Il y a de
mauvaises histoires. Des bonnes. Des passables. Des excellentes. Et il y a
celles qui vous transcendent et vous marquent plus que les autres. Celles qui
graviteront toujours autour de votre astre cérébral. L'histoire de Yorrick
Brown, et des personnes qu'il a croisées quand son voyage a commencé, fait
partie de ces histoires.
Brian
K.Vaughan est un des scénaristes que je préfère dans le milieu des comic books.
Il allie réflexions et divertissement d'une manière si homogène qu'aucun
élément ne semble jamais être de trop : tout se marie parfaitement sans
lourdeur. Que cela soit dans le cadre d'un univers super-héroïque classique (comme
ses travaux pour Marvel comme Runaways ou Ultimate X-men) ou des comics plus
personnels comme Ex Machina qui alliait autant politique-fiction que péripéties
dignes des super-héros Marvel ou DC ( et qui bien entendu ne trouva pas son
public dans nos vertes contrées…).
En Juillet
2002, un fléau mondial éradiqua tout les mammifères porteurs d'un chromosome Y.
Tous ? Non, Yorick Brown jeune magicien maitre de l'évasion (comme Houdini) au chômage et son capucin Esperluette
( c'est-à-dire le nom de ce signe " & " ) ont survécu. Pourquoi ?
Mystère. Comment le fléau est-il arrivé ? Mystère. S'agit-il d'un effet
papillon d'envergure apocalyptique alors que Yorrick allait demander la main de
Beth, sa fiancée partie en expédition d'anthropologie en Australie ? Ou bien
d'une malédiction antique interdisant au " Médaillon d'Hélène " de
quitter le territoire Jordanien? Médaillon que l'agent 355 était chargée de
récupérer Ou encore d'une vengeance de mère nature pour punir l'orgueil humain
alors qu'un clone humain est sur le point de naître, et dont la mère, brillante
scientifique, semble cacher quelque chose ? Qui sait pourquoi ? Ces trois évènements
se sont déroulés en même temps. Autant de portes à ouvrir pour trouver la
vérité…Autant de chemin que ces 3 personnes devront suivre et explorer
ensemble.
Si le titre
" Y The last man " cristallise autant les enjeux liés à la génétique
( le chromosome Y) que ceux liés au
questionnement ( Y se prononce " why " en anglais, qui veut dire
" pourquoi " ). Le titre français lui renvoie carrément au registre
de la tragédie grecque. Et le mélange des genres ne s'arrête pas à ces simples
considérations linguistiques sur le titre de l'œuvre !
Vaughan
mixe le drame, la science-fiction, le fantastique, l'aventure, l'action, la
comédie, le suspense, l'étude sociologique, etc…sans jamais s'égarer, sans
jamais provoquer l'indigestion. Car les genres que je cite ne servent que de
décorations à un sapin de Noël bien plus vaste : la vie de ces quelques
personnes jetées sur les routes dans une quête folle. L'humain et ses réactions
prévalent dans l'écriture de Vaughan; les tourments, les joies, les peines, les
amours traversent les cases pour former une mosaïque cohérente et évolutive tout au long des 60 numéros américains soit 10 tomes en VF.
Le statu
quo ? La série ne connait pas ce concept ! Contrairement à l'autre grande série
de comic actuelle qui utilise le thème de la fin du monde, Walking Dead, Y the
last man ne s'encombre pas de poser un statu quo ,par nature éphémère dans le
genre feuilletonnant , pour le renverser après 12 numéros. Le procédé est
tellement éculé et prévisible que le réutiliser est presque une insulte aux
lecteurs qui le voit venir à l'avance. C'est une quête, et dans un lutte en
avant il n'y pas de place pour une ambiance où les héros feraient du sur-place
!
Il faut
dire qu'en 60 numéros, la série n'a pas le temps ni le droit au statu quo.
Vaughan, dés le départ, sait où il va et comment y aller (c'est d'ailleurs pour
ça qu'il sera engagé sur 3 saisons de Lost, réussissant à sauver plus que les
meubles et à redynamiser cette série télé). Là encore, c'est une qualité
d'écriture que l'on ne retrouve pas sur Walking dead. Outre son scénario implacable, Brian Vaughan
apporte et distille un maximum de références à la culture populaire (enfin, jusque
2002, il est évident que Yorick ne connaîtra jamais La revanche des Sith, par
exemple), souvent par le biais de remarques sarcastiques de la part du héros,
mais aussi à la culture américaine ( obligeant parfois le traducteur à recourir
aux notes de bas de pages, mais pas toujours, ce qui est un poil gênant quant
on ne saisit pas l'allusion) sans compter bien entendu la fameuse référence
shakespearienne, Yorick et sa sœur Hero portant des noms d'obscurs héros du
grand William puisque le père de ceux-ci était professeur de littérature.
Yorick va-t-il succomber à la tentation de tromper sa fiancée avec une diplômée en histoire de la religion ?
Les 5
premiers volumes sont une sorte d'états des lieux de l'Amérique de l'époque. Placés dans une situation
exceptionnelle, les travers du pays en ressortent d'autant plus : la politique
à-la-va-comme-je-te-pousse au travers des épouses voulant succéder à leur mari
sans passer par des élections ( ça se dit républicaine et ça ignore les
principes de la république) , l'extrémisme religieux et sectaire ( dès le début
, l'on fait la connaissance d'un groupe nommé Les filles des Amazones. Les
membres sont convaincus que le fléau est la manifestation que mère nature
privilégie la femme et cette certitude les pousse aux excès les plus variés : tagué
les monuments phalliques, brûler les banques de sperme, se couper un sein…et
bien entendu tenter d'occire notre pauvre Yorick une fois son existence connue)
ou encore la conviction de l'Amérique profonde que le gouvernement ne veut que
leur mal. Vaughan explore aussi la sexualité, comment continuer à prendre du plaisir si l'on est hétéro et que les hommes sont morts ? Le lesbianisme est-elle la seule échappatoire ? Mais aussi : Yorick peut-il résister et rester fidèle ? Etc...tout cela est posé avec beaucoup de doigté ( si si j'ai osé) et d'intelligence de la part du scénariste.
Les 5
autres volumes sont un tour du monde où l'on voit que la situation est vécue différemment
selon les endroits et les cultures. Bien que parti d'un postulant capilotracté,
Vaughan décrit sans doute de manière réaliste ce qu'il adviendrait en cas de
disparition de tous les mâles de la planète. Et à part quelques délires de
geeks (voir les aventures au Japon), le tout est quelque peu flippant, à l'image d'Israël qui voit dans le dernier homme le moyen de pression ultime, un peu comme leur accès à la bombe atomique l'a été en son temps ( c'est surtout pour ça que l'accès de l'Iran au pouvoir atomique les emmerde) et franchement, depuis quand Israël n'avait plus été considéré sans complaisance par une oeuvre américaine( cela change de l'habituelle complaisance envers l'état Hebreux qui se fait caresser dans le sens du poil plus souvent qu'à son tour) ?
Le tout nous renseigne sur la place de la femme dans le monde et surtout dans nos sociétés ou, malgré l'égalité entre les sexes, il y a encore beaucoup de jobs majoritairement dédiés aux hommes : ainsi, après le fléau, les urgences sont une vraie calamité car seule 1 femmes sur 10 est flic ou pompière, très peu travaillent dans des centrales électriques ou pilotent des avions…bref, un homme vient d'écrire un grand plaidoyer en faveurs de la femme.
Le tout nous renseigne sur la place de la femme dans le monde et surtout dans nos sociétés ou, malgré l'égalité entre les sexes, il y a encore beaucoup de jobs majoritairement dédiés aux hommes : ainsi, après le fléau, les urgences sont une vraie calamité car seule 1 femmes sur 10 est flic ou pompière, très peu travaillent dans des centrales électriques ou pilotent des avions…bref, un homme vient d'écrire un grand plaidoyer en faveurs de la femme.
Les dessins
de Pia Guerra sont lisses, sans fioritures mais très classiques. Parfois un peu
vides au niveau des décors. Mais en certaines occasions, lorsque deux
personnages se rapprochent vraiment, il émane de son trait une grâce
incroyable. Et même si cela est rare, c'est si beau qu'on pardonne tout à la
dessinatrice. Les couvertures par contre ne sont pas d'elle.
Vous
l'aurez compris, Y le dernier homme est une bombe totale qu'il serait
malheureux de rater, surtout que la série profite d'une (bonne) traduction par
Jérémy Manesse, l'un des seuls à savoir manœuvrer une barque dans ce navire en
perdition que sont les éditions Panini.