mardi 29 septembre 2015

Ces gens-là !

Jean-Chistopher Grangé, l’un des plus gros vendeurs de thrillers français, est de retour avec son nouveau roman : Lontano ( première partie d’un diptyque consacré à une famille très dysfonctionnelle ).

Grégoire Morvan est le premier flic de France, ancien barbouze pas tout à fait à la retraite, il règne sur le côté obscur de la république. Envoyé au Congo dans les années 70, il y a arrêté un tueur en série redoutablement sadique : l’Homme-Clou.
Son fils aîné, Erwan Morvan, est un inspecteur de la brigade criminelle : le 36, quai des orfèvres est son véritable foyer.
Loïc, le cadet, est un drogué fini, maître de la finance : revenu de tout sauf de son futur divorce.
Gaëlle, la benjamine, est une actrice ratée qui tapine pour se faire un carnet d’adresse et de l’argent aussi facile que les hommes qui l’achètent.
Maggie, la mère, cool baba devenue petite bobo, oscille entre épouse modèle et femme battue.

Tout se petit monde a du mal à se sentir, mais quand l’Homme-Clou semble reprendre du service, c’est toute cette cellule familiale qui va devoir se serrer les coudes, ou du moins ce qui s’en rapproche le plus au sein de leur petit monde en grande partie régi par la haine.
Faut vous dire monsieur, que chez ces gens-là, on ne cause pas monsieur, on ne cause pas…on flingue !
Le quatrième de couverture nous parle de la famille grecque des Atrides et la comparaison n’est pas injustifiée : voilà une famille de dingue dans une tragédie sanglante, un opéra de la violence et de l’horreur.

Grangé est capable du meilleur ( Les rivières pourpres ), comme du pire ( Le concile de Pierre,Miserere,Le Passager) tout en gardant toujours ses qualités premières : ce sens du rythme et de l’info lâchée juste quand il faut et qui donne envie au lecteur d’aller jusqu'au bout même de ses pires navets. Piéger le lecteur même quand on est à côté de ses pompes, ça reste fort !

Avec Lontano, Grangé nous revient en grande forme. Après Kaïken, qui explorait un pan de la culture nippone (ni mauvaise), il nous plonge dans le monde des superstitions africaines et des soirées qui feraient passer Eyes Wide Shut pour un film sur les Bisounours.
Un terreau apparemment riche puisque « la suite » devrait sortir dans les mois à venir.

On retrouve les tics habituels de l’auteur : la mise en scène des meurtres est tout bonnement horrible et à la limite du grand guignol ( depuis Se7en de David Fincher, le thriller cherche toujours à en faire plus dans l’horreur).
Mais c’est écrit avec tant de talent que cet aspect n’apparaît au lecteur qu’après lecture : on tourne les pages en éprouvant un profond effroi pour les victimes. La plume chirurgicale devenant aussi barbare que les méthodes du tueur, décrivant une horreur telle que le cerveau a forcément du mal à ne pas la repousser.
L’enquête, rondement menée, nous entraîne dans les recoins psychiques de vrais tordus ; là encore, c’est du Grangé et on en vient à se dire qu’il en fait trop. Mais ce trop étant distillé, il passe relativement bien, se glissant avec l’aisance d’un serpent entre le suspense et l’action. Le dosage est bien pensé et il en devient difficile de lâcher le roman et ce même quand l’effet « what the fuck ? » est à son comble. La vérité, toute la vérité, n’est dévoilée qu’à la fin du roman ( effet Rivières Pourpres ) et semble moins expédiée que lors de ses précédents opus même si l’on sent bien que finir ses livres n’est pas la partie qu’il maîtrise le mieux (mais il y a de l’amélioration certaine pour ne pas dire une certaine amélioration).

Ensuite, il y a la caractérisation des personnages principaux : le père et ses enfants. Si Erwan tire la couverture à lui, c’est le héros qui enquête après tout, les autres membres de la famille ne sont pas en reste et le manichéisme qui semblait avoir pris ses quartiers dans les 100 premières pages s’estompe bien vite. Tous les personnages ont leur background, leurs motivations sont claires et motivées par leur vécu. Le côté chevalier de la police d’Erwan est mis à mal par un aspect « Jack Bauer quand il pète un fusible » par exemple. L’ogre Grégoire n’est pas qu’une brute épaisse qui bat sa femme, etc…

Le style de l’écrivain a aussi évolué en bien, le niveau de jeu a légèrement augmenté. On sent son implication dans cette histoire auto-contenue qui laisse quelques questions en suspend. Questions qui trouveront réponse dans un second tome : une première dans la carrière de l’écrivain puisque à part une trilogie thématique ( La Ligne Noire, Le serment des Limbes et La Forêt des mânes ) centrée sur « Le mal », c’est bien d’une suite directe qu’il s’agira.
En interview, Grangé nous apprenait que les deux romans avaient été écrits d’une traite : espérons donc que la suite soit à la hauteur de ce premier tome.

Petits bémols néanmoins : lors de son enquête, Erwan va devoir faire escale dans certaines villes Belges. Et là c’est le drame. Entre Leuven qui devient Leuwen ( je sais que nos amis français prononcent le W comme un V mais ce n’est pas le cas des belges francophones ni de leurs compatriotes flamands) et Louvain-La-Neuve décrite comme s’il n’avait fait que se renseigner vite fait sur Google, ça fait un peu tâche (surtout avec moi : Louvain-La-Neuve,j’y ai vécu, j’y ai étudié ).
Passons aussi sur les incongruités géographiques ( Courtrai située à quelques kilomètres de Louvain-La-Neuve justement c’est un peu risible, les deux villes sont séparées par 90 minutes en prenant l’autoroute…encore que, à l’échelle de la France une telle comparaison pourrait se comprendre, si l’info n’était pas émise par un personnage belge  : tous les belges s’expriment comme s’ils étaient français, raccourcis un peu facile pour que le lecteur parisien ne se sente pas perdu ? ).

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