s’attaquer à une période sombre de l’Amérique dans une Californie baignée de soleil, voila qui a de quoi exciter le lecteur potentiel.
Brubaker ne signe pas un récit d’enquête à la thriller. Le héros n’est ni flic ni détective et la victime n’annonce pas une série de morts ni ne se place dans une série d’icelles. Son métier, sa vie, ne sont pas un jeu de déductions permanent. Et s’il veut connaître la vérité, il va devoir la jouer fine. Ou pas, il faut bien créer un peu de tension de temps en temps.
En posant Charlie, Eb Brubaker pose son entourage et son environnement : la chasse aux rouges, les studios tout-puissants ayant la main-mise tant sur leur personnels ( stars inclues, qui se prêtaient à d’autres studios comme un club de foot prête ses joueurs ) que sur la presse et les flics. Pour se faire, les studio avaient des agents appelés « fixer » , en français, des réparateurs, qui devaient trouver des solutions pour éviter les scandales.
Si vous avez vu le film Hail Caesar des frères Cohen, vous constaterez qu’ils ont fait de ce métier bien réel un ressort de comédie satirique. Brubaker nous dévoile l’autre face de la pièce, la vraie, la sale.
L’enquête de Charlie, aussi vitale soit-elle pour lui, est presque un prétexte pour Brubaker de nous dévoiler l’envers du décors de la machine à rêve hollywoodienne de l’époque. Et si certaines habitudes ont disparu, la récente affaire Weinstein nous montre bien que tout n’a pas vraiment changé là-bas.
Mais c’est en créant des personnages nuancés, à la psychologie soignée dans l’écriture, que Brubaker arrive à nous faire croire à tout cela. Tout est en nuance de gris. Seul la nuit et le jour se situent aux extrêmes du spectre. Les gens coincés entre eux deux ne sont que des ombres ou des flammes éphémères, comme ces starlettes qui ne marqueront plus les esprits une fois la quarantaine passée.
Au fil des pages, le lecteur le sent : l’enquête sur la mort de Val n’est qu’un fragment de l’autopsie d’un monde disparu (mais pas encore totalement éteint) , violent et lourd, où les secrets doivent être cachés et protégés à tout prix, où le scandale est le pire ennemi de tous car il détruit des vies aussi vite que le feu la pellicule. Et les puissants sont prêts à toutes les bassesses ( si possible commises par d’autres mains que les leurs ) pour que leur monde et leurs privilèges restent intacts, que rien ne change, que les mêmes recettes se répètent encore et encore. Donner au public ce qu'il veut ( une nouvelle Veronica Lake et non une nouvelle actrice, par exemple ) pour être certains que les recettes suivent ( et ça,le ciné américain, français ou même indien l'applique encore de nos jours vous savez).
Pessimiste mais jamais cynique, Brubaker nous emmène dans ses tours et détours sans jamais nous perdre, dosant parfaitement les actions sur les pages et nous fait plonger derrière l'écran, là où le cauchemar se joue pour donner naissance au rêve sur pellicule. La cité des anges n'en abritent aucun, et si par hasard ils venaient à s'y perdre, la ville du Diable ne leur pardonnera pas.
Le trait de Phillips est élégant et agréable à l’œil. Sans être photo-réaliste, il ne se pose pas en déformation cartoonesque du réel et se prête bien aux ambiances noires que son collègue scénariste lui demande de poser sur le papier. Il est suffisamment précis dans son trait pour donner un visage unique aux personnages et retranscrire les quelques caméos de personnages célèbres qui viendraient à passer lors d’une soirée, le cinéma est une grande famille après tout.
L’édition Delcourt est de toute beauté, près de 400 pages reliées sous une belle couverture. En parlant de couverture, Delcourt place les 12 couvertures des 12 mensuels US en bonus. Et ce ne sont pas les seuls , suivent la bande-annonce de l’ouvrage sous forme de BD ( qui ressemble plus à un manifeste qu’à une pub pour un produit fini, l’auteur avouant que lorsqu’il écrit , i sait où il va mais pas forcément comment ) ainsi que diverses illustrations qui accompagnaient les articles sur le cinéma joints aux mensuels aux States…articles qui ne sont pas inclus dans cette édition ! La grosse faute de goût de Delcourt sur ce coup-là mais ils sont coutumiers du fait : Velvet, du même Brubaker, contenait un courrier des lecteurs auquel l’auteur répondait. Et rien n’aura été traduit non plus dans notre belle langue de Molière. Mais que cela ne gâche pas votre lecture de Fondu au noir, une histoire qui aurait très bien pu arriver…
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