samedi 22 novembre 2014

Cœurs croisés

19eme album pour Largo Winch (donc début du 10eme diptyque narratif de la série) , toujours sous la
plume de Jean Van Hamme et le crayon de Philipe Francq.
La série fête cette année ses 24 ans d'existence… et nous rappelle que le temps de " 1 album par an" est révolu depuis quelques temps.

Au fil des années, l'intérêt pour Largo Winch a diminué. Oh , non pas que la série soit devenue mauvaise mais le terrain balisé ( c’est James Bond dans la finance, dixit le scénariste et cela va avec un certain statu quo dans l'ambiance: peu d'aventures ont un effet boule de neige et la continuité est surtout marquée par la galerie de personnages qui s'étoffe et non par les rebondissements) et quelques facilités & grosses ficelles parasitent le souffle d'aventure et de suspense depuis quelques albums déjà.

Reste que Van Hamme a encore des idées d'histoires intéressantes et un sacré don pour vulgariser tout le décorum de la série, que cela aille de la géopolitique, de la technique scientifique et de la finance. La gestion du "Groupe W" telle qu'il la présente est d'ailleurs un modèle économique viable.Et plus moral que beaucoup.

Parler de l'intrigue de cet album nuirait au plaisir de lecture. Van Hamme convie des personnages récurrents et d'autres croisés dans quelques albums pour monter une intrigue complexe mêlant espionnage industriel, espionnage tout court, terrorisme et conscience financière.
Quelques facilités narratives sautent aux yeux mais permettent d'insuffler un rythme certain à l'intrigue. Effet pervers (encore que, le mot est fort), Largo devient un second rôle presque effacé tant l'histoire, chorale, prend de la place. Mais est-ce vraiment une mauvaise chose ?
Au fil des années, la série a gagné une galerie de protagonistes attachants (et certains que l'on aime détester) qui participent aux intrigues parfois complexes, parfois simples mais pas simplistes. C'est cette mosaïque de personnages qui donne son identité à la série et au final, le personnage titre est désormais traité à égalité avec les autres membres du casting. On suit un univers plus qu'un héros.
Le scénario est truffé de rebondissements et d'assez de rythme pour ne pas toujours les voir venir.

Malheureusement, c'est aussi comme ça que démarrait le diptyque précédent avant de se terminer par un album plus faible. Destin que je ne souhaite pas à cette intrigue-ci car elle pourrait déboucher sur un changement assez significatif pour la suite de la série si Van Hamme ne la joue pas "pilote automatique" ( les lecteurs de la première heure verront sans doute à quels épisodes précédents je fais référence après lecture de Chassé-croisé)

Au niveau des dessins, Philipe Francq assure toujours comme une bête. Le trait est détaillé, navigant entre réalisme  (les vêtements, les décors documentés) et fantasme (tout le monde est beau et les femmes encore plus que les hommes). Dupuis flatte d'ailleurs la rétine puisque cet album est le premier à être édité dans un format plus grand que celui dans lequel la série a débuté. Nouvelle maquette, nouveau logo, tout y passe.
Pour l'occasion, l'éditeur de Marcinelle réédite toute la série dans ce nouveau format tout en proposant une valeur ajoutée : la colorisation des premiers albums a été repensée.
En effet, une série avec une telle longévité a traversé les avancées techniques en matière d'encrage, de colorisation et même de dessin ( certains, comme Denis Bajram par exemple, ne dessine même plus sur un support papier ).
Les puristes et les collectionneurs s'étrangleront peut-être que cet album jure avec le reste de leur collection et se sentiront soit obligés de racheter les aventures de Largo, soit feront de la résistance. La décision de Dupuis sera critiquée de toute façon. Tempête dans un verre d'eau.

jeudi 6 novembre 2014

Interstellar , nos rêves sont plus grands que le ciel.

" Nous nous sommes toujours définis par notre capacité à surmonter l'impossible.
Et nous comptons ces moments.
Ces moments où nous osons viser plus haut. Briser des barrières. Toucher les étoiles. Faire de l'inconnu du connu.
Nous comptons ces moments, fiers de nos prouesses.
Mais nous avons perdu tout ça.
Ou peut-être avons nous juste simplement oublié…oublié  que nous sommes encore des pionniers.
Et que nous n'en sommes qu'au début.
Notre apogée ne peut pas être derrière nous ! Car notre destin est au-dessus de nous."




Le nouveau film de Christopher Nolan aurait pu ne pas être signé de sa main.
Alors que Christopher prend du galon en tant que réalisateur, son frère, le scénariste Jonathan Nolan (avec qui il a coécrit une bonne partie de sa filmographie actuelle) se fait lui aussi un nom. Et c'est vers Jonathan que se tourne un réalisateur chevronné pour lui écrire un script de conquête spatiale basé sur les travaux du physicien Kip Thorne. Le nom de ce réalisateur ? Steven Spielberg.

Mais Spielby est over-booké et le projet est reporté, sans cesse. Christopher sort The Dark Knight Rises et explose le box-office. Libéré de Batman, Nolan cherche un nouveau projet. Quand les négociations pour réaliser un James Bond tombent à l'eau, Chris négocie pour reprendre le scénario de son frère et y apporter des éléments qui lui sont propres.
Interstellar, tel qu'il nous est présenté en salle, n'est donc pas un film de Spielberg réalisé par un autre…mais un film purement Nolanien (je vous invite d'ailleurs à lire ma chronique sur les thèmes et obsessions du réalisateur ici. Interstellar vient prouver que je n'ai pas tort mais cela pourrait vous donner des indices sur le déroulement du film), avec des influences dedans.

Des influences cinéphiliques digérées qui font que le produit final est original et s'inscrit dans la ligne d'auteur du réalisateur. Oui, Nolan a vu 2001, oui Nolan a vu Le trou noir. Oui, Nolan passe après eux. Mais il a des choses à dire, des choses à raconter, une sensibilité différente, une vision différente. Et si les points de départs sont purement Spielbergiens ,le père absent, l'admiration de l'aviation, la lutte à corps perdus face à une machine implacable ( la désertification ici ), la ligne d'arrivée est cohérente avec le reste de l'œuvre de Christopher Nolan : c'est ce que François Truffaut appelait un auteur !

Dans un futur indéterminé, l'humanité est à l'agonie. Une lente et terrible désertification se profile. D'immenses dust bowls ravagent les villes et les récoltes. Le choix de mener sa vie comme on l'entend a presque disparu, le monde a besoin de fermiers et pas d'intellectuels. L'humanité renie ses exploits et ses découvertes : faire rêver ne doit plus être inculqué, le monde a besoin de concret (petite mentalité étriquée de bureaucrate). C'est dans ce monde bientôt mort qu'évolue Cooper,dit Coop. Fermier veuf , il élève son fils Tom, propulsé successeur désigné de son père et sa fille, Murphy. Intelligente et brillante, Murph possède une complicité énorme avec son père, ancien pilote de la NASA qui n'a jamais pu partir dans les étoiles. Quand l'occasion d'enfin partir se présentera sous la forme d'un trou de ver capable de faire franchir des distances incroyables en peu de temps dans l'espace, Coop devra choisir entre revoir ses enfants ou faire un petit pas pour l'homme et un saut de géant pour la survie de l'humanité.



Navigant entre drame familial tendance mélo, peinture alarmante de ce que le futur peut nous préparer comme retour de manivelle et œuvre de Hard SF , Interstellar n'en perd pourtant jamais le nord ni son public. Et ce durant 2H49 de métrage. L'ambition de compter une odyssée de l'espace basée sur les sciences dites dures tout en créant le cœur émotionnel autour des sciences dites molles ( âneries que cette dénomination d'ailleurs) et la métaphysique accouche d'un film ambitieux et didactique sur des notions scientifiques célèbres mais finalement assez nébuleuses pour le grand public.

Et la vulgarisation marche à plein pot. Parce que ces notions forment la base des aventures des héros du film, les dangers qui les guettent ne sont plus théoriques ou hypothétiques, place à la pratique. Et quand on est pionnier d'un domaine, la pratique se découvre à la dure !

Science-fiction…science-fiction… Dans son acceptation la plus pure, la plus basique, la science-fiction est un genre fictionnel se basant sur la science et ses découvertes. La science, ce n'est pas que l'intitulé réducteur des cours dispensés à l'école (biologie, chimie, physique). Ce sont aussi les sciences plus spécialisées, les sciences humaines, etc… Dès lors, Interstellar est un objet de science-fiction quasi ultime, brassant ses sujets et les connectant entre eux dans un balai parfois un peu mal rythmé mais terriblement entraînant. La démarche d'un Jules Verne moderne, alliant connaissances actuelles précises, sens de l'aventure, du merveilleux et de l'humain. Mais aussi envie d'aller plus loin que les concepts proposés habituellement (les vaisseaux qui font du bruit dans l'espace ? Oubliez ça ici ! ), de dépasser certaines limites.




Il est dès lors un peu dommage que Christopher Nolan ne dépasse pas les siennes. Si sa maîtrise des plans ( son directeur photo historique, Wally Pfister , n'est pas de cette partie mais son manque est minime), de l'action et du montage alterné ne sont plus à démontrer , il n'en reste pas moins prisonnier de ses scories habituelles : la gestion du temps qui passe reste hasardeuse (comme sur The Dark Knight Rises) ce qui a pour résultat que l'on sent peu les mois et les années qui passent. Et certains dialogues racontent plus qu'ils ne participent à la discussion entre personnages. Mais des limites pareilles face aux acquis de réalisation, je le répète, ce sont ses scories habituelles et l'ensemble est très très peu alourdi par ce genre de choses.

Dans le rôle de Cooper, Matthew McConaughey prouve une fois de plus que non, il n'est pas juste un acteur pour midinettes et que son Oscar, il ne l'a pas volé (sorry Leonardo). Ce père déchiré entre ses rêves d'espaces, sa mission de sauveur et son besoin , vital, de revoir ses enfants ne pouvait trouver meilleur interprète. Alors que la relativité du temps lui explose en pleine face, les larmes viennent couler sur la votre. Il est l'un des cœurs battants du film et l'empathie pour son personnage est presque immédiate.

Nolan a un sens aigu du casting et c'est sans surprise qu'il nous refait le coup d'un ensemble solide d'acteurs, parfois oubliés suite à d'hasardeux choix de carrières.
Ainsi, nous retrouvons le prometteur Wes Bentley ( Ricky dans American Beauty) qui avait presque disparu des écrans ; Topher Grace dont la carrière ne semble pas vouloir décoller malgré des qualités indéniables. On retrouve aussi des acteurs connus et reconnus comme Casey Affleck ( qui joue au monolithe ici, dommage ) ou la sublime Jessica Chastain. L'héroïne de Zero Dark Thirty loupe un peu le coche émotionnel mais transpire la détermination !
Nolan est aussi connu pour être fidèle envers ses acteurs, comme un magicien envers ses ingénieurs. Ainsi, la petite nouvelle de la bande, Anne Hathaway (impériale, as usual), qui n'a débarqué chez Nolan que lors de son dernier opus gothamite, joue la fille de Michael Caine, autre vieil habitué du Nolan-verse, lui qui est rappelé sans cesse par le réalisateur depuis Batman Begins.



Rayon habitués, Nolan fait une nouvelle fois appel à Hans Zimmer pour signer la musique de son film.
Loin de son style rentre-dedans (et ce n'est pas un reproche), Zimmer se la joue " The Thin Red Line"  (une de ses plus belles compositions) avec un orgue d'église et du piano en sus. Un minimalisme orchestrale mais néanmoins puissant qui ne vient jamais parasiter la force des images.


Réputé, à tort, d'être un cinéaste froid (alors que les émotions sont toujours, toujours, le moteur des motivations de ses personnages) et poseur ( non, être respectueux des codes et de la grammaire ce n'est pas être poseur, c'est respecter son public ET tenter de le tirer vers le haut) , Interstellar possède le plus haut taux de séquences tire-larmes (sans être péjoratif) de toute la filmo de Christopher Nolan.

En rendant l'infiniment grand appréhendable pour le public par le prisme des sentiments d'êtres infiniment petits (pour l'Univers), Nolan livre un tourbillon d'émotions, de réflexions, le tout emballé dans un grand huit épique, parfois un peu ronflant mais terriblement réussi. Et n'est-ce pas ça, l'essence du cinéma ? Être remué dans toutes les couches de notre personne par un spectacle qui nous dépasse ?