lundi 17 juin 2019

The Predator Returns

Immortalisé par la magie du cinéma en 1932 dans The Most Dangerous Game, le comte Zaroff et ses chasses à l’homme sont entrés dans l’imaginaire collectif. Et ne l’ont pas quitté, que cela soit sous sa forme originelle ( la nouvelle parue en 1924 ) ou ses itérations plus modernes.

Sa pugnacité, son obsession et son, osons le dire, professionnalisme de chasseur implacable évoluant dans une jungle sombre et moite ( celle-là même, en studio bien entendu, qui servait dans le même temps à tourner King Kong qui devait sortir peu après ) participeront à créer une icône , si ce n’est un mythe ( l’honneur du premier mythe  créé par et pour le cinéma, cependant, revient à King Kong car il s’agit d’une création tout à fait originale et non d’une adaptation d’un travail littéraire existant ).

L’archétype du chasseur chassant la proie la plus particulière et la plus mortelle, l’homme, a infusé dans la pop-culture depuis lors. Citons des exemples récents tels Ramsay Bolton dans la série télévisée Game of Thrones ou encore le célèbre extra-terrestre Predator dont Arnold aura eu tant de mal à se débarrasser dans le film éponyme de John McTiernan.

C’est le prolifique scénariste Sylvain Runberg qui se colle à la tâche de donner suite au récit qui voyait la première défaite de Zaroff et sa mort apparente.
Mais plutôt que de suivre le cours du film de 1932, Runberg décide de remonter aux sources du fleuve, dans le cœur des ténèbres de la nouvelle de Richard Connell.
En petit rusé didactique, Sylvain Runberg pose les bases : une chasse ouvre l’album, une chasse qui aura pour conséquences de lancer l’intrigue principale.
Ensuite, il prend le temps de décrire la fin du récit original, permettant aux lecteurs qui n’auraient connaissance que du film, de bien distinguer les quelques différences et de s’immerger dans ce monde « parallèle » et ainsi de ne pas tiquer sur quelques détails qui ne colleraient pas avec le long-métrage qui les aura à n’en point douter marqués.

Ces éléments posés, Runberg va donc déployer sa carte de jeux et ses pions.
Zaroff a survécu et termine la préparation d’un nouveau terrain de chasse sur une nouvelle île éloignée de la civilisation. Aux USA, Sanger Rainsford, l’homme qui a défait le monstre, donne une conférence de presse pour relater ses aventures. Dans la foule, une femme au regard d’acier ne rate pas un mot. Fiona Flanagan a compris que son père, chef d’un gang de Boston , est mort des mains de Zaroff. Elle met donc au point un plan pour se venger : elle kidnappe la sœur de Zaroff et ses enfants et les lâche sur l’île. Zaroff doit les retrouver avant Fiona et son gang s’il veut espérer survivre et sauver ce qu’il lui reste de famille. Le sang va couler, mais qui en perdra le plus dans ce duel de psychopathes ?





Et grand dieu, quel duel. Que personne à Hollywood n’ait pensé à donner une suite digne de ce nom à ce classique reste un mystère mais cela permet à Runberg d’user de recettes connues : plus d’enjeux dramatiques comme la vengeance d’une famille face à la survie d’une autre, plus de personnages car l’on passe non pas d’un simple duel mais bien à un combat entre deux meutes dans des décors plus grands et plus variés.
Deux meutes dysfonctionnelles car les relations familiales entre les Zaroff sont tendues et tous au sein du gang de Boston ne voient pas d’un bon œil le fait d’être mené par une femme, surtout dans un enfer vert auquel ils ne sont aucunement habitués. Le dosage entre tension psychologique et aventure matinée de pulp est des plus équilibré et la lecture se fait d’une traite, haletante.

Runberg ne tombe pas dans le manichéisme, car, par touches délicates, ils nous rappellent que de Finoa à Zaroff, du gang à la famille, tous , à divers niveaux, agissent parfois pour des raisons sentimentales sans être pulsionnelles : Fiona aurait pu régner sur Boston sans venger son père, Zaroff pouvait laisser tomber une famille qu’il connaît à peine, mais des traces d’attachements à leur pairs subsistent encore ça et là. Sylvain Runberg ne se laisse pas non plus enfermer dans un schéma qui rappellerait le " rape and revenge " où la proie devient le chasseur et inversement. Ici, les étiquettes se confondent, ajoutant de donner du goût à une recette connue qui ne demande que le talent du chef pour se savourer.

Et outre le scénario linéaire mais bien ficelé de Runberg, l’on retrouve aux dessins François Miville-Deschênes dont chaque case respire le talent. Son trait élégant et à l’opposé du cartoonesque nous entoure bien vite d’un sentiment de réalité tangible. Et terrible.
Car sa jungle nous semble à la fois nouvelle et totalement connue, rendant hommages (voulus ou non ? ) à celles que l’on a arpenté dans King Kong ( celui de 1933 comme celui de Peter Jackson en 2005 ), de Predator, de Jurassic Park etc…
Une jungle luxuriante et belle mais qui recèle dans ses ombres la mort apportée par diverses espèces carnassières encore plus assoiffées de sang  que ne l’est le propriétaire de l’île.





Le travail sur les couleurs achève de donner un cachet à l’ensemble, mention spéciale aux séquences orageuses où chaque éclair ramène les cases vers du noir et blanc lorgnant sur celui de la grande époque de ce procédé cinématographique, créant ainsi une parenté avec le film qui rendit célèbre ce chasseur , cette créature aux traits humains mais aux goûts à l’opposé de toute humanité.
L'ensemble peut provoquer, chez les plus cinéphiles d'entre vous, l'impression d'entendre par moments quelques morceaux composés par Alan Silvestri pour le film Predator, signe d'une immersion totale dans ce récit muet car, faut-il le rappeler, le littéraire est avant tout...dans la tête !

La fin, ouverte, laisse vagabonder l’imagination du lecteur face aux potentielles nouvelles horreurs qui pourraient se produire.

Zaroff est donc incontestablement une grande réussite de bande-dessinée de cette année, publié dans la belle collection «  Signé » des éditions du Lombard, sorte d’équivalent à «  Air Libre «  chez Dupuis.

En Novembre, le scénariste revient s’attaquer à une autre icône de la culture pop : Conan le cimmérien, la création de Robert E. Howard qui bénéficie, chez Glénat d’une série d’adaptations de textes centrés sur le barbare le plus célèbre du monde où chaque album se voit confié à une équipe créative différente relevant le défi de transcrire un univers bien différent de celui imprégné sur la pellicule par John Millius dans les années 80 (mais nous reparlerons du pourquoi et du comment cet automne , si l’auteur de ces lignes ne cède pas à l’un ou l’autre album avant cela bien entendu : la saison estivale au cinéma cette année semble bien creuse et il devra chercher ailleurs de quoi nourrir son âme et son esprit ).