« La fabrique des héros » est une collection de petits ouvrages, des essais tournant autour d’une figure héroïque et où les auteurs tentent de décortique les aspects les plus profonds de personnages connus. Ainsi, Batman, Dr Strange, Hermione Granger , Mercredi Adams , Dark Vador et même Martine ou Milou on eu droit à leur essai respectif.
La dernière entrée dans cette collection concerne Neo, l’élu de la saga The Matrix.
Il est délicat de chroniquer un essai. Contrairement à une fiction , l’essai est purement théorique et souligne au vert fluo les vues de l’auteur. Il y a peu de place pour l’interprétation et critiquer le travail effectué flirt avec encenser ou critiquer ouvertement la personne derrière le texte.
Selon le texte situé sur le quatrième de couverture, l’auteur, Sébastien Denis, est Professeur en Histoire, cinéma et médias à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages, il travaille, entre autres, sur le cinéma de propagande, le cinéma d’animation et les relations entre cinéma et arts plastiques.
L’on serait donc en droit d’attendre une méthodologie sérieuse et des remarques pertinentes.
Malheureusement, il en va des collections littéraires comme des familles : il y a toujours des vilains petits canards dans le lot. Et cet ouvrage en est un sacré !
N’ergotons pas : quelques remarques sonnent juste et méritent en effet que l’on s’y attarde.
Le reste mon dieu…
Plusieurs défauts structurels de la pensée de Sébastien Denis sont exposés, par lui-même, dès le début de l’ouvrage. Par exemple, il ne prendra en compte que les films composant la tétralogie et délaissera les œuvres transmédia composant la saga. Certes, éjecter des parties d’un corpus n’est pas nouveau et ne constitue pas en soi un acte de barbarie ignoble et ignare. Cependant, il est de bon ton d’expliquer pourquoi ces parties ne sont pas prises en compte.
Cette explication n’est pas abordée de manière sérieuse, l’auteur prétextant que Neo n’apparait pas ailleurs.
Cela est d’autant plus étrange que l’auteur se référera dans son texte à Animatrix et Matrix Revisited ( sans prendre en compte pour ce dernier qu’il s’agit bien d’une œuvre promotionnelle dont certains passages semblent être au mieux antidatés , donc un brin frauduleux et tenant de l’hagiographie de la production du premier film ).
Il n’y a aucune raison de laisser sur le côté Animatrix : ces courts-métrages animés enrichissent l’univers Matrix – univers où évolue Neo, produit de son environnement. Un environnement enrichi dans ces pastilles animées.
De plus , Neo intervient dans l’une d’entre elles. L’environnement de la saga agit sur Neo et Neo agit sur cet environnement.
Ensuite, l’auteur va souvent et longuement faire reposer sa pensée sur une erreur de lecture de l’œuvre.
Que vous ayez aimé ou abhorré The Matrix Reloaded , vous vous souvenez sans aucun doute de la scène où Neo rencontre le père de la Matrice : l’Architecte ( et se moque de Neo lorsque ce dernier prend l’Oracle pour la mère. Il s’agit en fait de Persephone ).
Celui-ci explique à Neo (et donc au spectateur ) que Neo est une anomalie systémique. Connue et contrôlable. Neo en est d’ailleurs la 6e version.
Sébastien Denis en conclut, un peu trop vite, que Neo est donc le 6e Neo , la copie d’une copie d’une copie…une sorte de clone revenant sans cesse.
C’est faire ici abstraction de deux détails pourtant bien pointés à l’écran : l’appartement de l’Oracle est rempli de jeunes gens orphelins dotés de capacités échappant à Morpheus ou Trinity ; et ces jeunes gens sont appelés des potentiels. Neo est un potentiel parmi d’autres avant d’être ramené par Trinity et de devenir l’élu.
Et s’il devient l’élu c’est parce que Trinity en tombe amoureuse, manipulée par l’Oracle elle-même. Ce qui pointerait que cette anomalie en particulier est intéressante à exploiter au-delà du code informatique qu'il porte et permettant de recharger la matrice. Au contraire, il peut peut-être la révolutionner ( reloded - revolutions ).
Secundo , l’idée que Neo est une copie peut naître dans l’esprit du spectateur lorsque les écrans de contrôle de la salle de l’Architecte montrent diverses réactions de Neo face à la vérité énoncée.
Un regard scrutateur nous apprend pourtant que les écrans montrent tous une réaction différente.
Sur ce plan serré où seuls quelques écrans sont visibles, nous pouvons compter 15 réactions différentes(oui, 15 !!!! Parmi des centaines d'écrans montrant des images différentes du même personnage ).
Il n’y a pourtant eu que 6 élus , Neo compris. Ce ne sont donc pas des images d’archives. Impossible de prendre au sérieux quelque raisonnement basé sur cette idée de clone se répétant donc.
L'Architecte ne parle que d'équations et de probabilités. Les écrans montrent les réactions possibles de Neo et la caméra traverse alors l'écran correspondant à la réaction naturelle de Neo. Cette narration se répète plus d'une fois lors de cette scène. Cela peut désarçonner lors du premier visionnage. Pas lors de visionnages multiples pensés pour analyser la chose.
L’auteur va ensuite , et je ne peux lui jeter la pierre pour ça , s’attaquer à…l’Église de Scientologie et Elon Musk.
Par un tour de contorsionniste intellectuel , Denis va patiemment nous expliquer que Neo agit comme le parfait scientologue. Les preuves ? Les scientologues eux-mêmes se réfèrent à Neo lors de leurs actions ( cependant, l’auteur nous bien rappelé en amont que l’archétype de l’élu est de nature syncrétique et donc permet à divers courant de s’approprier son mythe : l’extrême-droite honnie par les Wacho n’a-t-elle pas récupéré l’expression « prendre la pilule rouge ? » ).
Ensuite, en pointant pas si innocemment que les Wacho ont engagé sur la saga Jada Pinkett-Smith , amie de Tom Cruise et qui a suivi des cours dans des centres scientologues sans jamais adhérer à l’église. L’accusation de culpabilité par association est lancée non pas directement à la face du lecteur mais par insinuation douteuse. Une malhonnêteté intellectuelle crasse doublé d’un manque de courage flagrant. On n'accuse pas, on insinue. On laisse l'idée jouer à INCEPTION dans l'esprit du lecteur.
Plus loin, lors d’une analogie lunaire, Sébastien Denis rappelle que l’anagramme de Neo n’est pas que One ( élu. Mais le mot est polysémique) mais aussi Eon, une manifestation de Dieu chez les gnostiques. Bien vu, la saga est en effet profondément gnostique.
Quelques pages plus loin, rappelant à notre bon souvenir ce mot , Eon , il n’hésite pas à accoler, entre parenthèse le nom…Elon.
Je ne vais pas développer ici comment l’auteur semble penser que The Matrix fait l’apologie des magnats de la tech et de Musk en particulier ( je serais sans doute en plein dans le registre de la violation de copyright ) mais je vais pointer une absurdité.
Une absurdité datant de 2020.
2020 n’est pas que l’année de la pandémie. C’est également l’année où devait sortir DUNE de Denis Villeneuve. Et pour l’occasion ont fleuri moult ouvrages analysant la saga de Frank Herbert ( et certains dépassaient le cadre en allant vers les territoires apocryphes et hérétiques de Brian Herbert & Kevin J. Anderson ).
Dans un ouvrage collectif Les enseignements de Dune : Enjeux actuels dans l’œuvre phare de Frank Herbert – dirigé par Isabelle Lacroix, l’un des articles expliquait calmement qu’en 1965 , Frank Herbert avait calqué son jeune héros, Paul , sur… Saddam Hussein.
Oui, ce Saddam Hussein. Qui en 1965 était un étudiant irakien exilé en Egypte. Bref, il n’était encore personne.
En 1999 , année de sortie de Matrix , qui donc était Elon Musk ?
Cette ouvrage sur DUNE annonçait cet ouvrage sur Matrix : tout universitaire soit-il , il est peut-être bon de lire/regarder les œuvres dont on va parler au lieu de simplement avaler les études parues sur le sujet. Les multiples renvois à d’autres écrivains – dont un considéré comme le meilleur sans que jamais Sébastien Denis ne nous explique pourquoi – laissent peu de place aux doutes. Quant au paragraphe sur l’étymologie du mot matrice, il ressemble beaucoup au texte introductif de Louisa Yousfi pour l’émission « Dans le mythe : la matrice » pour le site Hors-Série.
Un ouvrage bourrés de syllogismes , conçu semble-t-il non pas dans le but de décortiquer son sujet mais celui de descendre des entités extérieures ( certes peu recommandables) dans une prose rappelant l’éructation presque masturbatoire de certains profs d’université qui vous marquent en première année et que vous moquez dès que votre seconde est bien entamée.
Pour le bien de la collection ( et de la carrière de son auteur ) , j’espère sincèrement que mon appréciation n’est basée que sur un incident de parcours.
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