jeudi 26 juin 2025

La roussette noire. Absolument.

 Lors d'une sortie au Zoo avec sa classe, l'enseignant Thomas Wayne perd la vie face à un homme armé. Il a juste le temps de mettre à l'abri les enfants sous sa responsabilité, dont son propre fils, Bruce, en lieu sûr avant de succomber sous les balles. Enfermé dans la sanctuaire des chauve-souris, animaux qui le fascine, Bruce en sort déterminé à faire payer les criminels. 
Entré enfant de ce zoo, c'est un animal qui en ressort. Motivé et dopé par la haine qu'ilo voue à Joe Chill, l'assassin de son père, Bruce comprend qu'il doit voir large, très large. 
Étudiant brillant, il apprend tout ce qui lui sera nécessaire pour devenir ... Batman. 






Au début des années 2000 , Marvel Comics tente quelque chose. Alors que les X-Men font un joli score au box-office cinéma et que Spider-Man s'apprête à envahir les salles et tenir fièrement tête à Star Wars Episode II , l'éditeur réalise que ces films vont sans aucun doute attirer de nouveaux lecteurs. Mais il y a un hic. Les séries de super-héros sont conçues comme des soap-operas qui se diffusent dans les kiosques depuis...plus de 40 ans. Pour un lecteur novice, la tâche peut être ardue pour s'y retrouver dans l'histoire mouvementée des mutants et de l'araignée sympathique. 




Comment alors permettre aux nouveaux lecteurs potentiels de ne pas se sentir perdu ? En lançant une gamme parallèle, libérée du poids de la continuité ( le paradoxe étant : cette gamme finira bien vite par créer la sienne, c'est inévitable ). Ce sera la gamme ULTIMATE COMICS. Spider-Man y subit un lifting , les X-Men se font plus proches et aussi plus différents que ceux des films et enfin, les Ultimates deviendront l'équivalent des Avengers de cette gamme ( et ironiquement, les Avengers du cinéma seront fortement influencé par les Ultimates ). 






20 ans plus tard, c'est au tour de DC Comics de se lancer dans une tentative de recréer ses héros emblématiques dans un univers à part de la longue continuité sur laquelle sont posées nos héroïques figures. 

C'est Scott Snyder qui présidera au destin de cet autre Bruce Wayne , avec Nick Dragotta aux pinceaux.
Scott Snyder n'est pas un puceau dans le monde gothamite : après avoir fait ses preuves sur quelques épisodes de Detective Comics et s'être illustré sur une mini-série explorant les origines de Gotham, Snyder se voit offrir le Saint Graal, la série titre Batman lors du lancement de l'ère New 52 de l'éditeur aux deux lettres. 
Il s'y évertuera à secouer le cocotier et introduira un nouvel élément : La cour des Hiboux , un groupe de riches enculés portant un masque de Hiboux et se regroupant dans les arrières-courts et les ombres de la ville, décidant de son destin en fonction des besoins de leurs portefeuilles d'actions. Le hiboux étant le seul prédateur naturel de la chauve-souris, le duel fera date. Depuis lors , Snyder a continué à toucher à Batman par-ci par-là, pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire. De quel côté de la balance penche donc cette nouvelle itération ? 


Visuellement d'abord, Nick Dragotta fait un travail superbe, un bonbon pour les yeux. Son trait en apparence simple, ne l'est pas. Il faut travailler comme un acharné pour obtenir un rendu si fluide, doux mais également plus détaillé que le premier regard ne laisse songer et capable de jongler avec tant d'ambiances différentes ( de l'intimiste au réaliste en passant par le pur body horror ; les lecteurs de East Of West, la série de SF apocalyptique qu'il a dessinée pour le scénariste Jonathan Hickman savent de quoi je parle ). Dragotta multiplie les approches : des micros cases au milieu de celles d'une taille convenable , des pages entières consacrées à un seul dessin imposant, etc...son découpage est dynamique et aide à créer une tension lors de la lecture.
Le gros bémol ? Le format de publication choisi par Urban Comics qui ne rend absolument pas hommage au travail acharné du bonhomme et qui demande presque une loupe pour lire les lettrages. Les plus optimistes pourraient attendre une hypothétique intégrale grand format et délaisser les sorties des albums ordinaires : ce qui nuirait au succès du titre.





Scénaristiquement ensuite , Scott Snyder pose son Batman dans un monde en proie aux problèmes sociaux et environnementaux que le monde réel subit de plein fouet en ce moment. En faisant de Bruce le fils d'un enseignant et d'une assistante sociale idéalistes, Snyder ne l'isole pas dans un manoir froid et loin des pulsions du cœur de la ville. C'est un garçon certes victime d'une horreur mais dont la mère est restée un pilier solide. Et surtout, surtout...Bruce a des amis issus du même milieu que le sien. Des amis comme Harvey Dent, Selina Kyle ( sa sœur de cœur , au pire ) , Ozzie Cobblepott , Waylon Jones et Ed Nygma. 

L'action débute presque comme une entrée classique dans l'univers de Batman. Un motard, casqué, anonyme, sillonne Gotham pendant que ses pensées sous sont exposées. Ce motard nous explique revenir à Gotham. Et là, surprise, ce motard n'est pas Bruce.
Snyder va jouer tout le long de ce primer recueil avec des références cinéma de Batman...pour nous prendre à revers. Et cela fonctionne même lorsque vous n'avez pas les références.

Pour le reste de l'intrigue, Snyder avance ses pions en posant une intrigue de thriller d'action servant à faire avancer son récit de présentation. Un gang, les bêtes de soirées, des tueurs fringués sur leur 31 et avançant sous un masque animal ( il a ses marottes le père Snyder ) sème la pagaille, le meurtre et la destruction dans Gotham City. Le tout sous fond de campagne de ré-élection du Maire Jim Gordon , ami des Wayne depuis de longues années. 










Une entrée en matière honorable, qui respecte les grandes lignes du mythe tout en jouant avec une nouvelle donne. Mais il est encore impossible de pleinement analyser ce que Snyder veut nous proposer tant on devine que derrière cette entrée se cachent une série de plats plus savoureux et tordus. 
Voici donc une série au haut potentiel, entre les mains d'un auteur qui n'a jamais demandé que de pouvoir pleinement secouer le monde Batman sans pouvoir totalement le faire en raison du statu quo imposé à sa contre-partie "officielle". 



mercredi 4 juin 2025

Le sourire de Mona Lisa et les dents de Gollum.

 


La Joconde , Gollum. Très similaires. Ah, j'en vois qui doutent. Laissez le Génie - je suis né le 15 avril, comme un certain...Da Vinci - éclairer votre lanterne.

Pchoufff ! ( oui, c'est euh, le bruit d'un éclair qui fait de la fumée après...ouais, à l'écrit c'est pas terrible ).



Bref, nous sommes à Florence ( aaaah, Florence...) en 1305.

À la chapelle Scrovegni se joue l'histoire de l'art. ( en même temps vous pensiez bien que j'allais pas parler cuisine. Je pourrais. Mais quel rapport, j’ai plus de genoux ! ).

Le peintre Giotto dépeint des personnes en 3 dimensions dans un espace en 3 dimensions.
Voila, la perspective est née. Le papa se porte bien. C’est que,mine de rien, il a fallu le temps avant que l'art Européen se décide à quitter le modèle de la 2D.

On ne percevait ni le poids, ni l'épaisseur etc... Certaines personnes semblaient occuper le même espace ( et pour montrer que certaines personnes étaient plus importants que d'autres, on modifiait la taille. La technique perdurera sous le nom de perspective signifiante plus tard mais je saute plus d'étapes qu'un obsédé sexuel).





Mais la réintroduction par Giotto de la perspective - présente dans l'art ancien - oui, tout n'est que recommencement éternel, comme Le roi Lion, tout à fait - visait à représenter la réalité telle qu'elle apparaît à nos yeux, et ce fut l'un des moments marquants de la Renaissance.
Une vague d'artistes suivit bientôt ses pas...



Mais ces peintres n'étaient pas comme les artistes tels qu'on les imagine aujourd'hui, insoumis et bohèmes - ils étaient des érudits, des scientifiques et des mathématiciens. Des James Cameron du pinceau ! ( j'en connais qui voient déja où je veux en venir. Je suis prévisible n'est-ce pas ? )
Giotto a montré que les peintures pouvaient créer une illusion du monde réel, mais cela soulevait une foule de problèmes qu'il fallait résoudre.
Contrairement à l'art médiéval, les gens ne pouvaient pas être représentés comme des personnages plats n'occupant aucun espace réel.
Pour rendre leur travail réaliste, les peintres devaient comprendre comment créer de la profondeur et de l'éclairage, former une perspective appropriée et animer les humains.
Fra Angelico a été parmi les premiers à essayer : 




Et c'est en partie pourquoi Léonard s'est tellement intéressé à l'anatomie humaine. Ses cahiers étaient remplis de conseils aux jeunes artistes, compilés par son héritier Francesco Melzi dans un traité intitulé « De la peinture ». Et voici quelques-uns de ses croquis. C'étaient là, expliquait-il, des connaissances vitales pour un peintre. L'apparence humaine extérieure ne pouvait pas être représentée de manière réaliste sans connaissance de sa forme intérieure.
Des connaissances qu'il - et d'autres - ont appliquées dans leur art. ( bref, je comprends pourquoi on édite souvent les croquis et les peintures à part mais ça a peu de sens quand on veut comprendre le making-of ).




Le peintre Paolo Uccello, quant à lui, était tellement obsédé par le point de fuite qu'il s'est apparemment retiré de la société et a passé des nuits blanches à essayer de le comprendre.
La chasse dans la forêt (1471) montre ses efforts à la fois pour le comprendre et pour le visualiser.

 

Leon Battista Alberti en 1431, Piero della Francesca en 1474, et Luca Pacioli en 1498 ont écrit des traités avec un soin presque maniaque à tenter de représenter les mathématiques dans un monde physique.



Et les progrès réalisés par ces peintres sont étonnants.
Des figures humaines en trois dimensions qui manquaient de dynamisme aux formes humaines pleines de vie et d'émotion, en passant par de la perspective basique aux fresques qui donnaient l'illusion de la réalité.
Une ère de progrès rapides.


En Europe du Nord, où le potentiel de la peinture à l'huile avait été lâché sur le monde par Robert Campin et Jan van Eyck dans les années 1430, les artistes ont commencé à représenter des matériaux avec un photo-réalisme troublant.
Les peintres de la Renaissance avaient appris à recréer....la réalité dans l'art !



Allez hop , avance rapide de quelques siècles jusqu'à la naissance de l'imagerie générée par ordinateur dans les années 1970, et soudain les artistes - numériques cette fois - ont été confrontés aux mêmes problèmes des 14e et 15e siècles.
Car les images de synthèses ( CGI pour faire court) , comme la peinture, tente de créer une illusion de réalité.



Les poses maladroites et les mouvements raides des premiers CGI ne sont pas si différents de ceux du début de la Renaissance, lorsque les peintres n'avaient pas encore appris à donner vie à leurs personnages.
Une situation qui, dans les deux cas, a rapidement changé. ( bon, les outils numériques aussi ont pas mal évolués en puissance durant ces dernières décennies ).


Un élément clef de l'animation des humains - ou de toute créature - est le gréement (mot emprunté au monde maritime : c'est l'ensemble des mats et cordes nécessaires )  en 3D, le processus de création d'un squelette virtuel avec lequel guider les mouvements de la figure.
Parfois, des systèmes squelettiques et musculaires virtuels entiers sont même créés pour assurer un réalisme maximal (on en revient à notre bon Léonard).


Ce qui semble familier à ce qu'Alberti a écrit dans les années 1430 :
"En peignant un corps, nous plaçons d'abord ses os et ses muscles, que nous recouvrons ensuite de chair et de vêtements, de sorte qu'il n'est pas difficile de comprendre où se trouve chaque muscle en dessous."





Mais ce n'est évidemment pas tout.
La lumière est également d'une importance vitale dans toute illusion de réalité. L'œil humain est incroyablement puissant et nous pouvons dire quand les choses ne sont pas éclairées correctement et donc semblent "fausses".
Le nombre d'ombres nécessaires pour faire quelque chose de réaliste est hallucinant : 
( la première chose , au cinéma ou à la télévision qui vous fait tiquer sur une incrustation d'un acteur ou d'un décor, c'est la luminosité qui ne colle pas avec le reste d'ailleurs. Ça peut être beau comme une cathédrale, si c'est la mauvaise lumière, tout s'écroule. Raison pour laquelle certains CGI pourtant voyants s’insèrent sans soucis dans la fluidité de lecture d'une scène : leur éclairage, lui , est travaillé comme jamais. Les épisodes II et III de Star Wars en sont un bon exemple. )


Et donc les artistes CGI ont longtemps travaillé pour représenter correctement la lumière, ce qui est souvent ce qui fait ou défait fonctionner une scène - en particulier avec un écran vert, lorsque l'éclairage ne correspond pas.
C'est pourquoi il existe des spécialistes et des programmes spécifiquement dédiés à l'éclairage CGI.
 


Et, bien sûr, la représentation des textures est un élément essentiel de CGI. Encore une fois, cela peut soit donner à quelque chose un aspect manifestement irréel, soit suspendre totalement notre incrédulité.
C'est ce que Jan van Eyck s'efforçait de faire au début des années 1400.






Pour être plus précis, regardez quelque chose comme du tissu (l'origine du tissu remonte à la nuit des temps,on estime l'apparition aux alentours de longtemps avant Jésus Christ ).
Remarquez comment Filippo Lippi parvient à représenter le genou du Christ sous sa robe, imitant la manière réelle dont les tissus se replient sur des formes solides. Ces choses ont également été un grand défi dans la création de CGI.




Qu'en est-il de l'émotion ? C'est l'une des choses les plus difficiles à animer et c'était aussi l'une des choses les plus difficiles à peindre - à la fois en raison de son expressivité et des textures et mouvements complexes du visage humain. Léonard a beaucoup écrit sur le sujet (en plus d'en peindre). En gros résumé : il disait qu'un peintre devait toutes les connaître, les reconnaître et les anticiper sur son sujet sinon le portrait aurait l'air plus mort que la mort elle-même.
Tout cela est encapsulé dans le personnage de Gollum, du Seigneur des anneaux, créé grâce à un mélange de capture de mouvement et d'animation entièrement numérique.
Il est considéré comme le premier personnage vraiment impressionnant fait de CGI, capable d'exprimer une émotion et une apparence semblant réelles. Oui, Jar-Jar ne compte pas. Même si George Lucas a bien déblayé le terrain ( vous n'imaginez même pas comme les Star Wars sont des films expérimentaux qui essuient les plâtres pour les autres ).



Bref,notre Gollum a quelque chose en commun avec la Joconde, le tableau le plus célèbre de Léonard, dans lequel il a illustré la technique révolutionnaire du "sfumato" - un flou des couleurs et des contours autour des yeux et de la bouche pour imiter la véritable expressivité humaine.
La conquête du réel commence vraiment. Voila pourquoi ce petit tableau peu impressionnant est si important et révolutionnaire.



Les artistes CGI et les peintres de la Renaissance étaient confrontés au même problème - comment créer une illusion de réalité.
De la diffusion de la lumière à la façon dont la peau humaine s'étire, cette tâche nécessite une étude approfondie du monde naturel et beaucoup de travail acharné. Léonard et ses contemporains ont peut-être décoré des églises tandis que les artistes CGI modernes travaillent dans des films et des jeux vidéo, mais les deux tentent la même chose.
Et, dans les deux cas, il est impossible de ne pas admirer leur talent artistique et leur savoir-faire.



mercredi 21 mai 2025

Inhumain n'est pas alien.

 Dans bien longtemps, dans une galaxie proche, toute proche…






Un petit vaisseau d’exploration constitué d’un équipage minimaliste : capitaine, pilote , docteure , ouvrier, soldat et gynoïde – se trouve en vue d’une planète inconnue. Le pilote semble crasher le vaisseau volontairement, sans que personne ne se soucie de la chose, tous étant dans un état de douce euphorie. Tous ? Non, Ellis , un petit robot à l’allure féminine résiste encore et toujours à l’absurdité totale. Mais pas assez fortement pour éviter le pire.



La petite nef spatiale s’écrase dans un océan immense et le choc fait retrouver leurs esprits à l’équipage. Plus ou moins. Alors que le vaisseau coule et que l’issue semble réglée , des créatures marines tenants du poulpe et de la méduse les poussent vers la surface.

Mais ce n’est pas la seule surprise qui attend notre petit groupe. Sur le rivage, des humains ! Nus comme aux premiers jours du monde. Mais qui parlent...leur langue ! 

Accueillants , les « sauvages » installent nos protagonistes dans des huttes. Mais quelque chose cloche. Tous sont obsédés à l’idée d’être utiles. Tous se lèvent et se couchent au même moment. Et petit à petit, leurs étranges habitudes béates , dont certaines choquaient les tabous , se transmettent à l’équipage. Le peuple de ce monde parle d’un Grand Tout à rejoindre, d’un Grand tout qui veut ton bien. Est-ce ce Grand Tout le responsable de cette société réglée comme une horloge suisse ? Et quel serait donc son but ? 


Scénarisé par Denis Bajram & Valérie Mangin et dessiné par Thibaut de Rochebrune , Inhumain est un thriller parano mâtiné de planet opera. Le couple de scénariste s’y connaît en science-fiction : Bajram est l’auteur des séries Universal War One et Universal War Two ; Mangin a écrit Le Fléau des Dieux et Le Dernier Troyen ( votre humble serviteur ne soumet ici qu’un échantillon de leurs travaux ). Rochebrune provient lui du monde de l’animation avant d’avoir bifurqué vers un autre art séquentiel, la bande-dessinée. Les présentations étant faites, notre trio s’en sort-il ? 


Oui et non. Le découpage des séquences et le trait de Rochebrune rappellera parfois celui de Bajram sur Universal War. Effet voulu par le scénario ou mimétisme de l’artiste envers le style de son co-auteur ? Impossible à dire mais la réponse n’a peut-être pas tant d’importance que cela : tout est lisible, s’enchaine, se focalise sur ce qui est essentiel sans oublier les petits détails. C’est beau à défaut d’être totalement original dans ses designs et Rochebrune étant également coloriste, il démontre une belle fusion entre dessins et mise en couleurs pour créer des atmosphères palpables tout au long des 94 planches de l’album.


Inhumain est un album de la collection Aire libre des éditions Dupuis. Cette collection s’éloigne des standards habituels ( environ 40 pages par album ) pour laisser aux auteurs l’espace nécessaire à raconter des histoires resserrées ne s’inscrivant pas dans une logique de série au long court. Et c’est pourtant là que le bât blesse. Malgré l’espace alloué aux auteurs , ceux-ci ne tirent pas en longueur leur récit. Mais ne l’étire pas assez pour le rendre pleinement passionnant. 

Dès lors que le groupe de voyageurs spatiaux se met en marche pour explorer la planète et , peut-être trouver comment la quitter, le récit devient un peu répétitif et suit un même schéma dans sa narration : le groupe découvre un nouvel élément du puzzle, en discute un peu beaucoup à la folie et passe à un nouveau niveau , comme dans un jeu vidéo.





Au milieu de tout ceci , bien entendu , des ambiances pesantes et intrigantes ( nos larrons savent écrire ) et des questionnements profonds qui hantent l’esprit humain depuis qu’il a créé la civilisation. Faut-il privilégier le collectif au risque de perdre son identité ou faut-il s’en forger une au risque de faire dérailler tout le collectif ( et donc, toute l’humanité ? ). Faut-il s'infliger la souffrance du libre arbitre , de la conscience et des conséquences ou embrasser avec joie la soumission volontaire à une autorité supérieure, un Grand Tout qui règle nos vies dans une répétition incessante sans accrocs mais aussi sans surprise ? 
Bajram et Mangin n’ont pas la prétention d’avoir les réponses. Mais leur scénario semble avant tout être un prétexte pour présenter ces dilemmes , ces nœuds gordiens intellectuels que nul Alexandre ne parviendra sans doute jamais à trancher. Avec , in fine , cette question : qu’est-ce que la nature humaine ? Et qui est vraiment inhumain dans toute cette histoire ? 


Tous les ingrédients sont bons mais notre trio de bédéastes livre un album agréable, au-dessus de la mêlée même mais trop en dessous de ce dont on les a déjà vus capables.
Un sentiment de trop peu se fait sentir : trop peu d’horreur physique, trop peu d’horreur psychologique , trop peu d’explorations des mœurs , etc…le tout est trop sage et le lecteur n’est jamais poussé dans ses retranchements et trop peu mis mal à l’aise pour que les personnages ne survivent vraiment dans sa mémoire. Pourtant, le trio joue sur les symboles visuels évidents tout en leur donnant une autre signification en cours de route, preuve d'une réflexion travaillée.
Reste l’intrigue et surtout les problématiques qui en découlent,parfait sujet pour faire surchauffer votre disque dur biologique interne et/ou ceux de vos convives lors d’une discussion qui s’annoncera animée et sans fin véritable. Trop profond pour ne pas intriguer, trop impersonnel et linéaire pour durablement marquer. Il ne manquait pas grand-chose. 

Une suite est depuis sortie : est-elle apte à apaiser les quelques frustrations ? Réponse au prochain épisode ! 




lundi 22 avril 2024

Sisters in Arms.

 




Factus. Le trou du cul de l’univers connu. Une lune désertique, un far-west étouffant tant par sa chaleur que son manque d’oxygène. On y retrouve principalement d’anciens détenus dont il est peu clair qu’ils soient là par choix et divers colons malchanceux ou naïfs qui n’auront sans doute jamais les moyens de partir de ce trou à rats géants. C’est sur cette lune que vit Dix Low, médecin voyageant dans les terres isolées, soignant qui s’y trouve pour régler un mystérieux compte avec son passé.

C’est que Miss Low a participé à une guerre. Et qu’elle n’a pas choisi le bon camp. Ou du moins, pas le camp qui allait gagner. 


Gabi est une jeune ado.
C’est aussi une Générale de l’Accord, la faction qui a gagné la guerre et envoyé des enfants aux combats car les adultes pensent généralement à deux fois avant de buter un gosse. Erreur fatale, tu te prends une balle (nb : soyez sociopathe, tirez sur tout ce que l’ennemi envoie ! ).
Elle et Dix n’auraient jamais du se croiser. Mais le mystérieux crash du vaisseau de Gabi va les mener à traverser la poussière et en mordre pas mal pour sauver la jeune fille de ceux qui veulent son trépas. Sauf si Gabi décide de buter Dix en apprenant son passé durant le voyage.


Que cela soit sur le 4è de couverture ou un peu ailleurs sur le net, Ten Low ( le titre V.O ) est comparé à Firefly/Serenity ( la série de Joss Whedon et le film concluant icelle ) et Mad Max Fury Road. Disons que ce roman a sans aucun doute des brins d’ADN en comun avec les œuvres suscitées mais il a son identité propre, comme un cousin éloigné. 


Et il coche les cases attendues : le mystérieux passé de l’héroïne qui la ronge, les villages ou villes remplis de brigands, arnaqueurs, j’en passe et des meilleurs ainsi que des lieux étranges, presque mythiques grâce à leurs noms  que personne ne veut visiter mais où nos deux larronnes iront bien entendu foutre le bordel. Du réchauffé.

Mais est-ce un tort ?
Les ingrédients sont connus mais efficaces et le tout est fait maison dans une casserole et pas un plateau repas en carton remplis de colorants et de conservateurs jetés à la va-comme-j’te-pousse comme la première série Disney+ micro-ondée venue. 


C’est que Stark Holborn, la femme derrière tout ça , sait comment poser son récit, faire monter la sauce, envoyer les tripes et les boyaux au bon moment avant de relancer le repas et les couverts à travers les gueules de celles et ceux qui peuplent son univers. 

En plus de jouer habilement avec le suspens et l’action bourrine bien jouissive et défoulante d’un western de série B saupoudré d’amphétamines, de bruit et de fureur sans raisin mais avec colère , Holborn crée des éléments qui lui sont propres comme la secte des Chercheurs, des charognards délestant toute épave (mécanique ou humaine ) , les Freux , un gang aussi armés qu’acharné et les « Si » , les habitants de Factus.
Des créatures élémentaires que seuls quelques rares «  élus »  peuvent percevoir. Et pas forcément pour leur porter bonheur. Influant sur le hasard et les probabilités pour en tirer le pire, les Si suivent Low à la trace, ayant bien senti son potentiel chaotique. 


Ce monde désertique comporte aussi donc ses lieux emblématiques dont les noms ne sont que rarement annonciateurs d’une ambiance de Parc d’attractions. Comme la Fosse ou la Bordure ( aka l’endroit dont on ne revient pas ) dont je vous laisse découvrir l'horreur.


Bref, le roman étant relativement court et prenant, les lecteurs reprendront peu leur souffle entre deux chevauchées, embuscades, coups fourrés, infiltration burnée et autre plans de sauvetage tenant surtout grâce à du papier collant MacGyver et la détermination acharnée des personnages prêt à en faire chier tous ceux qui ont tenté de les enculer. 


C’est entre les lignes, ces zones blanches sur lesquels le lecteur peut projeter ce qu’il veut, que l’on pourra plus ou moins appréhender les factions ayant fait la guerre ayant précédé l’histoire et leurs motivations «  toujours belles et nobles » dans la propagande bien rodée. 


Au final, le roman est un agréable divertissement que les amateurs de musiques de films liront en mixant dans leur cerveau aussi bien Ennio Morricone qu’Hans Zimmer en passant parfois par Jerry Goldsmith. Souvent pour le meilleur dans l’action violente mais chaque fois dans une dynamique de lieux et de temps différents et plus rarement pour le pire (ou disons le moyen) tant trop de personnages ressemblent à des archétypes connus à qui l’ont aurait greffé un peu plus de background que l’on s’y attendrait. Mais hey, des graines psychologiques disséminées ainsi peuvent très bien pousser plus tard si on les arrose d'assez de sang, de sueur et d'alcool frelaté.


Rien de bien neuf sous le soleil du western mâtiné de SF donc mais encore une fois, le réchauffé peut avoir du goût, remplir son homme et le faire se sentir assez rassasié tout en le poussant à vouloir en reprendre. Et ça tombe bien, l’auteur a déjà une suite à son actif et un 3è tome devrait sortir en VO d’ici peu. 

Espérons que les Si ne nous fauchent pas l’opportunité de pouvoir les lire un jour en VF. 


lundi 3 janvier 2022

Step Back in Time # 2 : 65 millions d'années pour le réaliser.

Il y a un avant et un après.
Il y a des événements qui changent les choses, qui changent le regard.
Rares sont les personnes qui peuvent se vanter d’avoir empiler les « avant/après »
Steven Spielberg est de ces personnes.
Il y a un avant Jaws et un après.  Il a inventé le blockbuster ! ( ne jetez pas la pierre, il n’est pas responsable de ce que les autres ont pu en faire).
Il y a un avant E.T et un après. Il a mis fin aux délires d’invasion alien au cinéma ( Independance Day ? Vous le regardez encore souvent? ; même les chaines télé miteuses ne le programment plus. )
Il y a un avant Jurassic Park et un après.  Et lui, va tout changer. En même temps que les dinosaures font tomber les barrières de leurs enclos, les réalisateurs feront s’envoler celles de leur imagination. Tout devenait possible.
Mais je brûle les étapes, pardon.

Nous sommes à la fin des années 80, début des années 90. Spielberg est alors une machine de production à lui tout seul. Il a enchaîné La dernière Croisade, Always et Hook s’apprête à sortir avec la meilleure musique que John Williams a jamais composée.
Son activité de producteur est à la hausse et il a même des billes dans des séries d’animation de la Warner ( les Tiny Toon, les Animaniacs, et j’en passe). Avant James Cameron, le roi du monde était un petit barbu de Cincinnati ! En alors que Hook est presque fini, Spielby a déjà les yeux vers son futur. Sans se douter qu’il allait défricher celui de son média, le cinéma.




Son prochain projet ? E.R, une histoire centrée sur les heurts , bonheurs et malheurs d’une équipe d’urgentistes dans un hôpital . Le scénario est écrit par Michael Crichton, auteur de romans à succès. Alors que nos deux larrons, amis dans le civil, discutent, Steven le questionne sur son prochain roman. Une histoire de dinosaure dans un parc d’attraction qui déraille (oui voila, ça ressemble à Westworld à la préhistoire, bien vu ! ) .
Les yeux s’écarquillent. L’excitation guette.
Spielberg n’en a plus rien à cirer de ses urgentistes et Crichton pourra aller vendre son scénario à la télévision. Ça révélera George Clooney ( l’homme qui a failli faire tomber Batman mais qui a relevé l’action Nespresso à la bourse ! ).





           ( James Cameron aussi était intéressé mais a avoué que sa version aurait été fort différente)




Spielberg veut réaliser un film tiré d’un roman même pas encore finalisé ! Et ça urge, parce que E.R devait être relativement facile à tourner, où du moins rapide ( unité de temps et de lieux minimale , ça aide pour mettre en boîte rapidement ) et que tonton Steve, il a La liste de Schindler qui commence à se profiler. Un projet lourd, à la logistique monstre pour lequel Spielberg aura besoin de temps pour le finaliser au mieux.
Crichton planche sur le scénario, aidé par David Koep, en même temps qu’il termine son livre. Universal, producteur de Schindler, remporte la guerre entre studios pour l’acquisition des droits. Les deux films sortiront la même année. Deux films diamétralement dissemblables ? Et bien nous verrons plus loin que non.
Il y a deux choses qui stimulent Spielberg plus que de raison à se pencher sur Jurassic Park.
Petit A , Steven Spielberg est issu d’une génération de cinéphiles. Des films l’ont fait rêver étant gosse et voila l’occasion de rendre hommage aux effets de Ray Harryhausen en général et à King Kong en particulier !




Petit B , le thème central du film est le même que La Liste de Schindler.
Un thème qui a traversé la filmo de Spielberg et qui continue de le faire aujourd’hui !
Que nous montre Jurassic Park ?
Dans un lieu coupé de tout, un petit groupe d’individus a isolé une espèce entière et entend la régenter comme bon lui semble. Ce groupe est déshumanisé par la machine bureaucratique qu’ils sont devenus. Et nient la nature vivante même des prisonniers.
D’aucuns se sont adaptés, d’autres vont saisir la chance de se rebeller et de vivre libres quand l’occasion se présentera sous la forme d’un chaos total.
C’est Jurassic Park dont les dinosaures vont se montrer peu dociles quand Dennis Nedry coupe le système et provoque le chaos.
Ce sont les juifs de Varsovie (certains du moins) qui vont tenter de survivre et de s’évader quand leur prison sera assiégée par l’armée allemande provoquant un chaos dans les rues et les habitations.
Il y aura des morts mais la vie trouvera son chemin.

La machine non-humaine qui tente de réguler la vie ,voire même de la broyer, est un thème cher à Spielberg et on le retrouvera dans d’autres films postérieurs, comme Minority Report par exemple, ou même la Guerre des Mondes.
Et cette machine déraille toujours, elle se fait bouffer de l’intérieur. Voila la croyance de Spielberg qui transpire même dans ses films où il montre bien qu’il n’a plus confiance en l’humain.
Parce que sa conviction est ancrée. Voila pourquoi Jurassic Park est cohérent dans la filmo de Spielberg. Voila pourquoi toute sa filmo est cohérente !


Bon, cet aparté idéologique étant derrière nous, revenons à nos dinos !

Donner vie à des monstres préhistoriques , voila qui a de quoi être excitant…et flippant. Pas le droit à l’erreur. Fini le temps de la stop-motion belle mais voyante ( les mouvements doivent être fluides) ou du déguisement de lézards vivants grimé en dinosaures fantaisistes ( diantre, le public a vu Le petit dinsoaure et la vallée des merveilles ! et sait à quoi doit ressembler un dino au ciné…qui a produit ce film déjà ? ) !
Mais les défis techniques, Steven connaît et il sait où s’adresser : chez ILM, la boîte à effets spéciaux de son copain George (Lucas).  Et c’est là que l’histoire va se jouer. C’est là que l’analogique va rencontrer le numérique. C’est là que l’évolution va se mettre en marche.
Les premiers cinéastes étaient des Géants. Ils ont construit des mondes sans avoir de repères sur l’art qu’ils inventaient.
Les seconds ont vu les films et on imaginés l’avenir : ils étaient doublement des voyants.
Spielberg est de ceux-là. Et son film va lancer un nouveau mouvement. L’évolution se base sur…( allez les gars, ça fait 17 ans que les films X-men en parlent…) la mutation ! Il est là, le temps des mutants débute.  ( cette réflexion est en partie basée sur les titre des trois très gros essais de Pierre Berthomieu aux éditions Rouge Profond ).

Quand une espèce plus évoluée apparaît, elle entraîne la disparition de sa cousine moins adaptée. Mais là, Spielberg ne sait pas encore qu’il va faire tomber le premier domino.
Il pénètre dans ILM en se disant que l’animation stop-motion a fait d’énorme progrès et qu’il aura sans doute besoin de gros robots bien balèzes qui ne tomberont pas en panne comme son foutu requin presque 20 ans auparavant !


Bon, là, petit aparté, oui encore !
Les ennuis mécaniques de Bruce ( le requin ; Spielberg l’a nommé ainsi en hommage à son avocat…true stroy ! ) ont fait dire que Spielberg a retourné ce soucis à son avantage en lui permettant de repenser sa mise en scène basée sur la suggestion plus que sur l’illustration.
Ce n’est qu’en partie vrai. Dès le début, Spielberg voulait montrer le requin tardivement pour maximiser sa première apparition. Les soucis techniques l’ont poussé à devoir repenser plusieurs séquences où le requin était prévu pour qu’elles s’insèrent dans cette démarche suggestive ( ce qui a débouché sur un dépassement de temps de tournage et de budget par la force des choses).
Ridley Scott s’en inspirera pour Alien, tout comme il s’inspirera du début de Saving Private Ryan pour l’ouverture de Gladiator. C’est la différence entre un génie et un mec hyper talentueux : y en a un qui passe toujours un peu avant l’autre.

Pour ses "Dents de la Terre", Spielberg ne veut pas revivre les frustrations de ses Dents de la Mer. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Jurassic Park n’est pas là pour effacer les affres du passé (et digérés) de Spielberg ni pour faire le minimum syndical en sachant que le public viendra sans aucun doute voir une «  resucée » du requin sous une nouvelle forme.
Les deux films s’ouvrent sur une attaque monstrueuse montée, pensée, mise en scène différemment et avec l’énergie qui convient au projet. Il y a des points communs mais encore une fois, je me répète : la filmo de Steven Spielberg est d’une cohérence rare dans ses thèmes et ses approches.







Bref, Steven sait ce qu’il lui faut et il discute des modalités. Et le jour des premiers essais, tout fonctionne. C’est beau, génial, le film va se faire avec de bonnes vieilles méthodes qui ne subissent plus les accrocs d’antan.
Mais…mais…c’est là qu’entre en scène Dennis Murren.
Murren sort de deux films de James Cameron : Abyss et Terminator 2. Et certains effets ont été créés par ordinateurs. Pas super longs en temps de présence à l’écran mais assez bluffants pour être remarqués. Et Murren en est convaincu, cette méthode en a dans le ventre. Il propose à Spielberg de lui démontrer sa certitude et concocte avec son équipe une séquence mettant en scène le T-Rex. Spielby est bluffé. L’animation est au top et demande moins de lourdeurs dans la réalisation pour insérer les dinos. L’option stop-motion est écartée mais l’animateur Phil Tippet est embauché dans l’équipe de Murren . Après tout, ils ont besoin de références pour animer les mouvements. La nouvelle espèce possède toujours des attributs de l’ancienne et la transition entre les deux est ici pacifique. Mais pour tout un tas de séquences, Spielberg a besoin de robots. Et c’est là que va résider le tour de force.

L’alternance des techniques ! Utiliser le bon outil au bon moment à bon escient. Un plan nécessite un robot ? On prend le robot, un plan a besoin de fluidité ? On prend les images de synthèses. Il faut penser bien en amont les plans et comment ils devront être tournés, et avec quoi ! C’est ce travail qui rend le film si fort visuellement encore aujourd’hui ( ce film a 30 ans et la met encore minable à pas mal de films récents. Quelles sont leurs mauvaises excuses ? )  alors que moins de 15 minutes d’images de synthèses sont en tout utilisées dans le film.  Et chacune sont frappantes, chacune a marqué les esprits ! Quel film actuel peut se vanter de ça ? Et elles ne sont pas marquantes que parce qu’elles sont belles et innovantes pour l’époque. Non, elles marquent parce que la mise en scène et le montage prépare le terrain avant leur apparition.




Le brachiosaure qui apparaît ? Juste avant , la caméra va s’attarder sur les visages et les réactions de Grant et Sattler. Puis paf, ça coupe sur les dinos au loin ! Ensuite seulement on embraye sur Malcolm et son cynisme ( sa note d’humour enfonce le clou ! " Il y est arrivé ce vieux dégénéré ! ")


Le T-Rex s’évade ? Un verre d’eau qui tremble, une chèvre morte qui tombe sur le toit de la voiture, une patte sur un câble et BOUM ! Les piliers tombent, le Roi sort de son antre ! Et le public retient son souffle. Plusieurs fois sur le même film.
Tous les successeurs de Spielberg sur la franchise, je dis bien TOUS, se ramasseront dans les grandes largeurs quand il s’agira d’introduire des menaces gigantesques.
Le navet Jurassic Park III et les nanars Jurassic World ne retrouveront jamais la force évocatrice de Jurassic Park ( à part peut-être deux ou trois plans dans Fallen Kingdom de J.A Bayona mais pas de quoi en faire un jambon ).  Au lieu de se demander comme refaire l’exploit Jurassic Park (impossible, même pour le papa de la chose), la question aurait du être « Que pouvons-nous apprendre des réussites de The Lost World ? » . Question que les compositeurs Don Davis ( les 3 premiers Matrix ) et Michael Giacchino ( Jupiter Ascending, The Batman) se poseront, eux. 

Le cinéma étant un art collectif où le réalisateur ( dans le meilleur des cas ) est le capitaine du navire et ses matelots et gradés occupent des postes plus ou moins importants. Les premiers auxquels on pense sont les acteurs ( car nous les voyons à l’écran ).  Le casting est bon, solide. As usual, Spielberg sait tirer vers le haut les acteurs plus jeunes sans rendre leur jeu crispant.
Jeff Goldblum est aussi agaçant que cyniquement amusant dans le rôle de Ian Malcolm et Sam Neill joue un Alan Grant presque désabusé par son métier et la fin annoncée de celui-ci avec l’arrivée du parc jurassique. La rumeur prétend que Spielberg devait initialement tourner avec Harrison Ford qui aurait troqué son rôle d’archéologue pour celui de paléontologue. Je me disais aussi que les chapeaux des deux héros se ressemblaient.



Mais pour voir les acteurs, il faut exciter le pellicule. Et c’est le boulot du directeur de la photographie. Ici, c’est à Dean Cundey qu’il incombe de mettre en lumière les décors.
Cundey n’est ni le meilleur directeur photo ni le pire. Il sort d’une autre collaboration avec Spielberg, Hook. Son approche naturaliste ( dans le sens où sa mise en lumière donne l’impression de voir la réalité nue, comme les superbes clichés du National Geographic par exemple ) aura été catastrophique sur Hook : tourné en studio, son approche de la lumière met en avant que tout est faux et chiqué ! Neverland aurait dû être une Terre du Milieu plus petite et sous LSD, pas un studio ultra friqué mais en toc ! Ce genre de chose peut disparaître grâce à une bonne photo, les gars sur Star Wars et Alien 1 et 2 n’ont fait que ça ! Mais sur Jurassic Park, le choix est payant !

Belles comme le papier glacé du magazine aux couvertures  jaunes cité plus haut, elles donnent l’impression de se balader dans un joli DisneyLand ambiance jungle bien entretenue. Et quand le spectateur se sent comme chez Mickey, tout se détraque et l’impact est renforcé. L’ambiance n’était pas à la peur ou à l’horreur. Et quand ces dernières débarquent, l’effet est maximisé au possible. La pellicule toute jolie se trouve entachée, comme le sang, la tension et le suspens viennent engluer l'image comme du venin de dilophosaure sur une proie !




Mais Spielberg devra noter ses intentions car il ne peut être présent pour l’ensemble du montage.
Il doit partir tourner La Liste de Schindler. Mais à qui laisser son bébé ? À un exécutif du studio ? Non !
Spielberg a un ami. Réalisateur avec un attrait phénoménal pour le montage.
Quelqu’un de carré, qui sait bosser dans les délais ( c’est lui qui inculquera cette notion à Spielberg d’ailleurs. Lui qui dépassait temps et budget sera désormais un gars capable de boucler ses tournages avant la date finale fixée après avoir bossé avec son grand pote).
Quelqu’un dont le travail sur Jurassic Park sera méconnu mais cité au générique dans les remerciements : George Lucas.
Lucas va superviser le montage pour son pote en suivant ses instructions et en apportant sa science au projet. L’histoire ne dit pas quelles scènes furent sauvées ou sacrifiées ni par lequel des deux.



Et en l’état, même si Spielberg avait eu le temps de rester, le film ne serait sans doute pas différent. Mais Lucas a sauvé les délais pour Spielberg. Et quand il a vu les résultats , Lucas s’est dit «  Bon sang, ça y est, la technologie pour les épisodes 1 à 3 de Star Wars est prête ! » . Un coup de pouce pour un ami en forme de «  je t’ai laissé mes plans et les pièces, monte-moi cette commode Ikéa » allait lancer le retour de la Force et des Jedi au cinéma…mais ça, c’est une autre histoire !

John Williams, fidèle compositeur de tonton Steven rempile pour cette aventure. Si son thème musical est beau et reste en tête, on ne peut que s’étonner du manque d’ampleur de sa composition. Trop sage, trop convenue. Alors oui, sage et convenue pour du John Williams c’est toujours quelques coudées au-dessus de pas mal d’autres mais au vu des sujets et de la taille du film, on pouvait s’attendre à plus pêchu ! Il se rattrapera et vraiment pas qu’un peu sur The Lost World, une des B.O les plus abouties et qui s’écoute encore d’une traite en CD !

Jurassic Park aura marqué les esprits. Il aura marqué le public, les professionnels ( 3 Oscars !)…mais il aura marqué le cinéma. Il est le film qui a dit «  Désormais, la seule limite de notre media, c’est notre imagination. Les outils sont là, faites marcher vos neurones. » Quel dommage que tant de films ne se reposent sur ses merveilleux outils sans réfléchir sur la façon de s’en servir correctement. Mais cela rend les pépites et les travaux honnêtes et passionnés de certains réalisateurs bien plus puissantes.
Et ces films-là, ils vous apportent quelque chose.
Lorsque l'on marque la pop-culture de son empreinte, l'on marque la pensée collective et s'ouvre la voie de devenir un classique et une référence immédiatement reconnaissable ( et ouvert aux détournements ). 




Vous entrez dans la salle de cinéma avec votre paquet de pop-corn et quand les lumières s’allument, vous constatez que vous n’en avez presque pas mangé ! Si plus de films avaient ce pouvoir-là, le taux de cholestérol de l’occident diminuerait et les consciences s’élèveraient peut-être un peu plus ! Non, pensez-y. Vous en connaissez beaucoup vous des films qui vulgarisent la théorie du chaos et l'effet papillon comme ça ou qui change à vie votre vision des dinosaures et des oiseaux ?



Le numérique se projette sur l'analogique. L'image est simple, belle, parlante !