vendredi 20 novembre 2020

Gotham et son blanc chevalier.

La scène est connue, presque commune.

L’éclairage public s’est arrêté 200 mètres avant l’entrée d’une bâtisse gothique. Dans l’ombre, une voiture à la silhouette particulière s’avance dans une allée sinueuse , seuls les phares avant nous laissent entre-apercevoir un peu ce déroulé.

Une figure noire émerge du véhicule et passe devant les gardes qui le saluent, ils connaissent le personnage depuis longtemps maintenant. Après, tout, ils travaillent à … l’Asile d’Arkham.

Les couloirs sont longs et sombres. L’ombre avance vers une cellule , la cellule qui abrite le plus dangereux pensionnaire du bâtiment. 

Et ce soir, enchaîné au mur, le célèbre Batman, emprisonné, se trouve devant l’ancien Joker, Jack Napier venu lui demander de l’aider à sauver la ville.




Comment en est-on arrivé là ? 

Flash-back, un an plus tôt.

Encore une scène connue. Le Joker fout la merde, Batman s’en mêle. Mais ce soir c’est le soir de trop. La Batmobile et son conducteur sont lancés à toute allure pour stopper le clown en violet. Ils ne font attention à rien, n’y personne.

Et comme d’habitude , le chevalier noir attrape le criminel. Dans une ancienne fabrique de produits chimique. Mais cette fois, le clown arrive à faire ce qu’il n’a jamais réussi. Il pousse Batman à bout. Le croisé à la cape le passe à tabac et l’oblige à avaler une masse de pilules qui traînaient au sol. 

Quelqu’un a filmé la scène.

Et le Joker a guéri. Il reprend son vrai nom et entend bien dénoncer les abus policiers mais aussi ceux de Batman. Il entend régler des problèmes à Gotham, il veut devenir…le chevalier blanc. 



En lisant Batman White Knight, écrit et dessiné par Sean Murphy, quelque chose nous frappe. L’air du temps imprègne les pages et le recul pris sur le concept même du super-héros gothamite laisse un drôle de goût dans la bouche. 

Jack Napier guéri, doit-il rendre des comptes en tant que Joker ? Et quels comptes ? Légalement, a-t-il jamais été considéré comme sain d’esprit ? La Police qui laisse un quidam costumé le passer à tabac n’est-elle pas coupable ou à minima complice de violence gratuite ? Batman est-il un bienfait pour la ville la plus pourrie des USA ? 


Tout à la fois obsédé par son envie de vengeance envers Batman et ses alliés et l’envie sincère de s’intéresser aux victimes collatérales que sa guerre avec le chiroptère a faites, Napier use et abuse de démagogie et de roublardise (mal)honnête pour arriver à ses fins. 

Mais la nature a horreur du vide. La nature est chaos, et le Joker en était son incarnation la plus féroce. Sans Joker , la place est libre. Petit à petit , le chaos va s’infiltrer dans la vie de Jack et de Bruce. 



Cette nouvelle situation va permettre à Sean Murphy de disséquer le mythe «  Batman » : son récit, non-canonique, est écrit en s’appuyant sur un nombre de références assez vertigineuses. Il pioche ici et là ( comics, films, séries ) pour construire son univers, tel un auteur rêvant d’écrire sur la Légende du Graal se nourrirait d’une matière de Bretagne qui ne fait que croître au fil des années.  Une connivence avec les fans doublée d’une utilisation intelligente de ses éléments font que le lecteur assidu se retrouve piégé de la première à la dernière page. 




Car Murphy se pose des questions sur les boussoles morales ou immorales des personnages. En mettant Alfred dans le coma, Bruce continuera-t-il de se conduire vertueusement ? Si le Joker est guéri, quid d’Harley Quinn, folle par choix, par amour pour lui ? 

Alors que les comics actuels font de Harley, émancipée de sa relation toxique avec son «  Mr.J » une Deadpool à la sauce DC, Murphy décide de rappeler qu’elle est supérieurement intelligente et n’a rien d’une nunuche décérébrée. Incroyable : personne n’y avait pensé avant lui alors que la chose tombait sous le sens. 





Et si tout s’inverse, si la toxicité et la folie de la relation sont guéries, que reste-t-il ? Une histoire d’amour touchante…et tragique.Nous sommes à Gotham et rien ne vous est jamais épargné dans cette ville. 
Libéré de son obsession pour Batman, Jack peut voir la vie réelle, envisager une vie réelle. Métaphore voilée de Murphy disant aux fans hardcore " C'est bien d'avoir un hobby mais la vie est en dehors des pages des bouquins ? " 

L'amour. Peut-être au final la chose la plus importante dans ce livre, la seule chose au monde qui fait de nous des gens meilleurs. Et s'il disparaît ? Que ferons-nous ? Jusqu'où est-on prêt à s'abaisser pour garder en vie l'amour que l'on porte à une personne ? La guérir et la voir pourtant changer ? Chercher à la garder dans son état même si celui-ci est malsain ? Se transformer en monstre au cœur de glace comme le dramatique Dr. Freeze ? 




Sean Murphy a écrit un scénario malin, dans l’air du temps politique et parfait pour son coup de crayon et son découpage. Des traits secs, fins et carrés et un véritable plaisir pour les yeux du fan comme ceux du néophyte. La force brute des combats comme la douceur de la relation rédemptrice de Jack et Harley sont retransmises avec un brio rare et achèvent de faire de Batman White Knight l’un des récits les plus indispensables sur le chevalier noir. Une franche réussite à placer à côté de The Dark Knight returns ( écrit et dessiné par Frank Miller ) ou encore Batman Year 100 ( écrit et dessiné par Paul Pope ). 

 

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