vendredi 25 décembre 2015

Retour en Force.


C'est une période de grand trouble. Depuis 3 ans, George Lucas ne dirige plus Lucasfilm, société qui a été rachetée par l'Empire aux grandes oreilles de Mickey. Les fans ont peur et sont aussi impatients. Les salles sont assiégées lors de la sortie du film.

Les esprits sont échauffés, les émeutes guettent si le long-métrage échoue à restaurer la paix et la stabilité dans le cœur des amoureux de la guerre des étoiles.

Et moi, je gagne du temps en écrivant un texte d'introduction qui ressemble à ceux qui défilent avant chaque épisode d'une saga mythique...


George Lucas avait beau le claironner depuis des années, il avait beau crier sur tous les toits que jamais Star Wars ne reviendrait au cinéma, l'espoir ne s'est jamais vraiment éteint. Il aura néanmoins fallu que Disney rachète Lucasfilm et décide de rentabiliser son achat pour que la Force et les sabres lasers reviennent chatouiller nos âmes. Disney qui, en 2012, désirait posséder son «  Star Wars » en adaptant les aventures de John Carter (injustement boudées en salles) et qui a fini par décider qu'il valait mieux sans doute posséder Star Wars tout court que de tenter d'avoir sa propre saga. Cruelle ironie, les romans sur John Carter avait été une influence majeur de Lucas lors de l'écriture du film sorti en 77. Les voies de la Force sont impénétrables.

Bref, Star Wars est de retour. Et pour orchester ce retour, la directrice de Lucasfilm a réussi à convaincre J.J Abrams de se lancer dans l'aventure. Abrams, c'est l'homme qui a ramené Star Trek sur grand écran par deux excellentes fois, c'est aussi un disciple absolu de Steven Spielberg et qui a grandi dans la pop-culture. Pour savoir une chance de réussir , Abrams écrit le scénario avec Lawrence Kasdan, le scénariste de L'Empire contre-attaque, l'un des épisodes préférés des fans de la saga.

30 ans ont passé. L'Empire n'est plus mais le mal ne meurt jamais et les cendres du système politique de Palpatine servent à l'émergence du Premier Ordre. Face à cette menace , la République soutient un groupe de résistance armé mené par la princesse Leia.
Luke Skywalker a disparu mais personne ne le croit mort. Il est l'ennemi à abattre pour le premier Ordre & un mystérieux guerrier du côté obscur : Kylo Ren.
Sur la planète Jakku, Poe Dameron, un pilote chevronné trouve ce qui semble être une piste menant à Skywalker. Avant d'être fait prisonnier , il a le temps de cacher les données dans son droïde : BB-8. Ce droïde sera retrouvé par Rey, jeune fille pilleuse d'épaves qui rêve de s'envoler vers les étoiles et par Finn, déserteur du Premier Ordre. Leur rencontre va les lancer dans une aventure tournée à la vitesse lumière !



L'un des gros points positifs de cet épisode c'est sa fidélité absolue à la trilogie des années 80. Peut-être trop car on a parfois l'impression de revoir des passages remakés. Mais, J.J Abrams ne nous plonge en terrain connu que pour mieux nous faire sentir à l'aise dans ce qui est pourtant une terra incognita. Les codes sont là, on va donc secouer et s'amuser avec tout ça.
Car de par sa nature, Star Wars n'est pas original. Star Wars est une épopée classique dans ses grandes lignes et toutes les épopées possèdent grosso modo le même schéma narratif. La force de Lucas en créant cet univers aura été de régurgiter ses lectures mythologiques classiques mais aussi ses lectures, ses goûts de cinéphile,etc…En voulant retrouver et offrir au public ce qui l'a marqué durant son enfance et son adolescence, Lucas créa un mythe moderne. Et puisque Star Wars est un mythe qui se nourrit de mythes, il était cohérent que la saga finisse par se nourrir d'elle-même. Mais Abrams est coutumier de cela. Les trekkies le savent bien : Into Darkness jouait déjà énormément avec Star Trek 2 tout en créant des effets de miroir ou de miroir inversé. C'est la façon de faire de J.J Abrams pour s’approprier un univers et respecter des mondes qui ne sont pas les siens. Et ça marche. Ça ne révolutionne rien au sein de Star Wars (il y a des codes à respecter, impossible de partir dans un délire à la Jupiter Ascending quand on s'inscrit dans le respect d'une tradition ) mais ça agence les ingrédients de manière différentes.

Et contrairement à Terminator Genisys ou Jurassic World qui reprenaient (parfois plan par plan) des situations des premiers films pour les upgrader en pyrotechnie ou images de synthèses en jouant avec la nostalgie des fans pour que ça fonctionne (et ça ne fonctionnait pas), The Force Awakens se sert des rappels et de la nostalgie du public pour bifurquer, proposer quelque chose de neuf ou de tordus par rapport au récit d’origine.
La nostalgie est ici un outil pour mettre les vieux fans en confiance mais pas au détriment d’un travail capable de parler aux spectateurs qui entreraient dans la saga par cet épisode. La nostalgie fonctionne quand on prend des personnages anciens pour jouer avec, hors c’est bien par le biais de tous nouveaux héros que nous entrons dans l’intrigue de cet épisode. Et qu’on s’attache à eux alors que nous ne les avions jamais croisés dans la saga avant est bien la preuve que la nostalgie n’est pas le moyen employé pour que le public accroche. D’ailleurs, les rares fois où elle est vraiment employée ( à savoir les quelques petites minutes entre Leia et Han Solo, la magie opère moins bien).





Non, les moyens c’est d’abord une réalisation nerveuse où le mot cinématographe prend soudain tout son sens : ciné vient du mot kiné en grec et qui signifie le mouvement. Et le mouvement de la caméra, des acteurs, etc…est constant durant les deux premiers actes, dommage que le dernier acte soint moins prenant et manque soudain de rythme, comme si l’énergie avait été absorbée par les deux premiers, le troisième se contenant d’un savoir faire indéniable et d’une dernière séquence belle à faire pleurer.
 Se basant sur une vérité trop souvent oubliée, à savoir que le cinéma est avant tout un art vi-zu-el, J.J Abrams fait passer énormément de chose par l’image et la mise en scène : inutile que les personnages déclament quinze minutes de texte après l’action quand l’action et un minimum de dialogues peuvent faire passer énormément d’informations sur la psychologie et la façon d’être des personnages.
Le droïde BB- en est un bon exemple : sa forme ronde le rend bien plus mobile que R2-D2 par exemple, et ses mouvements de têtes permettent de lui prêter des émotions ! Sur un robot absolument pas anthropomorphique pour un sou et qui produit des bips au lieu de parler !



Les moyens , ce sont aussi des acteurs plus ou moins inconnus du grand public. Bien entendu, Harrison Ford est un vieux de la vieille qu’on ne présente plus mais il nous offre ici quelque chose qu’il n’avait plus fait depuis longtemps : transmettre qu’il aime encore jouer la comédie en proposant autre chose qu’un mode automatique (la dernière fois, c’était en Indiana Jones pour Spielberg en 2008, et avant ça , ça devait remonter aux années 90).



Oscar Isaac n’est pas un débutant mais à part les cinéphiles, peu savent mettre un visage sur son nom ou inversement (Agora, A most violent year, Drive, sont pourtant de très grands films) mais cela est appelé à changer  car nous le retrouverons dans une autre usine à rêve : X-men Apocalypse en Mai 2016 ! Loin de ses rôles profonds et sérieux, Isaac offre ici un personnage plus léger mais pas creux pour autant, Poe Dameron utilisant clairement l’humour et la bonne humeur pour supporter sa vie de pilote .




 John Boeyga incarne Finn, un déserteur ayant croisé la route de Poe, là aussi, le sérieux côtoie le comique dans ce personnage qui cherche à fuir et qui devra se raviser.




Adam Drive est Kylo Ren, le bad guy du côté obscur du film (encore que ça ne soit pas si simple à en croire le roman tiré du film; affaire à suivre donc).
Il réussit en quelques séquences à faire ce qu’Hayden Christensen n’arrivait pas en deux films (ne jetons pas trop la pierre sur le petit Hayden, l’écriture de Lucas n’aide pas quand on est un débutant).



Et enfin Daisy Ridley dans le rôle de Rey. Elle, c’est le croisement improbable entre Natalie Portman et Keira Knightley,auquel Audrey Hepburn aurait été marraine la fée, le tout servant le personnage le plus complexe de ce premier film.
Capable de passer en un clignement d’yeux de l’exaltation à la tristesse, elle marque le film de son empreinte. Empreinte militante, son personnage transformant le film en tout sauf en remake des 6 précédents où la demoiselle en détresse, même forte, avait besoin à un moment ou un autre de son « chevalier » servant. Ici rien de tout cela, quand elle est en danger, elle s’en sort seule (même quand ses potes arrivent pour la secourir, elle a fait le boulot avant eux ! Son personnage rejoint le trio de femmes fortes de cette année, à savoir Furiosa dans Mad Max Fury Road et Ilsa Faust dans Rogue Nation ).On dirait presque que le film répète un mantra en boucle : la femme est à l’avenir de l’homme. Et cette femme-là c’est l’avenir de Star Wars.
Détail amusant, si ce Star Wars s'inscrit dans la veine des femmes jouant à égalité avec les hommes ( qui ont parfois du mal à le concevoir), le film de 77 aurait pu être en avance sur son temps : Lucas avait un temps envisagé de faire de Leia...l'héroïne venue de Tatooine pour partir à l'assaut des étoiles.
Et si j’en parle en dernier, c’est  juste pour ne pas déstabiliser le texte en l’encensant tandis que je ne fais que parler des autres.




Les moyens se sont aussi les choix artistiques. Le choix de tourner sur pellicule d’abord, loin des approximations des derniers épisodes de Lucas au niveau du rendu de l’image (mais n’oublions pas que c’est grâce à ce choix de Lucas que désormais, le numérique a évolué vers un rendu plus proche de la pellicule). C’est également le choix de ne pas user et abuser des effets numériques ( qui ont été plus souvent employés pour effacer que pour ajouter selon les propos du réalisateur) et de filmer les effets le plus souvent possibles sans renier les technologies modernes : les maquillages et les prothèses côtoient ainsi la motion capture, des explosions ont lieu sur le tournage, énormément de scènes sont tournées en décors naturels : le désert d’Abu Dhabi, l’Islande, les îles Skellig en Irlande (ah ça donne envie de les visiter en plus ! ).
Seul point noir ? Le pire effet spécial du film, celui dont on remarque sans coup férir l'artificialité, c'est le lifting de la princesse Leïa.





C’est aussi le retour de John Williams à la musique. Si Papy Williams arrive toujours à fournir de belles mélodies, l’âge commence à venir le chatouiller : le souffle n’est plus le même et ce compositeur old school n’arrive peut-être pas à s’adapter à un style comme celui de J.J Abrams. À mon sens, le compositeur attitré de Abrams, Michael Giacchino, aurait été un meilleur choix bien qu’hérétique pour les fans car Giacchino est non seulement coutumier de travailler avec J.J Abrams mais il se place dans une tradition de composition fort proche de Williams et de feu James Horner ( quand celui-ci se donnait la peine il était un des meilleurs. D’ailleurs, sa mort laisse Avatar 2 orphelin de compositeur : James Cameron, si tu me lis, engage Giacchino ! ).
John Williams livre donc une belle copie mais à laquelle il manque quelque chose de puissant, les accents à la Wagner semblent très en retrait.
Par contre, je tiens ici à descendre les commentaires visant à dénigrer sa musique en affirmant qu’elle ressemble trop à celle des Harry Potter qu’il a composés …car ses Harry Potter avaient une musique fort proche de Star Wars ! Voila, c’est dit !



Comme je le disais plus haut, Star Wars, c’est un mythe jouant avec les codes des mythes et des épopées. L’océan d’étoiles ayant remplacé la mer Méditerranées d’ Énée, les planètes se substituant aux îles traversées par Ulysse. Lorsque le sabre laser bleu de Luke Skywalker lui est transmis par Obi-Wan, c’est l’image de l’épée de Siegfried qui est convoquée : ce héros nordique reforgeant l’épée de son père avant de partir à l’aventure. Quand ce sabre apparait dans The Force Awakens, il est impossible de ne pas penser à ce concept de transmission générationnelle ( c’était le sabre d’Anakin avant d’être celui de Luke) mais bim bam boum, le terrain connu devient terra incognita ( je me répète) car c’est soudain l’imagerie d’Excalibur qu’on nous balance ! Idem pour le schéma de l’appel de l’aventure que Joseph Campbell avait théorisé : il est là, il est bien là, mais décalé dans le temps par rapport aux personnages.  Impossible de tout répertorier sans divulguer toute l’intrigue mais pour peu que vous connaissiez vraiment Star Wars (et donc ses influences) , vous devriez les retrouver très vite.

Non, The Force Awakens n’est pas un remake de l’épisode 4 : il se place dans un contexte biberonné aux mythes et à l’Histoire, deux concepts qui, qu’on le veuille ou non, sont basés sur la répétition de schémas généraux enveloppés par de subtiles variations ( je vous invite à lire ou relire les romans du cycle La forêt des mythagos de Robert Holdstock à ce sujet ou d'ouvrir un bouquin de mythologie comparée, c'est même fun de prendre LA BIBLE et de la passer au crible : tout ou presque est pompé sur des textes plus anciens).
Et ce sont ces variations qui lancent l’histoire dans des directions différentes ( les deux premières trilogies sont en tous points différentes dans l’intrigue et pourtant les points de départs sont pareils pour les Skywalker et les points de convergence aussi : Anakin et Luke rencontre un sage qui va les mener à quitter leur zone de vie, ce sage mourra pour laisser un autre Jedi les former, la confrontation ultime se fait face au père , de substitution pour Anakin, biologique pour Luke, etc…).  Il a donc les défauts (oui, le film n’est pas parfait) de ses qualités : quelques ficelles apparentes viennent faire tiquer mais guère plus que les ficelles des épisodes précédents, là encore, on retrouve ce sens des écrits mythologiques et de contes de fée qui forment l’ADN de la saga, certains effets spéciaux auraient pu être mieux gérés et trop de questions laissées en suspens peuvent parasiter la première vision du film.

Mais la Force est de retour ! Et de bien belle manière.




Joyeux Noël.





lundi 14 décembre 2015

L'homme Debout !

Steven Spielberg est de retour après un hiatus de 3 ans entamé juste après la sortie de Lincoln avec un autre drame historique, Le Pont des Espions. Le grand barbu entame une nouvelle course puisque nous le retrouverons dès Juillet 2016 avec Le Bon Gros Géant d’après le roman de Roald Dahl et en 2017 avec l’adaptation de Ready Player One.
Nous sommes par contre toujours sans nouvelles de l’adaptation de Robopocalypse qu’il devait réaliser avec Chris Hemsworth et Anne Hathaway dans les rôles principaux (et qui aurait dû être le miroir négatif de son A.I , comme La Guerre des Mondes aura été celui de son E.T ; et dans une moindre mesure de Rencontres du 3éme type).

Spielberg est un habitué des périodes intenses où il tourne beaucoup avant de prendre des vacances ( avant Lincoln, il avait enchaîné Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, Les aventures de Tintin et Cheval de Guerre).

1957, la guerre froide est un jeu d’espions : l’information est la seule arme sur le terrain. Rudolf Abel, un espion soviétique, est arrêté par le FBI dans sa chambre d’hôtel. Pour le gouvernement américain, il s’agit de prouver que les USA sont une nation qui offre des procès équitable, c’est pourquoi elle confie sa défense à Jim Donovan, avocat spécialiste dans les assurances mais partenaires dans un prestigieux cabinet. Convaincu que la justice ne doit pas en avoir que l’apparence, Donovan va défendre son client équitablement dans un procès dont les dés sont pipés par le sentiment de patriotisme et de paranoïa nucléaire.
En parallèle, l’Oncle Sam lance son programme d’avion espion U2. Un jeune pilote, Francis Gary Powers est abattu en vol et capturé.
Commence alors une partie d’échecs pour arranger l’échange des deux hommes. Une partie jouée par Donovan pour le compte de la CIA sans que celle-ci ne le couvre. Tout se décidera à Berlin Est, où le mur vient d’être érigé.




Ce film, en dehors d’être le premier de la nouvelle fournée spielbergienne, a plus d’une particularité.
Premièrement, il est scénarisé par les frères Coen (et ce n’est pas la première fois que les frères croisent Steven Spielberg : leur envoûtant western, True Grit ,voyait notre barbu préféré en être le producteur exécutif).
Deuxièmement, contrairement à la majorité des cas, John Williams ne signe pas la musique du film : malade et n’ayant que la Force de s’occuper de Star Wars 7, Williams a du passé la main à Thomas Newman. Nous retrouverons John Williams sur Le Bon Gros Géant.
Troisièmement, alors que l’histoire contemporaine dans la filmo de Spielby est souvent centrée sur la seconde guerre mondiale ( et un peu avant, comme les premiers Indiana Jones), il s’attaque ici pour la seconde fois à la guerre froide ( la première fois c’était pour le dernier Indiana Jones justement, qui prenait place en … 1957. Tiens tiens, comme le début du Pont des Espions donc).
Enfin, pour ce 29éme film, il s’agit de la quatrième collaboration entre Tom Hanks et Steven Spielberg, plus de 10 ans après Le Terminal.

Dans une interview pour le magazine Première, Spielberg avouait avoir tenté de s’éloigner au maximum d’un style spielbergien (adjectif qu’il apprécie par ailleurs) : loupé Stevy,ton style et ta maîtrise technique vont de paire. Déjà, tu situes dans ton introduction écrite la période : 1957, comme la dernière aventure en date du docteur Jones. L’un des premiers plans ? Un reflet ! Allons Steven, on ne lutte pas contre sa nature profonde.
Si, comme pour Lincoln, Spielberg fait preuve d’un classicisme de rigueur, le niveau de jeu de la mise en scène et des mouvements de caméra est plus élevé. On retrouve même très souvent cette envie de se glisser dans la technique qui veut qu’un plan vaille une idée, comme le disait John Ford ( hors, John Ford est une des idoles de Spielberg, un grand moment de sa fin d’adolescence aura été de pouvoir s’entretenir avec lui ).  Il y a cette impression lancinante que lorsque Spielberg s’attaque à l’histoire, il est plus impliqué s’il peut narrer les aventures de personnages importants mais n’ayant pas marqué l’histoire avec un grand H ! Vous connaissiez Schindler avant le film vous ? Et Mr Donovan ? Plus libre, moins esclave d’une image d’Epinal peut-être, Spielberg semble plus s’attacher à ces personnages méconnus mais au destin de sauveur ( Jim Donnovan et Oscar Schnindler , même combat ! Ils ne viennent pas du même milieu, n’ont pas la même morale ou le même mode de vie, mais ultimement, ils vont tous les deux faire en sorte de sauver le plus de personnes possibles , parce qu’en temps de guerre, c’est cela qui compte : sauver les gens ! ) : Bridge of Spies finit de classer Lincoln dans la catégorie de Spielberg mineur.

Comme je le disais plus haut, la mie en scène est pensée comme c’est pas possible et est fluide à mort! Hors, au cinéma , pour qu’une scène soit fluide, il faut avoir pensé bien en amont son découpage, son futur montage et les plans dont on aura besoin. Plus c’est fluide, plus ça a été compliqué logistiquement à mettre en place. Et ce film est d’une fluidité exemplaire.

Tellement même que Spielberg se permet de ne pas utiliser une seule note de musique pendant les 35 premières minutes du film. Et ça passe tout seul.  La musique ne vient s’inviter à la fête que lorsque la partie vraiment « espionnage «  du film commence doucement à pointer le bout de son nez.  Thomas Newman ne cherche pas à singer John Williams ( ils sont trop différents dans leurs approches musicales pour ça de toute façon ) mais fournit in fine un travail plus soigné et plus impliqué que sur sa B.O de Spectre.  Le montage abuse un peu trop des fondus dans le dernier tiers du film, comme s’il avait fallu un peu raccourcir ce dernier ( et ça, ça sent la 20th century fox a plein nez, ils apprécient modérément de perdre une séance par jour à cause de la durée : même les poules aux œufs d’or comme la saga X-men sont tenus de ne pas trop dépasser) mais il s’agit ici d’une pure considération technique qui ne vient en rien gâcher le spectacle.

Si tout le tournant procès et espionnage est filmé de façon sobre (rappelant Amistad et Munich ), il y a une séquence ou Spielberg s’amuse : le crash du U2. Anxiogène et d’une efficacité rare. Spielberg est un passionné d’aviation (son papa a été pilote durant la seconde guerre mondiale ) et ça se sent dès qu’il s’agit de filmer les coucous volants. Enfin, deux scènes dans le métro viennent rappeler Minority Report ( pour la poursuite ) et The Lost World pour la façon dont le héros est regardé par les passagers.

Tout ça c’est bien beau pour la technique et les références mais qu’en est-il du fond ?
Comme souvent avec Spielberg, le réalisateur se sert du passé (ou parfois du futur ) pour nous parler de notre présent : parce que la connaissance de l’histoire permet d’éclairer notre regard du présent. Alors, quand des expressions comme «  Chocs des civilisations » sont employées ou que les avions espions décollent d’une base aérienne qui sert encore de nos jours à combattre les talibans, ce n’est pas innocent du tout. Mais c’est subtil et fin. Tout comme les deux séquences où Donovan, dans un train aérien, observe un groupe passer une barrière : une fois c’est le mur de Berlin, l’autre fois une grille de jardin américain. Sa réaction a la seconde est conditionnée parce qu’il a vu dans la première.



La plongée dans l’Amérique paranoïaque des années 50 et 60 n’est pas sans rappeler cette peur qui se distille dans notre époque et jusque en Europe. Cette peur mène à des exactions (ici, un procès limite truqué ) que personne ou presque ne dénonce. Le mal qui se justifie au nom du bien !
Et face à cela, il faut rester debout, refuser  laisser la peur tout dicter. Tout justifier.
Vous n’avez pas l’air inquiet, demande Tom Hans à Mark Rylance (impeccable cet acteur dans le rôle de l’espion russe). Et celui-ci de répondre : Ça aiderait ?
Non, ça n’aiderait pas de perdre la tête. Il faut la garder froide et s’en tenir à ses valeurs.
L’une des marottes du cinéma de Spielberg, c’est la lutte contre la machine : machine de mort, machine mécanique, machine administrative, etc…Et voila qu’un membre de la machine judiciaire, Donovan, va s’extirper de son simple statut de bon père de famille et d’avocat. Le voila qui devient Humain dans le plus beau sens du mot. Parce qu’il va rester debout, il ne va pas plier l’échine, il va faire ce qui lui semble juste quitte à se mettre son cabinet, la CIA et son pays à dos !



Lorsque le Mur est édifié, c’est un monde, le monde communiste, qui se replie sur lui pour éviter la contamination capitaliste et la fuite de son peuple. La RDA et l’URSS étaient des tyrannies. Que pensez alors d’Israël et de son mur anti-palestiniens ? Que pensez de l’Europe qui veut fermer ses frontières ? Que pensez d’un Donald Trump qui veut interdire l’accès des USA aux musulmans ? Tout ça au nom de la préservation d’un mode de vie mais pas de la préservation de l’humain ? Pendant que des dirigeants et des complices muets ont construit et veulent de nouveau construire des murs, Steven Spielberg vient nous crier une chose : il faut tendre la main et pour cela, il faut que nous construisions des ponts.
Et restons debout dessus !

dimanche 22 novembre 2015

Le plus chouette c'est Gaston , la vedette c'est Gaston

Les éditions Dupuis, dont le siège historique est encore localisé à Charleroi (Marcinelle), ont eu la bonne idée de sortir une intégrale de Gaston Lagaffe, sobrement intitulée Gaston L’intégrale.

Gaston Lagaffe, dont le patronyme emblématique nous renseigne sur sa capacité et sa propension à ne pas en louper une , est une légende de la Bande-dessinée , un exemple de la folie douce qui régnait dans les bureaux du Journal de Spirou, un des cas qui feront école à Marcinelle.  Et c’est le grand André Franquin qui l’enfanta pour lui permettre d’exprimer sa fantaisie distillée avec verve dans les pages de Spirou et Fantasio mais par trop contenue par le format éditoriale de nos deux lascars : raconter des aventures et non une succession de gags savoureux.

Bref, Gaston débarque. Gaston énerve Fantasio. Et face à ses inventions douteuses mais géniales, son ingéniosité et ses efforts surhumains pour être le roi de la paresse, l’agacement du meilleur ami de Spirou est proportionnel aux rictus et réflexes des zygomatiques qui sont les nôtres.

Faut-il rappeler le décorum ? Le chat, la mouette rieuse, mademoiselle Jeanne, Ducran et Lapoigne, Jules de chez Jim et au final, ces foutus contrats ? Diantre non, tout ça est presque une part de notre ADN culturel. Et replonger dans ces classiques de l’humour tour à tour absurde, tendre, intelligent. Jamais crade ou scato, voila une démarche d’un autre temps à une époque où la facilité est plus vendeuse.

Néanmoins, au-delà de l’aura gastonomique de l’œuvre, l’édition de l’ouvrage (proposant près de 1000 pages quand même) n’est pas irréprochable : papier assez fin et légèrement jaunie qui laisse passer en transparence le recto et le verso. Ouille, ça fait cheap pour un livre coûtant 69 € ( certes, c’est une somme à sortir mais l’achat de TOUS les albums vous reviendrait bien plus cher). Ensuite, le format du bouquin se rapproche du format comics et non du format franco-belge classique. Les cases et les phylactères sont donc relativement petits et le confort de lecture s’en trouve de facto affecté. Dommage.

Néanmoins, face à la morosité, à la recherche d’un rire ou d’un sourire, Gaston reste une valeur sûr que même des économies éditoriales ne viendront pas gâcher dès lors que la lecture est lancée et bien chauffée.

Rions mes bons, rions avec Gaston, rions de Gaston.
Rions !

vendredi 13 novembre 2015

Spectrum of solace

James Bond est de retour pour la 24ème fois de sa carrière. Et cette année, il aura été accompagné deSpy,Kingsman, l'excellent et formidable Mission :Impossible Rogue Nation,Survivor, Agents très spéciaux et Bridge of Spies (bon je triche, il sort le 2 décembre le dernier Spielberg).  Avec Spectre, nous sommes donc à au moins 7 films d’espionnage sur l’année (et il me semble qu’il doit y en avoir eu d’autres).

Moins que les super-héros qui eux sont pourtant taxés de nous faire frôler l’overdose.
Le deux poids deux mesures m’a toujours énormément fait chi….a toujours énormément su faciliter mon transit intestinal. Voila, le coup de gueule est sorti, maintenant passons à l’agent secret le plus connu  de sa gracieuse majesté la reine d’Angleterre.

Avant d’aller voir Spectre, il est chaudement conseillée de revoir Casino Royale, Quantum of Solace et Skyfall. Si possible dans la semaine précédant l’achat de votre ticket de cinéma.




You know my name !!! (But you don’t know me)

James Bond 007 : le premier zéro du matricule indique qu’il a tué, le second qu’il a obtenu le permis de tuer en éliminant une seconde victime (l’histoire ne dit pas si son permis lui offre un effet rétroactif pour ses deux premières proies). Bond, vous le connaissez tous, vous connaissez son image lisse de séducteur, d’alcoolique, de joueur et de tueur implacable. L’image d’Épinal de James Bond  n’est qu’une surface plane. Pourtant, il y a beaucoup plus (tant dans les films que dans les histoires de Ian Fleming).  Bond, c’est une image renvoyée par un adulte qui est resté meurtri par la vie ; Bond, c’est ce que James a créé comme armure autour de lui.  C’est particulièrement visible sous l’ère Craig : le costume 3 pièces, le smoking, la voiture. Autant de choses qui sont au final ses habits et ses atours de travail, tel un Bruce Wayne se parant de la cape et du masque de Batman pour agir.

Bond, sous ses airs de macho sexiste, est une âme en détresse attendant qu’une femme ne le sauve de lui-même de l’autodestruction programmée ( j’avance ici que Bond n’a pas qu’une « attitude cavalière envers la vie », dixit M dans GoldenEye, mais bien qu’une pulsion suicidaire latente l’anime) et lui donne envie de quitter les services secrets pour de bon.
Pour survivre à la mort (et la trahison) de Vesper Lynd dans Casino Royale, il se forge cette image de mâle alpha invincible. Le grand amour de sa vie est mort, Bond doit se sauver tout seul tout en entretenant un goût de plus en plus prononcé pour le danger.

Vesper Lynd : avant elle, il n'était que James. Après elle, il sera Bond !


We have all the time in the world.





Pour les personnes ayant pris le train en marche sous Craig, Brosnan ou même Dalton, le mot Spectre n’évoque que les fantômes. Mais le Spectre, c’est l’organisation criminelle qui va donner du fil à retordre à Sean Connery et George Lazenby ( qui a été Bond une seule et unique fois). Et une fois, en passant, à Roger Moore.

Spectre , selon Fleming c’est le mal absolu. Et au cinéma, c’est presque le Diable incarné. Et ce diable est dirigé par le non moins diabolique Ernst Stavro Blofeld. Il est l’ennemi ultime. C’est le Joker pour Batman, c’est Lex Luthor pour Superman. C’est aussi le seul à avoir tenu James Bond échec et mat et à avoir officiellement survécu.
Á une époque, les années 60, où Batman est une série débile mettant en scène un héros bedonnant face à des ennemis de pacotille, voila que James Bond propose des adversaires dangereux, retords et dérangés mais intelligents.



Le point d’orgue de la confrontation entre Blofeld et Bond intervient dans «  Au service secret de sa majesté ». Un Bond un peu mal aimé à sa sortie, il faut dire que Connery n’a pas repris le rôle et que c’est l’inconnu George Lazenby qui le remplace.Même le générique sera différent puisque, pour la seule et unique fois dans l'histoire de la saga, il ne sera pas chanté.
Et dans ce film atypique pour la série, James Bond rencontre la belle Tracy, diminutif anglicisé de Teresa, interprétée par la très belle Diana Rigg ( Emma Peel dans la série Chapeau Melon et bottes de cuir). Cette femme va tant le toucher, que Bond finira par l’épouser et quitter le service actif : son rêve non-exprimé est enfin réalisable. Le film se termine sur le départ en voiture des mariés.

Teresa "Tracy" Bond. 

Et soudain, dans un virage, une voiture déboule à toute allure; au volant : Blofeld ! La passagère tire une rafale vers Bond, qui s’en sort.
Sa femme, quant à elle, a pris une balle en pleine tête : Bond est soudain veuf.

Et cela va définir le personnage au cinéma jusque la fin de la période Brosnan ( car il faut intégrer ceci : chaque film , du premier Connery au dernier Brosnan, est une aventure du même agent. Le Bond de Brosnan a vécu les aventures des acteurs précédents ,ce qui n’est pas le cas de Craig).
Que ça soit Roger Moore se recueillant sur la tombe de sa femme, Timothy Dalton perdant le sourire lorsqu’il reçoit le bouquet de la mariée lors du mariage de son ami Felix Leiter ou sa trouille bleue de tomber amoureux d’Elektra King après que la détresse apparente de la délicieuse Sophie Marceau n’ait réveillé une fissure en lui, son veuvage le tiraille plus que le public ne le pense.
Blofeld a donné le La à la figure du méchant en sonnant le glas de Tracy Bond.
Le public mettra énormément de temps avant de redécouvrir toutes les bonnes choses contenues dans ce Bond. Les producteurs eux, pour une fois dans cette profession, ont conscience d’avoir soudain quelque chose de très grand à disposition.


Action démente, fun et aspect sérieux, méchant hors du commun, James Bond a un temps mené la danse dans la production cinéma de son époque de lancement. Et puis, tout a changé.

L’émerveillement des années 60 a laissé sa place à la lutte des années 70 contre les inégalités et les gouvernements. La mort de JFK et le scandale du Watergate sont passés par là : l’époque n’est plus à la rêverie selon les producteurs ( Star Wars viendra prouver pourtant que rêver et être éveillé sont deux choses pourtant compatibles voire même indissociables) . En n’amorçant pas vraiment un changement de ton, James Bond ne conduit plus la cavalière. D’homme à imiter, il devient celui qui imite les succès ( Star Wars fait un carton ? Envoyons Bond dans l’espace avec Moonraker ! ).

Bond est devenu un suiveur avec un cahier des charges à remplir à chaque film tout en tentant de faire en sorte qu’il marche au cinéma. Bref, on refait toujours la même chose de plus en fort et parfois de moins en moins bien tout en essayant de s’attirer le public extérieur à la saga. Cela donne toute la période Roger Moore, sommet du Kitsch et du ridicule ( on y ridiculise d’ailleurs souvent Bond, pour tenter vainement de démontrer que oui,ce héros peut changer : pas certain que dévoiler 007 en clown soit une bonne idée mais passons).




La saga est en perte de vitesse. Elle est moquée. Elle n’attire plus.
Et puis un jour, l’illumination dans les bureaux de la production : Bordel de Dieu, James Bond est un espion. Et si on en faisait un héros d’espionnage sérieux ? L’idée est lancée !
Wow wow wow, mais attends un peu Geoffrey, me direz-vous. On n'est pas encore arrivé aux années Casino Royale quand même ? Tu passes de Moore à Craig toi ?
Mécréants ! Vous répondrais-je ! L’envie d’un héros plus espion et moins gadgets de plus en plus improbables n’est pas neuve. Et avec l’arrivée de Timothy Dalton, c’est presque un prototype de l’ère Craig qui aurait pu se mettre en place !
Tuer n’est pas jouer va profiter à mort de la guerre froide : passage à l’ouest, faux semblants, peu de gadgets et plus de forces vives. Dalton incarne un Bond dur et violent pourtant capable de charme et d’élégance ( ça ne vous rappelle pas un certain blond tout ça ? ). La formule est payante mais…patatras : quelques mois plus tard, le mur de Berlin s’écroule. Inconcevable de repartir vers ce qui a fait fuir le public, les producteurs décident de garder Bond comme il est …et de copier ce qui fonctionne ailleurs (encore) : Permis de tuer est une sorte d’Arme fatale où Bond officie surtout en Amérique en s’en prenant à un baron de la drogue responsable de l’amputation de son ami Félix et de la mort de l’épouse de ce dernier (l’ombre de son veuvage se fait sentir deux fois dans ce film donc).
Le film ne convainc pas des masses et il faudra 6 ans avant que James Bond ne revienne à l’écran sous les traits de Pierce Brosnan.


Tagada tagada , voila les Dalton (air connu....putain, j'ai même pas honte en fait ).

Moi je vous trouve sexiste, misogyne et dinosaure. Une relique de la guerre froide.

Brosnan, c’est l’ère qui a le mieux compris qu’il n’était plus l’arme adaptée pour ce monde. Les ennemis ne sont plus les mêmes, ils sont moins facilement identifiables et l’occident vient de perdre son grand méchant loup : l’URSS. Alors, pour faire en sorte que la transition soit douce, on fait intervenir son passé, du temps où il était en guerre contre le KGB, etc…
006, son ami, est laissé pour mort lors d’une mission. Il est pourtant bien vivant et décide de se venger de l’Angleterre. C’est un sous-Blofeld. L’ère Brosnan va aller crescendo dans les références à la saga, jusque l’excès débile avec le dernier épisode (Die Another Day) qui aurait presque pû être un Roger Moore. Il aura même droit à son Au service secret de sa majesté avec Le Monde ne suffit pas.
Rien que le titre fait tiquer les fans de Bond et leur annonce la couleur puisque Le monde ne suffit pas est la devise familiale des Bond…révélée dans… Au service secret de sa majesté !
Elektra King, en jeune fille terrorisée, touche Bond et lui rappelle Tracy. Renard, le grand méchant, est chauve, violent, implacable (un sosie de Blofeld ! ). On retrouve aussi une scène de ski, élément emblématique du film avec Lazenby. Les références coulent. Et puis boum, retournement de situation Elektra est le Blofeld du film, Renard étant juste son bras droit, amoureux d’elle jusqu’à accepter de mourir.





Après l'avoir tuée, Bond ne peut s'empêcher de la contempler une dernière fois : si elle n'avait pas été folle, elle aurait pu être celle qui aurait cicatrisé la blessure Tracy. Le seul film où Brosnan a eu la chance de donner une belle épaisseur psychologique à James.


Meurs un autre jour arrive alors : 20ème Bond, les producteurs décident d’en faire le Bond ultime en le bourrant jusque la gueule non pas de Vodka Martini mais de clins d’œil aux autres films. L’indigestion est là, le public pas vraiment. Tel George Clooney ayant failli tuer Batman, Brosnan a failli tuer Bond !

Et si je place si souvent Batman dans ce texte, c’est parce que c’est l’homme chauve-souris qui a permis de ramener l’agent secret préféré des foules au cinéma !

James Bond reviendra !

2005 voit deux événements se produire : la sortie de Batman Begins, et la récupération par Eon.Productions des droits de Casino Royale, premier roman de Fleming et première aventure de James Bond. Mais comment faire pour adapter ce roman fondateur et l’introduire dans le corpus déja lourd de 20 films ? En faisan table rase du passé et en relançant Bond comme si rien n’avait eu lieu ? Impensable, le public foutrait le feu aux studios !
Sauf que…un cinéaste britannique sort son troisième film : Christopher Nolan relance Batman en jetant aux oubliettes les anciens films des années 80-90. Carton plein, le public , c’est ce qu’il voulait en fait. Ne donner pas au public ce qu’il aime, mais ce qu’il pourrait aimer !

Si ça marche pour un personnage comme Batman, cela peut marcher avec Bond !
Casino Royale parlait de KGB, sa mouture actuelle parlera de terrorisme ! Le 11 Septembre est passé par là, l’occident à un nouvel ennemi et celui-ci ne lui fait pas une guerre froide ! L’approche voulue par les films de Dalton est ici pleinement embrassée et transfigurée ! Casino Royale est un hit, conciliant aussi bien public, cinéphile et fans de Bond !

Casino Royale, c’est une promesse au public : Bond est de retour, il est toujours Bond mais les james-bonderies ridicules font partie de l’histoire ancienne.

La promesse n’est pas tenue : Quantum of Solace débarque en 2008, la même année qu’un certain The Dark Knight et tout le monde s’attendait à un résultat aussi probant ( Casino Royale, c’est James Bond begins ! ). Le film est moins bien réalisé, commence à citer à tour de bras la saga ( mais de manière subtile, réfléchie…à l’inverse des Brosnan et introduit un Spectre qui ne dit pas son nom : l’organisation Quantum) mais il est bourré de défauts :son rythme, son approche artistique, etc…

Retour à la case départ avec Skyfall : puisque Casino Royale nous avait déjà fait le coup de voir Bond se construire, Skyfall joue «  la re-construction ». Bond est détruit au début du film, et redevient ce qu’il est à la fin. Comme il le dira dans le long-métrage, son hobby, c’est la résurrection ! Les références se font sous forme de clins d’œil , les gadgets sont presque inexistant. On nous refait une promesse : Bond c’est reconstruit sous vos yeux et est encore plus Bond que dans Casino Royale.

Et les promesses, elle ne valent rien !


Sam Mendes cite à qui veut l’entendre que l’équipe a voulu une approche à la Christopher Nolan pour Skyfall (euh…on va pas commencer à dire pourquoi c’est pas du tout proche de Nolan à part dans l’envie de proposer un spectacle avec des personnages fouillés).
Le tournage a épuisé Mendes et il ne souhaite pas du tout rempiler. Les producteurs cherchent un nouveau réalisateur et des tractations commencent avec Nolan himself ! Mais c’est compliqué, Nolan étant contractuellement lié à Warner Bros. ( qui le soigne et le chouchoute à mort) et Bond est encore chez Sony Pictures. Et puis soudain, surgit face au vent, Mendes retourne sa veste et déclare qu’il est prêt à réaliser le prochain Bond ! Nolan,s’en va réaliser somptueusement  Interstellar (et il a bien eu raison ! ). Alors ? Mendes a-t-il eu peur que son film ne soit surpassé par celui d’un autre ? Peut-être…en tous cas, son retour aura surpris tout le monde.
Là où le trouble est grand, c’est quand Mendes débauche Lee Smith (le monteur de Nolan) et Hoyte Van Hoytema (le directeur photo de Nolan sur Interstellar).

Spectre…titre presque métaphysique puisqu’il annonce le retour de l’organisation dans le monde de James Bond et parce que les spectres de la saga vont hanter le film et ce dès la promotion de celui-ci. Le premier poster ? Daniel Craig dans un costume rappelant celui de Moore dans le James Bond préféré de Mendes : Vivre et laisser mourir.  Episode qui voyait un homme de main improbable agir contre Bond : le Baron Samedi. Bond le tuera…deux fois ! Il est tout bonnement increvable.
Alors, quand les mots «  Les morts sont vivants » apparaissent à l’écran et que peu après Bond déambule dans Mexico lors de la fête des morts déguisés en Baron Samedi, on frôle le génie de la citation interne à la saga. Frôle, car à force de citer sans arrêt , à force de se faire empiler les couches de clins d’œil et de citation, le film finit avec le cul entre deux chaises tel un déséquilibré quasi-permanent.









Les morts sont vivants…un oxymore simple, qui renvoie lui aussi au mot Spectre. Mais qui sont ces morts ? Qui sont ces spectres ? Spectres du passé de Bond et du passé de la saga.

Spectre est bourré de qualités : à commencer par son plan d’ouverture, un faux plan séquence dont la logistique lourde et monstrueuse contraste avec la fluidité de l’image et des mouvements de caméra. On pense à La soif du mal d’Orson Welles devant une telle ouverture (à la différence que Welles n’a pas triché : il a vraiment tourné un plan séquence en une seule prise, lui).

Bond est en mission non sanctionnée par M ,et en cherchant à tuer un terroriste, il fait s’effondrer un immeuble. Pire sa cible est vivante : s’en suit une scène de poursuite à pied et une bagarre dans un hélico tout à fait époustouflante mais qui, déjà, montre que quelque chose cloche : tout cela est bien fait mais terriblement long. Comme si Mendes cherchait à faire plus gros que l’ouverture de Skyfall au détriment de l’efficacité. Reste qu’un élément très intéressant de mise en scène intervient ici : la musique n’accompagne que la seconde partie de l’action. Cela se reproduira dans une autre séquence de baston, dans un train, plus tard dans le film. Quand une séquence d’action pure fonctionne sans musique, c’est la preuve d’un savoir faire certain…celui d’Alexander Witt, réalisateur de la seconde équipe.  Parce que la musique de Thomas Newman, si elle est d’un aussi bon niveau que celle qu’il avait composée pour Skyfall, est moins efficace : il reprend trop souvent tel quel des morceaux entiers écrits pour Skyfall ! Ça coince niveau ambiance, ça ne colle pas entièrement. Dommage. On commence à accumuler les fautes en 10 petites minutes.



Le générique ensuite : Sam Smith pond une chanson assez fade, très bondienne mais qui ne décolle jamais alors que lui ne se prive pas de faire décoller les aigus au point de vriller les tympans par moment. Là aussi, cette "sensation de trop" hante la séquence : Bond nu entouré de je ne sais combien de filles. Adieu silhouette éthérée, bonjour étalage de chair : l’érotisme ferait-il place à une esthétique de magazine de charme un brin arty ? Et ce poulpe en image de synthèse qui contamine les images est ridicule : trop, trop, trop. Le trop est l’ennemi du mieux alors que la simplicité est la sophistication ultime (si l’on en croit De Vinci ).

Et puis, pendant une heure : l’état de grâce ! De Londres à Rome en passant par les montagnes autrichiennes, Bond se montre très en forme. Maniant la classe, le répondant et le Walter PKK à la perfection. L’intrigue, le suspens, l’action : tout fonctionne, tout est beau. On passera sur la nanotechnologie de Q un peu capillo-tractée mais remplaçant si bien une micro-puce trop facile à arracher ( remember Casino Royale ? ) .

Alors tout n’est pas parfait, et on se demande encore à quoi pouvait bien servir le personnage de Monica Belluci à part offrir son corps à Bond ( quand James Bond, James bande…alors la blague graveleuse, c’est fait ! )  et une vision en superbe lingerie aux spectateurs esthètes de la sale, mais la course poursuite dans Rome, empreinte de rythme, de second degré (entre Bond et Moneypenny en pleine enquête par téléphone interposé, les gadgets qui n’en sont pas vraiment et la circulation romaine contraignante par moment c’est un festival de bons mots, de rebondissements et d’ironie savamment dosée : tout à fait jouissif) est un régal pour les yeux malgré un certain côté mou dans le montage : un petit côté m'as-t-vu dans le montage, comme si la beauté plastique des images, des voitures et de la ville devait l'emporter sur la frénésie d'une course poursuite qui aurait dû ressembler à une lutte à mort entre deux entités. Mais ça fonctionne !

Alors oui, si vous êtes un acharné de Bond ou que vous avez les épisodes précédents en tête, vous aurez vite fait de comprendre ce que Bond cherche durant cette première partie, un homme surnommé le Roi Pâle. Mais qu’importe, cette partie n’est pas tirée en longueur et on a beau voir venir la chose, tout cela reste recommandable en diable. On y croit, les boursouflures du début étaient des petites erreurs bien pardonnables.







Et puis ….la désillusion. Les boursouflures annonçaient la couleur pour le reste du film. Dès lors que Bond pose un pied dans un décor enneigé ( ah ça y est, vous comprenez pourquoi je vois ai bassiné avec Au service secret de sa majesté et le ski plus haut ? ) , les spectres des anciens Bond vont se bousculer au portillon, portant atteinte au métrage comme jamais.

À force de chercher à caser à tout prix des références, les scénaristes ( ils sont 4 ! 4 à avoir travaillé dessus et pas un ne s’est dit «  Euh, et si on bossait les persos et leurs interactions un moment ? ») en oublient de faire un boulot propre.
L’intrigue sur M en guerre contre C, le patron du M :I-5 , concernant la surveillance globale est à peine esquissée. C’est bien plus marrant de montrer que la planque de M s’appelle Hildebrand ( comme dans la nouvelle The Hildebrand Rarity de Ian Fleming) que de creuser la question d’un flicage mondial ( Captain America : The Winter Soldier posait les mêmes questions et exploraient les réponses, lui ! Et reste encore un des meilleurs films d’espionnage de ces dernières années d’ailleurs!).
Madeleine Swann, interprétée par Léa Seydoux, est un peu à la ramasse (et arrive à se changer en dormant : elle s’endort en tailleur et se réveille en nuisette, flatteur pour le regard certes mais faut pas déconner non plus, après que Bond ait menacé une souris pour savoir pour quelle agence elle travaille ! Roger Moore, sors de ce corps ! ) .




L’enquête pour trouver le super-cerveau derrière le Spectre ? Très artificielle et ne servant qu’à faire avancer Bond vers une nouvelle destination. Dans le domaine de l’artifice, la romance entre Bond et Swann est encore plus artificielle que l’intelligence d’une blonde teinte en brune ! Madeleine se comporte en amour comme une gamine de 20 ans qui ne sait pas ce qu’elle veut ( je t’aime d'amour ,alors que je te connais à peine, mais je pars James)…là aussi, c’est pur prétexte pour faire avancer l’intrigue vers un point voulu !
Quant à l’explication et les motivations du méchant du film, qui utilise des machines tellement compliquées pour torturer que ça en est What the fuck à la puissance 1000….n’en parlons pas. Les spectres de la saga sont là et personne n’est venu exorciser le tournage ! Damned ! L’intention de relier tous les films de l’ère Craig entre eux est louable bien que branlante.
Si l'on s'arrête 5 secondes sur les arguments proposés par le film, il aurait fallu que le vilain soit doté du pouvoir des Moires grecques ! Y a rire et rire. Sans compter les innombrables incohérences que cela sous-entend de manière rétro-active dans les aventures précédentes de l'agent incarné par Craig ou encore la soudaine perte d'aura de Raoul Silva , le grand méchant de Skyfall.

Il est dit dans le film que Bond est devenu un cerf-volant perdu dans un ouragan, sous-entendu qu’il n’arrivera à rien contre ce qui l’attend. Et il en bavera à peine. Encore une promesse non-tenue ! Une de trop.

Mais comme je le disais en préambule, Spectre est bourré de qualités et non des moindres : tout d’abord, la photo est magnifique. Difficile de passer derrière Roger Deakins ( qui était retenu sur le tournage de Sicario ) qui avait donné un cachet si puissant à Skyfall et Van Hoytema s’en sort avec les honneurs : c’est différent tout en restant cohérent avec l’opus précédent. Il est difficile de se glisser dans les pas d’un autre tout en gardant ses particularités et à ce niveau-là, le directeur photo est à saluer ! Ensuite, les décors sont splendides, mention spéciale à la dernière séquence d’action où Bond évolue dans un labyrinthe parsemé des fantômes de son passés, de ses réussites à la Pyrrhus comme de ses échecs cuisants !

Un bon vilain de Bond a en général un bon homme de main et Mr Hinx en est un : antithèse de Bond (mastodonte de muscle, taiseux au point de n’avoir qu’une réplique dans le film – mais quelle réplique ! – il n’en est pas moins fin limier et une réelle menace qui manque de chance face à Bond).




Spectre est donc une déception et une trahison. Mais une belle déception pour l’œil à défaut de toujours l’être pour le cerveau, le script étant moins intelligent et plus faiblard qu’il ne cherche à le faire croire. Les spectres de la saga le phagocytent bien trop, rappelant encore une fois les promesses non-tenues dans Quantum of solace et pourtant répétées dans Skyfall.

La seconde loi de Newton nous explique qu’un objet suivant une trajectoire doit appliquer une force pour sortir de cette trajectoire. C’est pour cela qu’en voiture, lorsque vous tournez fort vers la droite, vous êtes attirés vers la gauche, emplacement de votre trajectoire initiale. Et bien Bond, avec Casino et Skyfall cherchait à sortir de la trajectoire bondienne et Quantun et Spectre prouvent qu’il n’a pas réussi, il est en plein virage, attiré vers la gauche encore et encore.
Hors, la gauche, c’est le passé : c’est Bond face à des consortiums de l’ombre, des mégalomanes bouffons, des gadgets désuets à l’époque du smartphone et du GPS intégré. Bond doit évoluer, et pour évoluer il faut parfois perdre quelque chose en route, tels les dauphins qui ont perdu leurs mains pour acquérir des nageoires et être adapté à leur environnement. Spectre devait être une voiture avec un moteur V12 sous le capot, hors le film semble bridé pour ressembler à un V8 (oui, comme la Formule 1 en ce moment : raison pour laquelle elle a perdu presque tout intérêt !!!! )
L’environnement de Bond a changé parce que le monde a changé, peut-être est-il temps qu’il laisse certaines choses derrière lui et rejoigne ainsi la troisième loi de Newton qui stipule, en gros, que pour avancer il faut abandonner quelque chose derrière nous.


Tant que Bond et ses producteurs en seront incapables, aucune promesse, aucune bonne intention ne sera jamais concrétisée.

Car nous vivons dans un monde qui a vu éclore Austin Powers et OSS 117 selon Jean Dujardin : les codes des vieux Bond, leur ADN a été moqué et pointées du doigt ont été les grosses ficelles.
Un exemple frappant et symptomatique : l'ennemi d'Austin Powers (et qui est également ...son frère caché : ça vous semble familier ? ) est le Dr Evil/Dr Denfer.
Une scène nous montre le bon Dr avec à sa table son ennemi. Il lui explique à quel point il est génial, pourquoi il agit et comment.
Arrive le fils du Dr, qui ne comprend pas pourquoi son paternel fait tant de cérémonies alors qu'il suffit juste de...tuer l'agent secret !
Et dans Spectre, ça se passe exactement comme ça : le méchant incarné par Christophe Waltz est ce stéréotype complètement dépassé et imbécile, qui ne prend même pas la peine de vraiment fouillé Bond ( premier réflexe de 006 dans GoldenEye ? Arracher même les objets les plus communs, comme sa montre, à son 007 de prisonnier ).



Sinon, pour l'anecdote qui tue , Spectre suit Skyfall : deux titres qui commencent par un S, qui comptent 7 lettres et qui ont presque la même équipe technique. SPECTRE est aussi le 7ème titre de la saga a tenir en un seul mot. Léa Seydoux est la 7ème Bond-Girl majeure française. C'est le 7ème film de Sam Mendes. C'est la 7ème fois que Blofeld apparaît dans un Bond officiel, et il a été joué par 7 acteurs différents. J'ai mentionné 007 fois ce chiffre dans ce paragraphe.


Petite réflexion sur le futur de Bond au cinéma.
La rumeur voudrait que Sony soit sur le point de libérer les droits de la saga. L'affaire de fuites connue sous le nom de SonyLeaks a pas mal ébranlé le studio et Warner serait prêt , dit-on, à signer un chèque astronomique pour racheter les droits.
Et Warner, c'est la maison de Christopher Nolan, grand fan de Bond qui a soigné sa frustration de ne pas le mettre en scène en injectant son amour dans sa trilogie Dark Knight (un peu comme Spielberg avec Indiana Jones, palliatif à Bond et à Tintin qu'il pensait ne jamais mettre en scène à l'époque). rien que The Dark Knight Rises est un festival bondien : outre Lucius Fox qui joue à Q depuis Batman Begins, on retrouve le même schéma que Le Monde ne suffit pas : Bane, grand méchant chauve à la Blofeld est en fait un ersatz de Renard, Miranda Tate/Talia Al Ghul est le cerveau est une copie, française aussi tiens tiens tiens, d'Elektra King ( Sophie Marceau, fausse alliée du héros). Même la scène d'ouverture du piratage de l'avion est un hommage à Permis de Tuer.