samedi 15 juillet 2017

Divine hérésie.

Jason Aaron et R.M Guera refont équipe après le récit policier tendu et à tiroirs qu’était Scalped.
Leur nouveau jouet commun, The Goddamned , se place dans une catégorie totalement différente.
Catégories plutôt car Jason Aaron ne se contente jamais de rester dans la même veine au sein d’un récit, mêlant les sous-genres d’un genre (oula, ça va , vous suivez ? ) allègrement pour surprendre le lecteur et s’amuser à l’écriture.
Blasphématoire et foncièrement hérétique.

1600 ans après le départ forcé d’Adam et Eve du jardin d’Eden ( une sombre histoire de pomme et de serpent qui parle…m’est idée qu’on savait en fumer de la bonne là-bas ), un homme arpente le monde. Il vient de se réveiller dans une fosse à merde, jadis point d’eau potable d’une tribu qui n’a rien trouvé de mieux que de saloper l’endroit.
Peu jouasse, notre dormeur du val pollué va se rendre au cœur de la tribu des osseux, un clan qui pensait lui faire facilement la peau. Mais il a le cuir solide et le leur est sur le point de se retrouver troué.

Vivant de la violence, pour la violence, l’homme avance, seul. Il est marqué à jamais : dans un monde où règne le chaos et les blessures, il ne porte aucune cicatrice. Une marque invisible vue de tous, une marque qui le place en dehors de l’humanité. Il est Caïn, il a inventé le meurtre et Dieu l’a puni pour cela. Il a vu le paradis, il a vu le monde beau. Et ensuite, l’humanité a détruit le monde. Mais cela ne le regarde pas, n’est-ce pas ? Lui, tout ce qu’il veut, c’est mourir, enfin. Alors il marche, à la recherche d’une faille dans la logique de ce divin enculé qui l’a maudit à jamais. Il finira par croiser Noé, bigot dévot qui rase le bois de la planète pour construire une arche en vue de survivre à un déluge qu’il annonce. La rencontre ne se passera pas pacifiquement.



Athée depuis des années, Aaron a été élevé dans la foi baptiste. Il est resté fasciné, ce sont ces mots, par les thèmes de la religion chrétienne et la foi. Fasciné, mais pas complaisant. Fonçant tête baissée dans le monde tel qu’il aurait été selon les théories bibliques et les créationnistes , Aaron ne se prive pas de faire vivre les humains décadents que le Tout-puissant veut faire partir en tirant la chasse de ses grosses toilettes ( donc oui, si Dieu existe, la Terre est son égout, pensez un peu à ça ) avec des espèces rappelant nos bons vieux locataires de Jurassic Park.




Plaçant son récit dans un désert total, le scénariste joue autant sur le terrain de Conan que de Mad Max (l'intrigue peut autant se dérouler loin dans le passé que dans le futur, sans vrai rappel temporel ), lançant un héros solitaire qui a tout perdu dans un espace où les restes de la civilisation se disputent les maigres ressources disponibles.
La loi du plus fort prévaut et Noé nous apparaît sous des traits bien plus dégueulasses que dans le film puant de Darren Aronofsky (étrangement, la bande-dessinée tirée presque du même scénario est bien différente dans la nuance et reste agréable, comme quoi...) dont le héros interprété par Russel Crowe passerait presque pour un humaniste à côté de celui qui nous occupe ici : violent, sûr du divin  consentement en ses actions, aveuglé par sa foi.
Difficile de ne pas voir les parallèles entre ce monde et le nôtre lors de la lecture. Un monde tellement perverti que même la rare beauté devient sauvage et ivre de sang, à l'image de ce paon avide de chair fraîche croisé le temps d'une page.
La nature devient aussi folle que l'humanité dès lors que même les loups se dévorent entre eux.



Odyssée barbare érudite, sanglante et désespérée, les aventures de Caïn sont un coup de poing dans la gueule, un coup de gueule contre le monde, un monde dévasté et ravagé par la bêtise et la crasse. La cruauté se cache partout, l’espoir nulle part.
À l’est d’Eden, rien de nouveau, tout est moins beau.
Les similitudes entre le récit et d’autres archétypes venus de genres différents s’entrechoquent comme les lames sur les os des victimes de raid, un héros détaché voire cynique, figure du héros solitaire qui se trouve une conscience (avant de la reperdre ? ) , des seigneurs de guerres tout-puissant mélangeant religion et voie guerrière ( Daesh, Immortan Joe…) qui imposent leurs vues par la guerre , le viol et l'esclavagisme.
Les couches du récit sont nombreuses. Comme un oignon.

Les dessins de Guera viennent encore plus accentuer l’horreur de l’endroit, son style étant taillé pour saisir les traits grossiers de la misère et de la déchéance mentale et physique des protagonistes et de leurs habitats. On peut presque sentir l’odeur de merde et de pisse en regardant trop longtemps les cases. Elle s’insinue jusque dans notre cerveau.

Nourri d'influences diverses, la série convoque tout autant La Genèse que les codes du western pré-historique et du récit post-apocalyptique. Un grand écart épatant qui donne envie de voir où l'équipe va nous emmener. Et quand, la bête étant en hiatus à durée indéterminée aux USA.

50 shades of light.

Alors que le BDSM a fait une entrée fracassante dans la culture populaire par le biais d’une littérature au rabais et de films moins palpitant qu’un porno sous Xanax ( oui, 50 nuances d’engrais, je pense à toi ) , il a aussi perdu en chemin ce qui le caractérise, ne laissant qu’une vision expurgée capable de plaire à la ménagère de plus de 55 ans et aux midinettes. Quelque chose de lisse, consensuelle et incapable d’être un tant soit peu transgressif. Il faut que les gens qui se sentent normaux puissent s’encanailler sans se sentir déviants ou sales.

Dieu merci ( c’est une expression, je suis athée ) , à quelque chose malheur est bon. 50 shades a ouvert une porte et au milieu de ses clones dégénérés, quelques œuvres ont pu se faire éditer…tout en ne tombant pas dans les pièges évidents dans lesquels s’est vautrée la littérature érotique à la mode actuellement. Sunstone est de celles-ci.

Stjepan Sejic est un dessinateur d’origine croate qui s’est fait connaître outre-atlantique par son travail sur le comic book Witchtblade (un seul tome de son travail sur la série a été édité en VF, la série n’ayant jamais réussi à décoller sous l’égide de Delcourt qui a pourtant tenu bon autant qu’il pouvait).  Mais l’homme est aussi connu sur deviantart où il publiait un comic , Sunstone donc. Image Comics lui a proposé de le publier en album et Sejic a commencé à retravaillé ses dessins pour les caller sur un modèle de parution livresque.

C’est donc l’histoire de Lisa et Allison, deux fans de BDSM qui se rencontre pour la première fois après des mois d’échanges sur le net. Lisa est une soumise, Alli est une dominatrice. Tout devrait bien se passer non ?
Et c’est là que la surprise survient. Loin de nous vendre un porno, Sejic nous offre…une belle histoire d’amour. La première rencontre ? Mais que ça soit pour du BDSM ou pas, ça reste un premier rendez-vous, avec ses questionnements, ses craintes, ses espoirs. Lisa et Alli se posent des questions sur elles-mêmes, sur l’autre, sur ce qu’il faut faire, ne pas faire.






Et passent à l’acte. Loin de l’imagerie à peine osée d’un Christian Grey et de son comportement abusif ( vous connaissez la blague comme quoi si il était moche, pauvre et vivait dans une caravane ça serait un épisode d’Esprit Criminel ? Et bin, c’est pas une blague ) , Sejic convoque l’imagerie BDSM-latex, baillons, etc… en indiquant tout ce que cela représente pour les personnages. Il s’agit d’un jeu de rôle et non d’un style de vie tout court. Les protagonistes sont d'ailleurs très bien dans leurs têtes vis-à-vis de leurs désirs et fantasmes. Et un peu paumé quand on arrive sur le terrain des sentiments ( ah, ces humains...)
Peu avare en images sur le sujet, Sejic ne convoque jamais le spectre de l’excitation facile. Sous un vernis hardcore, se cache en fait un érotisme féroce, agréable à regarder mais pas à reluquer. Les atermoiements érotiques se placent dans une configuration de vie de tous les jours, moments récréatifs au milieu des relations humaines qu’entretiennent les personnages.




D’abord très centré sur Lisa et Alli, la série s’ouvre au fil des tomes sur toute une galerie de personnage attachants, tous différents, si ce n’est leur goût pour le BDSM. Leur lieu de rencontre privilégié étant la boîte le Crimson. Enlevez la couche coquine, et on se retrouve dans Coupling, ou dans une moindre mesure dans Friends.
Le BDSM est ici un décor abordé sans condescendance mais ne constitue pas le cœur de l’intrigue. Non, l’intrigue se construit sur la base des psychologies solides des personnages, de leurs choix, de leurs conneries et de leurs facultés à apprendre de leurs erreurs, ou non.  Une comédie romantique solide, jamais cul-cul ( mais un peu cul quand même ) et terriblement attachante ( avec des nœuds, si possible ).

4 tomes disponibles en VF, le numéro 5 sort fin Août.

mercredi 12 juillet 2017

Bat-family business.

James Tynion IV est un auteur de comics poussé par son mentor, Scott Snyder. Il lui a offert de coécrire certains épisodes de Batman, certains back-ups et de participer aux séries hebdomadaires Batman Eternal  et Batman & Robin Eternal. Des sagas ambitieuses mais un peu longuettes. C’est aussi lui qui a commis Batman/NinjaTurtles. Bref, pas le gars dont on attend le travail avec
impatience…

Jean-Paul Valley, alias Azrael est attaqué par Batman dans la cathédrale de Gotham. Le combat est peu équilibré, Jean-Paul se faisant dézinguer comme c’est pas permis. Soudain, l’ombre noir de la chauve-souris décide de fuir suite à une alarme dans son masque high-tech. Cette alarme ? Batman lui-même…quelqu’un se faisait passer pour lui a attaqué Azrael et le match était filmé par un drone.
Deux jours plus tard, Bruce décide de recruter une petite équipe et de la former avec l’aide de Batwoman, alias Kate Kane, sa cousine du côté de sa mère.




Soit Tynion IV a engagé un ghost writer, soit il prend de la coke. En tout cas, le boulot qu’il fourni ici est en tout point excellent. Il signe peut-être même une meilleure série que Batman avec ce Detective Comics , titre de la première revue à avoir accueilli l’homme chauve-souris en 1939 !

Qui est derrière ce faux Batman ? Pour quels motifs ? Voila bien des questions et je vous encourage à aller chercher les réponses dans cet excellent album. Mais diantre, voila que cela ferait une bien courte critique n’est-ce pas ?



Alors, à part une grande menace, qu’est-ce qu’on a à se mettre sous la dent ? Et bien, outre une intrigue principale menée tambours battant, Tynion IV nous offre une série de personnages ! Batman, personnage perçu essentiellement comme un solitaire , est une image d’Epinal. Bruce Wayne est avant tout un homme blessé, hanté par le fait d’avoir perdu sa famille. Très vite, il s’en créera une de substitution en adoptant Dick Grayson, le premier Robin devenu aujourd’hui Nightwing. Viendront s’ajouter Jason Todd et Tim Drake. Avant que Talia Al Ghul ne lui avoue lui avoir caché son fils, Damian, l’actuel Robin ( qui a quitté les bat-séries pour rejoindre les Teen Titans, dommage ).

Batwoman, pour ceux qui l’ignoreraient, est la cousine de Bruce Wayne, la nièce de Martha Kane, épouse Wayne. Ce fait, souvent cité mais peu exploité, est ici au centre de l’intrigue. Car ces deux-là ont bien des points en communs. Des fêlures et des blessures similaires ; des moyens de guérisons qu’ils ont choisi d’arpenter seuls (ou presque : Bruce a Alfred, Kate avait son père, le colonel Jake Kane ). Voie qu’enfin un scénariste les réunit pour en faire une relation forte est non seulement une bonne chose mais également une chose bien écrite. On frôle rarement le pathos «  à l’américaine » et il n’est jamais étiré comme au cinéma ou les séries un peu trop lisses.



Ensuite, Tynion IV réintroduit des éléments qui avaient disparu de la continuité officielle. Cela semble sortir de nulle part mais tout se goupille pourtant avec facilité dans le bat-verse : Tim Drake, Red Robin, est de nouveau en couple avec Stéphanie Brown,Spoiler. Leur relation d’ados n’est absolument pas calquée sur Dawson et autres conneries du genre : ils sont ados mais intelligents, matures.

Les relations au sein de cette bat-famille réduite sont au cœur du récit, ce qui renforce d’autant plus l’adhésion du lecteur à l’histoire narrée. Mieux, en insistant là-dessus, Tynion IV arrive à faire passer le fait que ce bat-titre est plus centré sur le supporting cast que sur Batman ! Batwoman tire la couverture mais ce serait mentir que de dire que les autres n’existent pas, même si Cassandra Caine (Orphan) et Gueule D’Argile (oui oui, vous lisez bien…un choix intrigant mais payant ! ) ne sont pas encore pleinement sous les projecteurs.  Peut-être que cela aurait alourdit le récit mais avec une structure de famille destroy, introduire Damian Wayne et Harper Row dans l’équation aurait fait sens.





Niveau dessins,vu le rythme bimensuelle du titre aux USA, ce sont les dessinateurs Eddy Barrows et Alvaro Martinez qui se relayent. Leurs styles ne sont pas trop dissemblables et il n’y a donc pas de vraies ruptures graphiques ( contrairement à Batman par exemple ). Les cases profitent d’un bon stiry-telling et les dessins assez réalistes sans taper dans la décalque de photos permet de se plonger dans le récit.

Bref, Batman Detective Comics est , pour l’instant, la meilleur Bat-Série publiée en VF par Urban comics. Foncez !

dimanche 9 juillet 2017

The Island.

Alex Nikolavitch est : traducteur ( surtout pour les comics), scénariste de bande-dessinée ( voire ici ) , essayiste et depuis peu, romancier. Son second roman ( oui, je sais : j’ai pas chroniqué le premier. Et ta sœur, elle bat le beurre ? ) , publié chez Les Moutons Électriques est sorti il y a peu.

Les rues de New-York sont un endroit à nul autre pareil. Il n’y a que là-bas que vous pourrez croiser un étrange marin semblant tout droit sorti d’une couverture de livres pour la jeunesse se balader à la recherche d’herbes « médicinales » particulières. C’est aussi dans ces rues que les flics chassent les truands. Et quand le big boss d’un gang prend en chasse notre matelot c’est tout naturellement qu’un flic entre dans la danse. Une flic à dire vrai, Wednesday. Et par un tour de passe peu catholique et fort brumeux, notre petit trio se retrouve…sur une île exotique qui semble un peu trop familière à n’importe quel fan de Disney ou de Steven Spielberg.



Nikolavitch convoque, vous l’aurez compris, le petit monde de l’île de Neverland, à savoir le Pays Imaginaire de Peter Pan inventé par Barrie, pas le parc d’attractions personnel de feu Michael Jackson. Jouant avec les archétypes que nous connaissons et n’hésitant pas à en proposer d’autres, l’auteur nous plonge dans un univers que nous connaissons au moins tous de loin et dont certains repères nous sont familiers. Mais il ne fait pas que nous lancer dans un monde connu : il tord certains concepts, en fait évoluer d’autres, etc…

Le récit a cela d’original qu’il suit essentiellement l’histoire croisée de trois personnages, le fameux capitaine au Crochet et son ennemi volant se retrouvant n’être que des seconds rôles. Et nos trois larrons ont des motivations et des plans bien à eux, des plans qu’ils veulent absolument mettre en branle et vite. Le rythme se retrouve donc assez soutenu dans ce court roman qui n’oublie pourtant pas de donner un background suffisant à ses personnages pour que le lecteur ne lise pas le récit de coquilles vides.
Et en plus de ça, c’est bien écrit et difficile à lâcher.