mardi 23 octobre 2018

La La Lune : l'étoffe d'un héros.

Quand Damien Chazelle, réalisateur du multi-oscarisé La La Land (et fan de Jazz) est annoncé sur le tournage d’un bio-pic d’Armstrong, on est en droit de s’attendre à ce qu’il s’attaque à la vie de Louis.
Mais, roulement de tambours (et trompettes), le petit qui a mis Hollywood à ses pieds en 2017 quitte l’univers de la musique pour s’envoler vers les étoiles. Car c’est bien d’un autre Armstrong qu’il s’agit. Neil. Le premier homme à avoir marché sur la Lune.

Le tout sous la houlette du producteur exécutif Steven Spielberg, rien que ça !

De Neil Amrstrong, tout le monde vous dira qu’il a marché sur la Lune (ou si vous êtes assez bêtes pour être complotiste, que c’est le premier homme à avoir été vendu comme ayant marché sur l’astre de nos nuits ).


Mais que sait-on de sa vie ? Ah bin en fait, à moins d’être un fan, pas grand-chose. Les livres d’Histoire s’arrête souvent aux exploits.



Armstrong est un ingénieur vétéran de la guerre de Corée. Il y apprend le pilotage d’avion à réaction et c’est presque naturellement qu’il devient, à son retour, pilote d’essai pour avion supersonique. Mais Neil , aussi doué soit-il, est un pilote un peu distrait : sa fille adorée, Karen, est sur le point de mourir, son traitement pour le cancer détruisant son système immunitaire.
Endeuillé, interdit de vol, Neil décide de postuler au programme de la NASA recherchant des astronautes pour les missions Gemini, prédécesseur des célèbres Apollo.
Lui, sa femme et leur fils déménagent donc vers le Texas.
S’enclenche une mécanique qui le poussera à entrer dans l’histoire non pas uniquement de la NASA ( il est le premier astronaute civil de l’agence ) mais de l’Humanité toute entière.






City of Scars.

La conquête spatiale a cessé de faire rêver.
Et cette absence de magie a entraîné l’apparition non pas de films de conquête de l’ultime frontière mais des longs métrages de retour sur Terre : Apollo 13 , Gravity, Seul sur Mars…des films qui posent la question «  Mais que va-t-on foutre là haut bordel ? » {1}
"Pourquoi dépenser tant d'argent,d 'énergie et de vies humaines dans de tels périples ? " {2}

En 2014, Christopher Nolan nous régale de son Interstellar.
Contre-courant total encore à l’époque, l’espace au cinéma re-devient un lieu d’exploration.
De dangers certes, mais à surpasser non pour rentrer à la maison mais pour aller plus loin, laisser le foyer derrière nous et avancer en reculant les limites de nos connaissances.
En avance de quelques années, le film ne bénéficie pas de la même aura ni du même succès que les films précédents de Nolan. C’est au business-showman Elon Musk (et surtout à ses ingénieurs ) que l’on doit un certain retour pour la médiatisation du retour de la conquête spatiale. SpaceX fait parler et c’est tant mieux.
Et puisque l’espace semble revenir à la mode, les films sur le sujet reprennent un autre angle : on veut aller là-haut !

First Man se place donc dans cette mouvance, car le contre-courant a fait des vagues.
Et sa filiation avec Interstellar se fait par ailleurs parfois sentir.  Que cela soit par la séquence d’ouverture, un vol d’essai un peu foireux, à l’attachement féroce d’un père pour sa fille. Neil Armstrong et Joe Cooper partagent des points communs flagrants. Pas assez pour parasiter le visionnage du film mais le cinéphile risque de tiquer par moments.
Hasard amusant ( mais révélateur ) , le logo terrien du studio Universal se voit suivi du très lunaire DreamWorks : de la Terre à la Lune semble déjà nous crier le film alors qu’il n’a pas encore commencé.
Et lorsqu’il débute, tout tremble. Chazelle colle sa caméra au plus près de son héros, engoncé dans une carcasse métallique branlante prête à dépasser le son. Tout se stabilise lorsqu’Armstrong est libre de lâcher les gaz et de voler plein pot. L’image est stable, sous-entendant que du monde chaotique dans lequel il vit, Neil trouvera la stabilité dans les cieux.



Tout le film est d’ailleurs à cette image : souvent filmé en caméra à l’épaule un peu ballottant, les phases spatiale où tout se déroule bien sont d’une stabilité à toute épreuve, les mouvements de caméras se faisant maîtrisés au possible.
En s’attachant essentiellement à l’humain et aux passages ayant place sur Terre, Chazelle va s’attacher à leurs rêves, leurs espoirs…mais surtout aux fêlures.
Des failles dans les couples, dans les amitiés brisées par la mort qui rôde comme un coyote affamé. L’espace est un endroit dangereux et il réclame sa livre de chair avant même que l’on puisse l’atteindre.

Mais toujours avec pudeur . La caméra ne cherchant pas la performance à Oscar pleine de larmes. Que cela soit Ryan Gosling ou Claire Foy, qui incarne Janet Armstrong, les acteurs rendent une copie humaine et crédible jamais versée dans le pathos ou le sur-jeu (ou le cabotinage outrancié ). Organique, la réalisation et la direction d’acteurs ne peuvent se permettre de tels éclats sans risquer de mettre le spectateur dans la position de celui qui doit choisir un camp.

La pudeur va également se dévoiler lors de l’accident d’Apollo 1.
Loin d’un effet pyrotechnique impressionnant à la Michael Bay (ou même d’un réalisateur aimant filmer les flammes ), Chazelle opte pour une approche directe, vierge de tout effet de manche et terriblement brutale et assommante.
Une cicatrice , marquante, en plus  dans la psyché des personnages comme du programme spatial. Le vrai cœur du film est là. Dans les sacrifices de chacun pour atteindre un rêve ( quitte à ce que ce rêve n'appartienne qu'à son conjoint : les sacrifices des épouses ne sont pas oubliés ).



Another Day of Moon. 

Mensongères bandes-annonces qui avaient vendu un film d’exploration spatiale en lieu et place de l’exploration de la place d’un homme (et sa famille) dans ladite aventure spatiale. Les phases de vol ne sont donc pas la principale attraction du récit. Ce qui n’empêche pas Chazelle d’y apporter un soin particulier.
Filmé essentiellement avec de la pellicule, avec une photo collant aux standards d’une époque révolue ( chaque image du film pourrait se présenter comme une image d’archives léchée, carrément ) ,le directeur photo s’éloigne des dérives actuelles et s’applique à créer des ambiances, des zones d’ombres, à éclairer ce qui doit l’être. Alors que beaucoup de studios auraient poussé Chazelle à éclairer au maximum les stars et les décors pour « monter au public ce qu’il veut voir », on sent que Tonton Spielby veillait au grain pour que l’on montre au spectateur ce qu’il a besoin de voir !

Et  énormément de plans se concentrant sur la conquête spatiale sont tournés en IMAX.
Le gigantisme de ce format permet d’en prendre plein les yeux, de s’émerveiller pleinement sans qu’aucun effet facile ou putassier ne soit employé. C’est beau, c’est puissant !



Damien Chazelle avait démontré avec Whiplash et La La Land que l’on pouvait filmer la musique, il récidive ici en filmant le bruit. Le bruit des plaques d’acier qui vibrent, des boulons et des visses qui bougent. En concentrant sa caméra sur ses éléments et en les couplant à un design sonore qui est sans doute le meilleur de cette année, Chazelle plonge le spectateur dans une cacophonie enveloppante et nous montre à quel point ces engins étaient potentiellement capables de se déglinguer en un rien de temps. Voila pourquoi les astronautes sont des héros mesdames et messieurs. Ils sont entrés de leur plein gré dans des capsules qui n’ont rien à voir avec les vaisseaux de Star Wars ou de Star Trek.
Tels des explorateurs prenant la mer sur des navires en simples bois ( !!! ), ils sont montés à bord de maquettes géantes en alu ! First Man fait d'Apollo 11 les nouvelles Pinta, Nina et Santa-Maria !



Mais l’ambiance n’est pas assurée que par des bruitages . La musique de Justin Hurwitz, collaborateur régulier du réalisateur, est une petite pépite dont la simplicité côtoie bien souvent les étoiles et nous plonge en apesanteur. En cherchant à s’éloigner des envolées à Oscars, le film est peut-être bien parti pour en rafler quelques uns !

First Man est donc une réussite, pas exempte de certaines longueurs paradoxales au vu de l’usage des ellipses fréquentes ( le spectateur doit relier quelques points. Hé oui, le réalisateur et son monteur vous font confiance à vous et vos cerveaux, c’est assez rare pour être souligné) mais offre une odyssée humaine teintée de drames et de réussites sans jamais appuyer ses effets le tout pour un ressenti juste et puissant.
Un film qui replace l’humanité dans ce qu’elle a de plus petit, l’individu, et de plus grand, ses prouesses collectives.
Et qui permet de lever les yeux au ciel, de LA voir si loin et si proche, de constater qu’elle nous regarde chaque soir et nous rappelle qu’elle n’est que la première étape vers un long, très long voyage.
Et que son image nous accompagnera où que l’on aille…



{1" Nous nous sommes toujours définis par notre capacité à surmonter l'impossible.
Et nous comptons ces moments.
Ces moments où nous osons viser plus haut. Briser des barrières. Toucher les étoiles. Faire de l'inconnu du connu.
Nous comptons ces moments, fiers de nos prouesses.
Mais nous avons perdu tout ça.
Ou peut-être avons nous juste simplement oublié…oublié  que nous sommes encore des pionniers.
Et que nous n'en sommes qu'au début.
Notre apogée ne peut pas être derrière nous ! Car notre destin est au-dessus de nous."
Citation du teaser d'Interstellar.


{2} " Tu te rappelles de ce type il y a environ 20 ans, j’sais plus comment il s’appelait. Il a gravi l’Everest sans oxygène et il est redescendu à moitié mort. Quelqu’un lui a demandé : « Pourquoi vous êtes allé là-haut pour mourir ? ». Il a dit : « Pas du tout, j’y suis allé pour vivre ». "
Roland Tembo dans The Lost Word : Jurassic Park, de Steven Spielberg.



Aucun commentaire: