vendredi 25 décembre 2015

Retour en Force.


C'est une période de grand trouble. Depuis 3 ans, George Lucas ne dirige plus Lucasfilm, société qui a été rachetée par l'Empire aux grandes oreilles de Mickey. Les fans ont peur et sont aussi impatients. Les salles sont assiégées lors de la sortie du film.

Les esprits sont échauffés, les émeutes guettent si le long-métrage échoue à restaurer la paix et la stabilité dans le cœur des amoureux de la guerre des étoiles.

Et moi, je gagne du temps en écrivant un texte d'introduction qui ressemble à ceux qui défilent avant chaque épisode d'une saga mythique...


George Lucas avait beau le claironner depuis des années, il avait beau crier sur tous les toits que jamais Star Wars ne reviendrait au cinéma, l'espoir ne s'est jamais vraiment éteint. Il aura néanmoins fallu que Disney rachète Lucasfilm et décide de rentabiliser son achat pour que la Force et les sabres lasers reviennent chatouiller nos âmes. Disney qui, en 2012, désirait posséder son «  Star Wars » en adaptant les aventures de John Carter (injustement boudées en salles) et qui a fini par décider qu'il valait mieux sans doute posséder Star Wars tout court que de tenter d'avoir sa propre saga. Cruelle ironie, les romans sur John Carter avait été une influence majeur de Lucas lors de l'écriture du film sorti en 77. Les voies de la Force sont impénétrables.

Bref, Star Wars est de retour. Et pour orchester ce retour, la directrice de Lucasfilm a réussi à convaincre J.J Abrams de se lancer dans l'aventure. Abrams, c'est l'homme qui a ramené Star Trek sur grand écran par deux excellentes fois, c'est aussi un disciple absolu de Steven Spielberg et qui a grandi dans la pop-culture. Pour savoir une chance de réussir , Abrams écrit le scénario avec Lawrence Kasdan, le scénariste de L'Empire contre-attaque, l'un des épisodes préférés des fans de la saga.

30 ans ont passé. L'Empire n'est plus mais le mal ne meurt jamais et les cendres du système politique de Palpatine servent à l'émergence du Premier Ordre. Face à cette menace , la République soutient un groupe de résistance armé mené par la princesse Leia.
Luke Skywalker a disparu mais personne ne le croit mort. Il est l'ennemi à abattre pour le premier Ordre & un mystérieux guerrier du côté obscur : Kylo Ren.
Sur la planète Jakku, Poe Dameron, un pilote chevronné trouve ce qui semble être une piste menant à Skywalker. Avant d'être fait prisonnier , il a le temps de cacher les données dans son droïde : BB-8. Ce droïde sera retrouvé par Rey, jeune fille pilleuse d'épaves qui rêve de s'envoler vers les étoiles et par Finn, déserteur du Premier Ordre. Leur rencontre va les lancer dans une aventure tournée à la vitesse lumière !



L'un des gros points positifs de cet épisode c'est sa fidélité absolue à la trilogie des années 80. Peut-être trop car on a parfois l'impression de revoir des passages remakés. Mais, J.J Abrams ne nous plonge en terrain connu que pour mieux nous faire sentir à l'aise dans ce qui est pourtant une terra incognita. Les codes sont là, on va donc secouer et s'amuser avec tout ça.
Car de par sa nature, Star Wars n'est pas original. Star Wars est une épopée classique dans ses grandes lignes et toutes les épopées possèdent grosso modo le même schéma narratif. La force de Lucas en créant cet univers aura été de régurgiter ses lectures mythologiques classiques mais aussi ses lectures, ses goûts de cinéphile,etc…En voulant retrouver et offrir au public ce qui l'a marqué durant son enfance et son adolescence, Lucas créa un mythe moderne. Et puisque Star Wars est un mythe qui se nourrit de mythes, il était cohérent que la saga finisse par se nourrir d'elle-même. Mais Abrams est coutumier de cela. Les trekkies le savent bien : Into Darkness jouait déjà énormément avec Star Trek 2 tout en créant des effets de miroir ou de miroir inversé. C'est la façon de faire de J.J Abrams pour s’approprier un univers et respecter des mondes qui ne sont pas les siens. Et ça marche. Ça ne révolutionne rien au sein de Star Wars (il y a des codes à respecter, impossible de partir dans un délire à la Jupiter Ascending quand on s'inscrit dans le respect d'une tradition ) mais ça agence les ingrédients de manière différentes.

Et contrairement à Terminator Genisys ou Jurassic World qui reprenaient (parfois plan par plan) des situations des premiers films pour les upgrader en pyrotechnie ou images de synthèses en jouant avec la nostalgie des fans pour que ça fonctionne (et ça ne fonctionnait pas), The Force Awakens se sert des rappels et de la nostalgie du public pour bifurquer, proposer quelque chose de neuf ou de tordus par rapport au récit d’origine.
La nostalgie est ici un outil pour mettre les vieux fans en confiance mais pas au détriment d’un travail capable de parler aux spectateurs qui entreraient dans la saga par cet épisode. La nostalgie fonctionne quand on prend des personnages anciens pour jouer avec, hors c’est bien par le biais de tous nouveaux héros que nous entrons dans l’intrigue de cet épisode. Et qu’on s’attache à eux alors que nous ne les avions jamais croisés dans la saga avant est bien la preuve que la nostalgie n’est pas le moyen employé pour que le public accroche. D’ailleurs, les rares fois où elle est vraiment employée ( à savoir les quelques petites minutes entre Leia et Han Solo, la magie opère moins bien).





Non, les moyens c’est d’abord une réalisation nerveuse où le mot cinématographe prend soudain tout son sens : ciné vient du mot kiné en grec et qui signifie le mouvement. Et le mouvement de la caméra, des acteurs, etc…est constant durant les deux premiers actes, dommage que le dernier acte soint moins prenant et manque soudain de rythme, comme si l’énergie avait été absorbée par les deux premiers, le troisième se contenant d’un savoir faire indéniable et d’une dernière séquence belle à faire pleurer.
 Se basant sur une vérité trop souvent oubliée, à savoir que le cinéma est avant tout un art vi-zu-el, J.J Abrams fait passer énormément de chose par l’image et la mise en scène : inutile que les personnages déclament quinze minutes de texte après l’action quand l’action et un minimum de dialogues peuvent faire passer énormément d’informations sur la psychologie et la façon d’être des personnages.
Le droïde BB- en est un bon exemple : sa forme ronde le rend bien plus mobile que R2-D2 par exemple, et ses mouvements de têtes permettent de lui prêter des émotions ! Sur un robot absolument pas anthropomorphique pour un sou et qui produit des bips au lieu de parler !



Les moyens , ce sont aussi des acteurs plus ou moins inconnus du grand public. Bien entendu, Harrison Ford est un vieux de la vieille qu’on ne présente plus mais il nous offre ici quelque chose qu’il n’avait plus fait depuis longtemps : transmettre qu’il aime encore jouer la comédie en proposant autre chose qu’un mode automatique (la dernière fois, c’était en Indiana Jones pour Spielberg en 2008, et avant ça , ça devait remonter aux années 90).



Oscar Isaac n’est pas un débutant mais à part les cinéphiles, peu savent mettre un visage sur son nom ou inversement (Agora, A most violent year, Drive, sont pourtant de très grands films) mais cela est appelé à changer  car nous le retrouverons dans une autre usine à rêve : X-men Apocalypse en Mai 2016 ! Loin de ses rôles profonds et sérieux, Isaac offre ici un personnage plus léger mais pas creux pour autant, Poe Dameron utilisant clairement l’humour et la bonne humeur pour supporter sa vie de pilote .




 John Boeyga incarne Finn, un déserteur ayant croisé la route de Poe, là aussi, le sérieux côtoie le comique dans ce personnage qui cherche à fuir et qui devra se raviser.




Adam Drive est Kylo Ren, le bad guy du côté obscur du film (encore que ça ne soit pas si simple à en croire le roman tiré du film; affaire à suivre donc).
Il réussit en quelques séquences à faire ce qu’Hayden Christensen n’arrivait pas en deux films (ne jetons pas trop la pierre sur le petit Hayden, l’écriture de Lucas n’aide pas quand on est un débutant).



Et enfin Daisy Ridley dans le rôle de Rey. Elle, c’est le croisement improbable entre Natalie Portman et Keira Knightley,auquel Audrey Hepburn aurait été marraine la fée, le tout servant le personnage le plus complexe de ce premier film.
Capable de passer en un clignement d’yeux de l’exaltation à la tristesse, elle marque le film de son empreinte. Empreinte militante, son personnage transformant le film en tout sauf en remake des 6 précédents où la demoiselle en détresse, même forte, avait besoin à un moment ou un autre de son « chevalier » servant. Ici rien de tout cela, quand elle est en danger, elle s’en sort seule (même quand ses potes arrivent pour la secourir, elle a fait le boulot avant eux ! Son personnage rejoint le trio de femmes fortes de cette année, à savoir Furiosa dans Mad Max Fury Road et Ilsa Faust dans Rogue Nation ).On dirait presque que le film répète un mantra en boucle : la femme est à l’avenir de l’homme. Et cette femme-là c’est l’avenir de Star Wars.
Détail amusant, si ce Star Wars s'inscrit dans la veine des femmes jouant à égalité avec les hommes ( qui ont parfois du mal à le concevoir), le film de 77 aurait pu être en avance sur son temps : Lucas avait un temps envisagé de faire de Leia...l'héroïne venue de Tatooine pour partir à l'assaut des étoiles.
Et si j’en parle en dernier, c’est  juste pour ne pas déstabiliser le texte en l’encensant tandis que je ne fais que parler des autres.




Les moyens se sont aussi les choix artistiques. Le choix de tourner sur pellicule d’abord, loin des approximations des derniers épisodes de Lucas au niveau du rendu de l’image (mais n’oublions pas que c’est grâce à ce choix de Lucas que désormais, le numérique a évolué vers un rendu plus proche de la pellicule). C’est également le choix de ne pas user et abuser des effets numériques ( qui ont été plus souvent employés pour effacer que pour ajouter selon les propos du réalisateur) et de filmer les effets le plus souvent possibles sans renier les technologies modernes : les maquillages et les prothèses côtoient ainsi la motion capture, des explosions ont lieu sur le tournage, énormément de scènes sont tournées en décors naturels : le désert d’Abu Dhabi, l’Islande, les îles Skellig en Irlande (ah ça donne envie de les visiter en plus ! ).
Seul point noir ? Le pire effet spécial du film, celui dont on remarque sans coup férir l'artificialité, c'est le lifting de la princesse Leïa.





C’est aussi le retour de John Williams à la musique. Si Papy Williams arrive toujours à fournir de belles mélodies, l’âge commence à venir le chatouiller : le souffle n’est plus le même et ce compositeur old school n’arrive peut-être pas à s’adapter à un style comme celui de J.J Abrams. À mon sens, le compositeur attitré de Abrams, Michael Giacchino, aurait été un meilleur choix bien qu’hérétique pour les fans car Giacchino est non seulement coutumier de travailler avec J.J Abrams mais il se place dans une tradition de composition fort proche de Williams et de feu James Horner ( quand celui-ci se donnait la peine il était un des meilleurs. D’ailleurs, sa mort laisse Avatar 2 orphelin de compositeur : James Cameron, si tu me lis, engage Giacchino ! ).
John Williams livre donc une belle copie mais à laquelle il manque quelque chose de puissant, les accents à la Wagner semblent très en retrait.
Par contre, je tiens ici à descendre les commentaires visant à dénigrer sa musique en affirmant qu’elle ressemble trop à celle des Harry Potter qu’il a composés …car ses Harry Potter avaient une musique fort proche de Star Wars ! Voila, c’est dit !



Comme je le disais plus haut, Star Wars, c’est un mythe jouant avec les codes des mythes et des épopées. L’océan d’étoiles ayant remplacé la mer Méditerranées d’ Énée, les planètes se substituant aux îles traversées par Ulysse. Lorsque le sabre laser bleu de Luke Skywalker lui est transmis par Obi-Wan, c’est l’image de l’épée de Siegfried qui est convoquée : ce héros nordique reforgeant l’épée de son père avant de partir à l’aventure. Quand ce sabre apparait dans The Force Awakens, il est impossible de ne pas penser à ce concept de transmission générationnelle ( c’était le sabre d’Anakin avant d’être celui de Luke) mais bim bam boum, le terrain connu devient terra incognita ( je me répète) car c’est soudain l’imagerie d’Excalibur qu’on nous balance ! Idem pour le schéma de l’appel de l’aventure que Joseph Campbell avait théorisé : il est là, il est bien là, mais décalé dans le temps par rapport aux personnages.  Impossible de tout répertorier sans divulguer toute l’intrigue mais pour peu que vous connaissiez vraiment Star Wars (et donc ses influences) , vous devriez les retrouver très vite.

Non, The Force Awakens n’est pas un remake de l’épisode 4 : il se place dans un contexte biberonné aux mythes et à l’Histoire, deux concepts qui, qu’on le veuille ou non, sont basés sur la répétition de schémas généraux enveloppés par de subtiles variations ( je vous invite à lire ou relire les romans du cycle La forêt des mythagos de Robert Holdstock à ce sujet ou d'ouvrir un bouquin de mythologie comparée, c'est même fun de prendre LA BIBLE et de la passer au crible : tout ou presque est pompé sur des textes plus anciens).
Et ce sont ces variations qui lancent l’histoire dans des directions différentes ( les deux premières trilogies sont en tous points différentes dans l’intrigue et pourtant les points de départs sont pareils pour les Skywalker et les points de convergence aussi : Anakin et Luke rencontre un sage qui va les mener à quitter leur zone de vie, ce sage mourra pour laisser un autre Jedi les former, la confrontation ultime se fait face au père , de substitution pour Anakin, biologique pour Luke, etc…).  Il a donc les défauts (oui, le film n’est pas parfait) de ses qualités : quelques ficelles apparentes viennent faire tiquer mais guère plus que les ficelles des épisodes précédents, là encore, on retrouve ce sens des écrits mythologiques et de contes de fée qui forment l’ADN de la saga, certains effets spéciaux auraient pu être mieux gérés et trop de questions laissées en suspens peuvent parasiter la première vision du film.

Mais la Force est de retour ! Et de bien belle manière.




Joyeux Noël.





lundi 14 décembre 2015

L'homme Debout !

Steven Spielberg est de retour après un hiatus de 3 ans entamé juste après la sortie de Lincoln avec un autre drame historique, Le Pont des Espions. Le grand barbu entame une nouvelle course puisque nous le retrouverons dès Juillet 2016 avec Le Bon Gros Géant d’après le roman de Roald Dahl et en 2017 avec l’adaptation de Ready Player One.
Nous sommes par contre toujours sans nouvelles de l’adaptation de Robopocalypse qu’il devait réaliser avec Chris Hemsworth et Anne Hathaway dans les rôles principaux (et qui aurait dû être le miroir négatif de son A.I , comme La Guerre des Mondes aura été celui de son E.T ; et dans une moindre mesure de Rencontres du 3éme type).

Spielberg est un habitué des périodes intenses où il tourne beaucoup avant de prendre des vacances ( avant Lincoln, il avait enchaîné Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, Les aventures de Tintin et Cheval de Guerre).

1957, la guerre froide est un jeu d’espions : l’information est la seule arme sur le terrain. Rudolf Abel, un espion soviétique, est arrêté par le FBI dans sa chambre d’hôtel. Pour le gouvernement américain, il s’agit de prouver que les USA sont une nation qui offre des procès équitable, c’est pourquoi elle confie sa défense à Jim Donovan, avocat spécialiste dans les assurances mais partenaires dans un prestigieux cabinet. Convaincu que la justice ne doit pas en avoir que l’apparence, Donovan va défendre son client équitablement dans un procès dont les dés sont pipés par le sentiment de patriotisme et de paranoïa nucléaire.
En parallèle, l’Oncle Sam lance son programme d’avion espion U2. Un jeune pilote, Francis Gary Powers est abattu en vol et capturé.
Commence alors une partie d’échecs pour arranger l’échange des deux hommes. Une partie jouée par Donovan pour le compte de la CIA sans que celle-ci ne le couvre. Tout se décidera à Berlin Est, où le mur vient d’être érigé.




Ce film, en dehors d’être le premier de la nouvelle fournée spielbergienne, a plus d’une particularité.
Premièrement, il est scénarisé par les frères Coen (et ce n’est pas la première fois que les frères croisent Steven Spielberg : leur envoûtant western, True Grit ,voyait notre barbu préféré en être le producteur exécutif).
Deuxièmement, contrairement à la majorité des cas, John Williams ne signe pas la musique du film : malade et n’ayant que la Force de s’occuper de Star Wars 7, Williams a du passé la main à Thomas Newman. Nous retrouverons John Williams sur Le Bon Gros Géant.
Troisièmement, alors que l’histoire contemporaine dans la filmo de Spielby est souvent centrée sur la seconde guerre mondiale ( et un peu avant, comme les premiers Indiana Jones), il s’attaque ici pour la seconde fois à la guerre froide ( la première fois c’était pour le dernier Indiana Jones justement, qui prenait place en … 1957. Tiens tiens, comme le début du Pont des Espions donc).
Enfin, pour ce 29éme film, il s’agit de la quatrième collaboration entre Tom Hanks et Steven Spielberg, plus de 10 ans après Le Terminal.

Dans une interview pour le magazine Première, Spielberg avouait avoir tenté de s’éloigner au maximum d’un style spielbergien (adjectif qu’il apprécie par ailleurs) : loupé Stevy,ton style et ta maîtrise technique vont de paire. Déjà, tu situes dans ton introduction écrite la période : 1957, comme la dernière aventure en date du docteur Jones. L’un des premiers plans ? Un reflet ! Allons Steven, on ne lutte pas contre sa nature profonde.
Si, comme pour Lincoln, Spielberg fait preuve d’un classicisme de rigueur, le niveau de jeu de la mise en scène et des mouvements de caméra est plus élevé. On retrouve même très souvent cette envie de se glisser dans la technique qui veut qu’un plan vaille une idée, comme le disait John Ford ( hors, John Ford est une des idoles de Spielberg, un grand moment de sa fin d’adolescence aura été de pouvoir s’entretenir avec lui ).  Il y a cette impression lancinante que lorsque Spielberg s’attaque à l’histoire, il est plus impliqué s’il peut narrer les aventures de personnages importants mais n’ayant pas marqué l’histoire avec un grand H ! Vous connaissiez Schindler avant le film vous ? Et Mr Donovan ? Plus libre, moins esclave d’une image d’Epinal peut-être, Spielberg semble plus s’attacher à ces personnages méconnus mais au destin de sauveur ( Jim Donnovan et Oscar Schnindler , même combat ! Ils ne viennent pas du même milieu, n’ont pas la même morale ou le même mode de vie, mais ultimement, ils vont tous les deux faire en sorte de sauver le plus de personnes possibles , parce qu’en temps de guerre, c’est cela qui compte : sauver les gens ! ) : Bridge of Spies finit de classer Lincoln dans la catégorie de Spielberg mineur.

Comme je le disais plus haut, la mie en scène est pensée comme c’est pas possible et est fluide à mort! Hors, au cinéma , pour qu’une scène soit fluide, il faut avoir pensé bien en amont son découpage, son futur montage et les plans dont on aura besoin. Plus c’est fluide, plus ça a été compliqué logistiquement à mettre en place. Et ce film est d’une fluidité exemplaire.

Tellement même que Spielberg se permet de ne pas utiliser une seule note de musique pendant les 35 premières minutes du film. Et ça passe tout seul.  La musique ne vient s’inviter à la fête que lorsque la partie vraiment « espionnage «  du film commence doucement à pointer le bout de son nez.  Thomas Newman ne cherche pas à singer John Williams ( ils sont trop différents dans leurs approches musicales pour ça de toute façon ) mais fournit in fine un travail plus soigné et plus impliqué que sur sa B.O de Spectre.  Le montage abuse un peu trop des fondus dans le dernier tiers du film, comme s’il avait fallu un peu raccourcir ce dernier ( et ça, ça sent la 20th century fox a plein nez, ils apprécient modérément de perdre une séance par jour à cause de la durée : même les poules aux œufs d’or comme la saga X-men sont tenus de ne pas trop dépasser) mais il s’agit ici d’une pure considération technique qui ne vient en rien gâcher le spectacle.

Si tout le tournant procès et espionnage est filmé de façon sobre (rappelant Amistad et Munich ), il y a une séquence ou Spielberg s’amuse : le crash du U2. Anxiogène et d’une efficacité rare. Spielberg est un passionné d’aviation (son papa a été pilote durant la seconde guerre mondiale ) et ça se sent dès qu’il s’agit de filmer les coucous volants. Enfin, deux scènes dans le métro viennent rappeler Minority Report ( pour la poursuite ) et The Lost World pour la façon dont le héros est regardé par les passagers.

Tout ça c’est bien beau pour la technique et les références mais qu’en est-il du fond ?
Comme souvent avec Spielberg, le réalisateur se sert du passé (ou parfois du futur ) pour nous parler de notre présent : parce que la connaissance de l’histoire permet d’éclairer notre regard du présent. Alors, quand des expressions comme «  Chocs des civilisations » sont employées ou que les avions espions décollent d’une base aérienne qui sert encore de nos jours à combattre les talibans, ce n’est pas innocent du tout. Mais c’est subtil et fin. Tout comme les deux séquences où Donovan, dans un train aérien, observe un groupe passer une barrière : une fois c’est le mur de Berlin, l’autre fois une grille de jardin américain. Sa réaction a la seconde est conditionnée parce qu’il a vu dans la première.



La plongée dans l’Amérique paranoïaque des années 50 et 60 n’est pas sans rappeler cette peur qui se distille dans notre époque et jusque en Europe. Cette peur mène à des exactions (ici, un procès limite truqué ) que personne ou presque ne dénonce. Le mal qui se justifie au nom du bien !
Et face à cela, il faut rester debout, refuser  laisser la peur tout dicter. Tout justifier.
Vous n’avez pas l’air inquiet, demande Tom Hans à Mark Rylance (impeccable cet acteur dans le rôle de l’espion russe). Et celui-ci de répondre : Ça aiderait ?
Non, ça n’aiderait pas de perdre la tête. Il faut la garder froide et s’en tenir à ses valeurs.
L’une des marottes du cinéma de Spielberg, c’est la lutte contre la machine : machine de mort, machine mécanique, machine administrative, etc…Et voila qu’un membre de la machine judiciaire, Donovan, va s’extirper de son simple statut de bon père de famille et d’avocat. Le voila qui devient Humain dans le plus beau sens du mot. Parce qu’il va rester debout, il ne va pas plier l’échine, il va faire ce qui lui semble juste quitte à se mettre son cabinet, la CIA et son pays à dos !



Lorsque le Mur est édifié, c’est un monde, le monde communiste, qui se replie sur lui pour éviter la contamination capitaliste et la fuite de son peuple. La RDA et l’URSS étaient des tyrannies. Que pensez alors d’Israël et de son mur anti-palestiniens ? Que pensez de l’Europe qui veut fermer ses frontières ? Que pensez d’un Donald Trump qui veut interdire l’accès des USA aux musulmans ? Tout ça au nom de la préservation d’un mode de vie mais pas de la préservation de l’humain ? Pendant que des dirigeants et des complices muets ont construit et veulent de nouveau construire des murs, Steven Spielberg vient nous crier une chose : il faut tendre la main et pour cela, il faut que nous construisions des ponts.
Et restons debout dessus !