mardi 16 janvier 2018

Hollywood confidential.

Los Angeles, 1948. L’après-guerre a laissé place à la chasse aux sorcières car que serait l’Amérique sans un ennemi (soit-il intérieur et imaginaire) et une lutte à mener ?
Charlie est scénariste pour le plus petit studio (fictif) de la ville.
Il est apprécié de certaines stars et de Dottie, la secrétaire miracle capable de falsifier le dossier d’un acteur et de mettre en scène celui-ci devant la presse.
Il vient aussi de se réveiller dans la baignoire du bungalow de Val Sommers après une soirée bien trop arrosée. Mais la gueule de bois n’a pas le temps de durer car Charlie retrouve Val étendue contre son sofa, morte étranglée.
Charlie fuit, ne sait pas ce qui c’est passé la nuit derrière. Le lendemain, la presse annonce que la star montante s’est suicidée. On a maquillé l’affaire.
Et ça, Charlie ne le supporte pas…

Ed Brubaker est un auteur connu et reconnu du monde des comics. On associe son nom à Batman, Daredevil et même les X-Men.
Il est également celui qui aura poussé la série Captain America dans la catégorie espionnage, conciliant autant une approche James Bond que celle proche de John LeCarré.
Mais depuis un moment, Brubaker a quitté les super-héros de DC et Marvel pour écrire ce qui lui plait le plus : de l’espionnage ( Velvet, chez Delcourt) et du polar. Deux choses qu’il maitrise depuis longtemps ( Captain America n’était pas un coup d’essai ) avec un copain de jeu récurrent : Sean Phillips.
De Sleeper, l’histoire d’un agent infiltré dont la vie tourne au cauchemar dans un monde de super-héros à Fatale en passant par Criminal (et bientôt Kill or be killed ) ou encore Incognito, Brubaker et Phillips sont une équipe gagnante.

Les voir s’attaquer à une période sombre de l’Amérique dans une Californie baignée de soleil, voila qui a de quoi exciter le lecteur potentiel.

Brubaker ne signe pas un récit d’enquête à la thriller. Le héros n’est ni flic ni détective et la victime n’annonce pas une série de morts ni ne se place dans une série d’icelles. Son métier, sa vie, ne sont pas un jeu de déductions permanent. Et s’il veut connaître la vérité, il va devoir la jouer fine. Ou pas, il faut bien créer un peu de tension de temps en temps.
En posant Charlie, Eb Brubaker pose son entourage et son environnement : la chasse aux rouges, les studios tout-puissants ayant la main-mise tant sur leur personnels ( stars inclues, qui se prêtaient à d’autres studios comme un club de foot prête ses joueurs ) que sur la presse et les flics. Pour se faire, les studio avaient des agents appelés « fixer » , en français, des réparateurs, qui devaient trouver des solutions pour éviter les scandales.
Si vous avez vu le film Hail Caesar des frères Cohen, vous constaterez qu’ils ont fait de ce métier bien réel un ressort de comédie satirique. Brubaker nous dévoile l’autre face de la pièce, la vraie, la sale.



L’enquête de Charlie, aussi vitale soit-elle pour lui, est presque un prétexte pour Brubaker de nous dévoiler l’envers du décors de la machine à rêve hollywoodienne de l’époque. Et si certaines habitudes ont disparu, la récente affaire Weinstein nous montre bien que tout n’a pas vraiment changé là-bas.
Mais c’est en créant des personnages nuancés, à la psychologie soignée dans l’écriture, que Brubaker arrive à nous faire croire à tout cela. Tout est en nuance de gris. Seul la nuit et le jour se situent aux extrêmes du spectre. Les gens coincés entre eux deux ne sont que des ombres ou des flammes éphémères, comme ces starlettes qui ne marqueront plus les esprits une fois la quarantaine passée.

Au fil des pages, le lecteur le sent : l’enquête sur la mort de Val n’est qu’un fragment de l’autopsie d’un monde disparu (mais pas encore totalement éteint) , violent et lourd, où les secrets doivent être cachés et protégés à tout prix, où le scandale est le pire ennemi de tous car il détruit des vies aussi vite que le feu la pellicule. Et les puissants sont prêts à toutes les bassesses ( si possible commises par d’autres mains que les leurs ) pour que leur monde et leurs privilèges restent intacts, que rien ne change, que les mêmes recettes se répètent encore et encore. Donner au public ce qu'il veut ( une nouvelle Veronica Lake et non une nouvelle actrice, par exemple ) pour être certains que les recettes suivent ( et ça,le ciné américain, français ou même indien l'applique encore de nos jours vous savez).
Pessimiste mais jamais cynique, Brubaker nous emmène dans ses tours et détours sans jamais nous perdre, dosant parfaitement les actions sur les pages et nous fait plonger derrière l'écran, là où le cauchemar se joue pour donner naissance au rêve sur pellicule. La cité des anges n'en abritent aucun, et si par hasard ils venaient à s'y perdre, la ville du Diable ne leur pardonnera pas.

Le trait de Phillips est élégant et agréable à l’œil. Sans être photo-réaliste, il ne se pose pas en déformation cartoonesque du réel et se prête bien aux ambiances noires que son collègue scénariste lui demande de poser sur le papier. Il est suffisamment précis dans son trait pour donner un visage unique aux personnages et retranscrire les quelques caméos de personnages célèbres qui viendraient à passer lors d’une soirée, le cinéma est une grande famille après tout.

L’édition Delcourt est de toute beauté, près de 400 pages reliées sous une belle couverture. En parlant de couverture, Delcourt place les 12 couvertures des 12 mensuels US en bonus. Et ce ne sont pas les seuls , suivent la bande-annonce de l’ouvrage sous forme de BD ( qui ressemble plus à un manifeste qu’à une pub pour un produit fini, l’auteur avouant que lorsqu’il écrit , i sait où il va mais pas forcément comment ) ainsi que diverses illustrations qui accompagnaient les articles sur le cinéma joints aux mensuels aux States…articles qui ne sont pas inclus dans cette édition ! La grosse faute de goût de Delcourt sur ce coup-là mais ils sont coutumiers du fait : Velvet, du même Brubaker, contenait un courrier des lecteurs auquel l’auteur répondait. Et rien n’aura été traduit non plus dans notre belle langue de Molière. Mais que cela ne gâche pas votre lecture de Fondu au noir, une histoire qui aurait très bien pu arriver…

dimanche 7 janvier 2018

Oh douce France.

Je suis un cynique.
Il y a un mois, je me gaussais de l’ampleur de l’hommage à Johnny Haliday.
Alors, pourquoi aujourd’hui, alors que France Gall nous quitte, je me mets à pleurer ?
Parce que je sais bien pourquoi les fans du représentant officiel d’Optic 2000 étaient touchés (et pourquoi ces chansons qui resteront sont signées Berger et Goldman, essentiellement), le cynique ne connait pas la naïveté, il existe en partie parce qu’il sait se moquer d’elle et la remettre à sa place ( dans la poubelle intellectuelle ).


Les chansons ont du pouvoir. La magie combinée de la musique et de la poésie symphonique et déclamée. Nous sommes des animaux, tous nos sens sont focalisés sur une chose essentielle, nous faire ressentir. Millénaire après millénaire, nous avons apprivoisé nos instincts, cultivés leurs différences. De nos tympans servant à nous prévenir du danger ou du chant appelant à la reproduction ( Thanatos et Eros, les moteurs de la vie ), nous avons obtenus un organe qui fait plus que nous pousser à fuir ou à baiser comme bêtes. La musique et la langue parlée reposent sur les sonorités, nous les avons développées, complexifiées au fil du temps et des instruments. Puis est arrivée la musique des années 90 et 2000 et Justin Bieber mais c’est un autre débat, je parle d’évolution, pas de l’inverse qui s’expose sans honte dans l’espace actuel.
Les notes et les syllabes ont commencé à dire quelque chose, à nous toucher au cœur avant de remuer le cerveau. C’est de la magie. Pas un tour de cartes ou de la clinquante prestidigitation. Non, des formules complexes instrumentales et fondamentales à faire passer les passages exotiques du langage d’Harry Potter pour roupie de sansonnet. C’est pourquoi lire de la poésie à haute-voix est plus stimulant.
Sous le pont Mirabeau coule la seine, ce n’est rien. Mais lisez à haute et intelligible voix. Entendez-vous maintenant la peine, la douleur, la mélancolie qui coulent et s’échappent dans les airs. Les paroles s’envolent car la magie est éthérée, les écrits restent pour nous enseigner les formules, rien de plus.
Écoutez le second mouvement de la 7éme de Beethoven. Percevez la force d’évocation dramatique émise par un romantique brisé. Pleurez d’une histoire sans mots mais non sans âme.
Lancez le presto de l’Été de Vivaldi, sentez la galvanisation de vos muscles, de vos sens. Cette envie soudaine de courir, de bondir, de s’esquinter tel un hussard sur le toit.
Et maintenant, combinez donc la langue et la musique. Il y a le désir, l’envie, la libération qui vous étreignent alors que le Nessun Dorma de Puccini pulse dans vos oreilles. Et soudain, ce n’est plus la scène , c’est de votre corps que proviennent les pulsations. La magie de l’opéra a fait de vous une étoile à neutrons, félicitations. Voila l’une des drogues les plus puissantes, cette expérience collective qui vous fait sentir, vous et vous seul, exceptionnel d’avoir compris. D’être entré en connexion avec l’œuvre. D’être à la fois extérieure et intérieur à cet étrange objet. La transcendance. Vous la sentez à cette simple évocation n’est-ce pas, cette onde qui vous inonde autant le cerveau que l’âme.

La magie aide à tenir. Elle nous porte, nous fait mal, nous fait du bien, nous fait vivre. La magie est quantifiable, explicable, infinie et incompréhensible. La magie est tout. Mais surtout, surtout,plus que tout, la magie fait du bien.
Elle sait nous trouver quand nous avons besoin d’elle et s’insinuer sous notre peau, derrière nos tendons et nos os et nous soulever, nous élever , nous remettre sur pieds le temps que nous trouvions comment remarcher sans elle.
C’est ce que France Gall ( et Michel Berger, bien entendu, mille fois bien entendu) a fait pour moi il y a plus de 6 ans maintenant.
Je suis un littéraire et un esthète. Je crois aux pouvoirs des phrases et des images. Mais les pouvoirs s’invoquent.
La magie se convoque, et elle ne répondra que si elle le veut bien. Certains avaient ses faveurs, et ils nous laissent désormais un peu plus seuls…Les chanteurs partent, leur magie reste.
On pleure la disparition des faiseurs de miracles, mais les miracles n'ont pas disparu. Et c'est à ça qu'il faudra s'accrocher...