jeudi 1 mars 2018

Le professionnel

Slade Wilson est un mercenaire implacable. Aussi à l’aise avec les sabres que les armes à feu. Un professionnel surentraîné qu’une expérience gouvernementale a transformé en machine à tuer dotée d’un pouvoir de guérison rapide.
Son nom de code est Deathstroke…et avant que vous ne vous étrangliez, sachez qu’il a été créé en 1980, soit 11 ans avant Deadpool ( qui n’est que « copie » de chez Marvel : un nom et une identité secrète qui se ressemblent , des aptitudes similaires, mais un gros changement : Slade est taiseux à la base).




Longtemps cantonné à des rôles de vilains de l’histoire ( surtout face aux Teen Titans menés par Nightwing, l’ancien Robin , et donc fatalement face à Batman ) , Deathstroke s’est vu offrir une série à son nom lors de l’opération New 52 de DC Comics en 2011. Une série qui durera moins de deux ans et qui n’aura pas marqué l’histoire des comics, du tout.




Alors, quand DC comics décide de relancer la machine lors de son opération Rebirth, on a de quoi être dubitatif. Certains aiment souffrir et refaire les mêmes erreurs encore et encore en espérant un résultat différent. Pas DC qui décide d’engager un scénariste renommé sur le titre, l’homme qui a marqué l’histoire éditoriale du héros Marvel Black Panther : Christopher Priest ( aucun lien avec l’auteur de SF dont il est un homonyme ).
Priest avait utilisé à l’époque un mécanisme de narration assez éclatée, mêlant le présent et divers épisodes du passés. C’est par ce procédé qu’il décide de nous faire plonger dans le monde de Deathstroke, partant sans doute du principe que poser certains éléments permettra au lecteur d’avoir de l’empathie ou peut-être l’envie de mieux comprendre un  personnage à la morale plus que douteuse.
Le premier point important est là : donner une psychologie au protagoniste tout en évitant de nous donner des raisons de l’excuser. Priest ne tombe pas dans ce piège souvent dangereux. Deathstroke reste un salopard avec un code qu’il suit. Parfois, son code permet d’éviter des victimes. Mais ce n’est pas sa préoccupation première.

Passés les premiers épisodes qui reviennent sur la vision de la vie et du monde de Slade Wilson et sur comment il effectue ses missions, la série doit trouver quelque chose à raconter. Voir Wilson exécuter un plan est une chose banale que l’on peut voir dans de nombreux comics où il est l’antagoniste. Le voir déjouer un plan est déjà quelque chose de plus stimulant. Quelqu’un a mis la tête de sa fille Rose à prix. Et le contrat a été accepté par un mystérieux commanditaire. Si Rose n’est pas une fille sans défense, loin de là, elle est inconsciente du danger qui pèse sur elle. Et papa a décidé « protéger » son bébé.



Priest a compris que Slade Wilson est une sorte de Batman inversé : un guerrier avec de la pratique du terrain, un esprit stratège et tout un tas de gadgets permettant d’obtenir un avantage sur l’adversaire. Il n’est pas étonnant que la chauve-souris point d’ailleurs le bout de ses oreilles pointues dans cet album : ce sont des adversaires récurrents et il y a une certaine histoire entre les Wilson et la bat-famille. C’est l’occasion de rendre le récit encore moins manichéen que précédemment en révélant que Slade admire la rigueur et les méthodes de Batman, qu’il n’a jamais réussi à démasquer ( on peut d’ailleurs se demander s’il le veut vraiment, des personnes avec des ressources financières et intellectuelles autres ont déjà réussi, comme Amanda Waller, la directrice de la fameuse Suicide Squad ). Par contre, il me semble que Priest se trompe lourdement en faisant dire à Batman qu’il ne s’appelle pas ainsi, que c’est un nom qui lui a été attribué pour d’évidentes raisons.

Malgré le talent de Priest pour tenir son histoire, il tombe dans un travers assez gênant de ce genre de récits centrés sur des vilains : en tant que héros de l’histoire, Deathstroke ne doit pas perdre face à un super-héros. Il peut être mis en difficulté ou amoché mais la série doit aller de l’avant. Hors de questions de le mettre hors course ( en prison, dans le coma) si tôt dans la série. S’il y a chute, elle doit être spectaculaire pour que sa remontée soit grandiose. Et il faut laisser le temps aux lecteurs d’apprécier de le suivre dans ses basses besognes avant de les secouer.
Mais, d’un autre côté, les fans de Batman (& Robin) ne peuvent pas voir le chevalier noir être mis échec et mat. Batman est un control freak et il doit mener la danse. Dès le début, les dés sont pipés, il est évident qu’aucun des deux n’aura l’avantage sur l’autre. Mais Priest semble y avoir réfléchi et offre une fin d’histoire tout à fait satisfaisante (qui ne casse pas trop le contrat du schéma qui veut que le héros tienne en respect la menace à la fin ). 



Priest semble faire de Deathstroke avant tout une histoire de famille(s) et l’on peut être curieux de voir ce qu’il nous réserve avec le casting de sa série (et ses guest stars ).

Aux dessins, on retrouve Carlo Pangulayan et Joe Bennet. Joe Bennet est un vieux de la vieille qui a entre-autre officié sur Spider-Man lors de la saga du clone. Son style a évolué avec le temps, le rendant assez méconnaissable si l’on compare les deux époques. Il prend la relève de Pangulayan en milieu de parcours et la transition se passe sans problèmes, les deux hommes optant pour une approche réaliste mais pas trop que l’encrage et le colorisation rendent très comic book lambda mais appliqué. Le côté graphique manque clairement de personnalité et c’est bien dommage tant les personnages , eux, en ont !

Deathstroke se paye donc un excellent début de parcours sous l’égide d’un Christopher Priest inspiré.  Recommandable et recommandé, si vous n’êtes pas allergiques aux anti-héros amoraux et irrécupérables ( ce n’est pas de Jason Todd ou de Damian Wayne que l’on parle ici ).

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