Nous sommes en 2009. Disney rachète Marvel. Pas uniquement le studio de cinéma dérivé de l’éditeur. Non, toute la structure.
Nous sommes en 2017 et Disney rachète la 20th Century Fox et toutes ses propriétés intellectuelles. Comme pour le rachat de Lucasfilm , cela implique les films mais également les droits des dérivés ( romans, comics, etc…) basés sur certaines licences.
Durant des décennies, Star Wars a vécu , en marge et en parallèle de la sortie des films de Lucas , sous forme littéraire dans des collections de comic books, de romans pour lecteurs jeunes ou moins jeunes.
Disney classera ses œuvres dans un univers à part, s’évertuant à créer son propre univers transmédia à partir de zéro, effaçant des multitudes d’aventures et de personnages.
Dans le panier de la Fox , se trouve deux licences emblématiques : Alien et Predator. Sans surprise, Disney va confier à Marvel Comics le soin de relancer ces monstres dans les pages de comic book.
Cela dit, contrairement au cas Star Wars qui avait vite fait ses débuts après le rachat , nos bestioles ont eu le droit de rester un peu au repos avant d’être lancée dans le bain.
Et puisque Marvel et Fox appartiennent au même groupe, il était commercialement logique de voir les héros de chez Marvel se castagner avec les monstres de la Fox.
Predator a eu l’honneur de débuter les crossovers avec les super-héros. Sous la plume du lourd Benjamin Percy ( qui s’était un peu sorti les doigts pour l’occasion ).
Pour les personnes qui ne seraient pas familiarisée avec les mutants sur papier , le choix de les faire affronter un Predator était logique : au-delà du parallèle visuel entre les lames du Predator sur ses bras et les griffes de Wolverine, les X-Men ont leur propres versions des xénomorphes ( presque un plagiat de la part du scénariste Chris Clarement et du dessinateur Dave Cockrum ) : les broods.
Une race d’alien insectoïde qui infecte ses hôtes avec un œuf et dont la naissance tue l’hôte, héritant au passage de quelques traits génétiques propres à son porteur. Ça ne vous rappelle rien ?
Bref, un crossover entre Alien et X-Men, ça sentirait en réalité le réchauffé au sang acide.
En revanche, avec les Avengers, ça serait une autre paire de manche.
La mini-série AVA ( Avengers VS Aliens) est annoncée. Avec Esad Ribic aux dessins et…Jonathan Hickman au scénario. L’annonce peut surprendre : Hickman est un scénariste avec des thématiques d’auteur fortes et des envies très claires d’écrire des choses intelligentes en profitant (lorsqu’il écrit pour le compte d’un éditeur et non pour le sien ) d’une mythologie existante pour l’exploiter, la regarder sous des angles nouveaux et l’enrichir si possible. Que vient-il donc faire dans une commande si commerciale ?
Sans doute relever le niveau.
Alors pari gagné ?
Au fin fond du vide cosmique, un vaisseau composé d’un équipage minimum complote de sombres desseins. Il est soudain attaqué par les forces spatiales de l’Empire du Wakanda , dirigé par Black Panther et secondé par son fils. Les troupes wakandaises prennent possession du navire et découvre les tristes plans orchestrés. Et dans ces plans, une planète chère au cœur de T’Challa, souverain du Wakanda est une cible : la Terre.
Avec de tels prémices , le récit aurait facilement pu être une course contre la montre montrant le Wakanda foncer vers la Terre et aider les Avengers contre l’invasion imminente et l’éviter de justesse.
Il n’en sera rien et le titre du récit est presque mensonger. Lorsque nous arrivons sur Terre, Hickman place quelques cases narrant comment la planète est tombée, ravagée par les Aliens et nous dévoile la dernière ville à tenir, derrière des murs épais, protégée par les rares super-héros ayant survécus. Et il ne sont pas nombreux. Ni plus très jeunes. Bruce Banner ( Hulk ) est un vieillard , Tony Stark est en fauteuil roulant…On imagine sans peine que les non-présents dans cette vile sont morts. Hickman nous plonge dans un monde qui a connu l’enfer : envahi par les aliens, abandonnés par les mutants partis terra-former Mars grâce à leurs pouvoirs et technologies avancées. Les héros sont seuls. Et bien qu'ils ne le fassent qu'en quelques pages, il ne se prive pas de pointer du doigt le pourquoi du comment la Terre est tombée aux griffes des monstres. La critique sociétale est minime mais directe.
En acceptant la commande, Hickman doit sans doute savoir qu’avec un nombre limités de numéros ( c’est une mini-série en 4 numéros mais à la pagination augmentée ) , il ne pourra pas pondre un chef-d’œuvre. Mais il a entre les mains de quoi écrire un excellent récit : il possède la mythologie Marvel ( et les ajouts qu’il y fera, l’action se déroulant environ 40 ans dans le futur ) et la mythologie des films Alien. Et il ne fera pas abstraction de Prometheus et Alien Covenant.
Ce qui provoque le gros souci de ce comic book : si vous n’êtes pas familier avec les univers utilisés ici, Hickman ne vous fera pas le cadeau de tout vous réexpliquer. Pour les non-initiés, les références subtiles ou directes seront peu compréhensibles. Pour les connaisseurs ( et ce genre de crossover est fait pour eux après tout), c’est l’occasion de voir un scénariste adepte des concepts de SF jouer avec des outils que Ridley Scott ne comprenait pas, lui.
Sans bavardage inutile mais sans action ou suspense superflus, Hickman mène son récit profondément nihiliste et déprimant mixé avec un danger qui peut surgir de n’importe où tant les adversaires non-aliens sont retors et tordus. Il pioche dans les thématiques des films et les mélange à sa sauce pour en faire un travail avec une personnalité propre. S'il avait été taquin , il aurait utilisé les broods pour pimenter les choses mais Hickman n'en oublie pas qu'il existe d'autres aliens dans l'univers Marvel.
La fin, ouverte, se fait visuellement et thématiquement en miroir de l’ouverture, permettant de montrer la valse incessante entre la mort et la vie. Un scénario mineur pour du Hickman mais surnageant très au-dessus du tout venant Marvel actuel. Pas mal pour une commande opportuniste.
Esad Ribic signe de très belles planches dans son style un peu minimaliste par moments mais son trait et sont des compositions agréables à l’œil bien qu’il s’en dégage parfois l’impression de contempler des instantanés sans énergie cinétique. Un dessinateur « roman photo » comme le qualifient certains de ses détracteurs. L’impression renforcée par les couleurs d’Ive Svorcina qui donne un aspect « peinture » aux cases. L’avantage ? Cela coupe le lecteur dans son élan de survoler l’action ET les phylactères. Permettant à Hickman de-ci de là de jeter des idées de SF qui (on l’espère) seront un jour vraiment développées. Si la série est un succès, ce sont des fusils de Tchékhov, si pas, nul doute que l’auteur saura les recycler ailleurs.
Aliens VS. Avengers n’est pas le comic book du siècle. Mais grâce aux talents de son scénariste et de son dessinateur, c’est un comic book tout à fait recommandable qui sublime la commande initiale de voir les plus grands héros de la Terre combattre les pires bestioles de l’univers. Hickman ne respecte pas la promesse du titre (la couverture est mensongère) et c’est tant mieux.
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