Lors d'une sortie au Zoo avec sa classe, l'enseignant Thomas Wayne perd la vie face à un homme armé. Il a juste le temps de mettre les enfants sous sa responsabilité (dont son propre fils, Bruce) en lieu sûr avant de succomber sous les balles. Enfermé dans la sanctuaire des chauve-souris, animaux qui le fascinent, Bruce en sort déterminé à faire payer les criminels. En commençant par crier sa haine en plein tribunal lors du procès.
Entré enfant de ce zoo, c'est un animal qui en ressort. Motivé et dopé par cette haine, cette aversion viscérale qu'il voue à Joe Chill, l'assassin de son père, Bruce comprend qu'il doit voir large, très large s'il veut avoir un impact à Gotham City.
Étudiant brillant doté d'une bourse sportive, il apprend tout ce qui lui sera nécessaire pour devenir ... Batman.
Au début des années 2000 , Marvel Comics tente quelque chose. Alors que les X-Men font un joli score au box-office cinéma et que Spider-Man s'apprête à envahir les salles et tenir fièrement tête à Star Wars Episode II ( mastodonte de l'été 2002, même face au Minority Report de Spielberg ) , l'éditeur réalise que ces films vont sans aucun doute attirer de nouveaux lecteurs. Mais il y a un hic. Les séries de super-héros sont conçues comme des soap-operas qui se diffusent dans les kiosques depuis...plus de 40 ans. Certains héros ou équipes sont mêmes pourvus de plusieurs séries mensuelles. Pour un lecteur novice, la tâche peut être ardue pour s'y retrouver dans l'histoire mouvementée des mutants et de l'araignée sympathique.
Comment alors permettre aux nouveaux lecteurs potentiels de ne pas se sentir perdus ? En lançant une gamme parallèle, libérée du poids de la continuité ( le paradoxe étant : cette gamme finira bien vite par créer la sienne, c'est inévitable ). Ce sera la gamme ULTIMATE COMICS. Spider-Man y subit un lifting , les X-Men se font plus proches et aussi plus différents que ceux des films et enfin, les Ultimates deviendront l'équivalent des Avengers de cette gamme ( et ironiquement, les Avengers du cinéma seront fortement influencé par les Ultimates , la boucle est bouclée ).
20 ans plus tard, c'est au tour de DC Comics de se lancer dans une tentative de recréer ses héros emblématiques dans un univers à part de la longue continuité sur laquelle sont posées nos héroïques figures.
C'est Scott Snyder qui présidera au destin de cet autre Bruce Wayne , avec Nick Dragotta aux pinceaux.
Scott Snyder n'est pas un puceau dans le monde gothamite : après avoir fait ses preuves sur quelques épisodes de Detective Comics et s'être illustré sur une mini-série explorant les origines de Gotham, Snyder se voit offrir le Saint Graal, la série titre Batman ,lors du lancement de l'ère New 52 de l'éditeur aux deux lettres. Déja à l'époque, il s'agissait de faire table rase d'une partie du passé des héros pour ré-inventer et ré-investir les titres d'une passerelle d'accès pour le nouveau lecteur (ou celui qui , parti , souhaiterait y revenir)
Il s'y évertuera à secouer le cocotier et introduira un nouvel élément : La cour des Hiboux , un groupe de riches enculés portant un masque de Hiboux et se regroupant dans les arrières-courts et les ombres de la ville, décidant de son destin en fonction des besoins de leurs portefeuilles d'actions. Le hiboux étant le seul prédateur naturel de la chauve-souris, le duel fera date. Depuis lors , Snyder a continué à toucher à Batman par-ci par-là, pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire. De quel côté de la balance penche donc cette nouvelle itération ?
Visuellement d'abord, Nick Dragotta fait un travail superbe, un bonbon pour les yeux. Son trait en apparence simple, ne l'est pas. Il faut travailler comme un acharné pour obtenir un rendu si fluide, doux mais également plus détaillé que le premier regard ne laisse songer et capable de jongler avec tant d'ambiances différentes ( de l'intimiste au réaliste en passant par le pur body horror ; les lecteurs de East Of West, la série de SF apocalyptique qu'il a dessinée pour le scénariste Jonathan Hickman savent de quoi je parle ). Dragotta multiplie les approches : des micros cases au milieu de celles d'une taille convenable , des pages entières consacrées à un seul dessin imposant, etc...son découpage est dynamique et aide à créer une tension lors de la lecture.
Le gros bémol ? Le format de publication choisi par Urban Comics qui ne rend absolument pas hommage au travail acharné du bonhomme et qui demande presque une loupe pour lire les lettrages. Les plus optimistes pourraient attendre une hypothétique intégrale grand format et délaisser les sorties des albums ordinaires : ce qui nuirait au succès du titre.
Scénaristiquement ensuite , Scott Snyder pose son Batman dans un monde en proie aux problèmes sociaux et environnementaux que le monde réel subit de plein fouet en ce moment. En faisant de Bruce le fils d'un enseignant et d'une assistante sociale idéalistes, Snyder ne l'isole pas dans un manoir froid et loin des pulsions du cœur de la ville. C'est un garçon certes victime d'une horreur mais dont la mère est restée un pilier solide. Et surtout, surtout...Bruce a des amis issus du même milieu que le sien. Des amis comme Harvey Dent, Selina Kyle ( sa sœur de cœur , au pire ) , Ozzie Cobblepott , Waylon Jones et Ed Nygma.
L'action débute presque comme une entrée classique dans l'univers de Batman. Un motard, casqué, anonyme, sillonne Gotham pendant que ses pensées nous sont exposées. Ce motard nous explique revenir à Gotham. Et là, surprise, ce motard n'est pas Bruce.
Snyder va jouer tout le long de ce premier recueil avec des références cinéma de Batman...pour nous prendre à revers. Et cela fonctionne même lorsque vous n'avez pas les références : les clins d’œil sont un bonus mais pas une fin en soi.
Pour le reste de l'intrigue, Snyder avance ses pions en posant une intrigue de thriller d'action servant à faire avancer son récit de présentation. Un gang, les bêtes de soirées, des tueurs fringués sur leur 31 et avançant sous un masque animal ( il a ses marottes le père Snyder ) sème la pagaille, le meurtre et la destruction dans Gotham City. Le tout sous fond de campagne de ré-élection du Maire Jim Gordon , ami des Wayne depuis de longues années.
Ce Batman n'a pas des milliards en banque , c'est un génie de l’ingénierie qui a passé son temps à la salle de sport et dans les amphithéâtres universitaires , un travailleur qui est resté en col bleu pour rester au plus près de la population ET des infrastructures qu'il pourra pirater et détourner ( la nouvelle batmaobile ? Ha, vous n'êtes pas préparés ). Violent, détective...mais faillible. Et qui compense par un certain sadisme et un jusqu'au-boutisme dangereux. Pour les autres, et pour lui-même.
Et si Batman est un prolétaire qui n'a pas parcouru le monde pour apprendre avec les meilleurs, alors que nous réserve son opposé ultime, le Joker ? Grande question mais à la quelle Snyder a sans doute les réponses puisqu'il ne se prive pas de nous annoncer très vite que la némésis de Batounet existe également sous une autre forme dans cette itération de Gotham.
Une entrée en matière honorable, qui respecte les grandes lignes du mythe tout en jouant avec une nouvelle donne. Mais il est encore impossible de pleinement analyser ce que Snyder veut nous proposer tant on devine que derrière cette entrée se cachent une série de plats plus savoureux et tordus.
Voici donc une série au haut potentiel, entre les mains d'un auteur qui n'a jamais demandé que de pouvoir pleinement secouer le monde Batman sans pouvoir totalement le faire en raison du statu quo imposé à sa contre-partie "officielle".