mardi 27 mars 2018

Annihilation ça rime avec c..

Présenté à tort comme un film Netflix (il ne l’est pas plus que Cloverfield Paradox ), Annihilation,film écrit et réalisé par Alex Garland débarque en effet chez nous via la plateforme de streaming bien connue ( enfin, sauf aux USA , Canada et la Chine ). 
Suite à une sombre affaire, les droits d’exploitations ont été vendus.
Voila. Netflix n’a pas produit le film, c’est bien la Paramount qui l’a fait. Comme Cloverfield Paradox d’ailleurs. Le maître-mot semble devenir «  Tu ne sais pas comment vendre ton film ? Tu as peur du bide en salle ? Vends à Netflix ! »
Voila pour l’aspect polémique, nous sommes ici réunis mes biens chers frères et sœurs pour parler du film et non de la fameuse chronologie des médias.

Au vu du titre, l’on pourrait croire que la saga Twilight s’offre une suite. Mais non, la série de « films » mettant en scène des sangsues humaines est bel et bien terminée ( ouf ) et elle n’avait pas le monopole des titres en – ion, elle qui aimant tant nous la mettre dans le f*on.


Lena travaille comme biologiste, chercheuse et professeur à l’université Johns-Hopkins.  Cela fait un an que son mari, Kane, soldat qu’elle a rencontré alors qu’elle travaillait elle-même comme militaire, a disparu lors d’une mission secrète. Dépressive et absolument pas prête à tourner la page, Lena ne s’attendait pas à ce que Kane rentre sans prévenir. Ni que celui-ci tombe subitement malade. Pris en charge par une organisation mystérieuse, Lena apprend que son époux est le seul à être revenu vivant d’un zone où l’armée a envoyé plusieurs expéditions. Une zone entourée d’un étrange mur miroitant et qui menace de s’étendre. Persuadée qu’elle peut être utile, Lena se porte volontaire pour rejoindre la prochaine équipe. Elle ne s’attendait pas à entrer dans un monde où la beauté absolue côtoie l’horreur la plus pure.

Alex Garland est romancier, scénariste et depuis peu réalisateur. Annihilation est son second long-métrage après Ex_Machina. Et l’homme ne change pas ses habitudes narratives de The Beach de Danny Boyle ( où il n’était pas scénariste mais écrivain du roman inspirant le film ) à Sunshine en passant par 28 jours plus tard , ou encore de Dredd (adaptation de Judge Dredd a mille lieues du navet avec Stalone ) , Garland explore les coins isolés avant de faire sombrer ses héros et antagonistes dans divers degrés de folies, révélant le côté obscur d’où ils se trouvent.
Rebelote donc dans cette histoire se voulant "Predator rencontre Miyazaki" mais qui tient pourtant plus de Alien Covenant.

Les ambitions horrifiques et oniriques du film tombent à l’eau très vite. La lumière assez froide du film lui confère une aura distante. Si la vie urbaine de Lena et Kane pouvait se permettre une telle ambiance, la garder tout au long du film ne permet jamais de créer une cassure ou une évolution quelconque. Il faut cependant avouer et reconnaitre la prise de risque d’un tel parti-pris artistique qui situe le film plus souvent de jour que de nuit, baignant le métrage dans une sorte d’aridité visuelle que dédaigne les films d’horreurs habituels, les ombres étant un moyen bien simple et facile pour dissimuler une menace. Ici, l’effet n’est utilisé une fois lors d’une des seules scènes à effet surprise du film. Le reste du temps, on sent venir la chose avec des gros sabots.

Le montage alterne plusieurs timeline. Après tout, le récit de Lena est une réponse à un interrogatoire. Impossible de dire si elle ment, dit la vérité ou si les questions qu’on lui pose ne sont qu’un effet de montage. Un montage alterné mais simpliste qui pousse de nombreux spectateurs à se demander si certains flashbacks ne seraient pas en réalité des flash-forwards. Mais même si c’était le cas, l’intérêt du film ne s’en trouve absolument pas impacté. Car Garland distille quelques mystères mais absolument aucune clefs pour les déchiffrer. C’est bien de ne pas mâcher le boulot du spectateur, c’est mieux si on lui donne quelques outils. Au mieux le film est abscons, au pire il est volontairement obscur pour simuler une fausse profondeur. Rien dans l’image ou les dialogues ne viendra aider à la compréhension de points peu claires, la réplique préférée des personnages étant «  Je ne sais pas ». Une attitude compréhensible si cela provenait de simples mortels, mais voila, ce sont pour la plupart des scientifiques. Quand ils ne savent pas, ils émettent une théorie et cherchent à savoir s’ils ont raison ou tort. « Je ne sais pas » n’est pas une réponse ou alors uniquement si elle est suivie d’un raisonnement intellectuel. Un intellect qui fait cruellement défaut aux personnages et à l’intrigue.

Tout le monde dans ce film est fasciné et effrayé par la zone du miroitement car elle a déjà fait disparaître 11 équipes d’exploration. Toutes composées de suicidaires en puissances. Ah oui, tu m’étonnes que dans un environnement hostile des personnes ayant envie de mourir ne se battent pas aux limites de leurs forces physiques et mentales pour revenir. Et la directrice du projet, psychologue, ne voit pas ça ? Elle se contente de faire la leçon sur la nature autodestructrice de notre espèce. C’est faible et d’une facilité affligeante. La zone nous est montrée très tôt comme un endroit dangereux, où la beauté de la faune et de la flore cache des aberrations génétiques mortelles. Qui se révèlent bien pauvres visuellement. Un alligator croisé avec un requin, voila une idée en faire pisser dans son froque. Garland en fait un crocodile blanc dont l’intérieur de la mâchoire possède des dents de squale.  Un ours rôde, c’est à peine s’il est vraiment flippant malgré une identité visuelle certes mortifère et morbide mais là aussi emprunte d’une facilité absolue. Reste son identité sonore, un travail de quelques minutes vraiment dérangeant qui se voit détruite par l’explication béni oui-oui d’une membre de l’équipe.

Un crocodile blanc ? Mon dieu, c'est forcément un hybride avec un requin ! Aucune chance que ça soit un albinos un peu énervé !

Une équipe présentée comme traumatisée et prête à s’aventurer dans la zone car elle a des traumas : l’une a perdu un enfant, l’autre est alcoolo, l’une est condamnée par la maladie, l’autre a tenté si souvent de se suicider qu’un jour la tentative réussira. Seule Lena a une raison de rentrer ( et sans spoiler, elle rentre, je rappelle que son histoire est racontée après son retour à la base de départ ). Un jeu de clichés ahurissant qui n’a même pas peur de présenter la latino du groupe comme la violente de base, bien entendu. Il ne lui manque que le tatouage en forme de larme sous un œil pour bien remplir la grille de bingo du «  comment faire des personnages vite fait bien fait ». Rien n'indique que l'équipe ait une formation miliaire (même loin de là ) à part Lena, tout le monde hérite d'un fusil mitrailleur. Et devinez qui est la seule à s'en servir correctement ?

Devinez qui est la génie capable de séquencer l'ADN d'une plante du regard ? Bin celle avec des lunettes évidemment ! Les génies portent toujours des lunettes, c'est bien connu. 

La facilité est le mot-clé de ce film. Alors que le sujet de base aurait permis les délires visuels les plus absolus, Garland reste à la surface des choses : des fleurs bien de chez nous, des animaux ne collant pas du tout au discours d’hybridation et de réfraction de l’ADN , quelques tâches de couleurs sur les arbres ressemblant à des cancers provenant d’un carnaval délavé. Il y avait plus de folies visuelles (et mieux pensées et foutues ) dans les films du studio de Roger Corman que dans l’entièreté du film d’Alex Garland dont l’approche minimaliste est symptomatique de tous les émules de Christopher Nolan qui n’ont pas compris comment celui qui a ressuscité Batman au cinéma pense ses plans et sa grammaire cinématographique pour que jamais, ô grand jamais, le public ne viennent à penser qu’il y a trop peu d’éléments à l’écran. Garland est comme Dennis Villeneuve : c’est joli mais creux. Une toile sans relief qui se regarde comme un magazine en papier glacé.

Les acteurs, tous, donnent le minimum syndical voir glisse dans le mauvais ( voire la scène du retour de Kane qui lance la quête de Lena, Natalie Portman n’y est absolument pas convaincante pour un sou dans le rôle de l’épouse qui pleure de joie et de surprise , c’est surjoué comme une pièce de vaudeville amateur. Je rappelle qu’elle a gagné un Oscar il y a quelques années quand même ).  Le casting est donc au diapason de l’imagerie convoquée : creux.  Ce qui accentue le ridicule du début de la scène finale où Jennifer Jason Leigh récite son texte sans tonalité particulière malgré ce qui s’annonce, à savoir une scène métaphysique étrange mais aussi la plus poétique du film, l’une des rares où le spectateur va se sentir curieux, oppressé, soucieux de l’avenir de l’héroïne. Mais elle ne vaut pas les 100 minutes d’attentes qui mènent jusqu’à elle.


Une inventivité de tous les instants dans les cadrages quand l'héroïne passe en mode " Je suis une militaire, j'agis comme tel."

La couche de trop, c’est cette musique anti-harmonique bien lourde qui finit d’achever les tympans en même temps que la patience . On sortirait presque du film heureux tant ce bruit qui s’arrête est une libération.  Avec Lucy de Luc Besson, peut-être bien le film le plus « bête mais qui se croit malin » de ces dernières années.

jeudi 1 mars 2018

Le professionnel

Slade Wilson est un mercenaire implacable. Aussi à l’aise avec les sabres que les armes à feu. Un professionnel surentraîné qu’une expérience gouvernementale a transformé en machine à tuer dotée d’un pouvoir de guérison rapide.
Son nom de code est Deathstroke…et avant que vous ne vous étrangliez, sachez qu’il a été créé en 1980, soit 11 ans avant Deadpool ( qui n’est que « copie » de chez Marvel : un nom et une identité secrète qui se ressemblent , des aptitudes similaires, mais un gros changement : Slade est taiseux à la base).




Longtemps cantonné à des rôles de vilains de l’histoire ( surtout face aux Teen Titans menés par Nightwing, l’ancien Robin , et donc fatalement face à Batman ) , Deathstroke s’est vu offrir une série à son nom lors de l’opération New 52 de DC Comics en 2011. Une série qui durera moins de deux ans et qui n’aura pas marqué l’histoire des comics, du tout.




Alors, quand DC comics décide de relancer la machine lors de son opération Rebirth, on a de quoi être dubitatif. Certains aiment souffrir et refaire les mêmes erreurs encore et encore en espérant un résultat différent. Pas DC qui décide d’engager un scénariste renommé sur le titre, l’homme qui a marqué l’histoire éditoriale du héros Marvel Black Panther : Christopher Priest ( aucun lien avec l’auteur de SF dont il est un homonyme ).
Priest avait utilisé à l’époque un mécanisme de narration assez éclatée, mêlant le présent et divers épisodes du passés. C’est par ce procédé qu’il décide de nous faire plonger dans le monde de Deathstroke, partant sans doute du principe que poser certains éléments permettra au lecteur d’avoir de l’empathie ou peut-être l’envie de mieux comprendre un  personnage à la morale plus que douteuse.
Le premier point important est là : donner une psychologie au protagoniste tout en évitant de nous donner des raisons de l’excuser. Priest ne tombe pas dans ce piège souvent dangereux. Deathstroke reste un salopard avec un code qu’il suit. Parfois, son code permet d’éviter des victimes. Mais ce n’est pas sa préoccupation première.

Passés les premiers épisodes qui reviennent sur la vision de la vie et du monde de Slade Wilson et sur comment il effectue ses missions, la série doit trouver quelque chose à raconter. Voir Wilson exécuter un plan est une chose banale que l’on peut voir dans de nombreux comics où il est l’antagoniste. Le voir déjouer un plan est déjà quelque chose de plus stimulant. Quelqu’un a mis la tête de sa fille Rose à prix. Et le contrat a été accepté par un mystérieux commanditaire. Si Rose n’est pas une fille sans défense, loin de là, elle est inconsciente du danger qui pèse sur elle. Et papa a décidé « protéger » son bébé.



Priest a compris que Slade Wilson est une sorte de Batman inversé : un guerrier avec de la pratique du terrain, un esprit stratège et tout un tas de gadgets permettant d’obtenir un avantage sur l’adversaire. Il n’est pas étonnant que la chauve-souris point d’ailleurs le bout de ses oreilles pointues dans cet album : ce sont des adversaires récurrents et il y a une certaine histoire entre les Wilson et la bat-famille. C’est l’occasion de rendre le récit encore moins manichéen que précédemment en révélant que Slade admire la rigueur et les méthodes de Batman, qu’il n’a jamais réussi à démasquer ( on peut d’ailleurs se demander s’il le veut vraiment, des personnes avec des ressources financières et intellectuelles autres ont déjà réussi, comme Amanda Waller, la directrice de la fameuse Suicide Squad ). Par contre, il me semble que Priest se trompe lourdement en faisant dire à Batman qu’il ne s’appelle pas ainsi, que c’est un nom qui lui a été attribué pour d’évidentes raisons.

Malgré le talent de Priest pour tenir son histoire, il tombe dans un travers assez gênant de ce genre de récits centrés sur des vilains : en tant que héros de l’histoire, Deathstroke ne doit pas perdre face à un super-héros. Il peut être mis en difficulté ou amoché mais la série doit aller de l’avant. Hors de questions de le mettre hors course ( en prison, dans le coma) si tôt dans la série. S’il y a chute, elle doit être spectaculaire pour que sa remontée soit grandiose. Et il faut laisser le temps aux lecteurs d’apprécier de le suivre dans ses basses besognes avant de les secouer.
Mais, d’un autre côté, les fans de Batman (& Robin) ne peuvent pas voir le chevalier noir être mis échec et mat. Batman est un control freak et il doit mener la danse. Dès le début, les dés sont pipés, il est évident qu’aucun des deux n’aura l’avantage sur l’autre. Mais Priest semble y avoir réfléchi et offre une fin d’histoire tout à fait satisfaisante (qui ne casse pas trop le contrat du schéma qui veut que le héros tienne en respect la menace à la fin ). 



Priest semble faire de Deathstroke avant tout une histoire de famille(s) et l’on peut être curieux de voir ce qu’il nous réserve avec le casting de sa série (et ses guest stars ).

Aux dessins, on retrouve Carlo Pangulayan et Joe Bennet. Joe Bennet est un vieux de la vieille qui a entre-autre officié sur Spider-Man lors de la saga du clone. Son style a évolué avec le temps, le rendant assez méconnaissable si l’on compare les deux époques. Il prend la relève de Pangulayan en milieu de parcours et la transition se passe sans problèmes, les deux hommes optant pour une approche réaliste mais pas trop que l’encrage et le colorisation rendent très comic book lambda mais appliqué. Le côté graphique manque clairement de personnalité et c’est bien dommage tant les personnages , eux, en ont !

Deathstroke se paye donc un excellent début de parcours sous l’égide d’un Christopher Priest inspiré.  Recommandable et recommandé, si vous n’êtes pas allergiques aux anti-héros amoraux et irrécupérables ( ce n’est pas de Jason Todd ou de Damian Wayne que l’on parle ici ).