mardi 14 février 2012

C'est mystère et boules de gommes.


Charles Dickens est mort le 9 juin 1870. Son dernier roman, Le mystère d'Edwin Drood ,restera donc à jamais inachevé. Roman basé, comme son titre l'indique, sur un mystère ( celui de la disparition du sieur Drood ) et dont la résolution agite les milieux littéraires encore aujourd'hui. Preuve en est ce Drood, écrit par Dan Simmons, l'auteur du célèbre L'échiquier du mal et du plus récent Terreur.

Wilkie Collins est un ami et collègue de Dickens.Hors ce dernier vient d'échapper à la mort lors d'un accident de train particulièrement grave ( fait véridique). Mais ce n'est pas l'accident qui a le plus frappé l'écrivain anglais, non. C'est la présence sur les lieux d'un énigmatique personnage répondant au nom de Drood. Si énigmatique que Dickens est bien décidé à découvrir qui ou ce qu'il est…et en entrainant son fidèle ami avec lui. C'est par le truchement de la plume de Collins que le récit des 5 dernières années de vie de Dickens nous sera conté. Mais pas de manières purement objective car Collins se livre dans cette sorte de mémoires à un petit jeu d'honnêteté sur ses sentiments envers l'inimitable Charles Dickens, et la jalousie côtoie bien souvent l'admiration dans ce récit où l'ombre du fantastique pointe régulièrement le bout de son nez. Mais peut-on vraiment faire confiance aux écrits de Collins, cet écrivain atteint de goutte , qui calme sa douleur grâce à des surdoses de laudanum et qui devient petit à petit opiomane ?   

Stephen King, après avoir lu L'échiquier du mal, dira de Dan Simmons qu'il est son concurrent littéraire le plus sérieux. Dans le domaine du fantastique peut-être, car ses romans de science-fiction (et en particulier les deux derniers) n'emballent pas (plus) tellement le lecteur. Mais depuis Terreur en 2008, Simmons est revenu vers un genre qu'il maitrise bien plus (son redoutable Chant de Kali restant pour moi l'un de ses meilleurs livres : presque aussi prenant et flippant que le Salem de Stephen King et le tout en 3 fois moins  de pages pour poser ses bases).

Avec Drood, Dan Simmons tente de résoudre le mystère du roman inachevé de Charles Dickens en empruntant un chemin de traverse assez tortueux. Car en effet, ce n'est pas l'esprit du " plus grand écrivain britannique " qu'il propose de nous faire visiter mais celui d'un de ses amis, collègue, concurrent ! Un esprit un brin dérangé puisque Wilkie Collins était persuadé d'être harcelé par un dopplegangër . Et les dérivés opiacés qu'il ingère pour calmer la douleur qu'il ressent ne peuvent surement pas arranger les choses dans sa conscience passablement altérée.

Simmons adapte sa plume à l'époque, faisant parfois écrire à Collins des passages passablement longs tels qu'il en regorge dans la littérature du 19me voir aussi du 20me siècle. En effet, souvenons-nous que ce n'était pas une époque où l'information visuelle était disponible aussi facilement qu'aujourd'hui. Pour vous donner un exemple, si je vous dis " la maison blanche", vous aurez en tête la résidence du Président Américain. Mais au 19me, il vous fallait adosser à ces trois petits mots toute une flopée d'autres pour vous faire visualiser l'ensemble du bâtiment. Remarquablement documenté, le roman nous plonge dans les mœurs et les coutumes de l'Angleterre Victorienne et nous fait découvrir Londres comme elle l'était à l'époque…c'est-à-dire tout bonnement épouvantable et invivable selon les quartiers (nombreux) à être habités par les plus démunis. Le tout emballé dans une intrigue mêlant meurtres rituels, mesmérisme, drogue et aliénation mentale. Dan Simmons se paye aussi le luxe de faire quelques clins d'œil à son roman précédent, Terreur, puisque Dickens et Wilkie Collins ont coécrit une pièce de théâtre inspirée des mêmes faits qui inspireront Simmons pour son roman.

Hélas, trois fois hélas, tout cela manque cruellement de souffle. L'écriture et l'imagination de Simmons ne sont nullement en cause mais sur plus de 800 pages on aurait aimé que l'auteur arrive à faire voguer le navire de notre envie de lire encore et encore par le seul pouvoir de sa plume. Hors ce n'est pas le cas ! Le roman en lui-même n'est pas embêtant, loin de là, mais il faut parfois se forcer pour arriver sur un passage qui vous fera tourner les pages comme si votre vie en dépendait. Et de tels passages sont trop peu nombreux. Et le tout mène vers une résolution de l'intrigue un peu trop capilotractée à mon goût et défiant toute logique et rationalité. Un roman en demi-teinte voire un roman mineur dans la carrière de Simmons. On préférera relire Le Chant de Kali, L'échiquier du Mal et Terreur.


D'un strict point de vue éditorial par contre, on notera la présence d'une ou deux coquilles ( comme celle qui inverse Dickens et Dickenson, un autre personnage) et l'usage d'un papier extrêmement fin ( histoire de bien tasser les 800 pages du livre) mais également granuleux, ce qui a souvent pour effet de garder collées ensemble deux pages. Et les séparer, même avec la technique du pouce humecté, n'est guère aisé.

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