James Bond est de retour pour la 24ème fois de sa carrière. Et cette année, il aura été accompagné de
Spy,
Kingsman, l'excellent et formidable
Mission :Impossible Rogue Nation,
Survivor,
Agents très spéciaux et
Bridge of Spies (bon je triche, il sort le 2 décembre le dernier Spielberg). Avec
Spectre, nous sommes donc à au moins 7 films d’espionnage sur l’année (et il me semble qu’il doit y en avoir eu d’autres).
Moins que les super-héros qui eux sont pourtant taxés de nous faire frôler l’overdose.
Le deux poids deux mesures m’a toujours énormément fait chi….a toujours énormément su faciliter mon transit intestinal. Voila, le coup de gueule est sorti, maintenant passons à l’agent secret le plus connu de sa gracieuse majesté la reine d’Angleterre.
Avant d’aller voir
Spectre, il est chaudement conseillée de revoir
Casino Royale, Quantum of Solace et
Skyfall. Si possible dans la semaine précédant l’achat de votre ticket de cinéma.
You know my name !!! (But you don’t know me)
James Bond 007 : le premier zéro du matricule indique qu’il a tué, le second qu’il a obtenu le permis de tuer en éliminant une seconde victime (l’histoire ne dit pas si son permis lui offre un effet rétroactif pour ses deux premières proies). Bond, vous le connaissez tous, vous connaissez son image lisse de séducteur, d’alcoolique, de joueur et de tueur implacable. L’image d’Épinal de James Bond n’est qu’une surface plane. Pourtant, il y a beaucoup plus (tant dans les films que dans les histoires de Ian Fleming). Bond, c’est une image renvoyée par un adulte qui est resté meurtri par la vie ; Bond, c’est ce que James a créé comme armure autour de lui. C’est particulièrement visible sous l’ère Craig : le costume 3 pièces, le smoking, la voiture. Autant de choses qui sont au final ses habits et ses atours de travail, tel un Bruce Wayne se parant de la cape et du masque de Batman pour agir.
Bond, sous ses airs de macho sexiste, est une âme en détresse attendant qu’une femme ne le sauve de lui-même de l’autodestruction programmée ( j’avance ici que Bond n’a pas qu’une « attitude cavalière envers la vie », dixit M dans
GoldenEye, mais bien qu’une pulsion suicidaire latente l’anime) et lui donne envie de quitter les services secrets pour de bon.
Pour survivre à la mort (et la trahison) de Vesper Lynd dans
Casino Royale, il se forge cette image de mâle alpha invincible. Le grand amour de sa vie est mort, Bond doit se sauver tout seul tout en entretenant un goût de plus en plus prononcé pour le danger.
Vesper Lynd : avant elle, il n'était que James. Après elle, il sera Bond !
We have all the time in the world.
Pour les personnes ayant pris le train en marche sous Craig, Brosnan ou même Dalton, le mot Spectre n’évoque que les fantômes. Mais le Spectre, c’est l’organisation criminelle qui va donner du fil à retordre à Sean Connery et George Lazenby ( qui a été Bond une seule et unique fois). Et une fois, en passant, à Roger Moore.
Spectre , selon Fleming c’est le mal absolu. Et au cinéma, c’est presque le Diable incarné. Et ce diable est dirigé par le non moins diabolique Ernst Stavro Blofeld. Il est l’ennemi ultime. C’est le Joker pour Batman, c’est Lex Luthor pour Superman. C’est aussi le seul à avoir tenu James Bond échec et mat et à avoir officiellement survécu.
Á une époque, les années 60, où Batman est une série débile mettant en scène un héros bedonnant face à des ennemis de pacotille, voila que James Bond propose des adversaires dangereux, retords et dérangés mais intelligents.
Le point d’orgue de la confrontation entre Blofeld et Bond intervient dans «
Au service secret de sa majesté ». Un Bond un peu mal aimé à sa sortie, il faut dire que Connery n’a pas repris le rôle et que c’est l’inconnu George Lazenby qui le remplace.Même le générique sera différent puisque, pour la seule et unique fois dans l'histoire de la saga, il ne sera pas chanté.
Et dans ce film atypique pour la série, James Bond rencontre la belle Tracy, diminutif anglicisé de Teresa, interprétée par la très belle Diana Rigg ( Emma Peel dans la série
Chapeau Melon et bottes de cuir). Cette femme va tant le toucher, que Bond finira par l’épouser et quitter le service actif : son rêve non-exprimé est enfin réalisable. Le film se termine sur le départ en voiture des mariés.
Teresa "Tracy" Bond.
Et soudain, dans un virage, une voiture déboule à toute allure; au volant : Blofeld ! La passagère tire une rafale vers Bond, qui s’en sort.
Sa femme, quant à elle, a pris une balle en pleine tête : Bond est soudain veuf.
Et cela va définir le personnage au cinéma jusque la fin de la période Brosnan ( car il faut intégrer ceci : chaque film , du premier Connery au dernier Brosnan, est une aventure du même agent. Le Bond de Brosnan a vécu les aventures des acteurs précédents ,ce qui n’est pas le cas de Craig).
Que ça soit Roger Moore se recueillant sur la tombe de sa femme, Timothy Dalton perdant le sourire lorsqu’il reçoit le bouquet de la mariée lors du mariage de son ami Felix Leiter ou sa trouille bleue de tomber amoureux d’Elektra King après que la détresse apparente de la délicieuse Sophie Marceau n’ait réveillé une fissure en lui, son veuvage le tiraille plus que le public ne le pense.
Blofeld a donné le La à la figure du méchant en sonnant le glas de Tracy Bond.
Le public mettra énormément de temps avant de redécouvrir toutes les bonnes choses contenues dans ce Bond. Les producteurs eux, pour une fois dans cette profession, ont conscience d’avoir soudain quelque chose de très grand à disposition.
Action démente, fun et aspect sérieux, méchant hors du commun, James Bond a un temps mené la danse dans la production cinéma de son époque de lancement. Et puis, tout a changé.
L’émerveillement des années 60 a laissé sa place à la lutte des années 70 contre les inégalités et les gouvernements. La mort de JFK et le scandale du Watergate sont passés par là : l’époque n’est plus à la rêverie selon les producteurs (
Star Wars viendra prouver pourtant que rêver et être éveillé sont deux choses pourtant compatibles voire même indissociables) . En n’amorçant pas vraiment un changement de ton, James Bond ne conduit plus la cavalière. D’homme à imiter, il devient celui qui imite les succès (
Star Wars fait un carton ? Envoyons Bond dans l’espace avec
Moonraker ! ).
Bond est devenu un suiveur avec un cahier des charges à remplir à chaque film tout en tentant de faire en sorte qu’il marche au cinéma. Bref, on refait toujours la même chose de plus en fort et parfois de moins en moins bien tout en essayant de s’attirer le public extérieur à la saga. Cela donne toute la période Roger Moore, sommet du Kitsch et du ridicule ( on y ridiculise d’ailleurs souvent Bond, pour tenter vainement de démontrer que oui,ce héros peut changer : pas certain que dévoiler 007 en clown soit une bonne idée mais passons).
La saga est en perte de vitesse. Elle est moquée. Elle n’attire plus.
Et puis un jour, l’illumination dans les bureaux de la production : Bordel de Dieu, James Bond est un espion. Et si on en faisait un héros d’espionnage sérieux ? L’idée est lancée !
Wow wow wow, mais attends un peu Geoffrey, me direz-vous. On n'est pas encore arrivé aux années
Casino Royale quand même ? Tu passes de Moore à Craig toi ?
Mécréants ! Vous répondrais-je ! L’envie d’un héros plus espion et moins gadgets de plus en plus improbables n’est pas neuve. Et avec l’arrivée de Timothy Dalton, c’est presque un prototype de l’ère Craig qui aurait pu se mettre en place !
Tuer n’est pas jouer va profiter à mort de la guerre froide : passage à l’ouest, faux semblants, peu de gadgets et plus de forces vives. Dalton incarne un Bond dur et violent pourtant capable de charme et d’élégance ( ça ne vous rappelle pas un certain blond tout ça ? ). La formule est payante mais…patatras : quelques mois plus tard, le mur de Berlin s’écroule. Inconcevable de repartir vers ce qui a fait fuir le public, les producteurs décident de garder Bond comme il est …et de copier ce qui fonctionne ailleurs (encore) :
Permis de tuer est une sorte d’Arme fatale où Bond officie surtout en Amérique en s’en prenant à un baron de la drogue responsable de l’amputation de son ami Félix et de la mort de l’épouse de ce dernier (l’ombre de son veuvage se fait sentir deux fois dans ce film donc).
Le film ne convainc pas des masses et il faudra 6 ans avant que James Bond ne revienne à l’écran sous les traits de Pierce Brosnan.
Tagada tagada , voila les Dalton (air connu....putain, j'ai même pas honte en fait ).
Moi je vous trouve sexiste, misogyne et dinosaure. Une relique de la guerre froide.
Brosnan, c’est l’ère qui a le mieux compris qu’il n’était plus l’arme adaptée pour ce monde. Les ennemis ne sont plus les mêmes, ils sont moins facilement identifiables et l’occident vient de perdre son grand méchant loup : l’URSS. Alors, pour faire en sorte que la transition soit douce, on fait intervenir son passé, du temps où il était en guerre contre le KGB, etc…
006, son ami, est laissé pour mort lors d’une mission. Il est pourtant bien vivant et décide de se venger de l’Angleterre. C’est un sous-Blofeld. L’ère Brosnan va aller crescendo dans les références à la saga, jusque l’excès débile avec le dernier épisode (
Die Another Day) qui aurait presque pû être un Roger Moore. Il aura même droit à son
Au service secret de sa majesté avec
Le Monde ne suffit pas.
Rien que le titre fait tiquer les fans de Bond et leur annonce la couleur puisque Le monde ne suffit pas est la devise familiale des Bond…révélée dans…
Au service secret de sa majesté !
Elektra King, en jeune fille terrorisée, touche Bond et lui rappelle Tracy. Renard, le grand méchant, est chauve, violent, implacable (un sosie de Blofeld ! ). On retrouve aussi une scène de ski, élément emblématique du film avec Lazenby. Les références coulent. Et puis boum, retournement de situation Elektra est le Blofeld du film, Renard étant juste son bras droit, amoureux d’elle jusqu’à accepter de mourir.
Après l'avoir tuée, Bond ne peut s'empêcher de la contempler une dernière fois : si elle n'avait pas été folle, elle aurait pu être celle qui aurait cicatrisé la blessure Tracy. Le seul film où Brosnan a eu la chance de donner une belle épaisseur psychologique à James.
Meurs un autre jour arrive alors : 20ème Bond, les producteurs décident d’en faire le Bond ultime en le bourrant jusque la gueule non pas de Vodka Martini mais de clins d’œil aux autres films. L’indigestion est là, le public pas vraiment. Tel George Clooney ayant failli tuer Batman, Brosnan a failli tuer Bond !
Et si je place si souvent Batman dans ce texte, c’est parce que c’est l’homme chauve-souris qui a permis de ramener l’agent secret préféré des foules au cinéma !
James Bond reviendra !
2005 voit deux événements se produire : la sortie de
Batman Begins, et la récupération par Eon.Productions des droits de
Casino Royale, premier roman de Fleming et première aventure de James Bond. Mais comment faire pour adapter ce roman fondateur et l’introduire dans le corpus déja lourd de 20 films ? En faisan table rase du passé et en relançant Bond comme si rien n’avait eu lieu ? Impensable, le public foutrait le feu aux studios !
Sauf que…un cinéaste britannique sort son troisième film : Christopher Nolan relance Batman en jetant aux oubliettes les anciens films des années 80-90. Carton plein, le public , c’est ce qu’il voulait en fait. Ne donner pas au public ce qu’il aime, mais ce qu’il pourrait aimer !
Si ça marche pour un personnage comme Batman, cela peut marcher avec Bond !
Casino Royale parlait de KGB, sa mouture actuelle parlera de terrorisme ! Le 11 Septembre est passé par là, l’occident à un nouvel ennemi et celui-ci ne lui fait pas une guerre froide ! L’approche voulue par les films de Dalton est ici pleinement embrassée et transfigurée ! Casino Royale est un hit, conciliant aussi bien public, cinéphile et fans de Bond !
Casino Royale, c’est une promesse au public : Bond est de retour, il est toujours Bond mais les james-bonderies ridicules font partie de l’histoire ancienne.
La promesse n’est pas tenue :
Quantum of Solace débarque en 2008, la même année qu’un certain
The Dark Knight et tout le monde s’attendait à un résultat aussi probant (
Casino Royale, c’est James Bond begins ! ). Le film est moins bien réalisé, commence à citer à tour de bras la saga ( mais de manière subtile, réfléchie…à l’inverse des Brosnan et introduit un Spectre qui ne dit pas son nom : l’organisation Quantum) mais il est bourré de défauts :son rythme, son approche artistique, etc…
Retour à la case départ avec
Skyfall : puisque Casino Royale nous avait déjà fait le coup de voir Bond se construire,
Skyfall joue « la re-construction ». Bond est détruit au début du film, et redevient ce qu’il est à la fin. Comme il le dira dans le long-métrage, son hobby, c’est la résurrection ! Les références se font sous forme de clins d’œil , les gadgets sont presque inexistant. On nous refait une promesse : Bond c’est reconstruit sous vos yeux et est encore plus Bond que dans
Casino Royale.
Et les promesses, elle ne valent rien !
Sam Mendes cite à qui veut l’entendre que l’équipe a voulu une approche à la Christopher Nolan pour
Skyfall (euh…on va pas commencer à dire pourquoi c’est pas du tout proche de Nolan à part dans l’envie de proposer un spectacle avec des personnages fouillés).
Le tournage a épuisé Mendes et il ne souhaite pas du tout rempiler. Les producteurs cherchent un nouveau réalisateur et des tractations commencent avec Nolan himself ! Mais c’est compliqué, Nolan étant contractuellement lié à Warner Bros. ( qui le soigne et le chouchoute à mort) et Bond est encore chez Sony Pictures. Et puis soudain, surgit face au vent, Mendes retourne sa veste et déclare qu’il est prêt à réaliser le prochain Bond ! Nolan,s’en va réaliser somptueusement
Interstellar (et il a bien eu raison ! ). Alors ? Mendes a-t-il eu peur que son film ne soit surpassé par celui d’un autre ? Peut-être…en tous cas, son retour aura surpris tout le monde.
Là où le trouble est grand, c’est quand Mendes débauche Lee Smith (le monteur de Nolan) et Hoyte Van Hoytema (le directeur photo de Nolan sur
Interstellar).
Spectre…titre presque métaphysique puisqu’il annonce le retour de l’organisation dans le monde de James Bond et parce que les spectres de la saga vont hanter le film et ce dès la promotion de celui-ci. Le premier poster ? Daniel Craig dans un costume rappelant celui de Moore dans le James Bond préféré de Mendes :
Vivre et laisser mourir. Episode qui voyait un homme de main improbable agir contre Bond : le Baron Samedi. Bond le tuera…deux fois ! Il est tout bonnement increvable.
Alors, quand les mots « Les morts sont vivants » apparaissent à l’écran et que peu après Bond déambule dans Mexico lors de la fête des morts déguisés en Baron Samedi, on frôle le génie de la citation interne à la saga. Frôle, car à force de citer sans arrêt , à force de se faire empiler les couches de clins d’œil et de citation, le film finit avec le cul entre deux chaises tel un déséquilibré quasi-permanent.
Les morts sont vivants…un oxymore simple, qui renvoie lui aussi au mot Spectre. Mais qui sont ces morts ? Qui sont ces spectres ? Spectres du passé de Bond et du passé de la saga.
Spectre est bourré de qualités : à commencer par son plan d’ouverture, un faux plan séquence dont la logistique lourde et monstrueuse contraste avec la fluidité de l’image et des mouvements de caméra. On pense à
La soif du mal d’Orson Welles devant une telle ouverture (à la différence que Welles n’a pas triché : il a vraiment tourné un plan séquence en une seule prise, lui).
Bond est en mission non sanctionnée par M ,et en cherchant à tuer un terroriste, il fait s’effondrer un immeuble. Pire sa cible est vivante : s’en suit une scène de poursuite à pied et une bagarre dans un hélico tout à fait époustouflante mais qui, déjà, montre que quelque chose cloche : tout cela est bien fait mais terriblement long. Comme si Mendes cherchait à faire plus gros que l’ouverture de Skyfall au détriment de l’efficacité. Reste qu’un élément très intéressant de mise en scène intervient ici : la musique n’accompagne que la seconde partie de l’action. Cela se reproduira dans une autre séquence de baston, dans un train, plus tard dans le film. Quand une séquence d’action pure fonctionne sans musique, c’est la preuve d’un savoir faire certain…celui d’Alexander Witt, réalisateur de la seconde équipe. Parce que la musique de Thomas Newman, si elle est d’un aussi bon niveau que celle qu’il avait composée pour
Skyfall, est moins efficace : il reprend trop souvent tel quel des morceaux entiers écrits pour
Skyfall ! Ça coince niveau ambiance, ça ne colle pas entièrement. Dommage. On commence à accumuler les fautes en 10 petites minutes.
Le générique ensuite : Sam Smith pond une chanson assez fade, très bondienne mais qui ne décolle jamais alors que lui ne se prive pas de faire décoller les aigus au point de vriller les tympans par moment. Là aussi, cette "sensation de trop" hante la séquence : Bond nu entouré de je ne sais combien de filles. Adieu silhouette éthérée, bonjour étalage de chair : l’érotisme ferait-il place à une esthétique de magazine de charme un brin arty ? Et ce poulpe en image de synthèse qui contamine les images est ridicule : trop, trop, trop. Le trop est l’ennemi du mieux alors que la simplicité est la sophistication ultime (si l’on en croit De Vinci ).
Et puis, pendant une heure : l’état de grâce ! De Londres à Rome en passant par les montagnes autrichiennes, Bond se montre très en forme. Maniant la classe, le répondant et le Walter PKK à la perfection. L’intrigue, le suspens, l’action : tout fonctionne, tout est beau. On passera sur la nanotechnologie de Q un peu capillo-tractée mais remplaçant si bien une micro-puce trop facile à arracher ( remember
Casino Royale ? ) .
Alors tout n’est pas parfait, et on se demande encore à quoi pouvait bien servir le personnage de Monica Belluci à part offrir son corps à Bond ( quand James Bond, James bande…alors la blague graveleuse, c’est fait ! ) et une vision en superbe lingerie aux spectateurs esthètes de la sale, mais la course poursuite dans Rome, empreinte de rythme, de second degré (entre Bond et Moneypenny en pleine enquête par téléphone interposé, les gadgets qui n’en sont pas vraiment et la circulation romaine contraignante par moment c’est un festival de bons mots, de rebondissements et d’ironie savamment dosée : tout à fait jouissif) est un régal pour les yeux malgré un certain côté mou dans le montage : un petit côté m'as-t-vu dans le montage, comme si la beauté plastique des images, des voitures et de la ville devait l'emporter sur la frénésie d'une course poursuite qui aurait dû ressembler à une lutte à mort entre deux entités. Mais ça fonctionne !
Alors oui, si vous êtes un acharné de Bond ou que vous avez les épisodes précédents en tête, vous aurez vite fait de comprendre ce que Bond cherche durant cette première partie, un homme surnommé le Roi Pâle. Mais qu’importe, cette partie n’est pas tirée en longueur et on a beau voir venir la chose, tout cela reste recommandable en diable. On y croit, les boursouflures du début étaient des petites erreurs bien pardonnables.
Et puis ….la désillusion. Les boursouflures annonçaient la couleur pour le reste du film. Dès lors que Bond pose un pied dans un décor enneigé ( ah ça y est, vous comprenez pourquoi je vois ai bassiné avec
Au service secret de sa majesté et le ski plus haut ? ) , les spectres des anciens Bond vont se bousculer au portillon, portant atteinte au métrage comme jamais.
À force de chercher à caser à tout prix des références, les scénaristes ( ils sont 4 ! 4 à avoir travaillé dessus et pas un ne s’est dit « Euh, et si on bossait les persos et leurs interactions un moment ? ») en oublient de faire un boulot propre.
L’intrigue sur M en guerre contre C, le patron du M :I-5 , concernant la surveillance globale est à peine esquissée. C’est bien plus marrant de montrer que la planque de M s’appelle Hildebrand ( comme dans la nouvelle
The Hildebrand Rarity de Ian Fleming) que de creuser la question d’un flicage mondial (
Captain America : The Winter Soldier posait les mêmes questions et exploraient les réponses, lui ! Et reste encore un des meilleurs films d’espionnage de ces dernières années d’ailleurs!).
Madeleine Swann, interprétée par Léa Seydoux, est un peu à la ramasse (et arrive à se changer en dormant : elle s’endort en tailleur et se réveille en nuisette, flatteur pour le regard certes mais faut pas déconner non plus, après que Bond ait menacé une souris pour savoir pour quelle agence elle travaille ! Roger Moore, sors de ce corps ! ) .
L’enquête pour trouver le super-cerveau derrière le Spectre ? Très artificielle et ne servant qu’à faire avancer Bond vers une nouvelle destination. Dans le domaine de l’artifice, la romance entre Bond et Swann est encore plus artificielle que l’intelligence d’une blonde teinte en brune ! Madeleine se comporte en amour comme une gamine de 20 ans qui ne sait pas ce qu’elle veut ( je t’aime d'amour ,alors que je te connais à peine, mais je pars James)…là aussi, c’est pur prétexte pour faire avancer l’intrigue vers un point voulu !
Quant à l’explication et les motivations du méchant du film, qui utilise des machines tellement compliquées pour torturer que ça en est What the fuck à la puissance 1000….n’en parlons pas. Les spectres de la saga sont là et personne n’est venu exorciser le tournage ! Damned ! L’intention de relier tous les films de l’ère Craig entre eux est louable bien que branlante.
Si l'on s'arrête 5 secondes sur les arguments proposés par le film, il aurait fallu que le vilain soit doté du pouvoir des Moires grecques ! Y a rire et rire. Sans compter les innombrables incohérences que cela sous-entend de manière rétro-active dans les aventures précédentes de l'agent incarné par Craig ou encore la soudaine perte d'aura de Raoul Silva , le grand méchant de
Skyfall.
Il est dit dans le film que Bond est devenu un cerf-volant perdu dans un ouragan, sous-entendu qu’il n’arrivera à rien contre ce qui l’attend. Et il en bavera à peine. Encore une promesse non-tenue ! Une de trop.
Mais comme je le disais en préambule, Spectre est bourré de qualités et non des moindres : tout d’abord, la photo est magnifique. Difficile de passer derrière Roger Deakins ( qui était retenu sur le tournage de
Sicario ) qui avait donné un cachet si puissant à Skyfall et Van Hoytema s’en sort avec les honneurs : c’est différent tout en restant cohérent avec l’opus précédent. Il est difficile de se glisser dans les pas d’un autre tout en gardant ses particularités et à ce niveau-là, le directeur photo est à saluer ! Ensuite, les décors sont splendides, mention spéciale à la dernière séquence d’action où Bond évolue dans un labyrinthe parsemé des fantômes de son passés, de ses réussites à la Pyrrhus comme de ses échecs cuisants !
Un bon vilain de Bond a en général un bon homme de main et Mr Hinx en est un : antithèse de Bond (mastodonte de muscle, taiseux au point de n’avoir qu’une réplique dans le film – mais quelle réplique ! – il n’en est pas moins fin limier et une réelle menace qui manque de chance face à Bond).
Spectre est donc une déception et une trahison. Mais une belle déception pour l’œil à défaut de toujours l’être pour le cerveau, le script étant moins intelligent et plus faiblard qu’il ne cherche à le faire croire. Les spectres de la saga le phagocytent bien trop, rappelant encore une fois les promesses non-tenues dans
Quantum of solace et pourtant répétées dans
Skyfall.
La seconde loi de Newton nous explique qu’un objet suivant une trajectoire doit appliquer une force pour sortir de cette trajectoire. C’est pour cela qu’en voiture, lorsque vous tournez fort vers la droite, vous êtes attirés vers la gauche, emplacement de votre trajectoire initiale. Et bien Bond, avec Casino et Skyfall cherchait à sortir de la trajectoire bondienne et
Quantun et
Spectre prouvent qu’il n’a pas réussi, il est en plein virage, attiré vers la gauche encore et encore.
Hors, la gauche, c’est le passé : c’est Bond face à des consortiums de l’ombre, des mégalomanes bouffons, des gadgets désuets à l’époque du smartphone et du GPS intégré. Bond doit évoluer, et pour évoluer il faut parfois perdre quelque chose en route, tels les dauphins qui ont perdu leurs mains pour acquérir des nageoires et être adapté à leur environnement.
Spectre devait être une voiture avec un moteur V12 sous le capot, hors le film semble bridé pour ressembler à un V8 (oui, comme la Formule 1 en ce moment : raison pour laquelle elle a perdu presque tout intérêt !!!! )
L’environnement de Bond a changé parce que le monde a changé, peut-être est-il temps qu’il laisse certaines choses derrière lui et rejoigne ainsi la troisième loi de Newton qui stipule, en gros, que pour avancer il faut abandonner quelque chose derrière nous.
Tant que Bond et ses producteurs en seront incapables, aucune promesse, aucune bonne intention ne sera jamais concrétisée.
Car nous vivons dans un monde qui a vu éclore Austin Powers et OSS 117 selon Jean Dujardin : les codes des vieux Bond, leur ADN a été moqué et pointées du doigt ont été les grosses ficelles.
Un exemple frappant et symptomatique : l'ennemi d'Austin Powers (et qui est également ...son frère caché : ça vous semble familier ? ) est le Dr Evil/Dr Denfer.
Une scène nous montre le bon Dr avec à sa table son ennemi. Il lui explique à quel point il est génial, pourquoi il agit et comment.
Arrive le fils du Dr, qui ne comprend pas pourquoi son paternel fait tant de cérémonies alors qu'il suffit juste de...tuer l'agent secret !
Et dans
Spectre, ça se passe exactement comme ça : le méchant incarné par Christophe Waltz est ce stéréotype complètement dépassé et imbécile, qui ne prend même pas la peine de vraiment fouillé Bond ( premier réflexe de 006 dans
GoldenEye ? Arracher même les objets les plus communs, comme sa montre, à son 007 de prisonnier ).
Sinon, pour l'anecdote qui tue ,
Spectre suit
Skyfall : deux titres qui commencent par un S, qui comptent 7 lettres et qui ont presque la même équipe technique. SPECTRE est aussi le 7ème titre de la saga a tenir en un seul mot. Léa Seydoux est la 7ème Bond-Girl majeure française. C'est le 7ème film de Sam Mendes. C'est la 7ème fois que Blofeld apparaît dans un Bond officiel, et il a été joué par 7 acteurs différents. J'ai mentionné 007 fois ce chiffre dans ce paragraphe.
Petite réflexion sur le futur de Bond au cinéma.
La rumeur voudrait que Sony soit sur le point de libérer les droits de la saga. L'affaire de fuites connue sous le nom de SonyLeaks a pas mal ébranlé le studio et Warner serait prêt , dit-on, à signer un chèque astronomique pour racheter les droits.
Et Warner, c'est la maison de Christopher Nolan, grand fan de Bond qui a soigné sa frustration de ne pas le mettre en scène en injectant son amour dans sa trilogie Dark Knight (un peu comme Spielberg avec Indiana Jones, palliatif à Bond et à Tintin qu'il pensait ne jamais mettre en scène à l'époque). rien que
The Dark Knight Rises est un festival bondien : outre Lucius Fox qui joue à Q depuis Batman Begins, on retrouve le même schéma que
Le Monde ne suffit pas : Bane, grand méchant chauve à la Blofeld est en fait un ersatz de Renard, Miranda Tate/Talia Al Ghul est le cerveau est une copie, française aussi tiens tiens tiens, d'Elektra King ( Sophie Marceau, fausse alliée du héros). Même la scène d'ouverture du piratage de l'avion est un hommage à
Permis de Tuer.