Alors que s’apprête à sortir en VF " Batman White Knight "
( Batman Chevalier Blanc ) scénarisé et dessiné par Sean Murphy , retour sur l’autre projet chiroptère qui posa ses pattes entre 2017-2018 et lui aussi fruit d’un seul homme, Enrico Marini : Batman The dark prince charming.
Enrico Marini est avant tout un dessinateur suisse ( et oui, souvent présenté comme Italien en raison de son patronyme, monsieur est helvète. On se rappelle trop peu que ce paradis – fiscal – alpin est composé de régions fancophones, germanophones et italiennes) qui a fait ses études à Bâle ( ah tien, en Suisse donc…vous voyez que tout se recoupe ? ) avant d’entamer une carrière dans la bande-dessinée.
Les deux plus notables étant sans doute Rapaces et Le Scorpion.
Il fait ses débuts de scénariste (tout en assurant la mise en images ) avec Les Aigles de Rome, série péplum agréable à l’œil.
À l’été 2017, DC Comics annonce fièrement avoir signé avec lui pour un projet de deux albums à l’Européenne. Bien que parlant et écrivant français, Marini travaille sur son Batman en anglais. Il s’agit avant tout d’une opération, d’un coup médiatique et marketing pour DC et le produit fini sera dés lors traduit non par l’auteur lui-même mais par Jéröme Wicky, un habitué du monde de la chauve-souris gothamite en VF.
En un mot comme en cent, non, Batman The Dark Prince Charming n’est pas une incursion de la BD franco-belge sur les terres américaines, c’est avant tout une commande d’outre-atlantique à un auteur européen à qui l’on a laissé une certaine latitude pour bosser, point. Et s’il vous fallait une preuve supplémentaire de la chose, si en Europe les dates de sorties entre deux albums d’une série sont rarement fixes ( l’on peut voir apparaître certains schémas mais rien n’est jamais très officiel , il faut attendre quelques semaines avant la sortie d’un album pour être fixé ) , aux États-Unis, l’obsession des délais est limite maladive ( un exemple connu : un film n’a pas encore de scénariste qu’il a déjà une date de sortie programmée ! ).
Et les délais, Marini en a. Dés l’annonce du projet, l’on sait que le 1er tome sortira en Novembre 2017. Et lors de cette sortie, l’on annonce en fanfare que le tome 2 sortira en Juin 2018, Marini se servant d’ailleurs de ses réseaux sociaux pour dévoiler l’avancement de son travail. Histoire de maintenir le buzz en fournissant moult extrait du WIP ( Work In Progress ).
Alors que cela est posé, penchons-nous donc sur l’ensemble de cette saga.
À tout seigneur tout honneur, Marini étant avant tout un dessinateur, c’est cet angle que nous attaquerons en premier lieu (et si ça vous plaît pas, bin tant pis, c’est mon blog à moi, na ! )
Premier constat, le format. Of course, il claque. Les albums européens ont toujours été plus grands que ceux de nos cousins américains, et même si Urban Comics a augmenté la taille des nouvelles parutions, le format à l’Européenne gagne toujours par K.O. Un art visuel est souvent mieux servi par le grand format ( regardez la taille de la plupart des livres consacrés aux beaux-arts, en particulier la peinture ).
Les deux albums sont de beaux objets qui flattent l’œil du collectionneur bibliophile. Notons que Dargaud ( à savoir la maison mère d’Urban Comics ) a sorti une édition collector du premier tome avec une couverture alternative et plusieurs pages de bonus « making-of » centré sur les travaux de recherches préparatoires de Marini pour trouver le look de ses personnages.
L'édition collector en question.
Car si Batman, Catwoman, Le Joker sont toujours reconnaissables, c’est avant tout grâce à certains codes immuables mais non contraignants.
Il est possible de jouer avec eux et de fournir une vision inédite et pourtant totalement raccord. Le cinéma ne s’est pas gêné pour le faire, les comics non plus au fil du temps. Alors tant qu’à faire, Marini lui aussi décide d’imposer sa marque et d’enrichir le monde du chevalier noir. Pour le meilleur mais aussi souvent pour le pire et l’outrancier.
Adepte de la fille sexy ( Le Scorpion n’en est pas avare ) voire sexualisée à outrance ( mais la chose est justifiée par la nature vampirique et donc provocante pour l’ordre moral établi dans Rapaces ) , Marini , sans raisons apparente, déchire le costume de Catwoman et transforme Harley Quinn en poupée Colombine dont seul le haut de la robe aurait survécu ( bin oui, faut quand même un peu voir les atours de l'Arlequin, c'est une base du perso ), dévoilant au passage très souvent la culotte de la « fiancée du Joker ». Visuellement, toutes les femmes connues des fans sont représentées comme des fantasmes pour ado boutonneux.
Cependant, il est impossible de dire que le trait de Marini ne flatte pas la rétine, le travail du dessinateur , qu’il caresse nos bas instincts ou non, est un modèle de travail acharné. Il n’a jamais été un manchot et chaque planche est belle.
Souvent hors-sujet, mais belle. Comme ses vues de Gotham nageant dans le sépia, donnant l’impression que Batman agit soit en fin d’après-midi ( hérésie) soit que l’éclairage public de Gotham est désormais presque aussi bon que celui de Metropolis, la ville de Superman ( hérésie-bis). Certes, le rendu des couleurs est de toute beauté. Mais la forme est à côté de la plaque par rapport au fond : Batman est une créature de la nuit , des ombres . Et ce qui donne de la couleur à la ville c’est le caractère monstre de foire de ses adversaires.
Donc, ça, c'est Gotham au milieu de la nuit. Même Joël Schumacher ne l'éclairait pas autant.
Graphiquement, Marini passe donc presque systématiquement à côté de ce qui fait l’univers batmanien et l’on sauvera Batman donc, le Joker, le manoir et la bat-mobile. C’est peu car ces éléments sont plongés dans tout le reste !
Mais le drame survient dans le tome 2.
Nous l’avons vu plus haut, Marini est tenu de tenir un délai, serré, pour fournir la dernière partie de son diptyque. Et si l’on reconnait toujours son trait et son talent, force est de constater que plus le second album avance, moins les dessins et la colorisation collent au niveau dont est capable le dessinateur suisse. C’est toujours beau mais en deçà de ce que l’on était en droit d’attendre.
Quand est-il du scénario dont nous venons d’évoquer l’illustration ?
Et bien c’est franchement pas terrible.
Pour l’anniversaire d’Harley Quinn, le Joker décide de voler un bijou ( c’est original à mort comme idée. Et le Joker qui s’intéresse à Harley, cela rappelle le film Suicide Squad. Marini n’aurait-il comme référence que les films et non les comics ? Je commence sérieusement à le croire ).Le cambriolage échoue bien évidemment lorsque la plus grosse chauve-souris de la ville s’en mêle.
Pendant ce temps, Bruce Wayne est accusée par une ex-junkie d’être le père biologique de sa fille et lui intente un procès. Les deux intrigues se rejoignent lorsque le Joker kidnappe la gamine pour forcer Mr Wayne à lui remettre un diamant d’une valeur vertigineuse pour contenter Miss Quinn.
Qu’il soit le père ou non, Bruce est Batman. Et n’a d’autres choix que de tenter de secourir l’enfant.
72 pages par album. 144 pages en tout et pour tout pour poser les personnages et résoudre cette aventure. C’est presque 100 pages de trop par rapport aux standards habituels tant américains qu’européens. Certes, Jean Van Hamme , avec Largo Winch , a toujours livré des diptyques mais toujours avec un talent certain et une connaissance de son/ses sujet(s).
Et autant dire que Marini ne maîtrise ni l’art littéraire ni la mythologie gothamite.
On l’a vu, que cela soit dans l’écriture ou le visuel, Enrico Marini puise bien plus dans le cinéma que le comics, se coupant de 80 ans de richesse thématique et visuelle.
Alors oui, difficile de critiquer ses goûts, surtout quand il puise chez Christopher Nolan, mais les films Batman ne sont qu’une partie d’un iceberg. Et pas la partie la plus représentative tant des auteurs comme Burton ou Nolan ont soigneusement pris ce qui les intéressaient pour coller à leurs envies d’auteurs, quitte à dénaturer certains points ( coucou Burton, c’est surtout toi que je vise là).
The dark prince charming, avec son intrigue relativement simple, si pas simpliste, ne peut tenir sur un aussi large nombre de pages. Il va donc falloir diluer un scénario mince dans un déluge de scène d’action certes très pêchues mais qui transforment le scénario en histoire homéopathique dont la lecture avoisine les 25 minutes ( dans son entièreté ! )
Et quand l’action risque de frôler l’overdose, Marini dispose d’une autre astuce : le cul ! Vous avez rêvé de voir (ou de deviner ) les courbes de Selina Kyle/ Catwoman quand elle dort avec Bruce Wayne ? Marini va vous éblouir. Vous avez toujours souhaité voir Harley Quinn servir de buffet à sushi mieux épilé que le crâne de Lex Luthor ? Marini vous a entendu.
Tom King, l’actuel scénariste du comic book Batman, s’échine a écrire une merveilleuse histoire au long cours sur la relation Bruce/Selina. Et si les scènes intimes ( voire très intimes) ne manquent pas, elles ne sont jamais putassières pour un sou sans pour autant flirter avec la pudibonderie. Comme quoi, avec un réel doigté d’écrivain, on fait des merveilles.
Tel un Charles de Gaule (et il sait comment dessiner pour en provoquer ), Marini crie « Je vous ai compris ». Et n’a rien pigé du tout, comme le général…
Mais les dessiner pour le simple plaisir de dévoiler les corps n’est pas suffisant. Marini dévoie leurs caractères.
Selina est une jalouse compulsive, rancunière et colérique ( wow, ça c'est de la femme indépendante dis donc ).
Harley est une idiote ( elle a un doctorat en psychiatrie mais bon ) soumise , contente de son sort et…JAMAIS DRÔLE ! Même pas involontairement.Un comble.
Entre elles deux et l’accusatrice de Bruce, toutes les femmes de la BD offrent un portrait déplorable de la gent féminine.
Bruce lui-même se comporte en connard arrogant et macho, un mâle alpha +, content de sa position.
En plus de fournir une intrigue bête et sans tension ( Bruce Wayne qui va mettre enceinte une junkie ? Quelqu’un y croît une seule seconde, sérieux ? Batman qui échoue ? Ha ha ) , Marini laisse exploser un sexisme palpable que ses collègues scénaristes avaient semblent-ils contenus dans ses autres séries.
Graphiquement digne mais scénaristiquement totalement indigent , The Dark Prince Charming aurait été un navet sans nom si le talent du dessinateur n’avait pas fait de cette histoire le réceptacle de deux art-books un peu gâchés par les phylactères.Parce que oui, bordel, c'est beau.
Et cette beauté va supplanter l'esprit critique de nombreux lecteurs...
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