vendredi 28 mars 2014

Le père Noé est une ordure.

Darren Aronofsky nous avait déjà fait le coup avec The Fountain : écrire un scénario, se voir dans
l'impossibilité de le porter à l'écran, en faire une bande-dessinée…et le temps que celle-ci soit finie, avoir monté financièrement le projet et sortir le film à peu près au moment où la bande-dessinée approche de la fin de sa publication.
Voici donc venir Noé, d'après le récit de la Genèse. (insérez ici une musique dramatique ! Oui, ce blog tente le transmédia, faut vivre avec son temps ma petite dame)

En des temps antédiluviens (mais Dieu sait que ça n'allait pas durer), vivait Noé, un homme de bien, musclé comme un Gladiator de Ridley Scott et sachant se battre pour défendre sa famille. Noé vit dans un monde aride en proie à la sécheresse et la désolation. Mais Noé a des visions, il voit la pluie revenir sur Terre, il voit le monde englouti sous les eaux…
Aaaaah, les dix commandements, le sermon sur la Montagne, tout ça…est arrivé bien après le déluge, épisode qui nous intéresse aujourd'hui !

Le déluge. La première trace écrite de cet événement ( probablement très localisé  géographiquement et décrit avec moult licences poétique au fil du temps jusqu'à l'arrivé du mythe de l'arche de Noé qui a rendu mondial l’événement et ce bien avant la coupe du monde) se trouve dans l'une des premières versions de l'épopée sumérienne  de Gilgamesh ( 2700 ans avant notre ère.Le texte ne voit pas le héros en être témoin, c'est déjà, pour lui, une catastrophe vieille de plusieurs siècles).
On en retrouve des traces dans la Genèse (sans doute écrite 600 ans avant notre ère et dans le Coran 700 ans après J.C : c'est d'ailleurs la description coranique de l'arche qui a marqué l'imaginaire collectif qui en faisait clairement un bateau.





Cette histoire, connue ,archi-connue même, est d'une simplicité évidente. Aronofsky va rajouter des couches thématiques et visuelles grâces au talent de son dessinateur Niko Henrichon ( Pride of Bagdad) . Tout comme Avatar ou le plus récent Gravity, eux aussi souvent taxé de simplisme alors que seule une couche l'est : la trame. Ce sont les autres couches, qui en font le sel.

Commençons si vous le voulez bien par les apports graphiques. Henrichon (en concertation avec Aronofsky), décrit une Terre désolée et presque post-apocalyptique. Noé et Mad Max, presque même combat.
Le look de l'arche est loin du simple bateau hérité du Coran, c'est un  monstre, immense, en plusieurs niveaux et dont certaines zones sont parfois vides. Une fois sous les eaux, bien entendu la "folie" graphique s'estompe. La ville de Bab-Ilim, rappelle la Babylone qui sera construite plus tard (l'histoire est un éternel recommencement). La ville est dirigée par Akkad, roi violent et belliqueux qui refuse les leçons de morale de Noé. Akkad, excédé décide de détruire le campement de Noé. Privé de foyer, il emmène sa famille vers le mont Ararat où vit son grand-père Mathusalem.




La grotte de Mathusalem est intéressante : ses parois sont recouvertes d'inscriptions kabbalistiques et ésotériques diverses ( cela renforce l'aspect post-apocalyptique : nous ne sommes pas juste en face d'un aspect judaïque mais pluri religieux…comme dans The Fountain), les tatouages du patriarche rappellent aussi beaucoup ceux de Tom, l'astronaute du future de The Fountain qui lui aussi a eu une longue vie.
Une autre thématique visuelle commune est la forme de la graine qui donne naissance au second arbre de la vie dans The Foutain ; la graine qui fera pousser le bois nécessaire à la construction de l'arche possède le même aspect. La bande-annonce du film,  annonce un aspect visuelle fort différent et bien moins recherché ( qui a dit "Aronofosky quoi" ? ).



Et lors d'une scène, le texte " Au commencement (bla bla jusqu'au 7me jour)" s'accompagne d'images de la création de l'univers, de la terre, de l’apparition de la vie et de l'évolution selon Darwin. Vertige garanti.

Au niveau des thématiques greffées (et qu'on adhère ou pas au propos de ces thématiques, la greffe prend sans rejet) on retrouve une sorte de morale bobo-baba cool- écolo-végétarienne un peu lourde par moments (végétariens gentils, omnivores méchants). Cette évidente preuve de manichéisme reflétant sans doute les convictions morales de Darren Aronofsky ( il a interdit la viande et le fromage aux soirées post-avant-première du film d'ailleurs) est contrebalancée par le caractère jusqu'au-boutiste voire intégriste de Noé, capable de sacrifier des humains parce que "telle est la volonté de Dieu" !




On regrettera certaines ellipses ou raccourcis narratifs (alors que certaines séquences étaient un peu trop longues). Les intégristes anti-religions vomiront cette bande-dessinée. Pour ma part, je suis athée et je l'ai prise (tout comme je prends tous les aspects de la Bible contredits par l'histoire, la géologie, l'archéologie et la science ) pour un épisode d'une mythologie donnée ( si j'accepte de lire des romans ou des comics dans lesquels Zeus ou Odin interviennent, pourquoi n'accepterais-je par l'implication de ce Dieu en particulier ? ) et jamais le sentiment de lire une pub vantant la conversion ne m'a effleuré.

Noé offre un agréable moment de lecture, fourni plus de pistes de réflexions qu'on ne pourrait le croire et n'est jamais emmerdant. Alors certes, elle ne marquera pas l'histoire de la bande-dessinée (comme des milliers de pourtant bonnes lectures) mais mérite qu'on s'y attarde le temps de la lire.

lundi 24 mars 2014

Captain America. L'hiver est une lutte !

Marvel Studios ouvre la saison estivale des blockbusters (oui, l'été tombe de plus en plus tôt quand il s'agit de cinéma. Mais en même temps, vous avez vu l'hiver qu'on a eu aussi ? ) en clôturant sa phase 2 avant le prochain Avengers en salle.

Le schéma est le même : on entame avec Iron-Man ( troisième du nom), on bifurque avec Thor ( et son monde des ténèbres) et on achève le tout avec Captain America (le meilleur pour la fin, toujours).*


Steve Rogers était un gringalet de Brooklyn avant d'être choisi pour être le premier (et le seul) cobaye du programme Super-Soldat lors de la seconde guerre mondiale. Sous la défroque de Captain America, il a combattu HYDRA, une branche renégate des hordes nazies qui ravageaient l'Europe.
Vers la fin de la guerre, il se sacrifie pour empêcher la destruction de la côte Est des USA en crachant une véritable bombe volante dans les glaces du Nord. Rogers est laissé pour mort…jusqu'à ce que l'épave soit retrouvée 70 ans plus tard.

Rogers est prisonnier de la glace, mais son métabolisme l'a placé en état de stase. Il est vivant. Et prêt à reprendre le combat sous l'égide du S.H.I.E.L.D.
Mais le monde qu'il a connu n'existe plus. Il faut dire que les temps ont changé. De nos jours, c'est chacun pour soi. Ces histoires d'amour démodées. N'arrivent qu'au cinéma….euh, je m'égare.

Captain America : First Avenger avait été une très bonne surprise dans le monde cinématographique de Marvel Studios (je rappelle que Spider-Man et X-Men sont des licences dont les droits d'adaptations cinés appartiennent respectivement à Sony/Columbia et 20th Century Fox alors que Marvel Studios est propriété de Disney) : un scénario qui n'était pas improvisé sur le plateau de tournage et un réalisateur, certes mineur, très capable au niveau de la technique.
On pouvait donc craindre que le public ne lui réserve le même traitement défavorable qu'à Incredible Hulk (là aussi un film au scénario écrit en amont et techniquement réfléchi…et traitant de la thématique "super-soldat". Tout se recoupe, tout se tient !).
Mais que nenni, le public était là et en a redemandé !

Et pour trancher avec le premier film, ce n'est plus un vieux briscard comme Joe Johnston au volant mais un duo de réalisateurs : les frères Russo.
La volonté est là de trancher avec ce qui a été fait. First Avenger avait le parfum désuet des comics des années 50 et bénéficiait d'une palette graphique colorée et contrastée, rétro comme une carte postale californienne d'après guerre. The Winter Soldier surfe sur le ton sérieux de notre époque. La Guerre n'est plus entre nations ennemies mais face à des personnes hostiles et invisibles.
Steve Rogers n'est plus un soldat, c'est un membre des black-ops entraîné aux techniques martiales contemporaines.Cela se ressent dès le début du film où le supet-soldat prend de l'avance sur son équipe pour neutraliser une bande de pirates menés par un français (d'origine algérienne mais plus blanc qu'un cachet d'aspirine et doté d'un accent québécois à couper au couteau : tous les francophones se ressembleraient-ils pour nos amis américains ? ).
Et le directeur photo livre un travail plus neutre, plus réaliste où les couleurs ne saturent pas mais sont rendues telles qu'elles le seraient dans la rue.
Le terrain de jeu est d'ailleurs plus urbain, Washington et Cleveland ayant accueilli le tournage. Ce sont malheureusement des villes fort peu cinématographiques.

Les scénaristes ( qui avait déjà écrit le premier opus et planté quelques graines pour celui-ci) se sont inspiré d'un travail très récent portant sur Cap' : le run du scénariste Ed Brubaker. Un classique presque instantané débuté au début des années 2000 et qui a encore des répercussions aujourd'hui dans l'univers Marvel. Navigant entre polar et espionnage (tant sérieux que James-Bondien) , The Winter Soldier est fondamentalement différent mais néanmoins totalement complémentaire de son aîné.





La réalisation est nerveuse, les chorégraphies de combats sont soignées ( Cap, comme je le disais, est entraîné aux techniques modernes et c'est un combattant déterminé que l'on retrouve ici).  Les réalisateurs sont parfois un peu brouillons dans le rendu de l'action mais l'entrain et la force des scènes balayent ce sentiment lors de la projection.
Il est cependant regrettable que l'intérêt pour le film aille en décroissant : la première partie , centrée sur l'intrigue et les personnages est bien plus prenantes alors que l'avancée narrative vers une menace globale laisse un peu plus de marbre.

L'humour, marque de fabrique des films Marvel Studios, est ici encore bien présent mais enfonce le clou du virage entamé avec Thor : The Dark World , il n'est plus là pour remplir les vides mais participe à la soupape de décompression dont les personnages ont besoin pour souffler et on rit avec eux et non plus d'eux ( Iron-Man qui pisse dans son armure, Thor ridiculisé par des médecins, c'est terminé et c'est tant mieux ! ).




Chris Evans est taillé pour le rôle et s'investit dans son personnage de héros indéfectible aux failles très humaines qui s'adapte à une époque qu'il ne connaît pas encore très bien (et dont il tente de rattraper le passé : il note dans un carnet plein de petites choses qu'on lui conseille).
Scarlett Johanson campe de nouveau Natasha Romanoff, la veuve noire : 3 franchises différentes pour autant de coupes de cheveux, son rôle ici est bien moins artificiel et colle bien plus avec l'essence du personnage : c'est une espionne enfin dans un film d'espionnage  (sa pose sur l'affiche ne vous rappelle-t-elle d'ailleurs pas certaines silhouettes des films de 007 ? ), d'ailleurs les protagonistes agissent plus en tenues civiles qu'en costumes bariolés (guettez le pied de nez à Superman en civile d'ailleurs, très discret mais très marrant).

Rayon petit nouveau, Anthony Mackie ( The adjustment bureau, Pain & Gain) incarne Le Faucon, ami moderne de Cap' ,installé dans une combinaison de vol high-tech. Robert Redford quant à lui, assure son rôle en prenant visiblement plaisir à pouvoir être sérieux tout en assurant une dose de fun et ne sert pas que de caution artistique.






Enfin, deux scènes bonus sont insérées dans le film : l'une après le générique principal et la seconde en toute fin de générique de fin.
Bien plus intègre artistiquement et scénaristiquement que beaucoup de ses petits frères, Captain America : The Winter Soldier est l'un des opus les plus réussis sorti des studios Marvel.

Notons que Marvel a tellement confiance en son poulain, que le troisième épisode sortira à la même date que la suite de Man of Steel ( avec Batman et Wonder Woman dedans, si si ) en mai 2016.**










*On me dit dans l'oreillette que j'ai oublié de parler d'Incredible Hulk. C'est parce que Marvel et une bonne partie du public veut oublier ce film. Je me demande sincèrement pourquoi, il a été descendu.Parce que Leterrier était aux commande, sans doute !

** Perso je m'en fous, j'irai voir les deux le même jour, l'ordre dépendra de la durée et des horaires de diffusion (mais dans l'absolu, je voudrais voir Man of Steel 2 en dernier, histoire de ne pas subir une chute qualitative sur le rendu graphique).

samedi 22 mars 2014

Que sont nos futurs devenus ?

Il était une fois, sur une petite planète bleue qui nous est familière, la vision d’un avenir rayonnant pour l’humanité. 

Il a été une époque, où la science-fiction, genre prophétique s’il en est, et les avancées humaines dans la multitude de branches qui forment l’arbre de la science œuvraient  de concert pour enflammer l’imagination des gens, donner espoir et lever la tête.

Paradoxalement, c’est durant l’état de Guerre Froide que nous avons le plus rêvé.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, il était presque écrit que le pire était derrière nous. Les deux blocs, bien que séparés par un rideau de fer, ont chacun œuvré vers ce qu’ils pensaient être le meilleur des mondes. Et durant un moment, un court moment au regard de l’histoire de l’homme, l’humanité a crû qu’elle toucherait les étoiles….

Ça n’a pas duré longtemps, 20 ans mieux. Des années 50 au tout début des années 70 (avec déjà un sacré déclin de l’optimisme avec la guerre du Vietnam). 

C’était les années Star Trek où une société avancée au XXIIIeme siècle avait rejeté la guerre pour s’unir dans un but commun : l’exploration spatiale, dépasser nos limites pour appendre enfin où elles se trouvent. Cette série a vu le premier baiser blanc/noire, un personnage russe positif et n’appartenant pas à une faction homicide du KGB, l’ouverture vers les autres…




 Pendant ce temps, la course à l’espace battait son plein : chaque partie faisait de son mieux pour aller plus loin que l’autre. Chaque fois qu’un « coup » était porté, l’équipe en face tentait de montrer que le concours de bite n’était pas terminé. Alors certes, de la part des états, il y avait une volonté affichée de « descendre » le modèle sociétaire de l’autre. Mais dans l’imagination des gens, quelle différence que Spoutnik fut russe ou Armstrong américain ? C’est l’Homme qui a envoyé un satellite en orbite, c’est l’Homme qui est allée sur la Lune. C’est l’Homme qui irait coloniser les étoiles…





Les années 60 pouvaient être la rampe de lancement du changement. Mais la génération qui aurait pu tout changer a préféré s’avachir devant le télé-achat !*
Petit à petit,l’espoir, l’optimisme sont morts. JFK a été abattu. Pas un saint ni un homme parfait…mais le type qui avait donné une impulsion au programme spatial, l’homme qui avait évité une guerre avec l’URSS lors de la crise Cubaine.

Son cadavre encore chaud, le bourbier vietnamien débutait. La mort et la désolation ont repris leur droit. On ne fait pas rêver les gens avec du napalm, des morts dans les arbres et des hélicoptères volant sur du Wagner. Premier rappel à l’ordre bien compris.

Le second rappel à l’ordre ? C’est Woodward et Bernstein qui l’ont exposé : le Watergate. L’essence des fictions (et de facto de l’imaginaire collectif) a dès lors été infectée par la paranoïa, la défiance envers les gouvernements. Les plus grands auteurs de SF de l’époque n’ont plus dépeint un avenir lumineux mais un futur sombre et froid.


Du terrain de jeu et de découvertes de Star Trek, nous sommes passés à une route commerciale lambda où les compagnies envoient leurs ouvriers dans des poubelles volantes (Alien). Les récits où les héros instaurent un nouvel espoir dans le registre de la SF sont d’ailleurs dès lors à ranger dans la science-fantasy : un temps mythologique lointain ( Star Wars : mais si, c’est écrit au début de chaque film). 






Les états devenaient pantins de sociétés anonymes et tentaculaires, les riches devenaient plus riches, les pauvres plus pauvres, l’air pollué au delà des cauchemars…( la SF a tiré la sonnette d’alarme, personne n’a pris ça au sérieux. Et bien on y est maintenant ! Nous vivons dans un Blade Runner live ! ).





Et soudain, à la fin des années 80, le mur de Berlin est tombé.
Paradoxalement, c’est cet événement majeur et positif qui sonna le glas des aspirations extra-planétaires de l’homme.
J’avance ici l’hypothèse sérieuse que l’effondrement du mur a été le dernier coup de marteau sur le clou du renoncement. Plus de nation ennemie à ridiculiser, plus rien qui ne justifie un budget dément pour la bande de « geeks » de la NASA.
L’homme avait peut-être tenté l’aventure pour de mauvaises raisons.

Les derniers vestiges de l’âge des héros modernes ont vu leurs subsides diminuer. Les avancées sont jugées sur ce qu’elles peuvent rapporter (il est préférable pour les groupes pharmaceutiques que le SIDA reste une maladie sans vaccins : on se fait vacciner une fois, on prend sa trithérapie toute sa vie,…Vous avez dit « Malades, vaches à lait » ? ). 
On vous a promis des voitures volantes, des lacets qui se font tout automatiquement, vous avez eu le dentifrice deux-en-un ainsi que la NSA sur le pas de votre porte.
Et les étoiles ne sont que des petits points blancs sur une toile noire…


" Nous nous sommes toujours définis par notre capacité à surmonter l'impossible.
Et nous énumérons ces moments.
Ces moments où nous osons viser plus haut.Briser des barrières.Toucher les étoiles.Faire de l'inconnu du connu.
Nous énumérons ces moments, fiers de nos prouesses.
Mais nous avons perdu tout ça.
Ou peut-être avons nous juste simplement oublié que nous sommes encore des pionniers.
Et que nous n'en sommes qu'au début.
Notre apogée ne peut pas être derrière nous ! Car notre destin est au-dessus de nous." **


*Emprunt à Stephen King.
**Emprunt à Christopher Nolan (Interstellar, sortie en novembre 2014)

jeudi 20 mars 2014

So long, l'ami...

C'est avec le cœur lourd et une plume qui ne l'est pas moins que j'ai le regret d'annoncer le décès d'un auteur que presque personne par ici ne connaît : Lucius Shepard s'est éteint aujourd'hui à l'âge de 67 ans.

Son oeuvre , riche et multiple sera passée sous le radar du grand public et des instituions "respectables", ces penseurs tout sauf libres qui rechignent à ce que les arts narratifs évoluent loin des sphères qu'ils ont décidées être dignes d'intérêt, sclérosant nos aspirations à voguer vers l'infini, à atteindre l'inimaginable...


Passant d'un genre à l'autre, d'un style à l'autre, Shepard était un grand, un géant méconnu à tort que je vous invite à découvrir au plus vite (qu'importe l'ouvrage).

Il est triste que le trépas d'un tel auteur se fasse non pas dans un boum mais dans un murmure.

Lucius Shepard , grand baroudeur, entame donc son dernier voyage.
À nous de faire escale dans ses écrits....






dimanche 9 mars 2014

Une année dans les rues meurtrières.

Le cinéma est un créateur de mythes.
Ainsi, il a façonné l'idée que, avant la guerre aux armes et au crime de Giuliani, New-York City était l'une des villes les plus homicides des États-Unis.
Tandis que L.A était un terrain de jeu où meurtres rimaient avec action.
L'arbre cachait la forêt.
La ville la plus mortifère des USA était Washington D.C.
La capitale du monde libre était aussi la capitale du meurtre.
De mémoire, le seul film récent qui en fait une allusion directe est Minority Report de Steven Spielberg où Tom Cruise incarne un flic ayant commencé sa carrière à…Baltimore.

Sur la marche du podium, elle arrive seconde (de peu) aux statistiques. Mais il y a dans l'air quelque chose qui fait dire qu'elle mérite la première place. À la fin des années 80, un petit journaliste, David Simon, va suivre la brigade criminelle de Baltimore durant un an.
Une année où il va se fondre dans le décor et rendre un récit implacable de comment tourne ce département de police particulier.
Entre corruption (passive ou non), coup tordus de nature politique, désespoir, burn-out et j'en passe, David Simon retranscrit surtout un combat humain qui n'a rien à voir avec Les Experts (cette série a tellement conditionné les jurés potentiels que monter un dossier devient un chemin de croix de nos jours d'ailleurs).

Rien n'est épargné au lecteur, la vérité est étalée ,crue, dure, horrible aussi parfois. Et puis vient le point de bascule : l'été. Cette seule saison semble devenir un mobile de crime, la chaleur et la moiteur rendent les gens fous. 20% de meurtres en plus font de l'été non plus un combat, mais une guerre de tous les instants. Une saison infernale où Lucifer en personne préfère éviter la ville de peur d'y passer.

Les inspecteurs sont décris dans leurs défauts et leurs qualités. Leurs méthodes sont exposées ( alors oui, un petit malin pourrait bien décortiquer tout ça et comprendre comment bloquer deux trois ficelles durant un interrogatoire), leur charge de travail est jetée à la figure des lecteurs (une enquête à la fois ? Vous vous croyez dans Kojak ?), leurs intuitions fulgurantes, palpitant d'adrénaline et prêtes à résoudre un cas, retombent comme des soufflés.

La crasse et la misère humaine ne sont pas aseptisées, c'est un récit clinique sur des personnages qui doivent avoir une pensée clinique pour résoudre un mystère. Mais ce sont des hommes, pas des machines et David Simon exprime cette humanité à l'encre noir.

Avec une verve inspirée, un sens du détail et de la psychologie fins et une envie d'exhaustivité, David Simon signe un livre choc qui aura un effet pervers et dévastateur : finis de regarder sérieusement une série policière, finis de lire sagement un polar ou un thriller sur la plage (même un de ceux de Dennis Lehane, c'est dire) sans doucement rigoler.
La mère de tous les polars est disponible et enterre le genre à jamais.

dimanche 2 mars 2014

Gravité de la situation.

Je brûle mon oxygène à vitesse grand V.
Mon palpitant bat la chamade et mes mains viennent juste de s'arrêter de trembler.
Si j'avais vu ce film au cinéma, je ne m'en serais pas relevé.

Non, ce n'est pas une tentative ratée de haïku que vous venez de lire.
C'est mon ressentit profond et viscéral envers Gravity qui vient de sortir en blu-ray et dvd.

Souvenez-vous; dans Avatar, le personnage de Sigourney Weaver nous disait que Pandora était l’environnement le plus hostile à l’homme.

2 ans plus tard, Ridley Scott semblait nous dire que « Pas du tout, l’environnement le plus hostile c’est la lune découverte par l’équipage du Prometheus ».

Alfonso Cuarôn nous dit d’emblée dans le texte d’introduction de son film qu’il ne faut pas aller si loin : l’espace, cette ultime frontière, est le plus hostile des environnements. Et il va vous le démonter en 90 minutes montre en main !


Pour sa première mission spatiale, le Dr Ryan Stone ( Sandra Bullock ) aurait pu s’emmerder. Mais parce que les russes ont foiré la destruction d’un de leur vieux satellite, tout va s’animer. Et la propulser dans une lutte pour la survie dans un milieu froid, coupé de tout et où la technologie humaine ne demande qu’une chose : défaillir !

Avant d’aller plus avant, mettons à jour nos connaissances et concepts scientifiques. Et comme le rédacteur de cet article est mauvais en vulgarisation scientifique, ne lui en veuillez pas de nous faire un petit copier-coller pour vous expliquer le syndrome de Kessler et la gravité un peu plus loin.





Le syndrome de Kessler est « un scénario envisagé en 1978 par le consultant de la NASA Donald J. Kessler , dans lequel le volume des débris spatiaux en orbite basse atteint un seuil au-dessus duquel les objets en orbite sont fréquemment heurtés par des débris, augmentant du même coup et de façon exponentielle le nombre des débris et la probabilité des impacts. Au delà d'un certain seuil, un tel scénario rendrait quasi-impossible l'exploration spatiale et même l'utilisation des satellites artificiels pour plusieurs générations.
Le syndrome de Kessler est un exemple de réaction en chaîne. Les vitesses relatives des objets en orbite peuvent dépasser 10 km/s. Tout impact à de telles vitesses entre deux objets de taille appréciable (de quelques centimètres ou décimètres) crée un nuage de débris à trajectoires aléatoires, dispersant l'énergie cinétique de la collision, qui sont autant de projectiles susceptibles de provoquer d'autres collisions. Lors d'une collision majeure mettant en cause un gros satellite comme la station orbitale, la quantité de débris pourrait rendre les orbites basses totalement impraticables. » (merci à mes amis Wik et Pédia pour le coup de main).

On l’aura compris, cet effet est exponentiel, il grossit à chaque impact. Le premier impact envoie Ryan loin du vaisseau pouvant la ramener sur Terre (et détruit celui-ci) : dès lors, ses tentatives pour rentrer seront soumises à cet effet : le nuage de débris repasse toutes les 90 minutes, toujours plus gros s’il chope des objets au passage. Bien que pensé pour le cinéma dans sa représentation filmique, cette base de travail est réelle et pose bien les enjeux dramatiques que pourrait avoir une telle chose sur des missions spatiales.

Mais il ne faut pas attendre que les débris entrent en scène pour que le réalisateur démontre un savoir faire certain. Dès la scène d’ouverture, Cuarôn met en place l’étendue immense de son terrain de jeu , lentement d’abord avant de commencer à jouer avec sa caméra virtuelle. Ses mouvements sont gracieux et l’impression d’avoir une caméra en apesanteur au moment du tournage est bien présente.
Mais Cuarôn n’explore pas que l’extérieur : sa caméra s’autorise des entrées et des sorties dans les scaphandres au gré des respirations saccadées ou explore les couloirs exigus des stations spatiales en orbite. Le mélange est quasi parfait entre prise de vue et performance capture.
On retrouve dans les remerciements des grands noms comme Guillermo del Toro, David Fincher ou encore James Cameron, des réalisateurs ultra techniques peu avares en conseils ou anecdotes de tournages avec les collègues.





Composé en majorité de plans séquences pour appuyer l’immersion en apesanteur du spectateur, le film n’en reste pas moins scotchant et ne donne jamais la nausée comme pourrait le faire une caméra à l’épaule mal gérée par exemple.

L’immersion est aussi sonore : les seuls son que l’on percevra seront ceux perçus par les astronautes. Il n’y a pas de bruit dans l’espace : ils n’entendent que la radio dans leur casque et les coups transmis dans leur combinaison. Ainsi, le spectateur peut voir arriver certains dangers avant le personnage privé d’alerte sonore. Suspens garanti !

"Plutôt que Gravité, le film devrait s’appeler Zéro-Gravité" , a ricané sur Twitter l’astrophysicien américain Neil deGrasse Tyson, directeur du planétarium Hayden à New York. Il n’a pas tort, le film se déroule loin de la gravité terrestre. Mais alors, pourquoi ce titre ?
Et bien les scientifiques n’ont pas compris que le film ne parle pas de la zéro-gravité du tout, il s’y déroule, nuance!
La gravité, c’est la force de pesanteur. La force avec laquelle la Terre vous attire vers son centre (Newton, la pomme, tout ça...le tout est de ne pas finir en compote).
Et c’est ça le sujet du film : l’attirance du personnage pour la Terre, cette lutte pour retrouver la terre ferme de sa planète natale!

Une lutte âpre et difficile, presque une quête initiatique ultime où le doute et le renoncement côtoient l’instinct de survie poussé à son paroxysme. Le danger est là, pouvant venir de toutes parts et le spectacle offre donc peu de place pour que le spectateur respire entre deux menaces : on s’accroche à son siège pour ce tour de manège qui fait passer Space Mountain pour un carrousel rouillé et fatigué.

Pas très étonnant de voir que le personnage principal est féminin. L’imaginaire collectif associe la femme à la vie et cette vie incarnée par Sandra Bullock (étonnante dans le registre : nomination méritée aux Oscars) est entourée par la mort.



La mort qui la guette mais aussi la mort de ses compagnons de voyages, la mort d’un être cher sur Terre. Dès lors, les rares passages où elle peut encore parler sont des conversations éthérées : vers un signal radio désincarné, vers le vide en espérant qu’on la capte…
La mort est partout autour d’elle et le film se teinte d’une métaphore sur le combat éternel que l’humain mène face à cet adversaire redoutable qui finira toujours par nous rattraper mais que nous tentons de tenir à distance le plus longtemps possible.
Et dans l’espace, la course est truquée, l’adversaire est plus dopé qu’un russe à Sotchi : c’est donc le moment de démontrer l’astuce humaine et ses possibilités face aux éléments.

Un très très grand film.



[edit] le film vient de faire une razzia aux Oscars et va ressortir dans de nombreuses salles de cinéma. Je l'ai loupé à la sortie, je ne vais pas le manquer là.