jeudi 5 septembre 2013

Le Rouge est une Couleur Chaude.

Presque 20 ans après son film le plus connu (et son seul vrai succès commercial, Entretien avec un Vampire), Neil Jordan revient vers les suceurs de sang humain.
En changeant radicalement son angle d’attaque et en apportant un peu d’originalité à un genre qui dépérit au cinéma (soit en n’apportant plus de sang neuf, soit en faisant abstraction de tout ce qui fait un vampire, oui Twilight, je pense à toi, engeance putride !).

Elaenor "Ella" Webb et sa grande sœur Clara sont des marginales. Alors qu'Ella noircit des pages de textes qu'elle jette aux vents une fois écrit le mot "fin", Clara gagne leur croûte en faisant du strip-tease. Mais un danger les guette car Ella et Clara sont en réalité mère et fille, vampires depuis deux siècles, Clara a transformé sa progéniture vers la fin de l'adolescence de celle-ci.

Leur vie ne se fait jamais longtemps au même endroit et lors d'une énième fuite, Clara fait la rencontre de Noel, un homme un peu paumé propriétaire d'un vieil hôtel, le Byzantium.
Clara y voit l'occasion de se poser un bon moment et décide de mettre son expérience d'ancienne prostituée pour en faire un lupanar lucratif. Pendant ce temps, Ella intègre une école de haut niveau et fait la rencontre de Frank, jeune homme un peu marginal…
Mais les cadavres exsangues que les deux femmes laissent derrière elles ne vont pas les aider à passer inaperçues.

Si on replace tout ça dans la filmographie de Neil Jordan, beaucoup verront Ella comme une version adolescente de Claudia, la jeune vampire protégée de Lestat de Lioncourt : même air juvénile, même capacités au piano et même mal-être dû à un manque de contact humain. C'est bien entendu pertinent.
Mais ça serait omettre le film "La compagnie des loups", relecture du petit chaperon rouge que Jordan avait réalisé en 1988.
Hors, Elle se balade durant les ¾ du film avec un gilet à capuche rouge, allure trompeuse car cet aspect de victime cache bien entendu le loup qu'elle peut être.



Si Byzantium est l'un des films les plus originaux sur le thème du vampire de ces dernières années, il n'est pas exempt de défauts assez grands : le rythme est lent, l’enchaînement de certaines séquences est laborieux et les personnages ne sont pas écrits pour qu'on se prenne vraiment d'empathie pour eux.

Mais ces qualités l'emportent sur ces défauts.
Tout d'abord, comme je le disais, l'angle d'attaque est assez différent de ce qui se fait souvent : si laisser les enfants de la nuit marcher sous le soleil n'est pas nouveau en soit ( sachez que c'est le Nosferatu de Murnau qui ajouta la révulsion du soleil au mythe de vampire), les placer dans un cadre social proche des bas-fonds est rare car la plupart des vampires sont souvent des châtelains, des aristos ou juste des personnes ayant réussi professionnellement et menant une vie assez simple. Ici, Clara, pour vivre et protéger son enfant, a recours à la prostitution et au proxénétisme : l'immortalité n'a pas rendu leurs vies plus aisées. Elles sont également soumises à la fameuse règle de l'invitation pour pénétrer chez les gens, il y a des choses qui ne changeront jamais !


Ensuite, les canines pointues sont ici remplacées par les ongles, étirables et effilés. L'entaille profonde a de toutes façons toujours le même but, récolter le sang de la victime. Et si les deux femmes ont le même appétit, leurs méthodes divergent fortement : Clara est une tueuse sans pitié, si sa préférence va au rebus de la société que le monde ne pleurera pas, elle n'hésitera pas à tuer quiconque pourrait être une menace pour elle. Ella, quant à elle, écume les hospices et les hôpitaux pour apporter l'ultime réconfort à des mourants. Chacune cherche une justification à la mort qu'elle donne pour rester en vie un peu plus longtemps. Mais au final, leur route sera toujours jalonnée de morts violentes.





Gemma Arterton, ancienne James Bond Girl, incarne Clara, et son personnage est tour à tour emprunt d'une nature tragique (son histoire n'est pas un conte de fée ) tout autant que vulgaire car, sans porter de jugement de valeur, en dehors de son rôle de mère poule, elle reste bien souvent une pute de bas-étage. Le contraire de Ella incarnée par Saoirse Ronan (son pronom se prononce comme ceci, suivez le lien : http://www.youtube.com/watch?v=znCXvlhYV-Y, et oui, les prénoms irlandais c'est pas simple), jeune fille à suivre car derrière son regard bleu clair envoûtant se cache un talent rare : j'en connais peu qui , en une fraction de seconde, font passer leur  regard adolescent à la profondeur d'une être deux fois centenaire ! Elles forment donc un duo atypique mais complémentaire. Incapables de couper le cordon ombilical !



Les qualités graphiques de l'ensemble sont aussi à souligner. Si l'image est assez neutre et réaliste, il y a une utilisation de la couleur rouge que certains trouveront peut-être lourdingue (le rouge est la couleur du sang alors pourquoi le rappeler toutes les 10 minutes ? ), j'y vois une cohérence et une recherche bien vue.
Le rouge , contrairement au bleu par exemple, est une couleur qui charrie d'innombrables sentiments : la luxure et la timidité en tête. Rien d'étonnant à ce que Clara l'extravertie travaille sous néon rouge et qu'Ella la renfermée se promène comme un petit chaperon en mal de loup !
Si on va plus loin, l'un des mots grecs pour désigner la couleur est porphyros, qui donnera porphyrie...la maladie "du vampire".
Et ça ne s'arrête bien entendu pas, la création d'un humain en vampire nécessite ici un usage poétique de la couleur lors de séquences bien différentes des créations habituelles puisque ce n'est pas le folklore des Balkans mais plus celui Celtique qui est ici utilisé.
Même les habituels chasseurs de vampires recèlent quelques surprises.






Byzantium n'est donc pas un film parfait mais son traitement et son originalité le place clairement dans le classement des films les plus intéressants à l'instar du très bon La sagesse des crocodiles (ou Jude Law incarnait un prédateur froid , méthodique et pourtant terriblement humain) et qui aurait mérité un meilleur coup de projecteur sous nos latitudes ! Et puis on revoit enfin des chauves-souris et du sang dans un film de vampire, ça faisait longtemps !




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