mardi 3 novembre 2015

La guerre éternelle.

La guerre contre la drogue reste l’un des nombreux thèmes récurrents du cinéma américain depuis plusieurs dizaines d’années , que l’histoire suive un baron à la Scarface ou une équipe de choc à la Miami Vice en passant par des histoires qui mêlent un peu tous les protagonistes comme dans le Trafic de Steven Soderbergh.
Le sujet est vaste, autant nourri par les actualités que les fantasmes des auteurs et des spectateurs sur les acteurs de cette lutte, du flic infiltré au boss sadique et impitoyable dans un monde en teinte de gris que le cinéma aborde de moins en moins par le prisme manichéen du blanc contre le noir.

Sicario se place donc dans cette mouvance sur ce terrain bien connu du public comme des cinéphiles d’ailleurs.
Kate Macer est une agent de terrain du FBI, elle appartient à une équipe spécialisée dans les prises d’otages. Au cour d’une opération de récupération, elle et son équipe découvre un véritable charnier caché dans les murs en simili d’une maison de banlieue appartenant à une société d’un lieutenant travaillant pour un trafiquant mexicain. Voulant absolument faire tomber le responsable de telles atrocités, Kate accepte de rejoindre une équipe montée par le ministère de la défense et composée de plusieurs agences. Très vite, l’agent Macer va comprendre qu’elle a mis les pieds dans un monde qu’elle ne comprend pas vraiment et qui pourrait bien lui coûter la vie.





La première chose qui frappe dans le film, c’est la logistique. La réalisation est d’une fluidité telle que le travail logistique a dû être un cauchemar a mettre au point et à appliquer. Cette maîtrise prend aux tripes le spectateur. La mise en scène est exemplaire et prouve une fois de plus qu’elle peut tirer un film vers le haut même avec un scénario déjà-vu.
Trois séquences sortent du lot : l'introduction, la scène du péage à la frontière et celle du tunnel. Des morceaux de cinéma intenses et éprouvants pour les nerfs tant des personnages que du public.
La réalisation est renforcée par la photo de Roger Deakins, directeur de la photographie attitré des frères Coen et qui avait fait un travail de dingue sur Skyfall de Sam Mendes ( dont il n’a pas éclairé Spectre, pris par le tournage de Sicario d’ailleurs). Les contre-jours sont tout simplement des tableaux vivants du plus bel effet.
Et la musique de Jóhann Jóhannsonn use des basses pour créer une tension et une atmosphère oppressante.




Qui dit mise en scène dit aussi direction d’acteur. Et le maître-mot semble avoir été sobriété ! Si quelqu’un a été tenté de cabotiner, il n’a sans doute pas su le faire longtemps.
Emily Blunt incarne le personnage principale de Kate Macer : une femme forte et capable mais soudain poussée hors de sa zone de confort. Résultat, elle fait passer comme une lettre à la poste sa prestation de femme d’action complètement larguée par ce qui se passe et dont le sens moral va être mis à rude épreuve. Cet aspect du film est par contre porteur d’un gros défaut narratif : le personnage de Kate est la balise du spectateur, nous comprenons au fur et à mesure qu’elle comprend, nous ne sommes pas pris par la main. C’est un procédé très immersif qui exige du public qu’il s’investisse dans l’histoire mais cela déforce l’aura du personnage, qui dès lors subit plus qu’il n’agit.
Les personnages d’action, quant à eux, cachent leur jeu : que cela soit sous un sourire et des manières mi-charmantes mi-agaçantes comme dans le cas de Matt (joué par Josh Brolin) ou un détachement mutin et ultra professionnel pour le personnage d’Alejandro de Benicio Del Toro. Plus on avance dans le film, plus les magouilles se révèlent et les actes sont expliqués.






Et c’est là que le bas blesse : ces magouilles, on les a déjà vues ailleurs. Les motivations ? Pareil, c’est du connu. Disons-le tout net : le scénario ne brille pas par son originalité ou sa prise de risque même si le personnage d’Alejandro tire son épingle du jeu ( tant par son comportement que grâce au jeu de Del Toro).
Et sans la technique de Denis Villeneuve, le réalisateur, Sicario n’aurait été qu’un film de plus du samedi soir prenant place dans cette guerre qui pourrait bien ne jamais se terminer qu’est la lutte contre la drogue et les cartels d’Amérique du Sud.
Mais voilà, la rigueur de réalisation tire le long-métrage vers le haut, rappelant même lors de quelques fulgurances viscérales l’excellent Zero Dark Thirty (là aussi une histoire de traque avec un personnage féminin fort…mais bien moins passif au final que Kate Macer).



Le Général MacArthur attribuait, à tort, une citation à Platon : "Seuls les morts ont vu la fin de la guerre."
Et en substance, la question finale du film est là : si l’on ne peut voir la fin de la guerre, peut-on y échapper ?

Un très bon film, à défaut d’être le grand film annoncé par la critique internationale et l’engouement au festival de Cannes, mais qui pèche par un scénario trop peu couillu et qui le condamnera sans doute à être vite oublié du public. Reste les cinéphiles qui devraient se souvenir encore longtemps de la réalisation plus que du film en lui-même : les lecteurs blu-ray vont chauffer à force de faire des pauses et des allers-retours pour décortiquer certaines scènes !
Un remarquable mécanisme d'orfèvrerie à défaut d'un bijou.

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