dimanche 28 avril 2019

Jeu automnal.

Le mois de Mars , chez certains éditeurs spécialisés dans la littérature de genre, aura été « Le mois Lovecraft », l’occasion de s’intéresser à l’œuvre, la vie, la mort ( he’s dead) et surtout l’influence que ses écrits auront eu sur l’imaginaire collectif en général et celui de certains écrivains en particuliers.

Chez ActuSF, la réédition sous le label Hélios de «  Le Songe d’une nuit d’Octobre » fut l’une des occasions de se pencher sur, non pas un pastiche, mais l’utilisation de la mythologie du citoyen de Providence, une mythologie qu’il souhaitait voir employée par d’autres que lui.


C’est Roger Zelazny, dont le Route 666 m’avait plu sans plus qui s’attaque ici aux Grands Anciens, par un double biais sympathique.

Accompagnant fidèlement son maître Jack dans ses activités consistant à récolter divers ingrédients en vue d’un événement surnaturel , Snuff , le Bon Chien, doit également tenir à l’œil les participants à ce qu’ils appellent tous «  Le Jeu ». Un jeu composé d’ouvreurs et de fermeurs.
 Jill la sorcière, Le Comte à la vie nocturne, le Bon Docteur et l’homme qu’il a créé, ainsi qu’un pasteur fou et deux illuminés.
Chaque joueur est accompagné d’un familier, un animal à l’intelligence proche de l’humaine. Seul Larry Talbot, un américain, semble se situer en dehors de toute cette histoire. Mais comment en être certain quand personne ne dévoilera ses cartes avant la fin du mois, lorsque un étrange rituel se produira qui décidera du sort de notre monde ?
Et comment avancer quand le plus Grand Détective du monde ( non, pas Batman, nous sommes à l’ère victorienne que diable ) semble en savoir long sur ce qui se trame en ce mois d’Octobre où la pleine lune coïncidera avec Halloween ?

Roger Zelazny place son roman dans le modèle du «  World Newton » : divers personnages de fictions (ou non) apparus dans des publications et sous des plumes différentes évoluent dans le même univers et interagissent ensemble. L’exemple le plus connu est sans aucun doute le cycle d’Alan Moore et de Kevin O’Neill en comic books «  La ligue des gentlemen extraordinaires » , quant au plus récent, citons l’excellente série « Penny dreadful » avec Eva Green et Josh Hartnett ( il existe d’ailleurs un lien mythologique et patronymique entre le personnage incarné par Hartnett et un protagoniste du roman qui nous occupe ). Entre les deux, citons quelques romans de Kim Newman : Anno Dracula, Le Baron Rouge Sang, Dracula Cha-cha-cha ou encore Moriarty.







S’adonner à tel exercice nécessite de bien connaître les récits d’origines mais également de savoir en jouer sans les dénaturer.
Le second point , plus original, qui place ce roman dans un cadre des plus originaux, c’est que le narrateur n’est autre que Snuff, le chien, qui narre par le détails ses activités et ses rencontres avec les autres familiers des humains joueurs. Ceux-ci sont finalement très en retrait, sauf peut-être l’un doté d’une particularité disons toute…animale.

Chaque chapitre s’attarde sur un jour du mois, jusque la date fatidique du 31 Octobre et voit les relations entre les joueurs, tous inconscients de qui est un allié ou non, se dégrader peu à peu, rester courtoises ou frôler la parano.

La grande force de ce court roman est donc de suivre la pensée d’un canidé un brin cynique ( s’il vous reste des notions de grecs, cela vous fera sourire comme remarque ) et de ses relations avec les autres animaux impliqués dans cette affaire. Zelazny joue sur une corde de trapèze : ce décalage narratif fait bien entendu sourire mais est traité avec un grand sérieux, son procédé n’étant clairement pas là pour nous faire nous fendre la poire à chaque page ou réplique. Un vrai suspens s’installe au fil des chapitres car, roublard, l’auteur ne nous installe jamais dans la tête d’un humain et mieux encore, au fil du temps, chaque informations glanées par Snuff chez les autres animaux peut tout à fait être une fausse piste, un piège attendant de se refermer.

C’est donc non sans sourire ni sans frémir que l’on se rapproche page après page de la nuit d’Halloween et de ce qui s’y jouera. Et la nature des joueurs ne sera pas forcément celle que l’on pourrait croire au premier abord, des surprises vous attendent. Au pire regrettera-t-on une fin un peu abrupte mais le deal est indiqué sur la couverture : Octobre est le lieu de l’action et lorsque Novembre s’en viendra, il ne vous sera point communiquer ce qu’il s’y passera.

Bref, « Le songe d’une nuit d’Octobre » est une excellente lecture dont l’originalité première n’est pas dans son modèle littéraire de faire s’entrecroiser des personnages célèbres (et ce même si les clins d’œil et les références restent un petit biscuit pour lettrés et curieux) mais plutôt de voir comment ceux-ci sont perçus par leurs animaux de compagnie et le lecteur lui-même qui pourrait bien être berné par ses propres images et préjugés sur ces célèbres acteurs de fictions horrifiques ayant voyagés dans nos imaginations depuis des lustres.

Vivement conseillé.


Et si vous souhaitez en savoir plus sur l'influence de Lovecraft sur l'imaginaire actuel et sa vie  :




mardi 16 avril 2019

Panspermie (?)


1939. L’Allemagne Nazie est sur le point de s’étendre en Europe.
La propagande marche à plein régime totalitaire.
Friederich Saxhäuser , agent secret du SD , est un nazi de la première heure. Ancien garde du corps d’Hitler alors que le petit autrichien n’était qu’un agitateur de taverne, Saxhäuser jouit de la confiance du Führer et de son âme damnée, Heinrich Himmler, dans l’ombre duquel navigue le Fauve Blond, Reinhard Heydrich ( HHhH), aussi enragé qu’ambitieux et qui ne porte pas un personnage tel que Saxhäuser dans son cœur de fer.
Mais Saxhäuser ne s’en inquiète pas encore trop. Nazi par opportunisme et rage envers le traité de Versailles, Friederich a vite trouvé la parade pour rester loin du nid de vipère qu’est devenu Berlin, voire toute la Germanie : être un espion à l’étranger.

Et lors d’un de ses retours dans la capitale, Himmler le charge d’une mission en Irak. Officiellement, pour recueillir des informations et instaurer de bonnes relations avec d’éminents Irakiens prêts à les aider en attisant leur haine des juifs.  Officieusement, Himmler, occultiste notoire et convaincu de pouvoir prouver que la race aryenne est bien supérieure, charge Saxhäuser d’accompagner une expédition archéologique prometteuse.
Saxhäuser va alors faire une découverte. Une découverte pouvant faire pencher la balance envers l’Allemagne dans le cours d’une guerre qui s’annonce inévitable.
Mais cet homme froid, méticuleux et méfiant envers ses maîtres permettra-t-il que les monstres qu’il sert puissent enserrer le monde entier ? Ou au contraire prendra-t-il un autre parti, une voie radicalement différente que ce qu’il avait toujours bien pu imaginer ?

Première œuvre romanesque de Stéphane Przybylski, déjà auteur d’ouvrages historiques, la tétralogie des origines se lit comme un seul et même roman. Un énorme roman mêlant l’histoire avec un grand H, théories du complot alien cher à X-files et souffle romanesque puissant.

Que ces personnages soient réels ou fictifs, Przybylski apporte un soin certain à la caractérisation des protagonistes, n’hésitant jamais à doser les zones de gris pour nous faire pénétrer jusque dans les âmes les plus noires. Que les chapitres soient longs ou courts, Przybylski navigue entre les timelines pour tour à tour offrir des éclaircissements sur le passé des personnages ou préparer des rebondissements à l’aide de flashforwards.
Bien que cela demande au lecteur une certaine attention pour remettre ce puzzle dans l’ordre, Przybylski prend soin de ne jamais faire perdre le fil de l’intrigue principale. Une mécanique qui tient de l’orfèvrerie suisse.

Et comme chaque pièce d’orfèvrerie, Przybylski nous invite à d’abord nous dévoiler la surface avant de plonger dans les rouages de son histoire. Au fil des pages, et des tomes, les personnages qu’il suit et décrit se multiplient, les points de vue abondent, rappelant dans la forme un certain G.R.R Martin, l’auteur du «  Trône de fer ».

Espionnage, suspense, action, infiltration, batailles intimes ou dantesques, sa tétralogie ne manque ni de charmes ( féminins ) ni d’atouts : une connaissance de l’histoire au top ( vous apprendrez des trucs, que cela soit en lisant le roman ou dans les annexes – une vraie mine de renseignements pour épater vos amis ), une roublardise pour utiliser les ombres de l’Histoire (et de son histoire ), des personnages charismatiques et une écriture certes parfois ampoulées ( certains dialogues sont si littéraires qu’ils sonnent faux et font très fonctionnels, libérant la bonne info aux lecteurs au bon moment) mais terriblement fluide.

La perfection n’étant pas de ce monde, des scories se glissent ça et là entre les paragraphes. Ainsi, il n’est pas rare que l’aspect surnaturel de l’intrigue, qui , s’il est le moteur de l’action, est finalement la portion congrue du récit, sente un peu trop la série B pulp des années 40 à 50 et détonne dans le réalisme über documenté qui baigne une intrigue à tiroirs eux-mêmes cachant des poupées russes en leur sein. Certaines libertés avec l’histoire officielle peuvent choquer et demander une grande suspension d’incrédulité de la part du lecteur qui, happé, pardonnera sans doute que l’on sorte parfois un coup de théâtre comme l’on sort un lapin blanc d’un chapeau noir d’un magicien.

En oscillant ainsi entre le roman « James Bond » mâtiné d’Indiana Jones (où Indy Bond serait un nazi, parti pris osé ) tendance «  Royaume du crâne de cristal » (perso, le 4éme Jones ne n’a jamais semblé honteux, se plaçant au niveau de « La dernière Croisade » ) et les aventures de Fox Mulder, Przybylski joue parfois sur le fil de la corde MAIS s’il tangue, tel un Philippe Petit, ne tombe jamais, se payant même le luxe d’offrir une cohérence entre des éléments qui devenaient contradictoires chez les agents Mulder et Scully.
Car l’on sent l’auteur qui a pensé son récit et n’avance pas à l’aveuglette. Un récit qu’il a bichonné ( la mécanique est implacable et pourtant elle ne se révèle qu’au fil des pages, sans laisser le lecteur anticiper l’action, et ce même lorsque l’on sort d’un flashforward, très fort ! ) et biberonné aux influences les plus emblématiques de la pop-culture des 80’s à nos jours.

Revers de la médaille, en maniant si bien l’art de mixer Histoire et fiction, son œuvre pourrait bien devenir la bible des conspirationnistes les plus allumés.

Une lecture addictive, solidement construite, labyrinthique comme un film de Christopher Nolan et qui est désormais intégralement disponible au format poche chez Pocket.