dimanche 22 novembre 2015

Le plus chouette c'est Gaston , la vedette c'est Gaston

Les éditions Dupuis, dont le siège historique est encore localisé à Charleroi (Marcinelle), ont eu la bonne idée de sortir une intégrale de Gaston Lagaffe, sobrement intitulée Gaston L’intégrale.

Gaston Lagaffe, dont le patronyme emblématique nous renseigne sur sa capacité et sa propension à ne pas en louper une , est une légende de la Bande-dessinée , un exemple de la folie douce qui régnait dans les bureaux du Journal de Spirou, un des cas qui feront école à Marcinelle.  Et c’est le grand André Franquin qui l’enfanta pour lui permettre d’exprimer sa fantaisie distillée avec verve dans les pages de Spirou et Fantasio mais par trop contenue par le format éditoriale de nos deux lascars : raconter des aventures et non une succession de gags savoureux.

Bref, Gaston débarque. Gaston énerve Fantasio. Et face à ses inventions douteuses mais géniales, son ingéniosité et ses efforts surhumains pour être le roi de la paresse, l’agacement du meilleur ami de Spirou est proportionnel aux rictus et réflexes des zygomatiques qui sont les nôtres.

Faut-il rappeler le décorum ? Le chat, la mouette rieuse, mademoiselle Jeanne, Ducran et Lapoigne, Jules de chez Jim et au final, ces foutus contrats ? Diantre non, tout ça est presque une part de notre ADN culturel. Et replonger dans ces classiques de l’humour tour à tour absurde, tendre, intelligent. Jamais crade ou scato, voila une démarche d’un autre temps à une époque où la facilité est plus vendeuse.

Néanmoins, au-delà de l’aura gastonomique de l’œuvre, l’édition de l’ouvrage (proposant près de 1000 pages quand même) n’est pas irréprochable : papier assez fin et légèrement jaunie qui laisse passer en transparence le recto et le verso. Ouille, ça fait cheap pour un livre coûtant 69 € ( certes, c’est une somme à sortir mais l’achat de TOUS les albums vous reviendrait bien plus cher). Ensuite, le format du bouquin se rapproche du format comics et non du format franco-belge classique. Les cases et les phylactères sont donc relativement petits et le confort de lecture s’en trouve de facto affecté. Dommage.

Néanmoins, face à la morosité, à la recherche d’un rire ou d’un sourire, Gaston reste une valeur sûr que même des économies éditoriales ne viendront pas gâcher dès lors que la lecture est lancée et bien chauffée.

Rions mes bons, rions avec Gaston, rions de Gaston.
Rions !

vendredi 13 novembre 2015

Spectrum of solace

James Bond est de retour pour la 24ème fois de sa carrière. Et cette année, il aura été accompagné deSpy,Kingsman, l'excellent et formidable Mission :Impossible Rogue Nation,Survivor, Agents très spéciaux et Bridge of Spies (bon je triche, il sort le 2 décembre le dernier Spielberg).  Avec Spectre, nous sommes donc à au moins 7 films d’espionnage sur l’année (et il me semble qu’il doit y en avoir eu d’autres).

Moins que les super-héros qui eux sont pourtant taxés de nous faire frôler l’overdose.
Le deux poids deux mesures m’a toujours énormément fait chi….a toujours énormément su faciliter mon transit intestinal. Voila, le coup de gueule est sorti, maintenant passons à l’agent secret le plus connu  de sa gracieuse majesté la reine d’Angleterre.

Avant d’aller voir Spectre, il est chaudement conseillée de revoir Casino Royale, Quantum of Solace et Skyfall. Si possible dans la semaine précédant l’achat de votre ticket de cinéma.




You know my name !!! (But you don’t know me)

James Bond 007 : le premier zéro du matricule indique qu’il a tué, le second qu’il a obtenu le permis de tuer en éliminant une seconde victime (l’histoire ne dit pas si son permis lui offre un effet rétroactif pour ses deux premières proies). Bond, vous le connaissez tous, vous connaissez son image lisse de séducteur, d’alcoolique, de joueur et de tueur implacable. L’image d’Épinal de James Bond  n’est qu’une surface plane. Pourtant, il y a beaucoup plus (tant dans les films que dans les histoires de Ian Fleming).  Bond, c’est une image renvoyée par un adulte qui est resté meurtri par la vie ; Bond, c’est ce que James a créé comme armure autour de lui.  C’est particulièrement visible sous l’ère Craig : le costume 3 pièces, le smoking, la voiture. Autant de choses qui sont au final ses habits et ses atours de travail, tel un Bruce Wayne se parant de la cape et du masque de Batman pour agir.

Bond, sous ses airs de macho sexiste, est une âme en détresse attendant qu’une femme ne le sauve de lui-même de l’autodestruction programmée ( j’avance ici que Bond n’a pas qu’une « attitude cavalière envers la vie », dixit M dans GoldenEye, mais bien qu’une pulsion suicidaire latente l’anime) et lui donne envie de quitter les services secrets pour de bon.
Pour survivre à la mort (et la trahison) de Vesper Lynd dans Casino Royale, il se forge cette image de mâle alpha invincible. Le grand amour de sa vie est mort, Bond doit se sauver tout seul tout en entretenant un goût de plus en plus prononcé pour le danger.

Vesper Lynd : avant elle, il n'était que James. Après elle, il sera Bond !


We have all the time in the world.





Pour les personnes ayant pris le train en marche sous Craig, Brosnan ou même Dalton, le mot Spectre n’évoque que les fantômes. Mais le Spectre, c’est l’organisation criminelle qui va donner du fil à retordre à Sean Connery et George Lazenby ( qui a été Bond une seule et unique fois). Et une fois, en passant, à Roger Moore.

Spectre , selon Fleming c’est le mal absolu. Et au cinéma, c’est presque le Diable incarné. Et ce diable est dirigé par le non moins diabolique Ernst Stavro Blofeld. Il est l’ennemi ultime. C’est le Joker pour Batman, c’est Lex Luthor pour Superman. C’est aussi le seul à avoir tenu James Bond échec et mat et à avoir officiellement survécu.
Á une époque, les années 60, où Batman est une série débile mettant en scène un héros bedonnant face à des ennemis de pacotille, voila que James Bond propose des adversaires dangereux, retords et dérangés mais intelligents.



Le point d’orgue de la confrontation entre Blofeld et Bond intervient dans «  Au service secret de sa majesté ». Un Bond un peu mal aimé à sa sortie, il faut dire que Connery n’a pas repris le rôle et que c’est l’inconnu George Lazenby qui le remplace.Même le générique sera différent puisque, pour la seule et unique fois dans l'histoire de la saga, il ne sera pas chanté.
Et dans ce film atypique pour la série, James Bond rencontre la belle Tracy, diminutif anglicisé de Teresa, interprétée par la très belle Diana Rigg ( Emma Peel dans la série Chapeau Melon et bottes de cuir). Cette femme va tant le toucher, que Bond finira par l’épouser et quitter le service actif : son rêve non-exprimé est enfin réalisable. Le film se termine sur le départ en voiture des mariés.

Teresa "Tracy" Bond. 

Et soudain, dans un virage, une voiture déboule à toute allure; au volant : Blofeld ! La passagère tire une rafale vers Bond, qui s’en sort.
Sa femme, quant à elle, a pris une balle en pleine tête : Bond est soudain veuf.

Et cela va définir le personnage au cinéma jusque la fin de la période Brosnan ( car il faut intégrer ceci : chaque film , du premier Connery au dernier Brosnan, est une aventure du même agent. Le Bond de Brosnan a vécu les aventures des acteurs précédents ,ce qui n’est pas le cas de Craig).
Que ça soit Roger Moore se recueillant sur la tombe de sa femme, Timothy Dalton perdant le sourire lorsqu’il reçoit le bouquet de la mariée lors du mariage de son ami Felix Leiter ou sa trouille bleue de tomber amoureux d’Elektra King après que la détresse apparente de la délicieuse Sophie Marceau n’ait réveillé une fissure en lui, son veuvage le tiraille plus que le public ne le pense.
Blofeld a donné le La à la figure du méchant en sonnant le glas de Tracy Bond.
Le public mettra énormément de temps avant de redécouvrir toutes les bonnes choses contenues dans ce Bond. Les producteurs eux, pour une fois dans cette profession, ont conscience d’avoir soudain quelque chose de très grand à disposition.


Action démente, fun et aspect sérieux, méchant hors du commun, James Bond a un temps mené la danse dans la production cinéma de son époque de lancement. Et puis, tout a changé.

L’émerveillement des années 60 a laissé sa place à la lutte des années 70 contre les inégalités et les gouvernements. La mort de JFK et le scandale du Watergate sont passés par là : l’époque n’est plus à la rêverie selon les producteurs ( Star Wars viendra prouver pourtant que rêver et être éveillé sont deux choses pourtant compatibles voire même indissociables) . En n’amorçant pas vraiment un changement de ton, James Bond ne conduit plus la cavalière. D’homme à imiter, il devient celui qui imite les succès ( Star Wars fait un carton ? Envoyons Bond dans l’espace avec Moonraker ! ).

Bond est devenu un suiveur avec un cahier des charges à remplir à chaque film tout en tentant de faire en sorte qu’il marche au cinéma. Bref, on refait toujours la même chose de plus en fort et parfois de moins en moins bien tout en essayant de s’attirer le public extérieur à la saga. Cela donne toute la période Roger Moore, sommet du Kitsch et du ridicule ( on y ridiculise d’ailleurs souvent Bond, pour tenter vainement de démontrer que oui,ce héros peut changer : pas certain que dévoiler 007 en clown soit une bonne idée mais passons).




La saga est en perte de vitesse. Elle est moquée. Elle n’attire plus.
Et puis un jour, l’illumination dans les bureaux de la production : Bordel de Dieu, James Bond est un espion. Et si on en faisait un héros d’espionnage sérieux ? L’idée est lancée !
Wow wow wow, mais attends un peu Geoffrey, me direz-vous. On n'est pas encore arrivé aux années Casino Royale quand même ? Tu passes de Moore à Craig toi ?
Mécréants ! Vous répondrais-je ! L’envie d’un héros plus espion et moins gadgets de plus en plus improbables n’est pas neuve. Et avec l’arrivée de Timothy Dalton, c’est presque un prototype de l’ère Craig qui aurait pu se mettre en place !
Tuer n’est pas jouer va profiter à mort de la guerre froide : passage à l’ouest, faux semblants, peu de gadgets et plus de forces vives. Dalton incarne un Bond dur et violent pourtant capable de charme et d’élégance ( ça ne vous rappelle pas un certain blond tout ça ? ). La formule est payante mais…patatras : quelques mois plus tard, le mur de Berlin s’écroule. Inconcevable de repartir vers ce qui a fait fuir le public, les producteurs décident de garder Bond comme il est …et de copier ce qui fonctionne ailleurs (encore) : Permis de tuer est une sorte d’Arme fatale où Bond officie surtout en Amérique en s’en prenant à un baron de la drogue responsable de l’amputation de son ami Félix et de la mort de l’épouse de ce dernier (l’ombre de son veuvage se fait sentir deux fois dans ce film donc).
Le film ne convainc pas des masses et il faudra 6 ans avant que James Bond ne revienne à l’écran sous les traits de Pierce Brosnan.


Tagada tagada , voila les Dalton (air connu....putain, j'ai même pas honte en fait ).

Moi je vous trouve sexiste, misogyne et dinosaure. Une relique de la guerre froide.

Brosnan, c’est l’ère qui a le mieux compris qu’il n’était plus l’arme adaptée pour ce monde. Les ennemis ne sont plus les mêmes, ils sont moins facilement identifiables et l’occident vient de perdre son grand méchant loup : l’URSS. Alors, pour faire en sorte que la transition soit douce, on fait intervenir son passé, du temps où il était en guerre contre le KGB, etc…
006, son ami, est laissé pour mort lors d’une mission. Il est pourtant bien vivant et décide de se venger de l’Angleterre. C’est un sous-Blofeld. L’ère Brosnan va aller crescendo dans les références à la saga, jusque l’excès débile avec le dernier épisode (Die Another Day) qui aurait presque pû être un Roger Moore. Il aura même droit à son Au service secret de sa majesté avec Le Monde ne suffit pas.
Rien que le titre fait tiquer les fans de Bond et leur annonce la couleur puisque Le monde ne suffit pas est la devise familiale des Bond…révélée dans… Au service secret de sa majesté !
Elektra King, en jeune fille terrorisée, touche Bond et lui rappelle Tracy. Renard, le grand méchant, est chauve, violent, implacable (un sosie de Blofeld ! ). On retrouve aussi une scène de ski, élément emblématique du film avec Lazenby. Les références coulent. Et puis boum, retournement de situation Elektra est le Blofeld du film, Renard étant juste son bras droit, amoureux d’elle jusqu’à accepter de mourir.





Après l'avoir tuée, Bond ne peut s'empêcher de la contempler une dernière fois : si elle n'avait pas été folle, elle aurait pu être celle qui aurait cicatrisé la blessure Tracy. Le seul film où Brosnan a eu la chance de donner une belle épaisseur psychologique à James.


Meurs un autre jour arrive alors : 20ème Bond, les producteurs décident d’en faire le Bond ultime en le bourrant jusque la gueule non pas de Vodka Martini mais de clins d’œil aux autres films. L’indigestion est là, le public pas vraiment. Tel George Clooney ayant failli tuer Batman, Brosnan a failli tuer Bond !

Et si je place si souvent Batman dans ce texte, c’est parce que c’est l’homme chauve-souris qui a permis de ramener l’agent secret préféré des foules au cinéma !

James Bond reviendra !

2005 voit deux événements se produire : la sortie de Batman Begins, et la récupération par Eon.Productions des droits de Casino Royale, premier roman de Fleming et première aventure de James Bond. Mais comment faire pour adapter ce roman fondateur et l’introduire dans le corpus déja lourd de 20 films ? En faisan table rase du passé et en relançant Bond comme si rien n’avait eu lieu ? Impensable, le public foutrait le feu aux studios !
Sauf que…un cinéaste britannique sort son troisième film : Christopher Nolan relance Batman en jetant aux oubliettes les anciens films des années 80-90. Carton plein, le public , c’est ce qu’il voulait en fait. Ne donner pas au public ce qu’il aime, mais ce qu’il pourrait aimer !

Si ça marche pour un personnage comme Batman, cela peut marcher avec Bond !
Casino Royale parlait de KGB, sa mouture actuelle parlera de terrorisme ! Le 11 Septembre est passé par là, l’occident à un nouvel ennemi et celui-ci ne lui fait pas une guerre froide ! L’approche voulue par les films de Dalton est ici pleinement embrassée et transfigurée ! Casino Royale est un hit, conciliant aussi bien public, cinéphile et fans de Bond !

Casino Royale, c’est une promesse au public : Bond est de retour, il est toujours Bond mais les james-bonderies ridicules font partie de l’histoire ancienne.

La promesse n’est pas tenue : Quantum of Solace débarque en 2008, la même année qu’un certain The Dark Knight et tout le monde s’attendait à un résultat aussi probant ( Casino Royale, c’est James Bond begins ! ). Le film est moins bien réalisé, commence à citer à tour de bras la saga ( mais de manière subtile, réfléchie…à l’inverse des Brosnan et introduit un Spectre qui ne dit pas son nom : l’organisation Quantum) mais il est bourré de défauts :son rythme, son approche artistique, etc…

Retour à la case départ avec Skyfall : puisque Casino Royale nous avait déjà fait le coup de voir Bond se construire, Skyfall joue «  la re-construction ». Bond est détruit au début du film, et redevient ce qu’il est à la fin. Comme il le dira dans le long-métrage, son hobby, c’est la résurrection ! Les références se font sous forme de clins d’œil , les gadgets sont presque inexistant. On nous refait une promesse : Bond c’est reconstruit sous vos yeux et est encore plus Bond que dans Casino Royale.

Et les promesses, elle ne valent rien !


Sam Mendes cite à qui veut l’entendre que l’équipe a voulu une approche à la Christopher Nolan pour Skyfall (euh…on va pas commencer à dire pourquoi c’est pas du tout proche de Nolan à part dans l’envie de proposer un spectacle avec des personnages fouillés).
Le tournage a épuisé Mendes et il ne souhaite pas du tout rempiler. Les producteurs cherchent un nouveau réalisateur et des tractations commencent avec Nolan himself ! Mais c’est compliqué, Nolan étant contractuellement lié à Warner Bros. ( qui le soigne et le chouchoute à mort) et Bond est encore chez Sony Pictures. Et puis soudain, surgit face au vent, Mendes retourne sa veste et déclare qu’il est prêt à réaliser le prochain Bond ! Nolan,s’en va réaliser somptueusement  Interstellar (et il a bien eu raison ! ). Alors ? Mendes a-t-il eu peur que son film ne soit surpassé par celui d’un autre ? Peut-être…en tous cas, son retour aura surpris tout le monde.
Là où le trouble est grand, c’est quand Mendes débauche Lee Smith (le monteur de Nolan) et Hoyte Van Hoytema (le directeur photo de Nolan sur Interstellar).

Spectre…titre presque métaphysique puisqu’il annonce le retour de l’organisation dans le monde de James Bond et parce que les spectres de la saga vont hanter le film et ce dès la promotion de celui-ci. Le premier poster ? Daniel Craig dans un costume rappelant celui de Moore dans le James Bond préféré de Mendes : Vivre et laisser mourir.  Episode qui voyait un homme de main improbable agir contre Bond : le Baron Samedi. Bond le tuera…deux fois ! Il est tout bonnement increvable.
Alors, quand les mots «  Les morts sont vivants » apparaissent à l’écran et que peu après Bond déambule dans Mexico lors de la fête des morts déguisés en Baron Samedi, on frôle le génie de la citation interne à la saga. Frôle, car à force de citer sans arrêt , à force de se faire empiler les couches de clins d’œil et de citation, le film finit avec le cul entre deux chaises tel un déséquilibré quasi-permanent.









Les morts sont vivants…un oxymore simple, qui renvoie lui aussi au mot Spectre. Mais qui sont ces morts ? Qui sont ces spectres ? Spectres du passé de Bond et du passé de la saga.

Spectre est bourré de qualités : à commencer par son plan d’ouverture, un faux plan séquence dont la logistique lourde et monstrueuse contraste avec la fluidité de l’image et des mouvements de caméra. On pense à La soif du mal d’Orson Welles devant une telle ouverture (à la différence que Welles n’a pas triché : il a vraiment tourné un plan séquence en une seule prise, lui).

Bond est en mission non sanctionnée par M ,et en cherchant à tuer un terroriste, il fait s’effondrer un immeuble. Pire sa cible est vivante : s’en suit une scène de poursuite à pied et une bagarre dans un hélico tout à fait époustouflante mais qui, déjà, montre que quelque chose cloche : tout cela est bien fait mais terriblement long. Comme si Mendes cherchait à faire plus gros que l’ouverture de Skyfall au détriment de l’efficacité. Reste qu’un élément très intéressant de mise en scène intervient ici : la musique n’accompagne que la seconde partie de l’action. Cela se reproduira dans une autre séquence de baston, dans un train, plus tard dans le film. Quand une séquence d’action pure fonctionne sans musique, c’est la preuve d’un savoir faire certain…celui d’Alexander Witt, réalisateur de la seconde équipe.  Parce que la musique de Thomas Newman, si elle est d’un aussi bon niveau que celle qu’il avait composée pour Skyfall, est moins efficace : il reprend trop souvent tel quel des morceaux entiers écrits pour Skyfall ! Ça coince niveau ambiance, ça ne colle pas entièrement. Dommage. On commence à accumuler les fautes en 10 petites minutes.



Le générique ensuite : Sam Smith pond une chanson assez fade, très bondienne mais qui ne décolle jamais alors que lui ne se prive pas de faire décoller les aigus au point de vriller les tympans par moment. Là aussi, cette "sensation de trop" hante la séquence : Bond nu entouré de je ne sais combien de filles. Adieu silhouette éthérée, bonjour étalage de chair : l’érotisme ferait-il place à une esthétique de magazine de charme un brin arty ? Et ce poulpe en image de synthèse qui contamine les images est ridicule : trop, trop, trop. Le trop est l’ennemi du mieux alors que la simplicité est la sophistication ultime (si l’on en croit De Vinci ).

Et puis, pendant une heure : l’état de grâce ! De Londres à Rome en passant par les montagnes autrichiennes, Bond se montre très en forme. Maniant la classe, le répondant et le Walter PKK à la perfection. L’intrigue, le suspens, l’action : tout fonctionne, tout est beau. On passera sur la nanotechnologie de Q un peu capillo-tractée mais remplaçant si bien une micro-puce trop facile à arracher ( remember Casino Royale ? ) .

Alors tout n’est pas parfait, et on se demande encore à quoi pouvait bien servir le personnage de Monica Belluci à part offrir son corps à Bond ( quand James Bond, James bande…alors la blague graveleuse, c’est fait ! )  et une vision en superbe lingerie aux spectateurs esthètes de la sale, mais la course poursuite dans Rome, empreinte de rythme, de second degré (entre Bond et Moneypenny en pleine enquête par téléphone interposé, les gadgets qui n’en sont pas vraiment et la circulation romaine contraignante par moment c’est un festival de bons mots, de rebondissements et d’ironie savamment dosée : tout à fait jouissif) est un régal pour les yeux malgré un certain côté mou dans le montage : un petit côté m'as-t-vu dans le montage, comme si la beauté plastique des images, des voitures et de la ville devait l'emporter sur la frénésie d'une course poursuite qui aurait dû ressembler à une lutte à mort entre deux entités. Mais ça fonctionne !

Alors oui, si vous êtes un acharné de Bond ou que vous avez les épisodes précédents en tête, vous aurez vite fait de comprendre ce que Bond cherche durant cette première partie, un homme surnommé le Roi Pâle. Mais qu’importe, cette partie n’est pas tirée en longueur et on a beau voir venir la chose, tout cela reste recommandable en diable. On y croit, les boursouflures du début étaient des petites erreurs bien pardonnables.







Et puis ….la désillusion. Les boursouflures annonçaient la couleur pour le reste du film. Dès lors que Bond pose un pied dans un décor enneigé ( ah ça y est, vous comprenez pourquoi je vois ai bassiné avec Au service secret de sa majesté et le ski plus haut ? ) , les spectres des anciens Bond vont se bousculer au portillon, portant atteinte au métrage comme jamais.

À force de chercher à caser à tout prix des références, les scénaristes ( ils sont 4 ! 4 à avoir travaillé dessus et pas un ne s’est dit «  Euh, et si on bossait les persos et leurs interactions un moment ? ») en oublient de faire un boulot propre.
L’intrigue sur M en guerre contre C, le patron du M :I-5 , concernant la surveillance globale est à peine esquissée. C’est bien plus marrant de montrer que la planque de M s’appelle Hildebrand ( comme dans la nouvelle The Hildebrand Rarity de Ian Fleming) que de creuser la question d’un flicage mondial ( Captain America : The Winter Soldier posait les mêmes questions et exploraient les réponses, lui ! Et reste encore un des meilleurs films d’espionnage de ces dernières années d’ailleurs!).
Madeleine Swann, interprétée par Léa Seydoux, est un peu à la ramasse (et arrive à se changer en dormant : elle s’endort en tailleur et se réveille en nuisette, flatteur pour le regard certes mais faut pas déconner non plus, après que Bond ait menacé une souris pour savoir pour quelle agence elle travaille ! Roger Moore, sors de ce corps ! ) .




L’enquête pour trouver le super-cerveau derrière le Spectre ? Très artificielle et ne servant qu’à faire avancer Bond vers une nouvelle destination. Dans le domaine de l’artifice, la romance entre Bond et Swann est encore plus artificielle que l’intelligence d’une blonde teinte en brune ! Madeleine se comporte en amour comme une gamine de 20 ans qui ne sait pas ce qu’elle veut ( je t’aime d'amour ,alors que je te connais à peine, mais je pars James)…là aussi, c’est pur prétexte pour faire avancer l’intrigue vers un point voulu !
Quant à l’explication et les motivations du méchant du film, qui utilise des machines tellement compliquées pour torturer que ça en est What the fuck à la puissance 1000….n’en parlons pas. Les spectres de la saga sont là et personne n’est venu exorciser le tournage ! Damned ! L’intention de relier tous les films de l’ère Craig entre eux est louable bien que branlante.
Si l'on s'arrête 5 secondes sur les arguments proposés par le film, il aurait fallu que le vilain soit doté du pouvoir des Moires grecques ! Y a rire et rire. Sans compter les innombrables incohérences que cela sous-entend de manière rétro-active dans les aventures précédentes de l'agent incarné par Craig ou encore la soudaine perte d'aura de Raoul Silva , le grand méchant de Skyfall.

Il est dit dans le film que Bond est devenu un cerf-volant perdu dans un ouragan, sous-entendu qu’il n’arrivera à rien contre ce qui l’attend. Et il en bavera à peine. Encore une promesse non-tenue ! Une de trop.

Mais comme je le disais en préambule, Spectre est bourré de qualités et non des moindres : tout d’abord, la photo est magnifique. Difficile de passer derrière Roger Deakins ( qui était retenu sur le tournage de Sicario ) qui avait donné un cachet si puissant à Skyfall et Van Hoytema s’en sort avec les honneurs : c’est différent tout en restant cohérent avec l’opus précédent. Il est difficile de se glisser dans les pas d’un autre tout en gardant ses particularités et à ce niveau-là, le directeur photo est à saluer ! Ensuite, les décors sont splendides, mention spéciale à la dernière séquence d’action où Bond évolue dans un labyrinthe parsemé des fantômes de son passés, de ses réussites à la Pyrrhus comme de ses échecs cuisants !

Un bon vilain de Bond a en général un bon homme de main et Mr Hinx en est un : antithèse de Bond (mastodonte de muscle, taiseux au point de n’avoir qu’une réplique dans le film – mais quelle réplique ! – il n’en est pas moins fin limier et une réelle menace qui manque de chance face à Bond).




Spectre est donc une déception et une trahison. Mais une belle déception pour l’œil à défaut de toujours l’être pour le cerveau, le script étant moins intelligent et plus faiblard qu’il ne cherche à le faire croire. Les spectres de la saga le phagocytent bien trop, rappelant encore une fois les promesses non-tenues dans Quantum of solace et pourtant répétées dans Skyfall.

La seconde loi de Newton nous explique qu’un objet suivant une trajectoire doit appliquer une force pour sortir de cette trajectoire. C’est pour cela qu’en voiture, lorsque vous tournez fort vers la droite, vous êtes attirés vers la gauche, emplacement de votre trajectoire initiale. Et bien Bond, avec Casino et Skyfall cherchait à sortir de la trajectoire bondienne et Quantun et Spectre prouvent qu’il n’a pas réussi, il est en plein virage, attiré vers la gauche encore et encore.
Hors, la gauche, c’est le passé : c’est Bond face à des consortiums de l’ombre, des mégalomanes bouffons, des gadgets désuets à l’époque du smartphone et du GPS intégré. Bond doit évoluer, et pour évoluer il faut parfois perdre quelque chose en route, tels les dauphins qui ont perdu leurs mains pour acquérir des nageoires et être adapté à leur environnement. Spectre devait être une voiture avec un moteur V12 sous le capot, hors le film semble bridé pour ressembler à un V8 (oui, comme la Formule 1 en ce moment : raison pour laquelle elle a perdu presque tout intérêt !!!! )
L’environnement de Bond a changé parce que le monde a changé, peut-être est-il temps qu’il laisse certaines choses derrière lui et rejoigne ainsi la troisième loi de Newton qui stipule, en gros, que pour avancer il faut abandonner quelque chose derrière nous.


Tant que Bond et ses producteurs en seront incapables, aucune promesse, aucune bonne intention ne sera jamais concrétisée.

Car nous vivons dans un monde qui a vu éclore Austin Powers et OSS 117 selon Jean Dujardin : les codes des vieux Bond, leur ADN a été moqué et pointées du doigt ont été les grosses ficelles.
Un exemple frappant et symptomatique : l'ennemi d'Austin Powers (et qui est également ...son frère caché : ça vous semble familier ? ) est le Dr Evil/Dr Denfer.
Une scène nous montre le bon Dr avec à sa table son ennemi. Il lui explique à quel point il est génial, pourquoi il agit et comment.
Arrive le fils du Dr, qui ne comprend pas pourquoi son paternel fait tant de cérémonies alors qu'il suffit juste de...tuer l'agent secret !
Et dans Spectre, ça se passe exactement comme ça : le méchant incarné par Christophe Waltz est ce stéréotype complètement dépassé et imbécile, qui ne prend même pas la peine de vraiment fouillé Bond ( premier réflexe de 006 dans GoldenEye ? Arracher même les objets les plus communs, comme sa montre, à son 007 de prisonnier ).



Sinon, pour l'anecdote qui tue , Spectre suit Skyfall : deux titres qui commencent par un S, qui comptent 7 lettres et qui ont presque la même équipe technique. SPECTRE est aussi le 7ème titre de la saga a tenir en un seul mot. Léa Seydoux est la 7ème Bond-Girl majeure française. C'est le 7ème film de Sam Mendes. C'est la 7ème fois que Blofeld apparaît dans un Bond officiel, et il a été joué par 7 acteurs différents. J'ai mentionné 007 fois ce chiffre dans ce paragraphe.


Petite réflexion sur le futur de Bond au cinéma.
La rumeur voudrait que Sony soit sur le point de libérer les droits de la saga. L'affaire de fuites connue sous le nom de SonyLeaks a pas mal ébranlé le studio et Warner serait prêt , dit-on, à signer un chèque astronomique pour racheter les droits.
Et Warner, c'est la maison de Christopher Nolan, grand fan de Bond qui a soigné sa frustration de ne pas le mettre en scène en injectant son amour dans sa trilogie Dark Knight (un peu comme Spielberg avec Indiana Jones, palliatif à Bond et à Tintin qu'il pensait ne jamais mettre en scène à l'époque). rien que The Dark Knight Rises est un festival bondien : outre Lucius Fox qui joue à Q depuis Batman Begins, on retrouve le même schéma que Le Monde ne suffit pas : Bane, grand méchant chauve à la Blofeld est en fait un ersatz de Renard, Miranda Tate/Talia Al Ghul est le cerveau est une copie, française aussi tiens tiens tiens, d'Elektra King ( Sophie Marceau, fausse alliée du héros). Même la scène d'ouverture du piratage de l'avion est un hommage à Permis de Tuer.


jeudi 12 novembre 2015

Prendre le Del Toro par les cornes !

Deux ans après le jouissif Pacific Rim, Guillermo Del Toro nous revient avec Crimson Peak où se mêlent romance gothique, maison hantée et tout un tas de références. Décryptage !

À l’âge de 10 ans, la petite Edith Cushing ( ah, ça y est , les références commencent : Edith Wharton était une romancière, Peter Cushing était un acteur abonné aux films d’horreur de la Hammer ) voit le fantôme de sa mère la mettre en garde contre Crimson Peak.
Un avertissement qu’elle ne comprend pas et qui laisse la jeune fille terrorisée et marquée à vie.
Devenue adulte et la fierté de son père, Edith se voit écrivaine mais son manuscrit d’histoire de fantômes est rejeté par un éditeur qui voudrait qu’elle y adjoigne une histoire d’amour ( car elle est une femme alors écrivez comme telle mademoiselle, non mais ! ).
Alors que toute la bonne société la voit finir vieille fille comme Jane Austen, Sir Thomas Sharpe arrive en ville depuis sa lointaine Angleterre, accompagné par sa froide sœur Lucille.
C’est presque le coup de foudre entre le baronet et l’écrivaine. Après quelques péripéties romantiques, Thomas ramène Edith chez lui, à Crimson Peak ! L’atmosphère du lieu ne tarde pas à choquer Edith, tout comme l’attitude de Lucille ou des domestiques à son égard. Mais très vite, ce sont les fantômes de l’endroit qui vont attirer son attention…

Guillermo Del Toro est un cinéaste passionné (et passionnant) : il a tant luté pour devenir réalisateur qu’il ne travaille avec aucune seconde équipe de tournage et qu’il va jusqu’à shooter lui-même les inserts. Il aime avoir le contrôle sur l’image (et on le comprend) et celle-ci se retrouvent donc bourrées de références, de symboles, de couleurs ( et oui, à une époque où le pseudo-réaliste et le tristounet sont de mise, Del Toro reste l’un des rares réalisateurs à oser les couleurs bien vives et voyantes pour faire passer des messages. Il rejoint en ça Zack Snyder, autre réalisateur à aimer harmoniser les couleurs ; et puisque les deux le font avec des sensibilités différentes, c’est tout bénéfice pour les yeux des spectateurs ! ).

La réalisation classique, classe et sobre de Del Toro joue avec les attentes des spectateurs en détournant des figures archétypales des contes de fées ( le prince charmant, la belle-mère, etc...) pour surprendre le public et s'amuser avec les codes des récits gothiques à l'Européenne ( grandeur et décadence des vieilles familles aristocratiques, les sentiments qui restent intériorisés et qui finissent par empoisonner ceux qui les ressentent, etc...).  La musique enveloppante et non envahissante ajoute une jolie couche à l'atmosphère générale du film ( tout ça pour rappeler que : le cinéma est un art collectif ! ).


Deux hommes ( un noble étranger et un autre,l' ami d'enfance), une femme. Un ressort classique mais toujours très efficace.

Cinéphile enragé, Del Toro va donc convier les fantômes du cinéma : que ça soit le cinéma d’horreur classique au plus baroque ( on pense parfois au Dracula de Francis Ford Coppola ). Il va aussi allègrement s’auto-citer. Parce qu’il s’agit d’un film somme ou parce qu’il a conscience d’être lui-même devenu une référence du cinéma actuel (et donc, autant couper l’herbe sous le pied de ceux qui voudraient en faire une source trop ouverte d’inspiration ? ) ? Difficile à dire. Mais Crimson Peak aura donc la particularité de brouiller les théories au sujet de son cinéma. Les milieux plus élitistes considèrent volontiers que la filmographie du monsieur se découpe en deux : les films hollywoodiens d’un côté, et les films sérieux tournés en espagnol de l’autre.
Il n’en est rien : sa filmographie est tout à fait cohérente dans son ensemble, charriant les mêmes thèmes et les mêmes obsessions de long-métrage en long-métrage.
Ainsi, il convie autant L’échine du Diable que Hellboy 2 (entre autres) dans ce dernier film et invite certains acteurs avec qui il avait déjà travaillé ( chose qu’il apprécie ).


Difficile de ne pas voir une certaine ressemblance entre les vêtements de Lucy Westenra ( Dracula) et ceux d'Edith (Crimson Peak).

Sa passion des mécaniques ? Toujours présente à travers les projets de Thomas Sharpe. Son obsession des insectes ? Idem (centrée ici essentiellement sur les papillons & les phalènes et les métaphores qui en résultent). Son amour des livres ? Présent également. Chez Del Toro, la personne qui lit a accès à des vérités cachées qui lui font avoir une longueur d’avance ( dès lors, le lecteur n’est pas forcément le héros, il peut également être le vilain : le rapport direct qu’ont les personnages avec les livres est tout à fait révélateur des caractères chez Del Toro ) : ainsi, le jeune Allan, médecin, lit des ouvrages de médecine mais aussi Conan Doyle (et s’imagine détactive). Mais Edith, est écrivaine : plus que lire, elle écrit et possède donc un rapport encore différent à ce savoir. Logique qu’elle ait dès lors accès au monde des ombres, carrément.

Le jeu de pistes référentielles continuent puisque si Del Toro créent des personnages lecteurs, c’est parce qu’il en est lui-même un depuis tout petit et également un écrivain depuis quelques années : des comics aux grands classiques , cet insatiable boulimique de culture entrepose sa collection dans son cabinet de curiosités Bleak House !





Quelques pièces de Bleak House, le cabinet de curiosités de Guillermo Del Toro.


Crimson Peak charrie donc les sœurs Brönte, des Hauts de Hurlevent à Jane Eyre ( qui a été interprétée par l’actrice qui incarne Edith, Mia Wasikowska) en passant par Rebecca de Daphnè du Mourier ou encore La chute de la maison Usher d’Edgar Allan Poe. Des lectures de Del Toro mais également des films : nul doute que ce nounours de réalisateur a été marqué par les deux approches.


La maison, personnage à part entière, .Et invoquer l'imagerie des murs qui saignent sans grand guignol ni explication spectrale est très fort et bien pensé.


Dans les rôles principaux, nous avons déjà vaguement évoqué Mia Wasikowska : son charme discret et son jeu qui ne tombe jamais dans l’excès nous font très vite trouver la jeune femme sympathique et attachante. Tom Hiddleston , dans le rôle de Thomas, est à la fois charmant et inquiétant : l’acteur, au demeurant très bon, profite qu’il a joué le dieu Loki pour Marvel, personnage éminemment double, ce qui permet à Del Toro de jouer avec les spectateurs qui s’attendent à une certaine approche du rôle. Jessica Chastain quant à elle incarne Lucille, la sœur froide, mais capable d’exploser, de Thomas. Chastain avait déjà travaillé pour Del Toro ( dans Mama dont il n’était que le producteur). Elle et Hiddleston portent des perruques noires et certains types de vêtements destinés à faire avaler qu’ils sont frères et sœurs (alors que les deux acteurs n’ont bien entendus aucun lien de parenté) : et rendre cela à l’image crédible d’un coup d’œil est assez balèze.





Certes, le film possède quelques menus défauts : l’arrivée à Crimson Peak est assez tardive, l’aspect un peu ampoulé des dialogues peut faire légèrement sourire (mais il s’agissait avait tout de coller au style des romans gothiques du 19ème siècle et à leur lyrisme si particulier), l’héroïne comprend un peu trop vite ce qui se trame (et nous avec : la faute à une intro trop longue mais si belle avant d’entrer dans la maison mystérieuse des Sharpe ) et le rebondissement final jure énormément avec le reste du film (encore que, est-ce vraiment une mauvaise chose ? Cela jure certes, mais cela surprend et a le mérite de secouer le public en dehors de la zone de confort qu’il pensait avoir construite durant la majeure partie du film).

Aucun chef-d’œuvre n’est parfait, car la perfection n’est pas de ce monde. Mais un chef-d’œuvre, en voila un, assurément !

mercredi 4 novembre 2015

Mars, on en repart !

Ridley Scott avait quitté la SF avec Blade Runner, il l’a retrouvée 30 ans plus tard avec l’agréable déception qu’aura été Prometheus (loin du navet intergalactique descendu par ses détracteurs féroces mais loin du chef-d’œuvre que veulent voir les fans acharnés de Scott : la demi-mesure n’existe-t-elle donc plus ? La subjectivité doit-elle être absolue ? Vastes débats. ). Et cette année, il y revient avec Seul sur Mars.

La mission Ares III ( Ares est le Dieu Grec de la Guerre, l’équivalent du dieu…Mars) est sur le sol martien depuis 18 jours quand une tempête force l’équipage à fuir la planète. Durant l’évacuation, le botaniste Mark Whatney est laissé pour mort et ses co-équipiers rejoignent le vaisseau Hermès ( le dieu Grec des messagers et des voyageurs) pour entamer le long retour vers la Terre. Après la tempête, Mark se réveille, blessé mais bien vivant. Seul dans un environnement hostile où seuls restent l’habitat de l’équipage et quelques rations de survies. Il va devoir faire marcher son cerveau comme jamais pour tenir le temps qu’une mission vienne le secourir. Mais pour ça, il doit d’abord trouver un moyen de contacter la NASA.

Il y a un souci dans Seul sur Mars : cette constante sensation que «  La situation est grave mais rigolons-en. ». Si les pilotes de la NASA sont recrutés avec entre autres critères un esprit d’acier et un optimisme ravageur, ils n’en sont pas moins des êtres humains avec les moments de doutes et de désespoir qui peuvent survenir. Ces moments seront peu nombreux et vites expédiés dans le film. Au contraire, les plus impliqués émotionnellement semblent être les bureaucrates terrien. Dès lors , la notion de suspense disparaît et on s’attache peu à un personnage un peu trop clownesque. Le décalage constant entre la situation et la musique ( des tubes disco issus de la collection du commandant de l’équipage ) est amusant mais finit vite par lasser. Là encore, tirer en longueur amène à voir l’artificialité de certaines situations.



S’il est absolument normal que le héros rencontre des problèmes ( non mais vu sa situation c’est naturel), l’impression qu’il faut absolument respecter la règle de division de l’intrigue en trois actes est palpable. Tout ce qui peut mal se passer se passera mal ( sauf si le danger est mortel ) et cela allonge presque artificiellement le film ( qui dure quand même 2H22 ) , au point que l’on viendrait presque à se demander après chaque péripéties «  Bon, il va lui arriver quoi maintenant ? ». J’ai envie de dire «  On s’en fout. » Le rythme soutenu de l’action devient alors moins intéressant que les rares phases introspectives. Un réalisateur visionnaire ( dans le sens qui a une vision , pas qu’il voit l’avenir ) sur un scénario de série B, ça coince un peu. Car le réalisateur va vouloir transcender son sujet. Quitte à en faire trop…et à lâcher son public en cours de route.




Néanmoins, Ridley Scott reste Ridley Scott : un directeur d’acteur avec de l’expérience à revendre et ayant des exigences plastiques très poussée.
Ainsi, ce n’est pas moins de trois ambiances très particulières que le directeur de la photo Dariusz Wolski (déjà à l’œuvre sur Prometheus ) va devoir créer : une ambiance très froide sur Terre , très chaude sur Mars et entre les deux dans le vaisseau Hermès. Très agréable à l’œil, la photo joue ici un rôle de premier plan.
La 3D par contre ne nous en met plein la vue que lors des phases en apesanteur et elle ne sont pas nombreuses. Mais bordel de merde, on est vraiment dans l’espace !

Les décors et les vaisseaux sont très réalistes et ressemblent sans doute au futur du programme spatial. Pas de vaisseau qui font wiiz ou de moteurs qui font psssssch dans l’espace. Le public a enfin capté qu’il n’y avait pas de bruit dans l’espace. Résultat ? Les réalisateurs sont obligés de travailleur leur visuel à fond car ils ne peuvent se raccrocher qu’à ça et la musique.
Mention spéciale au mélange entre mate painting et prises de vue dans le désert Jordanien, Mars est sublime et ,malgré son apparence de désert infini, est sans doute bien mieux représentée que dans le pourtant très bon John Carter d’Andrew Stanton ( un film fantasy contre un film qui essaye d’être le plus réaliste possible : ils ne sont évidemment pas en compétition).





L’être humain étant ce qu’il est, la comparaison entre les œuvres est souvent une chose qui survient lorsqu’il est confronté à l’une d’entre elles. C’est naturel, c’est presque un réflexe : on compare avec ce que l’on connaît (je l’ai d’ailleurs fait durant la projection et au cours de cette critique).

C’est pourquoi la comparaison de Seul sur Mars ( The Martian en V.O) avec d’autres films spatiaux ambitieux  comme Gravity ou Interstellar s’est faite et se fait encore, quitte à ce que certain magazine qui se voulaient autrefois intellectuels (Première, pour ne pas le citer) tombent dans le piège grossier de défendre un film en en défonçant un autre : pourtant, le seul point commun entre Interstellar et The Martian, c’est Matt Damon interprétant un astronaute coincé sur une planète inhospitalière ( les deux personnages sont d’ailleurs diamétralement dissemblables ).
Hors, comparer un film, un livre, un tableau, etc… ne prend vraiment sens qu’en le confrontant à ses influences mais surtout au reste du travail de son auteur.

Et dans ce cas –ci, Scott se cite souvent au début du film : la tempête rappelle celle de Prometheus, la scène des agrafes renvoient à celle de la césarienne dans Prometheus et la séquence où Whatney travaille sur son casque de sortie fait penser à …je vous le donne en mille, une séquence similaire dans Prometheus. D’ailleurs, le film est aussi bon que ce dernier. C’est à dire qu’il déçoit.

 Prometheus.
The Martian.

Enfin, papy Ridley ne cache plus son prosélytisme puisque le héros est sauvé, littéralement par … Jésus ! Les motifs religieux sont de plus en présents dans sa filmo, rendant Exodus Gods and Kings parfaitement cohérent au sein de ladite filmographie d’ailleurs.

Bref, Seul sur Mars reste au final un joli spectacle mais trop peu emballant par rapport au sujet de départ.

mardi 3 novembre 2015

La guerre éternelle.

La guerre contre la drogue reste l’un des nombreux thèmes récurrents du cinéma américain depuis plusieurs dizaines d’années , que l’histoire suive un baron à la Scarface ou une équipe de choc à la Miami Vice en passant par des histoires qui mêlent un peu tous les protagonistes comme dans le Trafic de Steven Soderbergh.
Le sujet est vaste, autant nourri par les actualités que les fantasmes des auteurs et des spectateurs sur les acteurs de cette lutte, du flic infiltré au boss sadique et impitoyable dans un monde en teinte de gris que le cinéma aborde de moins en moins par le prisme manichéen du blanc contre le noir.

Sicario se place donc dans cette mouvance sur ce terrain bien connu du public comme des cinéphiles d’ailleurs.
Kate Macer est une agent de terrain du FBI, elle appartient à une équipe spécialisée dans les prises d’otages. Au cour d’une opération de récupération, elle et son équipe découvre un véritable charnier caché dans les murs en simili d’une maison de banlieue appartenant à une société d’un lieutenant travaillant pour un trafiquant mexicain. Voulant absolument faire tomber le responsable de telles atrocités, Kate accepte de rejoindre une équipe montée par le ministère de la défense et composée de plusieurs agences. Très vite, l’agent Macer va comprendre qu’elle a mis les pieds dans un monde qu’elle ne comprend pas vraiment et qui pourrait bien lui coûter la vie.





La première chose qui frappe dans le film, c’est la logistique. La réalisation est d’une fluidité telle que le travail logistique a dû être un cauchemar a mettre au point et à appliquer. Cette maîtrise prend aux tripes le spectateur. La mise en scène est exemplaire et prouve une fois de plus qu’elle peut tirer un film vers le haut même avec un scénario déjà-vu.
Trois séquences sortent du lot : l'introduction, la scène du péage à la frontière et celle du tunnel. Des morceaux de cinéma intenses et éprouvants pour les nerfs tant des personnages que du public.
La réalisation est renforcée par la photo de Roger Deakins, directeur de la photographie attitré des frères Coen et qui avait fait un travail de dingue sur Skyfall de Sam Mendes ( dont il n’a pas éclairé Spectre, pris par le tournage de Sicario d’ailleurs). Les contre-jours sont tout simplement des tableaux vivants du plus bel effet.
Et la musique de Jóhann Jóhannsonn use des basses pour créer une tension et une atmosphère oppressante.




Qui dit mise en scène dit aussi direction d’acteur. Et le maître-mot semble avoir été sobriété ! Si quelqu’un a été tenté de cabotiner, il n’a sans doute pas su le faire longtemps.
Emily Blunt incarne le personnage principale de Kate Macer : une femme forte et capable mais soudain poussée hors de sa zone de confort. Résultat, elle fait passer comme une lettre à la poste sa prestation de femme d’action complètement larguée par ce qui se passe et dont le sens moral va être mis à rude épreuve. Cet aspect du film est par contre porteur d’un gros défaut narratif : le personnage de Kate est la balise du spectateur, nous comprenons au fur et à mesure qu’elle comprend, nous ne sommes pas pris par la main. C’est un procédé très immersif qui exige du public qu’il s’investisse dans l’histoire mais cela déforce l’aura du personnage, qui dès lors subit plus qu’il n’agit.
Les personnages d’action, quant à eux, cachent leur jeu : que cela soit sous un sourire et des manières mi-charmantes mi-agaçantes comme dans le cas de Matt (joué par Josh Brolin) ou un détachement mutin et ultra professionnel pour le personnage d’Alejandro de Benicio Del Toro. Plus on avance dans le film, plus les magouilles se révèlent et les actes sont expliqués.






Et c’est là que le bas blesse : ces magouilles, on les a déjà vues ailleurs. Les motivations ? Pareil, c’est du connu. Disons-le tout net : le scénario ne brille pas par son originalité ou sa prise de risque même si le personnage d’Alejandro tire son épingle du jeu ( tant par son comportement que grâce au jeu de Del Toro).
Et sans la technique de Denis Villeneuve, le réalisateur, Sicario n’aurait été qu’un film de plus du samedi soir prenant place dans cette guerre qui pourrait bien ne jamais se terminer qu’est la lutte contre la drogue et les cartels d’Amérique du Sud.
Mais voilà, la rigueur de réalisation tire le long-métrage vers le haut, rappelant même lors de quelques fulgurances viscérales l’excellent Zero Dark Thirty (là aussi une histoire de traque avec un personnage féminin fort…mais bien moins passif au final que Kate Macer).



Le Général MacArthur attribuait, à tort, une citation à Platon : "Seuls les morts ont vu la fin de la guerre."
Et en substance, la question finale du film est là : si l’on ne peut voir la fin de la guerre, peut-on y échapper ?

Un très bon film, à défaut d’être le grand film annoncé par la critique internationale et l’engouement au festival de Cannes, mais qui pèche par un scénario trop peu couillu et qui le condamnera sans doute à être vite oublié du public. Reste les cinéphiles qui devraient se souvenir encore longtemps de la réalisation plus que du film en lui-même : les lecteurs blu-ray vont chauffer à force de faire des pauses et des allers-retours pour décortiquer certaines scènes !
Un remarquable mécanisme d'orfèvrerie à défaut d'un bijou.