Todd Mcfarlane©
mardi 25 décembre 2018
mardi 23 octobre 2018
La La Lune : l'étoffe d'un héros.
Quand Damien Chazelle, réalisateur du multi-oscarisé La La Land (et fan de Jazz) est annoncé sur le tournage d’un bio-pic d’Armstrong, on est en droit de s’attendre à ce qu’il s’attaque à la vie de Louis.
Mais, roulement de tambours (et trompettes), le petit qui a mis Hollywood à ses pieds en 2017 quitte l’univers de la musique pour s’envoler vers les étoiles. Car c’est bien d’un autre Armstrong qu’il s’agit. Neil. Le premier homme à avoir marché sur la Lune.
Le tout sous la houlette du producteur exécutif Steven Spielberg, rien que ça !
De Neil Amrstrong, tout le monde vous dira qu’il a marché sur la Lune (ou si vous êtes assez bêtes pour être complotiste, que c’est le premier homme à avoir été vendu comme ayant marché sur l’astre de nos nuits ).
Mais que sait-on de sa vie ? Ah bin en fait, à moins d’être un fan, pas grand-chose. Les livres d’Histoire s’arrête souvent aux exploits.
Armstrong est un ingénieur vétéran de la guerre de Corée. Il y apprend le pilotage d’avion à réaction et c’est presque naturellement qu’il devient, à son retour, pilote d’essai pour avion supersonique. Mais Neil , aussi doué soit-il, est un pilote un peu distrait : sa fille adorée, Karen, est sur le point de mourir, son traitement pour le cancer détruisant son système immunitaire.
Endeuillé, interdit de vol, Neil décide de postuler au programme de la NASA recherchant des astronautes pour les missions Gemini, prédécesseur des célèbres Apollo.
Lui, sa femme et leur fils déménagent donc vers le Texas.
S’enclenche une mécanique qui le poussera à entrer dans l’histoire non pas uniquement de la NASA ( il est le premier astronaute civil de l’agence ) mais de l’Humanité toute entière.
City of Scars.
La conquête spatiale a cessé de faire rêver.
Et cette absence de magie a entraîné l’apparition non pas de films de conquête de l’ultime frontière mais des longs métrages de retour sur Terre : Apollo 13 , Gravity, Seul sur Mars…des films qui posent la question « Mais que va-t-on foutre là haut bordel ? » {1}
"Pourquoi dépenser tant d'argent,d 'énergie et de vies humaines dans de tels périples ? " {2}
En 2014, Christopher Nolan nous régale de son Interstellar.
Contre-courant total encore à l’époque, l’espace au cinéma re-devient un lieu d’exploration.
De dangers certes, mais à surpasser non pour rentrer à la maison mais pour aller plus loin, laisser le foyer derrière nous et avancer en reculant les limites de nos connaissances.
En avance de quelques années, le film ne bénéficie pas de la même aura ni du même succès que les films précédents de Nolan. C’est au business-showman Elon Musk (et surtout à ses ingénieurs ) que l’on doit un certain retour pour la médiatisation du retour de la conquête spatiale. SpaceX fait parler et c’est tant mieux.
Et puisque l’espace semble revenir à la mode, les films sur le sujet reprennent un autre angle : on veut aller là-haut !
First Man se place donc dans cette mouvance, car le contre-courant a fait des vagues.
Et sa filiation avec Interstellar se fait par ailleurs parfois sentir. Que cela soit par la séquence d’ouverture, un vol d’essai un peu foireux, à l’attachement féroce d’un père pour sa fille. Neil Armstrong et Joe Cooper partagent des points communs flagrants. Pas assez pour parasiter le visionnage du film mais le cinéphile risque de tiquer par moments.
Hasard amusant ( mais révélateur ) , le logo terrien du studio Universal se voit suivi du très lunaire DreamWorks : de la Terre à la Lune semble déjà nous crier le film alors qu’il n’a pas encore commencé.
Et lorsqu’il débute, tout tremble. Chazelle colle sa caméra au plus près de son héros, engoncé dans une carcasse métallique branlante prête à dépasser le son. Tout se stabilise lorsqu’Armstrong est libre de lâcher les gaz et de voler plein pot. L’image est stable, sous-entendant que du monde chaotique dans lequel il vit, Neil trouvera la stabilité dans les cieux.
Tout le film est d’ailleurs à cette image : souvent filmé en caméra à l’épaule un peu ballottant, les phases spatiale où tout se déroule bien sont d’une stabilité à toute épreuve, les mouvements de caméras se faisant maîtrisés au possible.
En s’attachant essentiellement à l’humain et aux passages ayant place sur Terre, Chazelle va s’attacher à leurs rêves, leurs espoirs…mais surtout aux fêlures.
Des failles dans les couples, dans les amitiés brisées par la mort qui rôde comme un coyote affamé. L’espace est un endroit dangereux et il réclame sa livre de chair avant même que l’on puisse l’atteindre.
Mais toujours avec pudeur . La caméra ne cherchant pas la performance à Oscar pleine de larmes. Que cela soit Ryan Gosling ou Claire Foy, qui incarne Janet Armstrong, les acteurs rendent une copie humaine et crédible jamais versée dans le pathos ou le sur-jeu (ou le cabotinage outrancié ). Organique, la réalisation et la direction d’acteurs ne peuvent se permettre de tels éclats sans risquer de mettre le spectateur dans la position de celui qui doit choisir un camp.
La pudeur va également se dévoiler lors de l’accident d’Apollo 1.
Loin d’un effet pyrotechnique impressionnant à la Michael Bay (ou même d’un réalisateur aimant filmer les flammes ), Chazelle opte pour une approche directe, vierge de tout effet de manche et terriblement brutale et assommante.
Une cicatrice , marquante, en plus dans la psyché des personnages comme du programme spatial. Le vrai cœur du film est là. Dans les sacrifices de chacun pour atteindre un rêve ( quitte à ce que ce rêve n'appartienne qu'à son conjoint : les sacrifices des épouses ne sont pas oubliés ).
Another Day of Moon.
Mensongères bandes-annonces qui avaient vendu un film d’exploration spatiale en lieu et place de l’exploration de la place d’un homme (et sa famille) dans ladite aventure spatiale. Les phases de vol ne sont donc pas la principale attraction du récit. Ce qui n’empêche pas Chazelle d’y apporter un soin particulier.
Filmé essentiellement avec de la pellicule, avec une photo collant aux standards d’une époque révolue ( chaque image du film pourrait se présenter comme une image d’archives léchée, carrément ) ,le directeur photo s’éloigne des dérives actuelles et s’applique à créer des ambiances, des zones d’ombres, à éclairer ce qui doit l’être. Alors que beaucoup de studios auraient poussé Chazelle à éclairer au maximum les stars et les décors pour « monter au public ce qu’il veut voir », on sent que Tonton Spielby veillait au grain pour que l’on montre au spectateur ce qu’il a besoin de voir !
Et énormément de plans se concentrant sur la conquête spatiale sont tournés en IMAX.
Le gigantisme de ce format permet d’en prendre plein les yeux, de s’émerveiller pleinement sans qu’aucun effet facile ou putassier ne soit employé. C’est beau, c’est puissant !
Damien Chazelle avait démontré avec Whiplash et La La Land que l’on pouvait filmer la musique, il récidive ici en filmant le bruit. Le bruit des plaques d’acier qui vibrent, des boulons et des visses qui bougent. En concentrant sa caméra sur ses éléments et en les couplant à un design sonore qui est sans doute le meilleur de cette année, Chazelle plonge le spectateur dans une cacophonie enveloppante et nous montre à quel point ces engins étaient potentiellement capables de se déglinguer en un rien de temps. Voila pourquoi les astronautes sont des héros mesdames et messieurs. Ils sont entrés de leur plein gré dans des capsules qui n’ont rien à voir avec les vaisseaux de Star Wars ou de Star Trek.
Tels des explorateurs prenant la mer sur des navires en simples bois ( !!! ), ils sont montés à bord de maquettes géantes en alu ! First Man fait d'Apollo 11 les nouvelles Pinta, Nina et Santa-Maria !
Mais l’ambiance n’est pas assurée que par des bruitages . La musique de Justin Hurwitz, collaborateur régulier du réalisateur, est une petite pépite dont la simplicité côtoie bien souvent les étoiles et nous plonge en apesanteur. En cherchant à s’éloigner des envolées à Oscars, le film est peut-être bien parti pour en rafler quelques uns !
First Man est donc une réussite, pas exempte de certaines longueurs paradoxales au vu de l’usage des ellipses fréquentes ( le spectateur doit relier quelques points. Hé oui, le réalisateur et son monteur vous font confiance à vous et vos cerveaux, c’est assez rare pour être souligné) mais offre une odyssée humaine teintée de drames et de réussites sans jamais appuyer ses effets le tout pour un ressenti juste et puissant.
Un film qui replace l’humanité dans ce qu’elle a de plus petit, l’individu, et de plus grand, ses prouesses collectives.
Et qui permet de lever les yeux au ciel, de LA voir si loin et si proche, de constater qu’elle nous regarde chaque soir et nous rappelle qu’elle n’est que la première étape vers un long, très long voyage.
Et que son image nous accompagnera où que l’on aille…
{1} " Nous nous sommes toujours définis par notre capacité à surmonter l'impossible.
Et nous comptons ces moments.
Ces moments où nous osons viser plus haut. Briser des barrières. Toucher les étoiles. Faire de l'inconnu du connu.
Nous comptons ces moments, fiers de nos prouesses.
Mais nous avons perdu tout ça.
Ou peut-être avons nous juste simplement oublié…oublié que nous sommes encore des pionniers.
Et que nous n'en sommes qu'au début.
Notre apogée ne peut pas être derrière nous ! Car notre destin est au-dessus de nous."
Citation du teaser d'Interstellar.
{2} " Tu te rappelles de ce type il y a environ 20 ans, j’sais plus comment il s’appelait. Il a gravi l’Everest sans oxygène et il est redescendu à moitié mort. Quelqu’un lui a demandé : « Pourquoi vous êtes allé là-haut pour mourir ? ». Il a dit : « Pas du tout, j’y suis allé pour vivre ». "
Roland Tembo dans The Lost Word : Jurassic Park, de Steven Spielberg.
Mais, roulement de tambours (et trompettes), le petit qui a mis Hollywood à ses pieds en 2017 quitte l’univers de la musique pour s’envoler vers les étoiles. Car c’est bien d’un autre Armstrong qu’il s’agit. Neil. Le premier homme à avoir marché sur la Lune.
Le tout sous la houlette du producteur exécutif Steven Spielberg, rien que ça !
De Neil Amrstrong, tout le monde vous dira qu’il a marché sur la Lune (ou si vous êtes assez bêtes pour être complotiste, que c’est le premier homme à avoir été vendu comme ayant marché sur l’astre de nos nuits ).
Mais que sait-on de sa vie ? Ah bin en fait, à moins d’être un fan, pas grand-chose. Les livres d’Histoire s’arrête souvent aux exploits.
Armstrong est un ingénieur vétéran de la guerre de Corée. Il y apprend le pilotage d’avion à réaction et c’est presque naturellement qu’il devient, à son retour, pilote d’essai pour avion supersonique. Mais Neil , aussi doué soit-il, est un pilote un peu distrait : sa fille adorée, Karen, est sur le point de mourir, son traitement pour le cancer détruisant son système immunitaire.
Endeuillé, interdit de vol, Neil décide de postuler au programme de la NASA recherchant des astronautes pour les missions Gemini, prédécesseur des célèbres Apollo.
Lui, sa femme et leur fils déménagent donc vers le Texas.
S’enclenche une mécanique qui le poussera à entrer dans l’histoire non pas uniquement de la NASA ( il est le premier astronaute civil de l’agence ) mais de l’Humanité toute entière.
City of Scars.
La conquête spatiale a cessé de faire rêver.
Et cette absence de magie a entraîné l’apparition non pas de films de conquête de l’ultime frontière mais des longs métrages de retour sur Terre : Apollo 13 , Gravity, Seul sur Mars…des films qui posent la question « Mais que va-t-on foutre là haut bordel ? » {1}
"Pourquoi dépenser tant d'argent,d 'énergie et de vies humaines dans de tels périples ? " {2}
En 2014, Christopher Nolan nous régale de son Interstellar.
Contre-courant total encore à l’époque, l’espace au cinéma re-devient un lieu d’exploration.
De dangers certes, mais à surpasser non pour rentrer à la maison mais pour aller plus loin, laisser le foyer derrière nous et avancer en reculant les limites de nos connaissances.
En avance de quelques années, le film ne bénéficie pas de la même aura ni du même succès que les films précédents de Nolan. C’est au business-showman Elon Musk (et surtout à ses ingénieurs ) que l’on doit un certain retour pour la médiatisation du retour de la conquête spatiale. SpaceX fait parler et c’est tant mieux.
Et puisque l’espace semble revenir à la mode, les films sur le sujet reprennent un autre angle : on veut aller là-haut !
First Man se place donc dans cette mouvance, car le contre-courant a fait des vagues.
Et sa filiation avec Interstellar se fait par ailleurs parfois sentir. Que cela soit par la séquence d’ouverture, un vol d’essai un peu foireux, à l’attachement féroce d’un père pour sa fille. Neil Armstrong et Joe Cooper partagent des points communs flagrants. Pas assez pour parasiter le visionnage du film mais le cinéphile risque de tiquer par moments.
Hasard amusant ( mais révélateur ) , le logo terrien du studio Universal se voit suivi du très lunaire DreamWorks : de la Terre à la Lune semble déjà nous crier le film alors qu’il n’a pas encore commencé.
Et lorsqu’il débute, tout tremble. Chazelle colle sa caméra au plus près de son héros, engoncé dans une carcasse métallique branlante prête à dépasser le son. Tout se stabilise lorsqu’Armstrong est libre de lâcher les gaz et de voler plein pot. L’image est stable, sous-entendant que du monde chaotique dans lequel il vit, Neil trouvera la stabilité dans les cieux.
Tout le film est d’ailleurs à cette image : souvent filmé en caméra à l’épaule un peu ballottant, les phases spatiale où tout se déroule bien sont d’une stabilité à toute épreuve, les mouvements de caméras se faisant maîtrisés au possible.
En s’attachant essentiellement à l’humain et aux passages ayant place sur Terre, Chazelle va s’attacher à leurs rêves, leurs espoirs…mais surtout aux fêlures.
Des failles dans les couples, dans les amitiés brisées par la mort qui rôde comme un coyote affamé. L’espace est un endroit dangereux et il réclame sa livre de chair avant même que l’on puisse l’atteindre.
Mais toujours avec pudeur . La caméra ne cherchant pas la performance à Oscar pleine de larmes. Que cela soit Ryan Gosling ou Claire Foy, qui incarne Janet Armstrong, les acteurs rendent une copie humaine et crédible jamais versée dans le pathos ou le sur-jeu (ou le cabotinage outrancié ). Organique, la réalisation et la direction d’acteurs ne peuvent se permettre de tels éclats sans risquer de mettre le spectateur dans la position de celui qui doit choisir un camp.
La pudeur va également se dévoiler lors de l’accident d’Apollo 1.
Loin d’un effet pyrotechnique impressionnant à la Michael Bay (ou même d’un réalisateur aimant filmer les flammes ), Chazelle opte pour une approche directe, vierge de tout effet de manche et terriblement brutale et assommante.
Une cicatrice , marquante, en plus dans la psyché des personnages comme du programme spatial. Le vrai cœur du film est là. Dans les sacrifices de chacun pour atteindre un rêve ( quitte à ce que ce rêve n'appartienne qu'à son conjoint : les sacrifices des épouses ne sont pas oubliés ).
Another Day of Moon.
Mensongères bandes-annonces qui avaient vendu un film d’exploration spatiale en lieu et place de l’exploration de la place d’un homme (et sa famille) dans ladite aventure spatiale. Les phases de vol ne sont donc pas la principale attraction du récit. Ce qui n’empêche pas Chazelle d’y apporter un soin particulier.
Filmé essentiellement avec de la pellicule, avec une photo collant aux standards d’une époque révolue ( chaque image du film pourrait se présenter comme une image d’archives léchée, carrément ) ,le directeur photo s’éloigne des dérives actuelles et s’applique à créer des ambiances, des zones d’ombres, à éclairer ce qui doit l’être. Alors que beaucoup de studios auraient poussé Chazelle à éclairer au maximum les stars et les décors pour « monter au public ce qu’il veut voir », on sent que Tonton Spielby veillait au grain pour que l’on montre au spectateur ce qu’il a besoin de voir !
Et énormément de plans se concentrant sur la conquête spatiale sont tournés en IMAX.
Le gigantisme de ce format permet d’en prendre plein les yeux, de s’émerveiller pleinement sans qu’aucun effet facile ou putassier ne soit employé. C’est beau, c’est puissant !
Damien Chazelle avait démontré avec Whiplash et La La Land que l’on pouvait filmer la musique, il récidive ici en filmant le bruit. Le bruit des plaques d’acier qui vibrent, des boulons et des visses qui bougent. En concentrant sa caméra sur ses éléments et en les couplant à un design sonore qui est sans doute le meilleur de cette année, Chazelle plonge le spectateur dans une cacophonie enveloppante et nous montre à quel point ces engins étaient potentiellement capables de se déglinguer en un rien de temps. Voila pourquoi les astronautes sont des héros mesdames et messieurs. Ils sont entrés de leur plein gré dans des capsules qui n’ont rien à voir avec les vaisseaux de Star Wars ou de Star Trek.
Tels des explorateurs prenant la mer sur des navires en simples bois ( !!! ), ils sont montés à bord de maquettes géantes en alu ! First Man fait d'Apollo 11 les nouvelles Pinta, Nina et Santa-Maria !
Mais l’ambiance n’est pas assurée que par des bruitages . La musique de Justin Hurwitz, collaborateur régulier du réalisateur, est une petite pépite dont la simplicité côtoie bien souvent les étoiles et nous plonge en apesanteur. En cherchant à s’éloigner des envolées à Oscars, le film est peut-être bien parti pour en rafler quelques uns !
First Man est donc une réussite, pas exempte de certaines longueurs paradoxales au vu de l’usage des ellipses fréquentes ( le spectateur doit relier quelques points. Hé oui, le réalisateur et son monteur vous font confiance à vous et vos cerveaux, c’est assez rare pour être souligné) mais offre une odyssée humaine teintée de drames et de réussites sans jamais appuyer ses effets le tout pour un ressenti juste et puissant.
Un film qui replace l’humanité dans ce qu’elle a de plus petit, l’individu, et de plus grand, ses prouesses collectives.
Et qui permet de lever les yeux au ciel, de LA voir si loin et si proche, de constater qu’elle nous regarde chaque soir et nous rappelle qu’elle n’est que la première étape vers un long, très long voyage.
Et que son image nous accompagnera où que l’on aille…
{1} " Nous nous sommes toujours définis par notre capacité à surmonter l'impossible.
Et nous comptons ces moments.
Ces moments où nous osons viser plus haut. Briser des barrières. Toucher les étoiles. Faire de l'inconnu du connu.
Nous comptons ces moments, fiers de nos prouesses.
Mais nous avons perdu tout ça.
Ou peut-être avons nous juste simplement oublié…oublié que nous sommes encore des pionniers.
Et que nous n'en sommes qu'au début.
Notre apogée ne peut pas être derrière nous ! Car notre destin est au-dessus de nous."
Citation du teaser d'Interstellar.
{2} " Tu te rappelles de ce type il y a environ 20 ans, j’sais plus comment il s’appelait. Il a gravi l’Everest sans oxygène et il est redescendu à moitié mort. Quelqu’un lui a demandé : « Pourquoi vous êtes allé là-haut pour mourir ? ». Il a dit : « Pas du tout, j’y suis allé pour vivre ». "
Roland Tembo dans The Lost Word : Jurassic Park, de Steven Spielberg.
mardi 16 octobre 2018
Batman : The Dark Prince Charming.
Alors que s’apprête à sortir en VF " Batman White Knight "
( Batman Chevalier Blanc ) scénarisé et dessiné par Sean Murphy , retour sur l’autre projet chiroptère qui posa ses pattes entre 2017-2018 et lui aussi fruit d’un seul homme, Enrico Marini : Batman The dark prince charming.
Enrico Marini est avant tout un dessinateur suisse ( et oui, souvent présenté comme Italien en raison de son patronyme, monsieur est helvète. On se rappelle trop peu que ce paradis – fiscal – alpin est composé de régions fancophones, germanophones et italiennes) qui a fait ses études à Bâle ( ah tien, en Suisse donc…vous voyez que tout se recoupe ? ) avant d’entamer une carrière dans la bande-dessinée.
Les deux plus notables étant sans doute Rapaces et Le Scorpion.
Il fait ses débuts de scénariste (tout en assurant la mise en images ) avec Les Aigles de Rome, série péplum agréable à l’œil.
À l’été 2017, DC Comics annonce fièrement avoir signé avec lui pour un projet de deux albums à l’Européenne. Bien que parlant et écrivant français, Marini travaille sur son Batman en anglais. Il s’agit avant tout d’une opération, d’un coup médiatique et marketing pour DC et le produit fini sera dés lors traduit non par l’auteur lui-même mais par Jéröme Wicky, un habitué du monde de la chauve-souris gothamite en VF.
En un mot comme en cent, non, Batman The Dark Prince Charming n’est pas une incursion de la BD franco-belge sur les terres américaines, c’est avant tout une commande d’outre-atlantique à un auteur européen à qui l’on a laissé une certaine latitude pour bosser, point. Et s’il vous fallait une preuve supplémentaire de la chose, si en Europe les dates de sorties entre deux albums d’une série sont rarement fixes ( l’on peut voir apparaître certains schémas mais rien n’est jamais très officiel , il faut attendre quelques semaines avant la sortie d’un album pour être fixé ) , aux États-Unis, l’obsession des délais est limite maladive ( un exemple connu : un film n’a pas encore de scénariste qu’il a déjà une date de sortie programmée ! ).
Et les délais, Marini en a. Dés l’annonce du projet, l’on sait que le 1er tome sortira en Novembre 2017. Et lors de cette sortie, l’on annonce en fanfare que le tome 2 sortira en Juin 2018, Marini se servant d’ailleurs de ses réseaux sociaux pour dévoiler l’avancement de son travail. Histoire de maintenir le buzz en fournissant moult extrait du WIP ( Work In Progress ).
Alors que cela est posé, penchons-nous donc sur l’ensemble de cette saga.
À tout seigneur tout honneur, Marini étant avant tout un dessinateur, c’est cet angle que nous attaquerons en premier lieu (et si ça vous plaît pas, bin tant pis, c’est mon blog à moi, na ! )
Premier constat, le format. Of course, il claque. Les albums européens ont toujours été plus grands que ceux de nos cousins américains, et même si Urban Comics a augmenté la taille des nouvelles parutions, le format à l’Européenne gagne toujours par K.O. Un art visuel est souvent mieux servi par le grand format ( regardez la taille de la plupart des livres consacrés aux beaux-arts, en particulier la peinture ).
Les deux albums sont de beaux objets qui flattent l’œil du collectionneur bibliophile. Notons que Dargaud ( à savoir la maison mère d’Urban Comics ) a sorti une édition collector du premier tome avec une couverture alternative et plusieurs pages de bonus « making-of » centré sur les travaux de recherches préparatoires de Marini pour trouver le look de ses personnages.
L'édition collector en question.
Car si Batman, Catwoman, Le Joker sont toujours reconnaissables, c’est avant tout grâce à certains codes immuables mais non contraignants.
Il est possible de jouer avec eux et de fournir une vision inédite et pourtant totalement raccord. Le cinéma ne s’est pas gêné pour le faire, les comics non plus au fil du temps. Alors tant qu’à faire, Marini lui aussi décide d’imposer sa marque et d’enrichir le monde du chevalier noir. Pour le meilleur mais aussi souvent pour le pire et l’outrancier.
Adepte de la fille sexy ( Le Scorpion n’en est pas avare ) voire sexualisée à outrance ( mais la chose est justifiée par la nature vampirique et donc provocante pour l’ordre moral établi dans Rapaces ) , Marini , sans raisons apparente, déchire le costume de Catwoman et transforme Harley Quinn en poupée Colombine dont seul le haut de la robe aurait survécu ( bin oui, faut quand même un peu voir les atours de l'Arlequin, c'est une base du perso ), dévoilant au passage très souvent la culotte de la « fiancée du Joker ». Visuellement, toutes les femmes connues des fans sont représentées comme des fantasmes pour ado boutonneux.
Cependant, il est impossible de dire que le trait de Marini ne flatte pas la rétine, le travail du dessinateur , qu’il caresse nos bas instincts ou non, est un modèle de travail acharné. Il n’a jamais été un manchot et chaque planche est belle.
Souvent hors-sujet, mais belle. Comme ses vues de Gotham nageant dans le sépia, donnant l’impression que Batman agit soit en fin d’après-midi ( hérésie) soit que l’éclairage public de Gotham est désormais presque aussi bon que celui de Metropolis, la ville de Superman ( hérésie-bis). Certes, le rendu des couleurs est de toute beauté. Mais la forme est à côté de la plaque par rapport au fond : Batman est une créature de la nuit , des ombres . Et ce qui donne de la couleur à la ville c’est le caractère monstre de foire de ses adversaires.
Donc, ça, c'est Gotham au milieu de la nuit. Même Joël Schumacher ne l'éclairait pas autant.
Graphiquement, Marini passe donc presque systématiquement à côté de ce qui fait l’univers batmanien et l’on sauvera Batman donc, le Joker, le manoir et la bat-mobile. C’est peu car ces éléments sont plongés dans tout le reste !
Mais le drame survient dans le tome 2.
Nous l’avons vu plus haut, Marini est tenu de tenir un délai, serré, pour fournir la dernière partie de son diptyque. Et si l’on reconnait toujours son trait et son talent, force est de constater que plus le second album avance, moins les dessins et la colorisation collent au niveau dont est capable le dessinateur suisse. C’est toujours beau mais en deçà de ce que l’on était en droit d’attendre.
Quand est-il du scénario dont nous venons d’évoquer l’illustration ?
Et bien c’est franchement pas terrible.
Pour l’anniversaire d’Harley Quinn, le Joker décide de voler un bijou ( c’est original à mort comme idée. Et le Joker qui s’intéresse à Harley, cela rappelle le film Suicide Squad. Marini n’aurait-il comme référence que les films et non les comics ? Je commence sérieusement à le croire ).Le cambriolage échoue bien évidemment lorsque la plus grosse chauve-souris de la ville s’en mêle.
Pendant ce temps, Bruce Wayne est accusée par une ex-junkie d’être le père biologique de sa fille et lui intente un procès. Les deux intrigues se rejoignent lorsque le Joker kidnappe la gamine pour forcer Mr Wayne à lui remettre un diamant d’une valeur vertigineuse pour contenter Miss Quinn.
Qu’il soit le père ou non, Bruce est Batman. Et n’a d’autres choix que de tenter de secourir l’enfant.
72 pages par album. 144 pages en tout et pour tout pour poser les personnages et résoudre cette aventure. C’est presque 100 pages de trop par rapport aux standards habituels tant américains qu’européens. Certes, Jean Van Hamme , avec Largo Winch , a toujours livré des diptyques mais toujours avec un talent certain et une connaissance de son/ses sujet(s).
Et autant dire que Marini ne maîtrise ni l’art littéraire ni la mythologie gothamite.
On l’a vu, que cela soit dans l’écriture ou le visuel, Enrico Marini puise bien plus dans le cinéma que le comics, se coupant de 80 ans de richesse thématique et visuelle.
Alors oui, difficile de critiquer ses goûts, surtout quand il puise chez Christopher Nolan, mais les films Batman ne sont qu’une partie d’un iceberg. Et pas la partie la plus représentative tant des auteurs comme Burton ou Nolan ont soigneusement pris ce qui les intéressaient pour coller à leurs envies d’auteurs, quitte à dénaturer certains points ( coucou Burton, c’est surtout toi que je vise là).
The dark prince charming, avec son intrigue relativement simple, si pas simpliste, ne peut tenir sur un aussi large nombre de pages. Il va donc falloir diluer un scénario mince dans un déluge de scène d’action certes très pêchues mais qui transforment le scénario en histoire homéopathique dont la lecture avoisine les 25 minutes ( dans son entièreté ! )
Et quand l’action risque de frôler l’overdose, Marini dispose d’une autre astuce : le cul ! Vous avez rêvé de voir (ou de deviner ) les courbes de Selina Kyle/ Catwoman quand elle dort avec Bruce Wayne ? Marini va vous éblouir. Vous avez toujours souhaité voir Harley Quinn servir de buffet à sushi mieux épilé que le crâne de Lex Luthor ? Marini vous a entendu.
Tom King, l’actuel scénariste du comic book Batman, s’échine a écrire une merveilleuse histoire au long cours sur la relation Bruce/Selina. Et si les scènes intimes ( voire très intimes) ne manquent pas, elles ne sont jamais putassières pour un sou sans pour autant flirter avec la pudibonderie. Comme quoi, avec un réel doigté d’écrivain, on fait des merveilles.
Tel un Charles de Gaule (et il sait comment dessiner pour en provoquer ), Marini crie « Je vous ai compris ». Et n’a rien pigé du tout, comme le général…
Mais les dessiner pour le simple plaisir de dévoiler les corps n’est pas suffisant. Marini dévoie leurs caractères.
Selina est une jalouse compulsive, rancunière et colérique ( wow, ça c'est de la femme indépendante dis donc ).
Harley est une idiote ( elle a un doctorat en psychiatrie mais bon ) soumise , contente de son sort et…JAMAIS DRÔLE ! Même pas involontairement.Un comble.
Entre elles deux et l’accusatrice de Bruce, toutes les femmes de la BD offrent un portrait déplorable de la gent féminine.
Bruce lui-même se comporte en connard arrogant et macho, un mâle alpha +, content de sa position.
En plus de fournir une intrigue bête et sans tension ( Bruce Wayne qui va mettre enceinte une junkie ? Quelqu’un y croît une seule seconde, sérieux ? Batman qui échoue ? Ha ha ) , Marini laisse exploser un sexisme palpable que ses collègues scénaristes avaient semblent-ils contenus dans ses autres séries.
Graphiquement digne mais scénaristiquement totalement indigent , The Dark Prince Charming aurait été un navet sans nom si le talent du dessinateur n’avait pas fait de cette histoire le réceptacle de deux art-books un peu gâchés par les phylactères.Parce que oui, bordel, c'est beau.
Et cette beauté va supplanter l'esprit critique de nombreux lecteurs...
Publié par
Geoffrey
à
17:30
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samedi 15 septembre 2018
Les mondes-miroirs.
On semble un peu trop souvent l’oublier, mais la SF et la Fantasy française se portent bien et plusieurs auteurs viennent rappeler qu’ils n’ont rien à envier à leurs collègues anglo-saxons plus vendeurs et plus réputés.
Et en cette rentrée tant scolaire que littéraire, les éditions Mnémos misent sur le roman de Vincent Mondiot & Raphaël Lafarge, Les mondes-miroirs.
Elsy et Elo ont grandi ensemble dans les rues malfamées de la grande cité-état de Mirinèce. Mais leurs chemins ont pris des tournures différentes. Elsy est devenue une mercenaire à la tête de sa propre (petite) agence tandis qu’Elodianne a gravi les échelons sociaux en accédant à l’une des castes les plus respectées , elle est devenue magicienne au service de l’état. Tentant vaille que vaille de se croiser au minimum une fois l’an, Elo et Elsy vont être amenées à travailler ensemble lorsque les blasphèmes, des créatures hideuses et cauchemardesques commencent à servir de vecteur pour de sanglants attentats.
Mondiot & Lafarge attrape le lecteur dès le début en les plongeant eux et deux des personnages principaux dans une course folle entre une calèche et des créatures contagieuses. Très cinématographiques, l’écriture ne s’encombre pas de longues phrases pompeuses qui auraient pu certes faire frémir les neurones mais également faire décrocher le lecteur de l’action. Il faudra attendre presque 150 pages pour que le roman retrouve alors ce même souffle. Dommage ? Oui, un peu bien entendu. Mais les auteurs vont poser, non sans talent, et dérouler leur univers foisonnant et particulier.
Ne cédant pas aux sirènes d’une fantasy classique ( à la Tolkien et ses innombrables suiveurs ) en refusant de placer les pièces de leur jeu sur un échiquier rappelant le Moyen-âge central. Nous sommes dans une sorte de reflet de la révolution industrielle : l’état n’est pas aux mains d’un monarque tout puissant mais d’un ancien révolutionnaire, le progrès a creusé les inégalités, les castes sont plus visibles, les presses impriment journaux , illustrés et romans rappelant l’âge d’or des comics, des pulps et des penny dreadfulls. Le monde n’est pas manichéen, les zones de gris sont presque aussi nombreuses que dans Game of thrones.
Œuvre de notre temps, des mots comme terrorisme ou attentat viennent ponctuer les phrases et les raisons comme les personnes derrière ces attaques sont impossibles à ne pas comparer en partie à ce qui se passe dans le monde réel.
Les auteurs se montrent également originaux et imaginatifs pour décrire la magie de leur univers. Oubliez les Merlin, Gandalf et autres Harry Potter, le système magique en place est bien plus complexe et spécialisé. La magie est divisée en plusieurs branches et rares sont les élus à cumuler plus d’une spécialité. Je n'en dirai pas plus pour ne pas gâcher le plaisir mais je n'avais pas trouvé de mécaniques magiques si originales depuis Sabriël de l'australien Garth Nix ( mangez-en, c'est de la bonne).
Et non, Elo, l’héroïne , ne souffrira pas du cliché d’être l’une des seules à à avoir multiplier les talents. Elle n'est pas une nouvelle Hermione Granger,et c'est tant mieux tant la saga de Rowling a fait du mal au fantastique sur le long terme.
Les personnages sont fouillés, ont des qualités, des défauts , des rêves et des regrets. Tous ne sont pas aussi incarnés que d’autres mais tous ont une personnalité bien définie qui les rend attachants, détestables, intrigants mais aucun ne laissera indifférent.
Plusieurs scènes de flash-backs viennent nous éclairer sur le passé de plusieurs protagonistes et offrent de creuser les regrets, les attentes déçues et les espoirs de certains personnages, venant expliquer sans lourdeurs leurs actes sans pour autant les excuser. Mondiot et Lafarge nous offre de comprendre aussi bien les héros que les vilains. Comprendre, après tout, n’est-ce pas la meilleure façon de saisir le problème et d’ensuite tenter de lui trouver des solutions ?
On regrettera peut-être quelques facilités narratives qui fleurent bon l’écriture pour la jeunesse dont provient Vincent Mondiot ou quelques ellipses alors que les personnages allaient entamer des scènes chargées émotionnellement. Gageons que ces petites scories disparaîtront de la plume des auteurs dans l’avenir. Un avenir qui pourrait se dérouler dans le même univers tant l’ont sent que malgré sa nature d’aventure isolée, cet univers est trop vaste et intéressant pour ne donner naissance qu’à un one-shot.
Après La Crécerelle de Patrick Moran ( qui employait lui aussi une magie des plus originale) , encore un nouvel univers que l'on attend de retrouver au plus vite !
Allez, s'il fallait vraiment trouver un gros défaut à ce livre, ça serait dans la peste éditoriale transformant " ça a " en "ç'a" , idiotie impie qui nie la double prononciation de la noble et vénérable première lettre de l'alphabet. Pire qu'une faute d'orthographe, une faute de langage qui ne cesse de se répandre dans l'édition française et qui ne reflète même pas un usage vocal. De quoi faire suffisamment tiquer pour décrocher de la lecture en pestant devant une manie au mieux ubuesque.
Et en cette rentrée tant scolaire que littéraire, les éditions Mnémos misent sur le roman de Vincent Mondiot & Raphaël Lafarge, Les mondes-miroirs.
Elsy et Elo ont grandi ensemble dans les rues malfamées de la grande cité-état de Mirinèce. Mais leurs chemins ont pris des tournures différentes. Elsy est devenue une mercenaire à la tête de sa propre (petite) agence tandis qu’Elodianne a gravi les échelons sociaux en accédant à l’une des castes les plus respectées , elle est devenue magicienne au service de l’état. Tentant vaille que vaille de se croiser au minimum une fois l’an, Elo et Elsy vont être amenées à travailler ensemble lorsque les blasphèmes, des créatures hideuses et cauchemardesques commencent à servir de vecteur pour de sanglants attentats.
Mondiot & Lafarge attrape le lecteur dès le début en les plongeant eux et deux des personnages principaux dans une course folle entre une calèche et des créatures contagieuses. Très cinématographiques, l’écriture ne s’encombre pas de longues phrases pompeuses qui auraient pu certes faire frémir les neurones mais également faire décrocher le lecteur de l’action. Il faudra attendre presque 150 pages pour que le roman retrouve alors ce même souffle. Dommage ? Oui, un peu bien entendu. Mais les auteurs vont poser, non sans talent, et dérouler leur univers foisonnant et particulier.
Ne cédant pas aux sirènes d’une fantasy classique ( à la Tolkien et ses innombrables suiveurs ) en refusant de placer les pièces de leur jeu sur un échiquier rappelant le Moyen-âge central. Nous sommes dans une sorte de reflet de la révolution industrielle : l’état n’est pas aux mains d’un monarque tout puissant mais d’un ancien révolutionnaire, le progrès a creusé les inégalités, les castes sont plus visibles, les presses impriment journaux , illustrés et romans rappelant l’âge d’or des comics, des pulps et des penny dreadfulls. Le monde n’est pas manichéen, les zones de gris sont presque aussi nombreuses que dans Game of thrones.
Œuvre de notre temps, des mots comme terrorisme ou attentat viennent ponctuer les phrases et les raisons comme les personnes derrière ces attaques sont impossibles à ne pas comparer en partie à ce qui se passe dans le monde réel.
Les auteurs se montrent également originaux et imaginatifs pour décrire la magie de leur univers. Oubliez les Merlin, Gandalf et autres Harry Potter, le système magique en place est bien plus complexe et spécialisé. La magie est divisée en plusieurs branches et rares sont les élus à cumuler plus d’une spécialité. Je n'en dirai pas plus pour ne pas gâcher le plaisir mais je n'avais pas trouvé de mécaniques magiques si originales depuis Sabriël de l'australien Garth Nix ( mangez-en, c'est de la bonne).
Et non, Elo, l’héroïne , ne souffrira pas du cliché d’être l’une des seules à à avoir multiplier les talents. Elle n'est pas une nouvelle Hermione Granger,et c'est tant mieux tant la saga de Rowling a fait du mal au fantastique sur le long terme.
Les personnages sont fouillés, ont des qualités, des défauts , des rêves et des regrets. Tous ne sont pas aussi incarnés que d’autres mais tous ont une personnalité bien définie qui les rend attachants, détestables, intrigants mais aucun ne laissera indifférent.
Plusieurs scènes de flash-backs viennent nous éclairer sur le passé de plusieurs protagonistes et offrent de creuser les regrets, les attentes déçues et les espoirs de certains personnages, venant expliquer sans lourdeurs leurs actes sans pour autant les excuser. Mondiot et Lafarge nous offre de comprendre aussi bien les héros que les vilains. Comprendre, après tout, n’est-ce pas la meilleure façon de saisir le problème et d’ensuite tenter de lui trouver des solutions ?
On regrettera peut-être quelques facilités narratives qui fleurent bon l’écriture pour la jeunesse dont provient Vincent Mondiot ou quelques ellipses alors que les personnages allaient entamer des scènes chargées émotionnellement. Gageons que ces petites scories disparaîtront de la plume des auteurs dans l’avenir. Un avenir qui pourrait se dérouler dans le même univers tant l’ont sent que malgré sa nature d’aventure isolée, cet univers est trop vaste et intéressant pour ne donner naissance qu’à un one-shot.
Après La Crécerelle de Patrick Moran ( qui employait lui aussi une magie des plus originale) , encore un nouvel univers que l'on attend de retrouver au plus vite !
Allez, s'il fallait vraiment trouver un gros défaut à ce livre, ça serait dans la peste éditoriale transformant " ça a " en "ç'a" , idiotie impie qui nie la double prononciation de la noble et vénérable première lettre de l'alphabet. Pire qu'une faute d'orthographe, une faute de langage qui ne cesse de se répandre dans l'édition française et qui ne reflète même pas un usage vocal. De quoi faire suffisamment tiquer pour décrocher de la lecture en pestant devant une manie au mieux ubuesque.
mercredi 5 septembre 2018
Le cinéma ne suffit pas / motus non sufficit
Après un second tome plus couillu que le premier mais toujours un peu trop désincarné à mon goût,James Bond revient chez Delcourt.
Mais étant en retard (le présent tome est sorti fin mars), je ne vous entretiendrai pas du volume 4 mais bien du 3, lui qui voit débarquer une nouvelle équipe créative.
Adieu donc Warren Ellis et Jason Masters, bienvenue à Andy Diggle et Luca Casalanguida.
Diggle est connu dans le monde des comics pour avoir écrit Losers, un comic book d’espionnage sévèrement burné et assez jouissif.
Malheureusement, il aussi frôlé le titre de fossoyeur de Daredevil lors de son court run sur l’Homme sans peur. MAIS ! Les héros britanniques pur jus semblent lui permettre de remonter son niveau, à l’instar de son passage sur Hellblazer.
Warren Ellis, lors de ses deux aventures Bondiennes, n’avait pas laissé un souvenir impérissable malgré des qualités indéniables : une connaissance tant du Bond littéraire ( qui est d’ailleurs bien plus LA référence de cette série de comics ) et de la saga filmique.
Il avait introduit un Bond brut(e), machine à tuer visuellement raccord avec le héros imaginé par Fleming ( vous avez déjà entendu parler de ses cicatrices sur la joue droite et la main gauche dans les films vous ? ) et laissez libre court à son imagination en matière d’inventions de SF injectées dans l’univers haut en couleurs de 007 ( Ellis est un passionné de technologies ).
Diggle ne cherche pas à éjecter le boulot de mise en place de Ellis mais il va faire les choses à sa façon.
Une façon plus prenante.
Au contraire de Warren Ellis qui préfère se donner à 100% sur ses créations personnelles et laisser un pourcentage bien plus faible sur les boulots de commande ( ce qui le place de toute façon bien souvent dans le haut du panier ), Diggle n’a pas ce genre de méthodes et décide d’écrire en bon petit soldat zélé mais pas dépourvu d’identité.
Commençant comme il se doit par une séquence introductive qui lancera toute la machine, Diggle place Bond au cœur d’une mission d’infiltration et de documentation qui tourne court, son permis de tuer ayant plus servi que prévu.
Placé sur une autre affaire bien moins prestigieuse, 007 se retrouve à devoir faire du babysitting pour Bernard Hunt, marchand d’arme ayant connu Andrew Bond, le père de l’agent secret. Bond y fait la connaissance de la vice-présidente de l’entreprise HE ( Hunt Engineering ), Victoria.
Une attaque terroriste contre Hunt, commanditée par une personne inconnue dont le nom de code est Kraken, viendra lier l’affaire en court et la première scène.
De Caracas à Dubaï, de quartiers pourris aux bars les plus fous et exotiques, l'enquête de Bond le fera voyager, c'est le minimum syndical quand on porte le matricule 007.
Diggle nous livre un très bon Bond. Malin, rompu aux arts de la guerre et de l’amour, cultivé. Il creuse également un peu son passé dans la marine royale britannique, jouant avec la mythologie du personnage à l’heure où le cinéma tente de lui en créer une nouvelle ( Skyfall ) sans jamais vraiment creuser les bases du personnage.
Coup fourrés, pièges mortels que l’on ne voyait pas toujours venir, voiture suréquipée, Hammerhead remplit habilement le cahier des charges de ce que l’on attend d’un 007 et joue avec ce qu’Ellis avait insufflé dans l’ADN de la série de comics pour ne pas être une simple copie du Bond de cinéma mais bien une incarnation dessinée suffisamment indépendante de son homologue le plus connu et apprécié.
Les dessins de Luca Casalanguida sont bien moins « figés » que ceux de son prédécesseur et offre un dynamisme certain tant aux scène d’action qu’au simple palabre. Loin des illustrations glacées des deux précédents tomes, Casalanguida offre des planches d’où émanent une sensation de mouvement, rendant l’ensemble vivant et ce même lorsque la mort rôde. Les couleurs évitent les aplats des tomes précédents ( qui donnaient l'impression que les ombres n'existaient pas dans le monde fantastique de l'agent secret le plus célèbre de sa gracieuse majesté ) donnent dès lors un peu plus vie aux protagonistes.
Pourtant, résumer Hammerhead à un simple récit d’action bien troussé serait réducteur tant il pose, en filigrane pas trop difficile à discerner , des questions sur le nationalisme, le patriotisme et le terrorisme intérieur. L’art d’un blockbuster au service pas très secret de la métaphore et des interrogations de notre époque.
Ce volume a par ailleurs la particularité d’être lu de manière indépendante, inutile d’avoir lu les précédents pour l’aborder. Bref, un point d’entrée (pour ceux qui voudraient éviter la période précédente moins aboutie ) dans cette série qui se bonifie donc avec le temps. On attend impatiemment de lire le tome 4, Killchain.
Mais étant en retard (le présent tome est sorti fin mars), je ne vous entretiendrai pas du volume 4 mais bien du 3, lui qui voit débarquer une nouvelle équipe créative.
Adieu donc Warren Ellis et Jason Masters, bienvenue à Andy Diggle et Luca Casalanguida.
Diggle est connu dans le monde des comics pour avoir écrit Losers, un comic book d’espionnage sévèrement burné et assez jouissif.
Malheureusement, il aussi frôlé le titre de fossoyeur de Daredevil lors de son court run sur l’Homme sans peur. MAIS ! Les héros britanniques pur jus semblent lui permettre de remonter son niveau, à l’instar de son passage sur Hellblazer.
Warren Ellis, lors de ses deux aventures Bondiennes, n’avait pas laissé un souvenir impérissable malgré des qualités indéniables : une connaissance tant du Bond littéraire ( qui est d’ailleurs bien plus LA référence de cette série de comics ) et de la saga filmique.
Il avait introduit un Bond brut(e), machine à tuer visuellement raccord avec le héros imaginé par Fleming ( vous avez déjà entendu parler de ses cicatrices sur la joue droite et la main gauche dans les films vous ? ) et laissez libre court à son imagination en matière d’inventions de SF injectées dans l’univers haut en couleurs de 007 ( Ellis est un passionné de technologies ).
Diggle ne cherche pas à éjecter le boulot de mise en place de Ellis mais il va faire les choses à sa façon.
Une façon plus prenante.
Au contraire de Warren Ellis qui préfère se donner à 100% sur ses créations personnelles et laisser un pourcentage bien plus faible sur les boulots de commande ( ce qui le place de toute façon bien souvent dans le haut du panier ), Diggle n’a pas ce genre de méthodes et décide d’écrire en bon petit soldat zélé mais pas dépourvu d’identité.
Commençant comme il se doit par une séquence introductive qui lancera toute la machine, Diggle place Bond au cœur d’une mission d’infiltration et de documentation qui tourne court, son permis de tuer ayant plus servi que prévu.
Placé sur une autre affaire bien moins prestigieuse, 007 se retrouve à devoir faire du babysitting pour Bernard Hunt, marchand d’arme ayant connu Andrew Bond, le père de l’agent secret. Bond y fait la connaissance de la vice-présidente de l’entreprise HE ( Hunt Engineering ), Victoria.
Une attaque terroriste contre Hunt, commanditée par une personne inconnue dont le nom de code est Kraken, viendra lier l’affaire en court et la première scène.
De Caracas à Dubaï, de quartiers pourris aux bars les plus fous et exotiques, l'enquête de Bond le fera voyager, c'est le minimum syndical quand on porte le matricule 007.
Diggle nous livre un très bon Bond. Malin, rompu aux arts de la guerre et de l’amour, cultivé. Il creuse également un peu son passé dans la marine royale britannique, jouant avec la mythologie du personnage à l’heure où le cinéma tente de lui en créer une nouvelle ( Skyfall ) sans jamais vraiment creuser les bases du personnage.
Coup fourrés, pièges mortels que l’on ne voyait pas toujours venir, voiture suréquipée, Hammerhead remplit habilement le cahier des charges de ce que l’on attend d’un 007 et joue avec ce qu’Ellis avait insufflé dans l’ADN de la série de comics pour ne pas être une simple copie du Bond de cinéma mais bien une incarnation dessinée suffisamment indépendante de son homologue le plus connu et apprécié.
Les dessins de Luca Casalanguida sont bien moins « figés » que ceux de son prédécesseur et offre un dynamisme certain tant aux scène d’action qu’au simple palabre. Loin des illustrations glacées des deux précédents tomes, Casalanguida offre des planches d’où émanent une sensation de mouvement, rendant l’ensemble vivant et ce même lorsque la mort rôde. Les couleurs évitent les aplats des tomes précédents ( qui donnaient l'impression que les ombres n'existaient pas dans le monde fantastique de l'agent secret le plus célèbre de sa gracieuse majesté ) donnent dès lors un peu plus vie aux protagonistes.
Pourtant, résumer Hammerhead à un simple récit d’action bien troussé serait réducteur tant il pose, en filigrane pas trop difficile à discerner , des questions sur le nationalisme, le patriotisme et le terrorisme intérieur. L’art d’un blockbuster au service pas très secret de la métaphore et des interrogations de notre époque.
Ce volume a par ailleurs la particularité d’être lu de manière indépendante, inutile d’avoir lu les précédents pour l’aborder. Bref, un point d’entrée (pour ceux qui voudraient éviter la période précédente moins aboutie ) dans cette série qui se bonifie donc avec le temps. On attend impatiemment de lire le tome 4, Killchain.
L'amour en avion, une autre définition de s'envoyer en l'air. Quel coquinou ce James...
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Geoffrey
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mercredi 15 août 2018
L'alchimiste full metal.
C’est une ville immense,que se disputent deux factions rivales : les alchimistes et les mécaniciens.
C’est une ville jaillie de la terre par la seule volonté des gargouilles, êtres de pierre, peuple qui s’amoindrit peu à peu.
C’est une ville au bord du chaos où vit Mattie, automate affranchie par son maître mécanicien, Loharri.
Cette dernière est devenue alchimiste et les gargouilles l’ont choisie pour les aider : la pétrification emporte chaque nuit un peu plus l’une des leurs et leur inexorable disparition leur fait peur.
Croisement entre fantasy style renaissance et steampunk , L’Alchimie de la pierre est un roman court et précieux qui explore la psyché humaine par le biais de la compréhension et du regard d’une androïde libérée de son maître et pourtant encore totalement assujettie à ce dernier, les chaînes qui relient les êtres sont complexes et certaines portent chez elle le sceau infamant de la programmation installée par son créateur.
La quête d’émancipation totale de Mattie est une métaphore de la lutte féministe sans tomber dans la caricature.
L’auteure, Ekatarina Sedia , a écrit plusieurs nouvelles et romans mais celui-ci est le premier à être traduit en langue française. Espérons qu’il ne restera pas orphelin car Sedia possède un style fluide, doux et agréable à lire. Une sorte d’hermine pour les yeux qui ne l’empêche aucunement de décrire certaines horreurs et blessures que la vie et la société aiment faire subir si souvent aux opprimés et rarement aux puissants qui ne tombent que pour reprendre le pouvoir d’une façon ou d’une autre.
Au fil des aventures et des rencontres de Mattie, Sedia déplie une fable sur la lutte des classes , les manipulations des foules , les certitudes idéologiques des factions en place ( hors, comme le disait Nietzsche : Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges ) , le combat du progrès industriel contre les défenseurs du naturel.
Riche en thèmes, le roman en effleure certains et en visite d’autres plus profondément.
Il s’agit surtout ici de narrer les ressentis de Mattie l’automate plus que de dresser le portrait d’une allégorie d’un modèle politique au final très Européen ( la ville semble suivre le schéma de la monarchie constitutionnelle et non celle d’une république, cet aspect, très européen, doit sembler d’un exotisme étrange aux lecteurs américains ) qui porte néanmoins une bonne partie du décorum sur ses épaules.
Un décorum agité par la gestion des Mécaniciens sur la ville, faction rappelant une droite fourre-tout, aussi libérale , inhumaine et extrême que réaliste. Le paradoxe le plus évident est que Mattie, machine faite de rouages et de boulons soit devenue alchimiste dont l’art dépend de ce qui pousse, de ce qui vit et ce qui meurt.
Cependant, Ekaterina Sebia se garde bien de décrire les luttes de pouvoir entre factions de manière manichéenne et les alchimistes ne sont pas présentés comme des chevaliers blancs face aux dragons du progrès mécanique.
Chaque personnage possède une caractérisation psychologique si pas fine, au moins suffisamment travaillée pour que les zones d’ombres et de lumières soient mises en avant, au lecteur de trancher qui est bon, mauvais ou tout simplement…humain, avec les tares et les dons que cela entend.
Personnage aux multiples facettes et dont la volonté de pleinement vivre pour elle anime les actions, Mattie ne peut que toucher le cœur du lecteur qui se voit, grâce au style de l’auteure et la beauté de son personnage, pris par la main pour traverser une ville et un système en plein chambardement.
Une œuvre douce et dure dans des contrées que l’on souhaiterait explorer plus avant.
C’est une ville jaillie de la terre par la seule volonté des gargouilles, êtres de pierre, peuple qui s’amoindrit peu à peu.
C’est une ville au bord du chaos où vit Mattie, automate affranchie par son maître mécanicien, Loharri.
Cette dernière est devenue alchimiste et les gargouilles l’ont choisie pour les aider : la pétrification emporte chaque nuit un peu plus l’une des leurs et leur inexorable disparition leur fait peur.
Croisement entre fantasy style renaissance et steampunk , L’Alchimie de la pierre est un roman court et précieux qui explore la psyché humaine par le biais de la compréhension et du regard d’une androïde libérée de son maître et pourtant encore totalement assujettie à ce dernier, les chaînes qui relient les êtres sont complexes et certaines portent chez elle le sceau infamant de la programmation installée par son créateur.
La quête d’émancipation totale de Mattie est une métaphore de la lutte féministe sans tomber dans la caricature.
L’auteure, Ekatarina Sedia , a écrit plusieurs nouvelles et romans mais celui-ci est le premier à être traduit en langue française. Espérons qu’il ne restera pas orphelin car Sedia possède un style fluide, doux et agréable à lire. Une sorte d’hermine pour les yeux qui ne l’empêche aucunement de décrire certaines horreurs et blessures que la vie et la société aiment faire subir si souvent aux opprimés et rarement aux puissants qui ne tombent que pour reprendre le pouvoir d’une façon ou d’une autre.
Au fil des aventures et des rencontres de Mattie, Sedia déplie une fable sur la lutte des classes , les manipulations des foules , les certitudes idéologiques des factions en place ( hors, comme le disait Nietzsche : Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges ) , le combat du progrès industriel contre les défenseurs du naturel.
Riche en thèmes, le roman en effleure certains et en visite d’autres plus profondément.
Il s’agit surtout ici de narrer les ressentis de Mattie l’automate plus que de dresser le portrait d’une allégorie d’un modèle politique au final très Européen ( la ville semble suivre le schéma de la monarchie constitutionnelle et non celle d’une république, cet aspect, très européen, doit sembler d’un exotisme étrange aux lecteurs américains ) qui porte néanmoins une bonne partie du décorum sur ses épaules.
Un décorum agité par la gestion des Mécaniciens sur la ville, faction rappelant une droite fourre-tout, aussi libérale , inhumaine et extrême que réaliste. Le paradoxe le plus évident est que Mattie, machine faite de rouages et de boulons soit devenue alchimiste dont l’art dépend de ce qui pousse, de ce qui vit et ce qui meurt.
Cependant, Ekaterina Sebia se garde bien de décrire les luttes de pouvoir entre factions de manière manichéenne et les alchimistes ne sont pas présentés comme des chevaliers blancs face aux dragons du progrès mécanique.
Chaque personnage possède une caractérisation psychologique si pas fine, au moins suffisamment travaillée pour que les zones d’ombres et de lumières soient mises en avant, au lecteur de trancher qui est bon, mauvais ou tout simplement…humain, avec les tares et les dons que cela entend.
Personnage aux multiples facettes et dont la volonté de pleinement vivre pour elle anime les actions, Mattie ne peut que toucher le cœur du lecteur qui se voit, grâce au style de l’auteure et la beauté de son personnage, pris par la main pour traverser une ville et un système en plein chambardement.
Une œuvre douce et dure dans des contrées que l’on souhaiterait explorer plus avant.
mardi 31 juillet 2018
Ethan Hunt Fury Road
La série télévisée Mission : Impossible a fait le saut vers le grand écran en 1996.
4 ans plus tard, la suite débarquera, confirmant que la Paramount, et surtout Tom Cruise, véritable maître d’œuvre de la saga censée rivaliser avec 007, veulent donner à chaque épisode une identité propre en confiant chaque film à un réalisateur différent.
2 ans après avoir appréhendé Solomon Lane, le dangereux chef de l’organisation terroriste Le Syndicat, Ethan Hunt se voit confier la mission d’empêcher une nouvelle entité, Les Apôtres, de mettre la main sur 3 réserves de plutonium.
Les Apôtres sont tout ce qu’il reste du Syndicat, dont la tête n’a pas été tranchée mais enfermée. En l’absence de leur « gourou » ( Solomon Lane n’est autre qu’un James Bond qui deviendrait un Blofeld non pas motivé par l’argent et le pouvoir mais pas la déstabilisation du système qui l’a créé ) , le groupe s’est radicalisé (oui, encore plus), animal blessé prêt à mordre tout ce qui bouge pour accomplir son dessein.
Alors que l’acquisition de l’élément radioactif le plus célèbre de la création devait se passer en douceur, l’opération capote et Hunt, ainsi que son équipe, se voit imposer un chien de garde de la CIA, l’agent Walker, un bourrin bourru pour qui une mission réussie est une mission qui a pris une balle dans la tête. Remontant la piste des apôtres, Hunt et Walker en viennent à (re)croiser la route d’Ilsa Faust, agente britannique et vieille connaissance de Hunt dont les objectifs ne coïncident pas forcément avec ceux des américains.
Quand, en 2015, Rogue Nation, le 5éme opus des aventures d’Ethan Hunt, sort sur les écrans, il est un peu le chouchou de l’été, seul véritable film à offrir du solide après un printemps qui nous avait tant donné ( Tomorrowland, Mad Max Fury Road ). Son réalisateur, Christopher McQuarrie ne réalise pourtant là que son 3éme film en 15 ans ( The Way of The Gun, Jack Reacher – déjà avec Tom Cruise ). Mais l’homme est avant tout un scénariste (oscarisé pour The Usual Suspects ) depuis deux décennies et script doctor attitré de Cruise depuis leur rencontre sur le tournage de Valkyrie. Il a retouché les scripts de Ghost Protocol et d’Edge of Tomorrow.
Le film, véritable thriller noir nimbé de l’ombre d’Alfred Hitchcock et de Casablanca{1} joue plus sur la tension que l’action et distille un romantisme à fleur de peau en introduisant l’agente Ilsa Faust jouée par Rebecca Ferguson.
Enchaînés dans une suite d’événements qui les rapprochent, Ethan et Ilsa se séparent non sur un langoureux baiser mais sur une étreinte et des regards plein de non-dits.
Ethan aurait-il trouvé sa Catwoman, son Irène Adler ? La porte restait ouverte pour qui prendrait la relève si l’envie lui en prenait.
Devant le nombre de critiques positives, McQuarrie se fend d’un commentaire, souhaitant bonne chance à celui qui réaliserait le 6éme opus. Le karma étant joueur , McQuarrie se retrouve à se succéder à lui-même, une première dans la saga. Mais désireux de continuer la tradition du « un épisode différent du précédent », il se lance dans l’écriture d’un script aux antipodes de Rogue Nation. Il change également, au passage : de directeur photo, de compositeur et de responsable des costumes. Fallout aura une autre identité que simple suite à Rogue Nation, il doit être unique et appréhendable par tous…à la différence de Spectre qui tentait de lier tous les films de James Bond/Daniel Craig entre eux.
Si Rogue Nation était élégant et noir, misant sur la tension et le suspense plus que sur l’action pure, Fallout en sera l’opposé. Prenant le risque de caresser dans le sens inverse du poil les amoureux du précédent film. Fallout perd donc en pedigree racé ce qu’il gagne en punch et énergie destructrice.
Débutant par Ethan Hunt se réveillant dans une planque grande comme un hangar , au milieu de la nuit et profitant d’une lampe à chaleur, le films se termine sur le même Ethan Hunt, allongé, de jour, entouré de chaleur humaine. Pour aller du point de départ froid et ténébreux à la ligne d’arrivée chaude et ensoleillée, Hunt va traverser un chemin de croix digne des plus grandes épopées.
Qu’il reçoive son ordre de mission planqué dans un exemplaire de l’Odyssée d’Homère n’est pas anodin. Car c’est ce qui l’attend : la passion du Christ-sauveur à la sauce 12 travaux d'Hercule en 24 heures chrono.
En se comportant dès les premières minutes comme un héros prêt à risquer sa vie plutôt que de laisser un ami en danger, Hunt enclenche un engrenage qui peut se révéler mortel à chaque coin de rue. Et tels les protagonistes mythologiques, ses songes contiennent en substance des messages prémonitoires du danger auquel il va faire face.
McQuarrie nous refait un peu le coup de Rogue Nation : reprendre un élément boursouflé par John Woo dans M :I – 2 ( la référence au film Les enchaînés, pour RN ) pour le sublimer ici.
La création d’un héros et son ancrage mythologique dans ses apports antiques avait été l'apport de Woo, il sera l'exploration,par l'exploit, pour McQuarrie.
Ainsi, Hunt n’est-il pas la liberté païenne face à une organisation qui se fait appeler Les Apôtres, avec la symbolique de ce que peut représenter de dangereux les dogmes les plus absolus et leur désir pathologique de régenter le monde et les vies de ses habitants ?
Alors que Hunt pousse sa logique et ses motivations dans leurs retranchements, fournissant un héros désormais aussi épais que Jack Bauer dans ses valeurs et ses méthodes souvent à la limite du bon sens mais accomplies au travers de la pugnacité sans limite du héros, Faust se dévoile encore une fois comme le cœur palpitant du film, le centre de gravité émotionnel du long-métrage. Chaque regard de Rebecca Ferguson devant s’opposer à Hunt est tour à tour déchirant ( « Please don’t make me go through you » ) et rempli de détermination à accomplir sa mission. Une détermination au moins égale à celle de Hunt , qui l’enjoint à ne pas se mêler de cette affaire. Les deux personnages avancent en sachant que chaque action peut être un coup porté à une personne chère et doivent composer avec leur sens absolu du devoir envers leur nation et l’absolue nécessité de se couvrir l’un l’autre.
Ilsa, un peu en retrait au début du film, sort de plus en plus de l’ombre, prenant une place capitale dans l’intrigue. Si le romantisme de Rogue Nation n’est plus à fleur de peau , il dirige pourtant les actions tant de Faust que de Hunt (la caméra ne filme plus Rebecca Ferguson amoureusement, comme c'était le cas dans Rogue Nation, ses habits, bien que d'une grande classe, ne la font plus autant sortir du lot et la musique de Lorne Balfe -pompant allègrement les OST de The Dark Knight et Inception - ne rivalise jamais avec la beauté classique de la composition de Joe Kraemer et son utilisation de Nessun Dorma de Puccini comme thème musicale pour Ilsa.).
Alors que l’ex-femme de ce dernier réapparaît, Faust découvre des facettes qu’elle n’avait que devinées à propos d’Ethan. Les deux femmes ne feront que se croiser quelques secondes. Quelques secondes qui suffiront à laisser l’émotion, subtile , se glisser dans une scène où quelques mots seront échangés, murmurés à l’oreille de l’une par l’autre sans que le spectateur ne distinguent ce qui se dit.
Fait étonnant, un troisième personnage féminin fait son apparition et arrive à tirer son épingle du jeu déja bien chargé dans la vie sentimentale du héros : La Veuve Blanche, sorte de clin d'oeil à la Veuve Noire de Marvel.
La noire est une espionne assassin, la blanche traître avec espions et assassins pour vendre des armes. Deux faces d'une même pièces ?
Elle est incarnée par Vanessa Kirby qui joue parfaitement les personnages froid et distants avant de faire passer en un claquement de doigts sur son visage que Hunt l'attire de par ses capacités physiques guerrières et intellectuelles. Le personnage est ambigu dans ses ambitions et ses intentions et il serait dommage de se priver de la revoir ultérieurement.
Et puisque Fallout crée un précédent ( faire revenir des personnages féminins venus d'autres films de la saga, il n'est pas interdit de penser que La Veuve puisse revenir...ou encore Nyah de M:I-2 ou bien l'agent Carter incarnée par Paula Patton dans Ghost Protocol ).
Rogue Nation faisait naître l’action de son histoire. Lancé à toutes berzingues, Fallout fait naître son histoire de son action et que Hunt soit presque toujours en mouvement, le poussant à improviser sur le moment, est une illustration totale de cet état de fait.Le tout reste pourtant passionnant dans son déroulement et ses rebondissements.
Et surtout, McQuarrie n’en oublie jamais de creuser tous ses autres personnages.
Benji, toujours campé par Simon Pegg gagne en assurance comme agent de terrain, Luther, l’allié de la première heure se montre être un grand sensible qui le cache bien. Quant à l’agent Walker, incarné par Henry Cavill ( Clark Kent ) , il est loin d’être un simple monolithe de muscle. Cavill , pourtant plus habitué aux rôles de bon gars, transpire d’une vindicte et d’une sorte de sadisme malsain ( un aspect à peine esquissé lors de Justice League quand Superman revenait à la vie un peu désorienté mais totalement conscient de ses capacités ) , le genre de personnage que l’on adore détester et qui donne une identité forte au film.
Un film qui se fait plus avare en références classiques ( à peine un petit clin d’œil à Orson Welles lors de la scène dans la boîte de nuit – La dame de Shanghai n’est pas loin ) mais pas en références récentes. Tout aussi old school dans son envie de présenter le plus de réalisme possible sans artifices en images de synthèse, Fallout prend des airs de Heat et de The Dark Knight (Rises) montés sur le rythme de Mad Max Fury Road.
C'est que là où le critique de base avait crû déceler du Nolan dans Skyfall (non, du tout ) c'est bien ici que les apports de Christopher (Nolan) ont été intériorisés par un autre Christopher (McQuarrie). Comment ne pas lire les ennemis de Hunt comme des versions " monde de l'espionnage " du Joker ( Solomon Lane, anarchiste, quand il tenait plus d'un Ra's Al Ghul dans le précédent opus ) et le Bane ( la force physique absolue ) de cette histoire ? Des agents en guerre contre des institutions qu'ils considèrent pourries ? McQuarrie n'est peut-être pas un auteur au sens noble du terme mais il sait où puiser ses influences et les infuser avec talent dans son histoire.
Ilsa, plus Selina Kyle que jamais vient enfoncer le clou.
C'est que Fallout peut être vu comme le véritable 3éme acte de Rogue Nation et, à ce titre ,le film dans son ensemble est donc une sorte de climax géant. C'est ici que tout se résout : les ambitions du Syndicat, les relations entre les personnages,etc...
Bien que tout à fait regardable en tant qu'épisode indépendant ( notamment de par ses rappels verbaux d'éléments présents dans les autres épisodes ), Fallout ne s'apprécie vraiment dans le détail que si l'on a le 5ème volet en tête ( et un peu le 3ème aussi d'ailleurs ).
Nolan et Miller ont toujours voulu tourné le plus possible sans fonds verts ou ajouts digitaux ( The Dark Knight est bourrés de séquences tournées en maquettes à l’échelle ¼ ) et McQuarrie se situe sur cette lancée. Et ça tombe bien, pas sûr que Tom Cruise apprécierait se faire double par un programme informatique. C’est également l’un des gros plaisirs de la saga, cette certitude pour le spectateur de ressentir le bigger than life cruisien. Ô certes, on efface bien quelques câbles de ci de là mais la caméra capture un maximum de moments exécutés par la star (et par ses co-stars de plus en plus : Fergusson arguant que si Cruise le fait, elle peut le faire aussi ! ).
Une double course-poursuite parisienne (où Cruise s’essaye à la langue française – à voir en VO donc ) en voiture et à moto, un halo jump effectué en live (et capturé par un cameraman qui n’a pas froid aux yeux ) jusqu’à des cascades dans un hélicoptère que Cruise pilote vraiment ( devant d’ailleurs gérer son vol ET les angles de la caméra embarquée sur l’engin ).
Les images sont à couper le souffle et donnent le vertige de par la grandeur des évènements et non le mal de mer trop souvent ressenti par l’utilisation simpliste d’une caméra à l’épaule ballottée dans tous les sens pour tenter de donner du rythme et de la fougue à l’image. Fallout prouve que des plans lisibles, bien cadrés et bien montés font bien plus le job qu’un Paul Greengrass en roue libre sur le dernier Jason Bourne.
S’accrocher à son siège, avoir réellement la trouille pour le destin de tel ou tel personnage attachant, en prendre plein les yeux et le cœur , telle est la mission que je vous enjoins à accepter.
Fallout est une montagne russe de 2h30, une durée qui ne fera pas mentir Einstein et son célèbre « Le temps est relatif » qui laisse crevé et lessivé.
Et qui nous appelle à aller refaire un tour une fois sorti.
La marque de la redoutable efficacité.
Mission accomplie, mission réussie !
{1} Le nom Ilsa Faust est porteur de sens. Si Faust renvoie bien sûr au personnage qui pactise avec le Diable ( ce que fait Ilsa en infiltrant le Syndicat pour le compte du MI6 ), Ilsa est plus subtile.
Rogue Nation se passe en partie à Casablanca, le célèbre film avec Bogart et Ingrid Bergman.
Bergman et Ferguson sont toutes deux suédoises. Et comment se nommait le personnage de Bergman dans Casablanca déja ? Ilsa, bien entendu. Oui oui, tout se recoupe mes loulous. Bergman qui jouait également dans Les enchaînés....Tout est lié !
4 ans plus tard, la suite débarquera, confirmant que la Paramount, et surtout Tom Cruise, véritable maître d’œuvre de la saga censée rivaliser avec 007, veulent donner à chaque épisode une identité propre en confiant chaque film à un réalisateur différent.
2 ans après avoir appréhendé Solomon Lane, le dangereux chef de l’organisation terroriste Le Syndicat, Ethan Hunt se voit confier la mission d’empêcher une nouvelle entité, Les Apôtres, de mettre la main sur 3 réserves de plutonium.
Les Apôtres sont tout ce qu’il reste du Syndicat, dont la tête n’a pas été tranchée mais enfermée. En l’absence de leur « gourou » ( Solomon Lane n’est autre qu’un James Bond qui deviendrait un Blofeld non pas motivé par l’argent et le pouvoir mais pas la déstabilisation du système qui l’a créé ) , le groupe s’est radicalisé (oui, encore plus), animal blessé prêt à mordre tout ce qui bouge pour accomplir son dessein.
Alors que l’acquisition de l’élément radioactif le plus célèbre de la création devait se passer en douceur, l’opération capote et Hunt, ainsi que son équipe, se voit imposer un chien de garde de la CIA, l’agent Walker, un bourrin bourru pour qui une mission réussie est une mission qui a pris une balle dans la tête. Remontant la piste des apôtres, Hunt et Walker en viennent à (re)croiser la route d’Ilsa Faust, agente britannique et vieille connaissance de Hunt dont les objectifs ne coïncident pas forcément avec ceux des américains.
Quand, en 2015, Rogue Nation, le 5éme opus des aventures d’Ethan Hunt, sort sur les écrans, il est un peu le chouchou de l’été, seul véritable film à offrir du solide après un printemps qui nous avait tant donné ( Tomorrowland, Mad Max Fury Road ). Son réalisateur, Christopher McQuarrie ne réalise pourtant là que son 3éme film en 15 ans ( The Way of The Gun, Jack Reacher – déjà avec Tom Cruise ). Mais l’homme est avant tout un scénariste (oscarisé pour The Usual Suspects ) depuis deux décennies et script doctor attitré de Cruise depuis leur rencontre sur le tournage de Valkyrie. Il a retouché les scripts de Ghost Protocol et d’Edge of Tomorrow.
Le film, véritable thriller noir nimbé de l’ombre d’Alfred Hitchcock et de Casablanca{1} joue plus sur la tension que l’action et distille un romantisme à fleur de peau en introduisant l’agente Ilsa Faust jouée par Rebecca Ferguson.
Enchaînés dans une suite d’événements qui les rapprochent, Ethan et Ilsa se séparent non sur un langoureux baiser mais sur une étreinte et des regards plein de non-dits.
Ethan aurait-il trouvé sa Catwoman, son Irène Adler ? La porte restait ouverte pour qui prendrait la relève si l’envie lui en prenait.
Devant le nombre de critiques positives, McQuarrie se fend d’un commentaire, souhaitant bonne chance à celui qui réaliserait le 6éme opus. Le karma étant joueur , McQuarrie se retrouve à se succéder à lui-même, une première dans la saga. Mais désireux de continuer la tradition du « un épisode différent du précédent », il se lance dans l’écriture d’un script aux antipodes de Rogue Nation. Il change également, au passage : de directeur photo, de compositeur et de responsable des costumes. Fallout aura une autre identité que simple suite à Rogue Nation, il doit être unique et appréhendable par tous…à la différence de Spectre qui tentait de lier tous les films de James Bond/Daniel Craig entre eux.
Si Rogue Nation était élégant et noir, misant sur la tension et le suspense plus que sur l’action pure, Fallout en sera l’opposé. Prenant le risque de caresser dans le sens inverse du poil les amoureux du précédent film. Fallout perd donc en pedigree racé ce qu’il gagne en punch et énergie destructrice.
Débutant par Ethan Hunt se réveillant dans une planque grande comme un hangar , au milieu de la nuit et profitant d’une lampe à chaleur, le films se termine sur le même Ethan Hunt, allongé, de jour, entouré de chaleur humaine. Pour aller du point de départ froid et ténébreux à la ligne d’arrivée chaude et ensoleillée, Hunt va traverser un chemin de croix digne des plus grandes épopées.
Qu’il reçoive son ordre de mission planqué dans un exemplaire de l’Odyssée d’Homère n’est pas anodin. Car c’est ce qui l’attend : la passion du Christ-sauveur à la sauce 12 travaux d'Hercule en 24 heures chrono.
En se comportant dès les premières minutes comme un héros prêt à risquer sa vie plutôt que de laisser un ami en danger, Hunt enclenche un engrenage qui peut se révéler mortel à chaque coin de rue. Et tels les protagonistes mythologiques, ses songes contiennent en substance des messages prémonitoires du danger auquel il va faire face.
McQuarrie nous refait un peu le coup de Rogue Nation : reprendre un élément boursouflé par John Woo dans M :I – 2 ( la référence au film Les enchaînés, pour RN ) pour le sublimer ici.
La création d’un héros et son ancrage mythologique dans ses apports antiques avait été l'apport de Woo, il sera l'exploration,par l'exploit, pour McQuarrie.
Ainsi, Hunt n’est-il pas la liberté païenne face à une organisation qui se fait appeler Les Apôtres, avec la symbolique de ce que peut représenter de dangereux les dogmes les plus absolus et leur désir pathologique de régenter le monde et les vies de ses habitants ?
Alors que Hunt pousse sa logique et ses motivations dans leurs retranchements, fournissant un héros désormais aussi épais que Jack Bauer dans ses valeurs et ses méthodes souvent à la limite du bon sens mais accomplies au travers de la pugnacité sans limite du héros, Faust se dévoile encore une fois comme le cœur palpitant du film, le centre de gravité émotionnel du long-métrage. Chaque regard de Rebecca Ferguson devant s’opposer à Hunt est tour à tour déchirant ( « Please don’t make me go through you » ) et rempli de détermination à accomplir sa mission. Une détermination au moins égale à celle de Hunt , qui l’enjoint à ne pas se mêler de cette affaire. Les deux personnages avancent en sachant que chaque action peut être un coup porté à une personne chère et doivent composer avec leur sens absolu du devoir envers leur nation et l’absolue nécessité de se couvrir l’un l’autre.
Ilsa, un peu en retrait au début du film, sort de plus en plus de l’ombre, prenant une place capitale dans l’intrigue. Si le romantisme de Rogue Nation n’est plus à fleur de peau , il dirige pourtant les actions tant de Faust que de Hunt (la caméra ne filme plus Rebecca Ferguson amoureusement, comme c'était le cas dans Rogue Nation, ses habits, bien que d'une grande classe, ne la font plus autant sortir du lot et la musique de Lorne Balfe -pompant allègrement les OST de The Dark Knight et Inception - ne rivalise jamais avec la beauté classique de la composition de Joe Kraemer et son utilisation de Nessun Dorma de Puccini comme thème musicale pour Ilsa.).
Alors que l’ex-femme de ce dernier réapparaît, Faust découvre des facettes qu’elle n’avait que devinées à propos d’Ethan. Les deux femmes ne feront que se croiser quelques secondes. Quelques secondes qui suffiront à laisser l’émotion, subtile , se glisser dans une scène où quelques mots seront échangés, murmurés à l’oreille de l’une par l’autre sans que le spectateur ne distinguent ce qui se dit.
Fait étonnant, un troisième personnage féminin fait son apparition et arrive à tirer son épingle du jeu déja bien chargé dans la vie sentimentale du héros : La Veuve Blanche, sorte de clin d'oeil à la Veuve Noire de Marvel.
La noire est une espionne assassin, la blanche traître avec espions et assassins pour vendre des armes. Deux faces d'une même pièces ?
Elle est incarnée par Vanessa Kirby qui joue parfaitement les personnages froid et distants avant de faire passer en un claquement de doigts sur son visage que Hunt l'attire de par ses capacités physiques guerrières et intellectuelles. Le personnage est ambigu dans ses ambitions et ses intentions et il serait dommage de se priver de la revoir ultérieurement.
Et puisque Fallout crée un précédent ( faire revenir des personnages féminins venus d'autres films de la saga, il n'est pas interdit de penser que La Veuve puisse revenir...ou encore Nyah de M:I-2 ou bien l'agent Carter incarnée par Paula Patton dans Ghost Protocol ).
Rogue Nation faisait naître l’action de son histoire. Lancé à toutes berzingues, Fallout fait naître son histoire de son action et que Hunt soit presque toujours en mouvement, le poussant à improviser sur le moment, est une illustration totale de cet état de fait.Le tout reste pourtant passionnant dans son déroulement et ses rebondissements.
Et surtout, McQuarrie n’en oublie jamais de creuser tous ses autres personnages.
Benji, toujours campé par Simon Pegg gagne en assurance comme agent de terrain, Luther, l’allié de la première heure se montre être un grand sensible qui le cache bien. Quant à l’agent Walker, incarné par Henry Cavill ( Clark Kent ) , il est loin d’être un simple monolithe de muscle. Cavill , pourtant plus habitué aux rôles de bon gars, transpire d’une vindicte et d’une sorte de sadisme malsain ( un aspect à peine esquissé lors de Justice League quand Superman revenait à la vie un peu désorienté mais totalement conscient de ses capacités ) , le genre de personnage que l’on adore détester et qui donne une identité forte au film.
Un film qui se fait plus avare en références classiques ( à peine un petit clin d’œil à Orson Welles lors de la scène dans la boîte de nuit – La dame de Shanghai n’est pas loin ) mais pas en références récentes. Tout aussi old school dans son envie de présenter le plus de réalisme possible sans artifices en images de synthèse, Fallout prend des airs de Heat et de The Dark Knight (Rises) montés sur le rythme de Mad Max Fury Road.
C'est que là où le critique de base avait crû déceler du Nolan dans Skyfall (non, du tout ) c'est bien ici que les apports de Christopher (Nolan) ont été intériorisés par un autre Christopher (McQuarrie). Comment ne pas lire les ennemis de Hunt comme des versions " monde de l'espionnage " du Joker ( Solomon Lane, anarchiste, quand il tenait plus d'un Ra's Al Ghul dans le précédent opus ) et le Bane ( la force physique absolue ) de cette histoire ? Des agents en guerre contre des institutions qu'ils considèrent pourries ? McQuarrie n'est peut-être pas un auteur au sens noble du terme mais il sait où puiser ses influences et les infuser avec talent dans son histoire.
Ilsa, plus Selina Kyle que jamais vient enfoncer le clou.
C'est que Fallout peut être vu comme le véritable 3éme acte de Rogue Nation et, à ce titre ,le film dans son ensemble est donc une sorte de climax géant. C'est ici que tout se résout : les ambitions du Syndicat, les relations entre les personnages,etc...
Bien que tout à fait regardable en tant qu'épisode indépendant ( notamment de par ses rappels verbaux d'éléments présents dans les autres épisodes ), Fallout ne s'apprécie vraiment dans le détail que si l'on a le 5ème volet en tête ( et un peu le 3ème aussi d'ailleurs ).
Nolan et Miller ont toujours voulu tourné le plus possible sans fonds verts ou ajouts digitaux ( The Dark Knight est bourrés de séquences tournées en maquettes à l’échelle ¼ ) et McQuarrie se situe sur cette lancée. Et ça tombe bien, pas sûr que Tom Cruise apprécierait se faire double par un programme informatique. C’est également l’un des gros plaisirs de la saga, cette certitude pour le spectateur de ressentir le bigger than life cruisien. Ô certes, on efface bien quelques câbles de ci de là mais la caméra capture un maximum de moments exécutés par la star (et par ses co-stars de plus en plus : Fergusson arguant que si Cruise le fait, elle peut le faire aussi ! ).
Une double course-poursuite parisienne (où Cruise s’essaye à la langue française – à voir en VO donc ) en voiture et à moto, un halo jump effectué en live (et capturé par un cameraman qui n’a pas froid aux yeux ) jusqu’à des cascades dans un hélicoptère que Cruise pilote vraiment ( devant d’ailleurs gérer son vol ET les angles de la caméra embarquée sur l’engin ).
Les images sont à couper le souffle et donnent le vertige de par la grandeur des évènements et non le mal de mer trop souvent ressenti par l’utilisation simpliste d’une caméra à l’épaule ballottée dans tous les sens pour tenter de donner du rythme et de la fougue à l’image. Fallout prouve que des plans lisibles, bien cadrés et bien montés font bien plus le job qu’un Paul Greengrass en roue libre sur le dernier Jason Bourne.
S’accrocher à son siège, avoir réellement la trouille pour le destin de tel ou tel personnage attachant, en prendre plein les yeux et le cœur , telle est la mission que je vous enjoins à accepter.
Fallout est une montagne russe de 2h30, une durée qui ne fera pas mentir Einstein et son célèbre « Le temps est relatif » qui laisse crevé et lessivé.
Et qui nous appelle à aller refaire un tour une fois sorti.
La marque de la redoutable efficacité.
Mission accomplie, mission réussie !
{1} Le nom Ilsa Faust est porteur de sens. Si Faust renvoie bien sûr au personnage qui pactise avec le Diable ( ce que fait Ilsa en infiltrant le Syndicat pour le compte du MI6 ), Ilsa est plus subtile.
Rogue Nation se passe en partie à Casablanca, le célèbre film avec Bogart et Ingrid Bergman.
Bergman et Ferguson sont toutes deux suédoises. Et comment se nommait le personnage de Bergman dans Casablanca déja ? Ilsa, bien entendu. Oui oui, tout se recoupe mes loulous. Bergman qui jouait également dans Les enchaînés....Tout est lié !
lundi 23 juillet 2018
Vol au-dessus d'un nid de doudous.
ARTICLE INITIALEMENT PARU LE 4/04/2018
Initialement prévu pour sortir en décembre 2017, Ready Player One, le nouveau film de Steven Spielberg, ne déboule dans nos salles qu’en cette fin du mois de Mars. Pourquoi ? Parce que The Last Jedi a vu sa sortie décalée et que, pas fous, la Warner et le grand barbu n’ont pas voulu jouer contre le phénomène Star Wars ( parait-il que même James Cameron et son Avatar ne tenteront pas le coup, on a la Force ou on ne l’a pas ).
Les plus attentifs d’entre vous auront remarqué qu’il s’agit du second film du maître à sortir cette année ( nous ne sommes qu’en MARS !!!! ) , puisque The Post était sorti il y a deux mois (mais avait pourtant été tourné APRÈS Ready Player One.
Ça va, vous suivez toujours ? ) .
Nous sommes en 2045 ( détail amusant, Minority Report se situait en 2054 ) , l’économie s’est effondrée ( tu m’étonnes ).
Les populations les plus défavorisées vivent dans les banlieues des grandes villes dans ce que l’on nomme « les piles » : des amas de caravanes empaquetées les unes sur les autres. Les gens vivent donc littéralement les uns sur les autres dans un monde surpeuplé.
Pour supporter leurs vies misérables, la majeur partie de la populace se connecte à l’OASIS, une simulation virtuelle interactive, sorte de MMO géant ayant remplacé les réseaux sociaux.
L’OASIS a été conçu par James Halliday , le cliché du geek sympa et brillant.
Hors, monsieur Halliday est mort sans héritier. Alors il a conçu un concours : 3 challenges monstrueux qui mènent à un Œuf de Pâques .
Et il a fait en sorte que personne ne veuille poser un lapin !
Celui ou celle qui mettra la main sur l’œuf héritera de 500 millions de $ et aura le contrôle total de l’OASIS. Des millions de joueurs tentent leur chance. Parmi eux, les Sixers, des joueurs anonymes payés par l’IOI, une société ayant pour but avoué de rendre payant et de saturer de pub le monde virtuel d’Halliday (non, pas Johnny, James ! Faites au moins semblant de suivre un peu ! ) et dirigée par Nolan Sorrento. Sans parler des idées cachées de cet homme vil et pleutre qui devrait faire réfléchir les spectateurs sur la neutralité du net.
Entre les amateurs et les pros, comme dirait la France en 39 , la guerre est déclarée.
Ready Player One est tout d’abord un roman d’Ernest Cline.
Littérature « young adult » relativement fun mais peu riche en littérature justement.
Le héros est un geek/nerd assez lambda qui pourrait tout aussi bien vivre de nos jours tant sa façon de penser et ses références pop-culturelles sont celles des geeks d’aujourd’hui. Pire, Wade, le héros, est présenté comme un stalker un peu bas du front à la maturité sentimentale & sexuelle d'un adolescent de 13 ans. un Fifty shdes of geek total et absolu.
Et les références, elles sont à ramasser à la pelle. Le roman est un véritable name-dropping de personnes, personnages et œuvres venues de tous les supports possibles. Impossible de ne pas se dire « Hé, mais je connais ça, c’est cool ». L’auteur crée une connivence avec son lecteur sur base de quelques goûts communs. La marque des faibles.
Mais il reste le concept de base. Et c’est ça qui intéresse Spielberg ! Le squelette du roman et du film sont les mêmes. Mais le corps est tout à fait différent. (Ouf. Le film coupe à la machette dans les côtés vraiment malaisants du personnage principal dont les aspects petit connard creepy donnaient envie de le dénoncer aux flics toutes les 15 pages.)
Et ce film est un pur produit Spielbergien. Warner Bros s’y attendait-ils en confiant les manettes à papy Stevy ? Peut-être pas.
Revenons un peu sur la genèse du projet voulez-vous ? ( de toute façon, vous n’avez pas le choix, c’est mon texte,na ! )
Un an avant la sortie du roman, les droits sont rachetés par Warner Bros. Une fois le livre sorti et devenu un best-seller ,les pontes de la Warner tentent d’intéresser…Christopher Nolan !
Mais lui rêve de plages françaises, dans le Nord, à Dunkerque. (oh ça va hein, on le sait tous depuis Inception que Nono fait des rêves bizarres, jouez pas les surpris)
Et en mars 2015, c’est l’annonce atomique, ils ont choppé un Moby Dick !
Qui ,en lisant le roman, n’a pas fantasmé sur un ou l’autre réalisateur capable de capturer l’essence des images mentales que le texte plantait dans nos têtes ?
Guilermo Del Toro aurait été un choix totalement justifié et justifiable. Peter Jackson aussi. Après tout, si le studio était capable de proposer le film à Nolan, pourquoi pas à d’autres grosses pointures autant réalisateurs que auteurs ? Des personnes ayant grandi et aimé la culture pop dont Cline fait le catalogue dans son histoire ? Qui plus est, Del Toro et Jackson ont déjà bossé avec la Warner, mes poulains étaient probables.
Mais qui aurait imaginé que c’est l’un des architectes de cette culture marquante qui serait choisi et surtout intéressé ? Steven Spielberg en personne ? Je n’aurai pas misé un copeck sur son implication. Et là, le projet passe de « ça peut être sympa avec un vrai réal aux commande » à « OH NOM DE DIEU DE BORDEL DE MERDE, DIEU S’EN CHARGE LUI-MÊME !!!!!!! »
Le film sort 3 ans ( !!!) après la signature du contrat et un peu moins de deux ans après le tournage.
Je crois me souvenir que dans le roman , l’OASIS est une simulation ultra-réaliste. Dans le film, c’est une vision en image de synthèse.
Spielberg décide de séparer les visuels des deux mondes. Tournage en pellicule pour le monde réel, tournage en performance capture ( oui comme Avatar ou Tintin ) pour le monde virtuel. Et ça ne s’arrête pas là : même la façon d’appréhender les plans est différente selon le mode de tournage ! Le monde réel est gris. Certes, les gens s’habillent de façon colorées mais tout est terne, et les cadrages sont assez serrés.
L’OASIS ? C’est la fête à la couleur, à l’ensoleillement et aux plans larges. Le monde réel semble limité quand le monde virtuel semble sans limite. Un univers entier toujours en expansion. Une métaphore peu voilée de l’Internet moderne où nos avatars sont souvent calqués sur des personnages de fictions bien connus quand il s’agit de cacher nos identités. Est-ce vraiment si étonnant de croiser tant de personnages référencés comme Batman, Batgirl, Harley Quinn ? Bien sûr que non, allez faire un tour sur twitter et admirez les photos de profils !
Comme d’habitude, Spielberg nous parle de notre présent via un prisme. Que cela soit le prisme du futur fantasmé ou du passé documenté, Steven Spielberg ne fait que ça : nous interroger sur notre présent. Une obsession récurrente, parmi tant d’autres, qui fait de lui ce que Truffaut (et Alain Resnais tentera de le faire entrer dans pas mal de tête ) : un auteur !
Steven Spielberg , avec quelques idées simples, définit la vision des personnages de leurs environnements et par la même occasion nous les fait appréhender d’une manière différente chacun. Le procédé est fluide, comme le reste du film. Une fluidité exemplaire sur 2h20 de métrage qui ne semble jamais vraiment durer plus de 80 minutes. Pour atteindre un tel rythme et une telle fluidité, il faut penser sa réalisation avant, pendant et après le tournage ! Et le résultat final le prouve, tout cela a été fait, et bien fait !
Dès la première séquence, le ton est donné : l’on passera d’un monde à l’autre avec une facilité déconcertante. Des scènes live côtoient des séquences virtuelles ( jouées par les acteurs, c’est de la performance capture, je le répète ! ) souvent jouée à des semaines d’intervalles alors qu’elles doivent s’imbriquer comme des pièces de Tétris dans une partie qui n’accepteraient aucun trou dans l’amoncellement des pièces ! 1ére étape, revoir l’histoire !
Zak Penn est engagé pour écrire le scénario en compagnie d’Ernest Cline. Pas la première fois que Spielby associe un scénariste avec l’auteur du roman ( Jurassic Park anyone ? ).
Mais Penn est une montagne russe : capable de passer d’X-men 2 à X-men l’affrontement final, d’Elektra à Incredible Hulk et ensuite Avengers.
Mais il a pour lui de sembler s’intéresser à une partie de la culture-pop et de vouloir donner du rythme. Et puis, les scénarios sont écrits ou ré-écrits sour supervision du réalisateur ( on le sait rarement mais même non-crédités, les réalisateurs peuvent avoir leur mot à dire , le scénariste bossant sous leurs ordres comme un technicien ).
Et si le scénario semble simple (mais pas simpliste !) c’est qu’il a été façonné pour que Spielberg insuffle ses réflexions par l’image. Une refonte pas complète mais suffisamment importante pour qu'un personnage inédit au roman soit créé pour les besoins du film.
Défaut de ses qualités, certains dialogues sonnent faux et les facilités scénaristiques peuvent être grosses. Mais tout ça est distillé dans le film et ne représente pas du tout l’entièreté du script. Plus qu’un scénario, c’est la réalisation qui fait et dit le film. Et ça tombe bien : Spielberg a des choses à dire et il sait y faire.
À 71 ans, des gars comme lui, Scorsese ou George Miller hurlent aux jeunes réalisateurs, sensés être encore pleins de fougue et d’entrain « Vous êtes des mômes paresseux , même ceux d’entre vous avec de grandes qualités ».
En moins de 15 minutes, Spielberg pose les bases de l’univers de son film et s’offre ensuite un énorme morceau de bravoure, une course de voitures folle, monstrueuse et si lisible que Speed Rarer, Mad Max Fury Road et Baby Driver sont allés au bar pour boire une bière ou deux, histoire d’encaisser. Ils sont toujours sur le podium mais une nouvelle catégorie vient d’être créée, désolé les gars. Tout le film est à l’image de ce premier quart d’heure. Que dire de plus sur la réalisation , le montage, etc…sans tomber dans l’excès ? Tout coule tellement de source , tout est tellement réglé comme du papier à musique de qualité supérieur …
Détail qui tue : toute cette séquence de course à travers un New-York ré-organisé nous est présentée...sans musique justement.
L'un des outils les plus utilisés au cinéma pour immerger émotionnellement le spectateur n'est pas employé et la scène marche pourtant du feu de Zeus (ou de l'éclair ? Mais alors l'expression ne veut plus rien dire. Ô cruel dilemme du poète critique ) ! Dans Le pont des espions, Steven Spielberg attendait 40 minutes avant d'utiliser une seule note. Et cela fonctionne tellement bien qu'il faut un moment avant de se dire qu'il "manque" quelque chose.
Bien entendu, il y a des défauts.
Si le chef-d’œuvre est technique, les scories et les impairs achèvent de faire de Ready Player One un grand film, tout court. Je le disais plus haut, certains dialogues sonnent faux et d’autres heureuses coïncidences sont trop grosses pour ne pas avoir été pensées en amont pour nourrir le rythme. Alors bien assis dans votre fauteuil de cinéma, ça passe. Mais à la seconde vision, difficile de ne pas trouver étrange que tout les personnages principaux se trouvent non seulement sur le même continent, mais aussi dans le même pays voir carrément la même ville.
La musique d’Alan Silvestri ( il va falloir se faire une raison, John Williams n’est pas éternel et plus aussi jeune qu’avant, il ne saura plus forcément suivre le même rythme de travail que Spielberg ) est agréable mais singe parfois un peu trop Wiliams sans l’égaler.
Dommage car l’homme est doué ( allez donc vous refaire les B.O de Retour vers le futur, Predator, Le retour de la momie, Van Helsing, Captain America. Dans le pur divertissement, il assure ) mais un cran en dessous de ce à quoi l’on pouvait s’attendre.
Quant à la morale de l’histoire, elle semble un peu WTF compte-tenu de l’intrigue.
Et le dernier point noir, pourquoi diantre Simon Pegg et Perdita Weeks ( As above so below, Penny Dreadful ) ont-ils si peu de temps de présence à l’écran ?
Dans la zone grise, une chose étrange mais pas incongrue. L’un des thèmes spielbergiens par essence est le manque du père. Elliot dans E.T , Indy dans La dernière croisade ( et encore plus dans Le royaume du crâne de cristal ) et tant d’autres ( je ne vais pas faire un listing ) semble s’atténuer avec le temps ( A.I montrait le manque de la mère ) , Minority Report le manque d’être un père.
Les orphelins (ou presque) ont souvent eu la faveur de Steven Spielberg mais depuis quelques années, ces orphelins ne ressentent plus le besoin de trouver des figures parentales de substitution.
Soit l’une des thématiques majeures de Spielberg passe soudain au second plan ( auquel cas il n’est plus aussi pointilleux qu’avant ) soit c’est que lui-même ne voit plus ces manques de la même façon ( rappelons que Spielberg n’a jamais caché avoir très mal vécu le divorce de ses parents : le garçon en manque de père de ses films, c’est lui ! ), ce qui semblerait dire qu’il affectionne encore ces personnages mais qu’il n’est plus en quête lui-même.
Guillermo Del Toro twittait il y a quelques temps que faire du cinéma est une thérapie. Peut-être celle de Spielberg porte-t-elle quelques fruits. Tant pis pour ses exégètes et tant mieux pour lui ?
Ainsi, Wade Watts, facette du jeune Spielberg dans ce film refléterait que le réalisateur accepte enfin d’avoir été « abandonné » ( le mot est fort et exagéré) sans pour autant ne pas ressentir ce besoin de s’évader dans des mondes étranges et pourtant familiers ? ( n’est-ce pas ça faire du cinéma ? )
Tye Sheridan, le nouveau Cyclope de X-Men se glisse facilement dans le rôle mais il peine un peu à faire transparaître certaines émotions. Sa prestation est tout à fait correcte mais il n’est pas encore de ces acteurs aux prestations sans doute pas oscarisables mais qui attirent la sympathie du public.
L’imagerie convoqué par tonton Stevy ,en revanche , pullule d'autres thèmes.
Et au lieu de les surligner aux gros marqueurs fluo jaunes, il laisse le spectateur faire le bilan de ce qu’il voit. Un pays à l’abandon où l’emploi est rare, les situations précaires fréquentes. Les institutions nationales sur le déclin quand la privatisation règne dans tous les milieux ( des milices privées dans les rues, des bagnes tangibles ET virtuels tenus par une grosse compagnie, l’esclavagisme légal et déguisé sous un autre nom.Des drones de surveillances ultra-perfectionnés et invasifs, sorte de pompiles géants prêt à fondre sur la proie.Certes moins inventifs que les fameux Spyders de Minority Report. Le constat toujours froidement réaliste que la pire machine à broyer l’humanité reste l’humain et non un requin fou ou quelques dinosaures revenus à la vie ).
Le capitalisme sauvage n’a jamais aussi bien porté son nom. Spielberg déteste les hommes d’affaires ( tellement flagrant dans The Lost World, tiens, un autre film roller-coster ), peut-être aussi bien parce qu’ils tiennent Hollywood entre les mains de leurs visions étriquées (oui, une vision peut avoir des mains…la preuve par Marvel ! ) que parce qu’il flirte lui-même beaucoup avec cette ligne entre l’artiste et le businessman ( il a produit les 5 Transformers, entre autres et a survendu à la limite de l’honnêteté le premier volet).
A-t-il peur d’être un Nolan Sorrento en puissance s’il se laissait aller ? Un personnage tellement imbu de lui-même que ses initiales ornent ses nœuds de cravates et dont le désir de contrôler un univers virtuel s'exprime via son avatar qui ressemble à un un agent Smith de sorti de The Matrix; un agent que l'on aurait dopé aux hormones et autres anabolisants (oui, ça transpire la confiance en soi ).
En tout cas, Ben Mendelshon lui donne toute la fourberie et la rage du haineux frustré. L’acteur est habitué des rôles de salauds depuis The Dark Knight Rises et il est si à l’aise dans l’exercice qu’il se permet de chaque fois les jouer différemment. Espérons qu’il ne soit pas à jamais prisonnier de ce genre de rôles (mais c’est mal embarqué : il est le prochain sheriff de Nottingham ).
Lui et ses sbires sont la manifestation cinématographiques des brutes incultes prêtes à tout pour mettre la main sur un trésor inestimables et ayant besoin du cerveau des autres pour y arriver ( les Nazis dans la série des Indiana Jones , les actionnaires d'InGen dans The Lost World - décidément )
Par contre, il est très certainement James Halliday, un personnage ayant vécu un long moment en créant un univers riche et foisonnant qui cherche encore un héritier digne de ce nom ( beaucoup ont essayé et même revendiqué ce titre : M.Night Shyamalan, Les frères Duffers créateurs de Stranger Things, J.J Abrams que l’on croyait pourtant déjà adoubé ).
Quelqu’un avec un regard amoureux sur la culture-pop ( Spielberg est un grand consommateur , du cinéma en passant par les jeux vidéos – c’est un gamer reconnu ) , qui la considère non pas comme une manne ( coucou les reboots de Ghosbusters, La Momie, Robocop , Jurassic Word, etc…) à exploiter mais comme une ressource morale et mentale , un réservoir contenant de quoi puiser de la force et de l’espoir, l’anti-boîte de Pandore !
( permettez-moi d’illustrer mon exemple d’une manière simpliste : j’ai tiré mon code moral de romans de capes et d’épées, des Jedi et de Batman. Bon, après, je doute que Yoda aurait été chaud pour former Bruce Wayne. J’y ai picoré et assemblé ce qui me parlait et me semblait bon ).
Hors, cette boîte à outils pop-culturelle a été alimentée par d'autres, dont certains connus personnellement par Spielby à l'instar de Stanley Kubrick ou Stephen King (et ça se prononce Steven et pas Stépeheune !!!! ) à qui il ne manque pas de rendre hommage.
Steven Spielberg retrouve pour la 3éme fois l’acteur anglais Mark Rylance après Le pont des espions et Le bon gros géant.
Oui enfin, vous n'étiez pas à sa cheville et il vient de vous enterrer.Après un tel défilé de références correctement dosées pour ne pas créer une indigestion ni le sentiment d'être pris pour un neuneu, faut-il vraiment tenter l'aventure d'une saison 3 de Stranger Things ? Surtout au vu des limites clairement exposées en saison 2 ? Laissez tomber, seul " It " a réussi à plus ou moins rivaliser pour l'instant.
Tiens , puisque l’on est dans Star Wars et les chevaliers Jedi, tonton Steven a lui aussi réalisé un film où certains archétypes sont distillés.
Commençons par le plus évident, le héros du film se fait appeler Parzival , soit l’équivalent SMS de Perceval, le chevalier de la table ronde destiné à découvrir le Graal.
Nul besoin de lui coller un roi Arthur ou un Lancelot, ces deux-là échouent dans la quête.
Il est par contre accompagné de fidèles alliés dont les avatars sont , entre autres,un ninja ( soit un être attaché à la notion de clan ) et un samouraï ( un chevalier japonais, pour rester basique de chez basique ).
Son ami Aech est une sorte d’orc robotique un peu destroy, le meilleur ami indéfectible. Et Art3mis, ma foi, voila un personnage féminin solitaire dont le nom rappelle la déesse grecque de la chasse armée d’un arc. Et Art3mis chasse surtout les Sixers.Et pourquoi elle le fait servira de catalyseur, d’allumeur du feu de la conscience politique du héros.
Les archétypes restent assez à la surface des choses mais fonctionnent tout à fait sans avoir besoin de plusieurs couches qui viendraient les alourdir. Là encore le rythme et l’imagerie convoqués par Steven Spielberg viennent pallier à ces défauts structurels du scénario.
Ready Player One semble être une version plus lumineuse et colorée que le film Avalon ( tiens, encore une référence Arthurienne ) du réalisateur Mamoru Oshii qui voyait ses personnages échapper à une réalité austère en plongeant dans un jeu en réalité virtuelle.
Enfin, comment ne pas admirer la facilité avec laquelle Spielberg insuffle dans son film plusieurs tropes propres aux jeux vidéos, tel Edgar Wright il y a quelques années dans Scott Pilgrim VS The World ( pas vu ? mangez-en, c'est bon ). Fait peu connu, Spielberg est un gamer de longue date et l'on sent la connaissance et l'affection du monde vidéo-ludique dans sa façon de le représenter à l'écran.
Ready Player One est donc un travail fascinant de par ses niveaux de lectures et ses références ( qui elles mêmes peuvent ouvrir la porte d’un nouveau niveau de lecture. C’est une poupée gigogne dantesque ) ainsi que par le regard posé par son auteur sur les œuvres qui nous bercent, nous portent et réveillent en nous le meilleur pour tenir face au pire. Et en plus c’est une putain de claque, alors vous attendez quoi pour aller le voir ?
Publié par
Geoffrey
à
02:02
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